Chapitre 6
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L’organisation de la réplique française.

 

Il n'y eu en France, aucun débat politique sur la nécessité de répliquer aux agressions chimiques allemandes. Militaires et politiques souscrivèrent unanimement à la décision d'une réplique militaire chimique, sans concession, sans limite.

En quelques jours, une structure chargée de mettre en place une riposte chimique fut créée (voir : la genèse des premiers moyens de protection - l'organisation française au lendemain de la première attaque aux gaz). Celle-ci se divisa en trois structures, une commission chargée de l'étude des moyens agressifs et des moyens de défense, une commission chargée de l'étude des corps agressifs utilisés par l'ennemi et une structure chargée des moyens de production.

C’est lors de la réunion du 28 avril 1915 que l’on évalua les moyens de réplique dont la France disposait (voir : la genèse des premiers moyens de protection - l'organisation française au lendemain de la première attaque aux gaz). On souhaitait aller vite, mais déjà, on réalisait la difficulté à laquelle il allait falloir faire face : la France ne disposait pas d’industrie chimique, elle ne produisait pratiquement pas de chlore et ne disposait pas de ressource en brome, des substances alors indispensables à la synthèse de l’ensemble des substances agressives connues.

Le seul corps dont on put disposer immédiatement était le tétrachlorure de titane, baptisé fumigérite, en regard de ses propriétés principalement fumigènes. Il possédait néanmoins une valeur irritante assez modeste. Les premiers essais de projectiles[1] emplis de ce produit eurent lieu le 30 avril 1915, à Satory, en présence des généraux Curmer et Dumezil. On peut s'interroger sur la promptitude avec laquelle ils furent réalisés, moins de deux jours après avoir décidé d'une riposte. Le 2 mai, ces essais furent jugés satisfaisant, tout au moins comme un premier moyen à adopter. Les livraisons en fumigérite, débutèrent le 7 mai, à compter de seulement 500 kg par jour, ce qui se révèlera rapidement insuffisant.

Les premières recherches sur la création d'une vague gazeuse agressive débuta le 1er mai, et le 4 mai eurent lieu les premiers essais de production de nappe gazeuse de chlore, qui devaient se poursuivre par la suite (voir : Etudes de la vague de chlore).

Ainsi, les premières recherches en vue de riposter à l’attaque allemande, débutent très rapidement, en quelques jours après le 22 avril 1915 et la vague gazeuse d'Ypres (voir : La vague gazeuse du 22 avril 1915). On s’attendait à disposer de moyens efficaces d’ici la fin de l’été ; la réalité sera tout autre.

Pour réaliser ce dessein, les responsabilités furent réparties

Voir : Les munitions chimiques françaises, généralités.

Voir : La genèse des premiers moyens de protection.

La recherche incomba à ce qui deviendra la section des produits agressifs, présidée par le colonel Perret, secondé par Charles Moureu. Ses 11 membres étaient tous d’éminents chimistes : Gabriel Bertrand, Victor grignard, Job, André Kling, Paul Lebeau, Marcel Delépine (qui remplaçait Maquenne au début de 1916), Simon, George Urbain et Terroine.

La logistique fut confiée à l’Etablissement Central du Matériel Chimique de Guerre, sous la direction de monsieur Cuvelette. Ce dernier se vit en charge de réaliser un véritable programme de développement industriel pour réaliser la production des substances nécessaires à la riposte chimique militaire.

