Chapitre 13
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Plan :

I) Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres.  

A) La poursuite des recherches en agression.  

B) La protection.  

C) Entre condamnation de l'utilisation de l'arme chimique et nécessité d'une capacité de réplique immédiate : réalité et  déni du réarmement chimique en France, 1919-1939.

II) Un bref aperçu de la question des gaz de combat pendant la campagne de 1939 à 1940.  

III) Mobilisation et aspect industriel de la guerre chimique, 1930-1940.

IV) 1940, la débâcle et l'Armistice de juin.

 

 

 

"Il n'est point de secret que le temps ne révèle". Jean Racine, Britannicus, acte IV, scène 4.  

 

 

Les Services chimiques dans l’entre-deux guerres.  

Le 27 novembre 1918, le Maréchal Pétain, dans une lettre adressée au ministre de l’Armement déclarait : « Vos services ont réalisé sous la direction de M. le général Ozil, un effort immense, d’autant plus remarquable que les ressources industrielles faisaient presque complètement défaut. Cet effort à permis d’égaler et parfois de dépasser un adversaire supérieurement outillé. Je vous exprime la reconnaissance de l’armée, que je vous prie de transmettre à M. le général Ozil et à ses services ».

Il est vrai que le travail des services chimiques de guerre fut considérable et digne d’éloges. Les chefs de laboratoire et leurs collaborateurs, issus pour la plupart des Facultés des Sciences, de Médecine et des Ecoles de Pharmacie étaient en tout 110. Le résumé de leur travail à nécessité 984 rapports pour la Section d’agression et 979 pour la Section de protection. Avec l’ensemble du personnel des armées attaché aux Services chimiques, mais appartenant au Service de santé, ils ont su faire face à l’industrie et à la recherche chimique allemande.  

La signature du traité de Versailles en 1919, interdisait à l'Allemagne de poursuivre tout programme de guerre chimique. Seulement, devant l'absence de procédés de contrôle de cette interdiction, il fallait bien reconnaître la nécessité de relancer les recherches dans ce domaine pour pouvoir répondre à une éventuelle nouvelle violation des accords internationaux.

En France, dès la fin de l'année 1919, la décision fut prise de poursuivre les recherches en agression, en protection et de maintenir le stock d'armes chimiques existant le plus longtemps possible opérationnel.

En 1925, l’arme chimique allait à nouveau être condamnée par la Convention de Genève sur le commerce des armes. Ratifiée par la plupart des grandes puissances, en dehors des Etats-Unis et du Japon, elle n'engageait cependant les différentes parties que moralement, sans moyen de contrôle et sans aucune sanction. D’ailleurs, le protocole ne faisait qu’interdire l’utilisation de gaz toxiques et d’autres armes chimiques, mais pas leur fabrication et leur stockage.

Au fil des années, la tension internationale s'intensifiant en même temps que l'Allemagne se réarmait, le programme chimique français ne cessât de prendre de l'ampleur.

Les recherches en agression et en protection seront donc poursuivies par l’IEEC dès la sortie du Premier conflit mondial. Le 15 avril 1919, les Services chimiques de guerre seront réorganisés pour répondre à un fonctionnement de temps de paix, mais en réalité, la structure et les attributions  resteront inchangés. La présidence changeait, mais l’ensemble des membres des deux sections de la Commission restait en place ; leurs laboratoires également. Seul Desgrez et son laboratoire cesseront leurs activités en février 1921, sinon tous les autres continueront à travailler activement, comme nous allons le voir.

 

A) La poursuite des recherches en agression.

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La création d'un centre technique de recherche sur l'arme chimique : Le Bouchet.

 

En 1921, les Services chimiques furent rattachés à la Direction de l'artillerie et la Commission des Etudes et Expériences Chimiques obtint de centraliser l'ensemble ses laboratoires dans un lieu unique ; l'Atelier de pyrotechnie du Bouchet, à Vert-Le-Petit dans l'Essonne.

A l'effectif des membres de la Commission des Etudes et Expériences Chimique, vint progressivement s'ajouter des ingénieurs et des techniciens militaires et civils de différentes spécialités. En 1934, on dénombre un effectif de plus de 120 personnes dont 44 ingénieurs (source SHD) ; cet effectif atteignit 250 personnes et 75 ingénieurs avant la déclaration de guerre (source : ingénieur général Kovache). Au 1er septembre 1939, 290 personnes travaillent aux laboratoires de recherche. Enfin, en 1940, le centre du Bouchet passait de 760 personnes à 1980 au 1er juin 1940, dont 465 affectés spéciaux (source SHD).

A partir de 1922, des recherches furent entreprises pour élaborer des nouveaux composés agressifs, et réaliser la synthèse de certains produits qui étaient apparus à la fin de la guerre, chez nos ennemis et chez nos alliés. Depuis les années 1919, la coopération interalliée avait complètement cessé, et les recherches étaient tombées dans un secret complet.