Enfin, les études sur le front furent confiées à André Kling, afin d’identifier rapidement les nouvelles substances utilisées par l’ennemi. Immédiatement, il réussira à mettre en place une structure destinée à renseigner le G.Q.G. et l’I.E.E.C., sur la nature des toxiques utilisés lors de chaque attaque allemande et sur le type de munitions utilisées dans ce but. A chaque fois qu’une attaque était signalée, Kling se rendait sur place, accompagné par le médecin chef du centre médico-légal de la zone concernée, pour y effectuer une enquête complète et récupérer des échantillons. Le nombre d’attaques chimiques se multipliant rapidement, Kling ne fut plus en mesure d’effectuer toutes ces enquêtes, et ce rôle fut dévolu aux centres médico-légaux. Tous les projectiles supposés toxiques étaient envoyés au laboratoire municipal de Paris pour y être démontés et examinés. Ainsi, on obtint des renseignements très complets sur les agressifs allemands, leur méthode de synthèse et sur les moyens de les disperser.

Deux voies de recherches furent explorées : la production d’une vague gazeuse et le chargement de substances agressives dans des projectiles. Il est impossible d’énumérer ici l’ensemble des recherches menées, tant le nombre de substances étudiées est grand. Nous nous bornerons à suivre celle ayant abouti dans les premiers mois du programme.

I) Les munitions toxiques.

A) les premiers obus spéciaux français.

La France réalisa très rapidement les perspectives offertes par l'artillerie comme moyen de dissémination de substances toxiques.

voir : généralités sur les munitions chimiques françaises

voir : les substances chimiques chargées en projectiles d'artillerie

Le premier corps dont la synthèse apparut réalisable avec les matières premières dont on disposait, fut proposé par Urbain Il s’agissait du tétrachlorosulfure de carbone, aux propriétés suffocantes. Les études de ce produit furent menées par Bertrand et Delépine, ce qui vaudra aux obus emplis de ce produit de porter l’appellation BD1, des initiales de leurs concepteurs. Les premiers essais d’éclatement des obus de 75 mm BD1, eurent lieu à la fin du mois de juin, au puits d’éclatement de Vincennes.

L'activité des obus BD1 sembla intéressante et fut confirmée par quelques essais d'éclatement d'obus qui parvinrent à intoxiquer mortellement plusieurs lapins. On mis immédiatement en production des munitions de 75mm chargées de chlorosulfure de carbone et de phosphore, ou de chlorosulfure de carbone et de chlorure de titane. La volonté des Autorités françaises était alors de prendre le dessus sur les armées allemandes en utilisant dès que possible des munitions chimiques aux capacités suffocantes et létales. Les premiers tirs réels eurent lieu entre la deuxième semaine de juillet 1915 et jusqu'à la fin de ce mois, lors de plusieurs opérations limités sur le champs de bataille et contre les troupes allemandes. Les résultats furent très décevant et les munitions au chlorosulfure de carbone seul et au chlorosulfure de carbone et phosphore furent retirées. voir : Les munitions chimiques françaises - Les substances utilisées et leur historique, juillet 1915, premiers tirs d'obus chimiques français.

 

Lettre du Général Commandant en chef, Joffre, à Monsieur le Ministre de la Guerre, 16 juillet 1915. 

 

Le 29 juillet, des essais réels furent effectués sur le polygone de tir de Satory avec des munitions chargées de chlorosulfure de carbone et un stabilisateur de nuage toxique, un fumigène. Le mélange était maintenant constitué de sulfure de carbone, de chlorure de soufre, de chlorosulfure de carbone et de tétrachlorure de carbone additionné de chlorure de titane (note confidentiel n°27 du 3 août 1915). Les procédés de synthèse du chlorosulfure de carbone varièrent durant le mois d'août, alors que le remplissage des obus s'effectuait en prévision des offensives de septembre.  La note secrète du 13 août précisait l'instabilité du composé et tentait d'instaurer une uniformité dans les produits fournis (pas de substance passant en distillation au dessous de 100°C, ajout de soufre...) qui se révélaient comme extrêmement hétérogènes. Le Chlorure de titane vint parfois à manquer et pouvait être substitué par du chlorure d'étain, sans que l'on sache s'il conservait ses propriétés agressives.

Les chercheurs semblaient, une fois de plus, enthousiastes devant les résultats obtenus, mais négligèrent un aspect essentiel : la persistance du produit (ici pratiquement nulle) associée à sa trop grande dispersion, liée à l’éclatement du projectile. 

Note du Général commandant en chef Joffre du 2 août 1915 au sous secrétaire d'Etat à l'Artillerie, pour la production URGENTE de munitions chimiques avant les offensives de septembre. Joffre espérait beaucoup de l'arme chimique pour le succès des offensives de Champagne en septembre.

Les Allemands avaient obtenus des résultats importants en juin, juillet et août 1915 dans leurs offensives en Argonne, grâce à l'appui de munitions chimiques. Joffre espérait jouer du même stratagème.

 

Les demandes de Joffre se faisant de plus en plus pressantes pour l'obtention d'un stock considérable de munitions chimiques pour septembre, l'aspect de la mise en place d'une doctrine de tir pour pallier à la forte dispersion de la substance chargée passa au second plan. Tout comme la finalisation du mélange exact qui devait emplir les projectiles. L'optimisme du Général en chef était motivé par les résultats des essais effectués sur le polygone de tir de Satory, dont nous donnons ci-dessous un extrait du compte-rendu.

Nous reproduisons également ci-dessous un extrait du rapport de la Commission d'agression en date du 24 août 1915, faisant état des divisions qui régnaient entre chercheurs sur le mélange à effectuer pour le chargement : 

Dénué de forte toxicité distribués à la hâte et sans doctrine d'emploi, l’introduction des premiers obus spéciaux français, lors de l’offensive de Champagne en septembre 1915, se traduisit par un échec cuisant. voir : Les munitions chimiques françaises - Les substances utilisées et leur historique

 

 

Choisis pour leur grande toxicité, deux autres corps furent particulièrement étudiés, à partir du mois de juin 1915 : l’acide cyanhydrique et le phosgène. Des essais, menés par Lebeau et Urbain, furent rapidement effectués pour déterminer leur efficacité, et l’on constat ainsi la nécessité d’alourdir leurs vapeurs pour obtenir des atmosphères toxiques. Ces recherches se poursuivirent pour aboutir aux premiers essais réels sur champ de tir, puis aux premières productions en août 1915. Le phosgène fut mélangé à un corps fumigène, le chlorure d’étain, qui l’alourdissait et qui lui évitait de se disperser et de se diluer trop rapidement à l’explosion de l’obus. Ces munitions porteront l’appellation conventionnelle d’obus n°5. Les conditions techniques à réaliser pour obtenir des obus emplis d’acide cyanhydrique efficaces, furent plus difficile à maîtriser. La toxicité de ce produit étant, expérimentalement, très grande, ces recherches furent menées jusqu’au bout par Lebeau. En concentration suffisante, l’acide cyanhydrique était susceptible de provoquer la mort en quelques instants, avant que le masque ne soit mis. C’est seulement en décembre 1915, que Lebeau réussit à la stabiliser suffisamment, en la mélangeant avec du chloroforme et du chlorure d’étain, dans une composition appelée vincennite tertiaires. Les obus emplis de ce produit portèrent l’appellation d’obus n°4. voir : Les munitions chimiques françaises - Les substances utilisées et leur historique

 

 

B) D’autres produits moins toxiques dans l’attente du futur.

Le gouvernement et les autorités militaires repoussèrent l’utilisation de l’acide cyanhydrique et du phosgène, en raison de leur trop forte toxicité, rejetant leur introduction jusqu’au moment ou l’ennemi ferait usage des mêmes substances ou des substances de toxicité similaire (voir : les substances chimiques chargées en projectiles d'artillerie). Les obus chargés de palite, introduits par les Allemands depuis le 18 juin 1915, avaient pourtant une toxicité assez proche de celle du phosgène, seulement, les chimistes français en prirent conscience bien plus tard (en dehors d'André Kling).