Un grand nombre de voies furent explorées, de manière à effectuer un travail de déblaiement qui permit de clore certaines voies apparaissant infructueuses, et de limiter le champ des recherches aux produits efficaces : composés organo-métalliques à base de plomb, d'étain, de sélénium, antimoine, mercure, silicium, magnésium, des substances pruriantes et vésicantes, des composés phosphorés, des Yperites complexes, des dérivés de l'oxyde de carbone, de nombreuses et diverses arsines.

Jusqu'au milieu des années 1935, plus de 600 corps nouveaux furent préparés , synthétisés, étudiés, et certains présentaient des propriétés agressives remarquables. Une documentation importante fut réunie et confiée à un officier chimiste au laboratoire de synthèse du Bouchet. Un dépouillement systématique des publications françaises et étrangères fut entrepris, comme un suivit des études étrangères et le répertoriage méthodique des travaux concernant les toxiques à l'étranger, ainsi que le suivit des brevets déposés.

En juin 1940, les laboratoires du Bouchet avaient préparés et étudiés plus de 1500 corps. 

 

Classification des substances étudiées et recherches

Les produits peuvent être classés en toxiques, irritants (ou lacrymogènes) et vésicants. Les propriétés toxiques et vésicantes d'une part, ou irritantes et lacrymogènes d'autre part, peuvent coexister ou être séparées.

Les toxiques agissent soit comme suffocants, soit comme toxiques généraux.

Comme suffocants, les études portèrent essentiellement sur la série des arsines, comme la Lewisite (V.201), la phénylarsine (I.102), l'oxyde de phénylarsine I.103, la dichlorophénylarsine (corps n°6) et en dehors des arsines sur la trichloroéthylamine (corps 886). Comparés aux toxiques suffocants les plus employés pendant la Première Guerre, ces corps étaient considérés comme 10 à 20 fois plus actifs.

La dispersion du phosgène fut également très étudiée, en augmentant considérablement ses propriétés agressives en le mélangeant à d'autres corps.

Les études physiologiques des toxiques généraux furent porté principalement sur les composés organo-métalliques, tels l'iodure d'étain tributyle, l'étain triméthyle propyle, le bromure de mercure isobutyle. C'est surtout sur les effets de l'éther carbamique de la choline, ou B31, que les études furent le plus poussé. 

Les vésicants les plus étudiés appartenaient à la série du soufre, type Yperite, à celle de l'arsenic type Lewisite, à celle de l'azote type 886 et à celle des oxyphénols type B13, dont la particularité de n'agir que sur la peau de l'homme et pas sur celle des animaux, nécessita de conduire des études sur la peau de volontaires...

Les propriétés importantes de l’ypérite amèneront les chercheurs à s’intéresser aux composés de la même famille, les sulfures aliphatiques halogénés. Des vésicants plus puissants et moins volatils qu’elle seront synthétisés, tel la sesqui-Ypérite, signalée comme ayant spécialement intéressé le Chemical Warfare. La préparation d’une série inédite de polysulfures de la même famille, permettra de constater la relation entre la longueur de la chaîne moléculaire et le seuil de vésication.

Les travaux du Bouchet permirent la mise au point d'une méthode de synthèse de l'Ypérite inédite 'Ypérite au protochlorure de soufre),  étudiée au Bouchet, puis produite en quantité semi-industrielle sur un site délocalisé, la poudrerie spéciale de Boussens. Elle fut dénommée Ypérite 1012 (nom de code Y) et sa production et son chargement fut planifié avec une production effective à la poudrerie d'Angoulême après 1939. Cette Ypérite présentait l'avantage d'une production considérable et bien plus simple. Elle présentait en outre des caractères physiques permettant de l'épandre très facilement et elle se conservait bien plus longtemps.

Des Ypérite visqueuse, additionnées de solutions de caoutchouc chloré ou de résines synthétiques, de façon à adhérer aux matériaux et à devenir extrêmement difficile à attaquer par les agents de décontamination, furent également mises au point. Les derniers perfectionnements dans ce domaine devaient donner naissance à l'Ypérite épaissie (nom de code Yp) au Rhodopas (acétate de vinyle polymérisé).

La recherche de vésicants dans d’autres séries conduira à l’étude des amines aliphatiques halogénées, principalement la trichloréthylamine (dénommée produit n°886) dans les années 30. Il s’agit d’un toxique suffocant et vésicant, présentant une action sournoise de par sa complète insidiosité, et se démarquant de l’ypérite par la persistance des vésications oculaires qu’il provoque. De très nombreuses personnes en feront la douloureuse expérience lors de la fabrication semi-industrielle dans les laboratoires du Bouchet. Son efficacité sera jugée jusqu'à dix fois plus suffocante que celle des toxiques les plus agressifs utilisés durant la première guerre. La synthèse en gros de ce corps sera entreprise dès 1932, et les essais en tir réel débutèrent pendant l’hiver 1932-1933, en Algérie, sur le polygone de la base secrète de Béni-Ounif. Les expériences continueront les années suivantes, et elles semblaient être des plus prometteuses.