La volonté des autorités militaires était de disposer au plus tôt de projectiles aux capacités foudroyantes. Cela signifiait de mettre en oeuvre des munitions les plus nocives possibles - c'est à dire létales - au mépris de toutes les Conventions internationales existantes. Les militaires avaient parfaitement conscience que le chlore employé par les Allemands à Ypres n'avait qu'une faible toxicité et que les projectiles chimiques qu'ils utilisaient avaient des propriétés lacrymogènes en plus de leurs propriétés toxiques. Aucune Convention n'interdisait l'emploi d'un projectile d'artillerie qui, en plus d'effets brisants, avait des propriétés irritantes et toxiques. Les accords internationaux interdisaient l'usage d'un projectile aux seules capacités toxiques, dont les effets ne seraient prévenus par aucun autre symptôme. La Convention de La Haye de 1899 prohibait l'utilisation de "projectiles dont le seul objectif est de diffuser des gaz asphyxiants ou délétères". 

En somme, la doctrine française ne devait pas se laisser guider par des considérations de sentimentalité ou de respect de Conventions, mais uniquement par les résultats attendus s'ils s'avéraient possibles. Ce point est à plusieurs reprises mentionné dans différents rapports, dont nous donnons un extrait ci-dessous : 

 

Extraits du rapport de la Commission d'agression du 17 août 1915, sur l'objection morale d'utiliser des substances létales et sur l'objectif recherché.

En réalité, il n'y eut aucune objection à utiliser des substances létales et à violer la Convention de La Haye. Les autorités prirent cependant la précaution de n'utiliser ces substances dans des munitions d'artillerie que quand la capacité de production française fut jugée suffisante pour ne pas avoir à souffrir de représailles allemandes plus importantes. Cet avis est motivé dans un courrier de la Commission du 2 août 1915, approuvé par le Général commandant en chef, que nous reproduisons :

 

 

En attendant, la Commission se pencha sur l’utilisation de substances moins toxiques.

Paradoxalement, la France qui avait la première introduit l’usage de substances lacrymogènes, n’envisageât pas immédiatement l’emploi de cette catégorie de toxiques. Il est vrai que la notion de classement des agressifs, en fonction de leurs propriétés physiologiques, n’existait pas, et les lacrymogènes ne paraissaient pas retenir l’attention des chercheurs, étant souvent considérés comme des substances non toxiques, donc inintéressantes. Répondre à l'agression allemande ne semblait s'envisager, dans ces premiers mois de recherche, que par des substances aux propriétés létales.

De nombreux produits, très efficaces, avaient pourtant été proposés avant le 22 avril 1915. Par exemple, au début de la guerre, monsieur Blanc, directeur des laboratoires d’analyses des conserves à l’intendance, avait proposé d’utiliser les dérivés nitrés du chlorure de benzyle. La chloropicrine, une substance suffocante et lacrymogène, avait été étudiée pour le compte de l’armée, de 1906 à 1911, puis ces études avaient été reprises par Bertrand en février 1915. Seulement, l’efficacité de ces produits était alors jugée de façon subjective, en s’attachant essentiellement aux propriétés irritantes qu’ils produisaient. Les autorités militaires souhaitaient bien répondre à l'attaque du 22 avril par une agression au moins aussi meurtrière, et recherchaient des composés mortels.

Cette situation connut alors un net revirement à la fin du mois de juin 1915, lorsque les Allemands se mirent à utiliser massivement ce genre de produits. Les généraux demandèrent alors l’envoi d’obus ‘’suffocants’’ chargés de corps aux propriétés voisines de l’éther bromacétique. On envisageait immédiatement le chargement d’obus avec les deux produits lacrymogènes que l’on utilisait dans les grenades suffocantes : le bromacétate d’éthyle (ou éther bromacétique) et la chloracétone. Seulement, les quantités de ces substances, nécessaires à la production d’un nombre d’obus spéciaux conséquent, étaient bien plus importantes que celles que l’on fabriquait. La France ne disposant pas encore d’approvisionnement en brome et en chlore, il fallait donc trouver autre chose. Les Anglais semblaient obtenir des résultats intéressants avec des dérivés iodés, une alternative aussitôt envisagée du côté français. A la fin du mois d’août, Moureu, secondé par le pharmacien Dufraisse, débutèrent des recherches sur l’iodure de benzyle. Dufraisse fut grièvement intoxiqué lors de ces recherches, et ce corps chimique fut ainsi baptisé fraissite. L’iodacétone fut également étudiée par Kling, Grignard et Bertrand. Ces produits, aux propriétés lacrymogènes puissantes, furent chargés dans des projectiles de tranchée, puis, la fraissite, en obus à la fin de l’année 1916. Il fallut en effet plus d'une année pour réaliser leur synthèse et leur production industrielle et résoudre les problèmes liés à leur chargement en projectile. En raison du prix élevé des dérivés iodés, utilisés également en masse par le Service de santé, leur usage resta relativement restreint. La Fraissite fut rapidement substituée par la bromacétone dans les chargement, en raison de son coût de production bien plus raisonable, et de l'approvisionnement en brome qui devint plus conséquent.

En juillet 1915, toujours à la suite de travaux anglais, l’usage de l’acroléine fut envisagé et étudié par Lepape et Moureu. C’était un lacrymogène très puissant, possédant des propriétés également suffocantes et toxiques. Une forte concentration de ce produit était susceptible de provoquer la mort en une minute. Son action assez fugace permettra son chargement dans toutes les grenades suffocantes françaises à partir de 1916, leur conférant ainsi une redoutable efficacité dans les espaces clos.

En octobre 1915, grâce aux études de Lebeau, on réalisa que le nouveau masque allemand ne protégeait pas contre les substances lacrymogènes, tel que la bromacétone, la bromométhyléthylcétone, le bromure de benzyle, et que la palite traversait également son filtre. La production de ces substances fut donc rapidement envisagée. Les substances lacrymogènes furent étudiées au laboratoire de Moureu. La fabrication de bromure de benzyle et de bromacétone fut au point au début de 1916, mais il faudra attendre que la production de brome soit suffisante pour produire de grandes quantités de ces produits. Le bromure de benzyle étant jugé peu toxique, il fut finalement réservé à la production d’atmosphères toxiques pour l’entraînement des troupes. La bromacétone fut utilisée chargée en obus à la fin de 1916.

La palite et ses dérivés plus chlorés furent étudiées au laboratoire municipal de Kling, mais on préférera finalement l’usage du phosgène, qui présentait plusieurs avantages. Contrairement à la palite, qui nécessitait d’être isolée par une chemise en plomb dans le corps de l’obus, le phosgène pouvait être chargé directement en contact avec l’acier du projectile, et ne nécessitait donc pas la fabrication d’un obus particulier. Le phosgène ayant en plus des propriétés particulièrement insidieuses, il avait l’avantage, avec une toxicité légèrement supérieure à celle de la palite, d’être une substance capable d’intoxiquer un individu sans qu’il s’en aperçoive.

Enfin, à la fin de 1915, les études entamées depuis fort longtemps sur la chloropicrine, furent reprise et rapidement menées à bien ; elle fut chargée en obus dès 1916.

 

C) Une nouvelle innovation française et la première violation indiscutable des conventions internationnales.

 

En juillet 1915 fut créé les premiers ateliers de chargement d'obus toxiques : le premier au fort d'Aubervilliers pour les obus toxiques et le second au fort de Vincennes pour les obus lacrymogènes. Moins d'un an plus tard, 31 000 obus toxiques étaient produits chaque jour dans l'atelier d'Aubervilliers.

En août 1915, les autorités militaires décidèrent de suspendre l'utilisation des obus chargés en phosgène jusqu'à l'utilisation de substances agressives jugées aussi toxiques par les Allemands (voir : les substances chimiques chargées en projectiles d'artillerie et documents ci-dessus). Des stocks furent ainsi progressivement constitués à partir de la fin de l'année 1915 et les munitions purent être encore améliorées. L'obus de 75mm n°5 marquait une nette progressions dans l'utilisation des obus chimiques. Il avait un rendement supérieur aux munitions existantes, étaient donc emplis d'un volume de toxique supérieur pour une quantité d'explosif réduite, assurant une dispersion de son toxique dans un volume plus faible pour obtenir une concentration supérieure. Il était ainsi le premier projectile à violer indiscutablement La Convention de La Haye de 1899, qui prohibait l'utilisation de projectile dont le seul but était diffuser des gaz asphyxiants ou délétères, bien que d'autres substances utilisées par les Allemands possédaient des propriétés suffocantes identiques, mais des effets lacrymogènes en plus avec un pouvoir brisant non négligeable.

L'introduction des projectiles français chargés en phosgène est aujourd'hui impossible à dater précisément. Quelques documents laissent à croire que des tirs sur des objectifs limités se sont déroulés avec des munitions chargées de phosgène entre fin novembre et début décembre 1915. Ces informations sont à prendre au conditionnel. Nous n'avons pas réussit à fixer la date exacte d'introduction des obus n°5 chargés en phosgène, mais une offensive chimique menée à l'aide d'obus au phosgène, appuyés par des obus au phosphore n°1 et n°2, est menée le 21 décembre 1915 à l'Hartmannswillerkopf (voir : Artillerie française, Substances).

Il est en effet plus que probable que les archives françaises soient absolument muettes sur cette introduction, en raison de cette violation des conventions internationales dont les autorités avaient parfaitement conscience.

 

 

II) Les vagues gazeuses dérivantes.

La France réalisa ses premiers essais de production de vague gazeuse dès le 4 mai 1915. De premier abord, la création d’un nuage gazeux de chlore ne paraît pas très complexe ; il suffit d’ouvrir les robinets des cylindres de chlore et d’attendre qu’ils soient entièrement vidangés. Si le sens et la vitesse du vent sont favorables, le nuage se dirige tranquillement vers les lignes ennemies… Les chimistes français réalisèrent rapidement qu’en réalité, la préparation d’une telle opération est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

Alors qu’au mois de mai 1915, l’émission de la première vague française était prévue pour le mois de septembre, celle-ci ne devait finalement avoir lieu qu’en février 1916 ! Les difficultés à surmonter furent nombreuses, et tout d’abord d’ordre industriel. Les premiers besoins en chlore liquide furent couverts principalement par l’Angleterre, mais dès août 1915, ils se révélèrent nettement insuffisants. Il fut alors nécessaire de développer un programme industriel pour la construction d’usines de chlore liquide, dans un laps de temps le plus court possible. La plus grosse difficulté fut que les  principaux spécialistes de ce problème travaillaient outre-Rhin ; personne d'autre que les chimistes allemands ne maîtrisaient cet aspect. Tout restait donc à faire pour la mise sur pied de cette industrie. Les efforts des chimistes et industriels français furent colossaux pour réussir à lancer la production dès avril 1916.

Entre-temps, il fallut résoudre un par un, tous les problèmes techniques liés à la production des vagues gazeuses. Les études furent menées par les capitaines Bied-Charreton et Beccat, auxquels les laboratoires de Delépine, Urbain et Kling participent. La réalisation pratique de la vague fut étudiée en premier. La nature des gaz utilisés et de leurs proportions nécessita de nombreux essais pour être déterminée avec précision, en procédant aux essais de différents mélanges. Les conditions météorologiques les plus favorables furent ensuite fixées, avec la création d’ateliers météorologiques attachés aux équipes d’émission. La procédure d’ouverture des cylindres fut analysée pour déterminer par quel procédé obtenir les concentrations maximales. Enfin, il fallut répertorier les secteurs se prêtant particulièrement géographiquement à ce type d’opérations.

voir : Les vagues gazeuses - Etudes et Vagues gazeuses - Technique

Pour assurer le maniement des cylindres de gaz et leur mise en place en première ligne, on mis sur pied deux compagnies du génie chargées de ces missions, sous les ordres du commandant de bataillon Winkler. Par la suite, ce fut jusque 9 compagnies du génie qui seront employés pour ce travail demandant beaucoup de sang froid (voir : les vagues françaises). Ces compagnies spéciales furent commandées par un capitaine et composées de trois sections de 125 hommes, soit au total pour une compagnie:  5 officiers, 22 sous-officiers et de 369 sapeurs. Les opérations planifiée pour la fin de l'année 1915 et le début de 1916 furent toutes annulées. La première opération d’émission à lieu finalement dans la nuit du 13 au 14 février 1916, dans le secteur de La Neuville-Le Godat. Elle fut responsable de nombreuses intoxications parmi les hommes des compagnies d’émission, dues à des fuites de gaz et vraisemblablement à une mauvaise adaptation des appareils protecteurs.

Entre-temps, le souhait d’obtenir une percée par l’utilisation des vagues gazeuses semblait s’être évaporé. Les premières opérations chimiques permirent d'appréhender la  difficulté à combiner une opération d’émission chimique, fixée à des impératifs d’ordre météorologique très stricts donc difficilement prévisibles, à celle d’une offensive d’infanterie, nécessairement appuyée par une préparation d’artillerie, dont le bon déroulement exigeait une minutie de préparation incompatible aux imprévus météorologiques. Les premières opérations françaises furent d’envergure modeste, sur des secteurs limités, avec un nombre restreint de cylindres de gaz. Elles devinrent nettement plus importantes par la suite, lorsque l’approvisionnement en chlore devenait suffisant. Leurs effets sur les troupes allemandes restent, aujourd’hui encore, très difficile à évaluer.

L’addition de phosgène dans les vagues gazeuses fut décidé le 18 décembre 1915, suite à l’affaire des obus suffocants d’Avocourt. Seulement, la réalisation d’émission de vagues au chlore et au phosgène dut être repoussée, devant les nombreux accidents dont les compagnies Z étaient victimes dans les opérations. Il fallut en effet attendre que le personnel Z ait acquis une expérience suffisante dans le maniement des cylindres, et qu’un appareil protecteur particulièrement efficace, le Tissot grand modèle, soit distribué, pour utiliser un mélange aussi toxique sans risquer la vie du personnel chargé de l’émission.

Au cours de l’année 1916, il semble que des doutes soient apparus au sein des chimistes français, sur l’utilisation du phosgène par les Allemands. A la fin de l’année 1915, un appareil de détection et de prélèvement automatique, mis au point par Kling et Schmutz, fut mis en place sur le front et permettait, en cas d’attaque chimique, de prélever des échantillons de gaz et de caractériser avec certitude et sans ambiguïté, la présence d’oxychlorure de carbone (ou phosgène). La méthode de caractérisation était extrêmement sensible et permettait de doser le phosgène, même mélangé à d’autres gaz, à des concentrations très faibles. Grâce à cet appareil, les concentrations de chlore obtenues dans les vagues allemandes, furent fixées avec précision et d’ailleurs corroboraient les suppositions faites auparavant : ces concentrations avoisinaient les 1,5 g/m3. Jusqu'à la fin de l’année 1916, les appareils Kling ne permirent pas de mettre en évidence la présence de phosgène dans les vagues allemandes. L’introduction par les Français de ce gaz particulièrement toxique dans les vagues fut réalisée en octobre 1916, et coïncidait avec celle de l’utilisation des Allemands, de ce même agressif, dans la majeure partie de leurs vagues gazeuses et dans de nouvelles munitions d’artillerie.

 

 

 

 


[1] Des bombes de mortier de 58T, ou crapouillot.

 

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