On réalisa également des produits irritants dénués de toxicité, dont l’emploi sera envisagé par les forces de police : la cotoïne et la benzo-phloroglucine. La chloracétophenone (produit 1031) fut adoptée pour le chargement en projectile.

Une place spéciale sera faite dans les recherches au fer carbonyle, un produit connu depuis longtemps, mais dont la réalisation industrielle nécessitait un appareillage particulier. L’étude de sa dispersion pourra être entreprise dès 1931, avec des échantillons de provenance allemande… Ce corps présentait la particularité de se décomposer au contact du charbon actif du masque, avec production d’oxyde de carbone et de chaleur. Malheureusement (ou heureusement), ce corps se décomposait à l’air, et sa stabilisation se heurtait à de nombreux problèmes.

On s’intéressa également de près aux dérivés organiques de l’arsenic, les arsines, dont plusieurs centaines ont été préparés au Bouchet. Trois groupes très différents seront explorés :

·         Les arsines aliphatiques, déjà employées durant la Première Guerre, sont irritantes et vésicantes. Elles présentaient un intérêt tout particulier car les matières premières utilisées pour leur fabrication étaient peu coûteuses. Les léwisites produites par les Américains durant l’année 1918 appartenaient à cette famille, dénommée produits V.201. La fabrication en demi-grand des plus intéressants de ces dérivés sera réalisée aux laboratoires du Bouchet en 1930, et la fabrication industrielle était en cours en 1935. Enfin, la production fut lancé sur le site de la nouvelle poudrerie de Boussens en 1940, mais rapidement, des problèmes techniques semblent avoir freiné puis stoppé sa production. Un nombre indéterminé de munitions du calibre de 75, 105 et 155mm furent chargées de ce toxique, toutes probablement qu'à des fins d'expérimentation.

·         Les arsines aromatiques, c’est-à-dire celles dont les matières premières sont le benzène et le naphtalène, seront également étudiées ; 200 d’entre-elles seront préparées et une dizaine aux propriétés particulièrement intéressantes, retenues. Deux furent particulièrement étudiées : I.102 et I.103, qui furent synthétisées en quantité semi-industrielles avant d'être abandonnées, après des essais à Béni-Ounif.

·         Les arsines hétérocycliques possèdent des molécules beaucoup plus condensées. C’est dans cette classe que l’on trouve les produits vraiment solides, se prêtant à la vaporisation dite ‘’en chandelle’’. Ce procédé consistait en un bâton solide du toxique, que l’on enflammait et qui se répandait ainsi par ses fumées. Dès 1932, on s’orientait vers l’arsacridine (composé déjà connu en Allemagne et dont l'action irritante devient intenable à la concentration de 1/100e de mg par m3), le carbasol et la phénoxarsine (produit 986) découverte par les Anglais.

Des études furent entreprises sur le B.13 ou isooctylpyrogallol, composé aux propriétés pruriantes rappelant celles du laccol naturel.

Mais les recherches les plus intéressantes et les plus prometteuses concernaient un corps n’appartenant à aucune classe connue alors, un éther carbamique de la choline, le B.31, qui semblait ouvrir la voie des recherches vers les neurotoxiques[1]. Rappelons que les neurotoxiques sont des composés organo-phosphorés, inhibiteurs des cholinestérases tissulaires par phosphorylation irréversible, conduisant à l’accumulation d’acétylcholine au niveau des synapses nerveuses et neuro-musculaires. Le B 31 serait quant à lui, un produit proche du carbamate de choline, une substance aux propriétés voisines de l’acétylcholine, remarquable par son activité considérable et par sa grande stabilité. En outre, le carbamate de choline n’est pas hydrolysé par les cholinestérases, et semblerait les bloquer par carbamylation lentement réversible. Ces substances constituent les dérivés synthétiques les plus puissants et les plus toxiques des dérivés de la choline, à rapprocher de la physostigmine, et donc identiques aux substances organophosphorées. Leur fonction phosphore en moins, ils sont très proche de la famille des esters de Tammelin, qui ne sont autre que les agents V (le plus puissant étant l'agent VX, synthétisé par la Grande Bretagne dans les années 50).

Ces recherches furent menées par le professeur Pierre Baranger, Ingénieur Militaire Principal au Bouchet de 1931 à1936, dirigeant également un laboratoire à l'Ecole Polytechnique. Ses compétences l'amèneront à intégrer un laboratoire de chimiothérapie à l'Institut Pasteur, mutation qui fut loin d'être anodine, l'amenant ainsi à collaborer avec d'autres chimistes dans un domaine de recherche intéressant la Défense Nationale. C'est au sein de ce laboratoire qu'il travailla ainsi avec deux autres personnalités imminentes, spécialistes notamment en chimie thérapeutiques des systèmes acétylcholinergiques, sympathiques, adrénergiques et muscariniques et de la synthèse des drogues agissant au niveau des neurotransmetteurs. Il s'agissait du professeur Ernest Fourneau et du chimiste Daniel Bovet. Ernest Fourneau fut un chimiste brillant considéré comme l'un des grands scientifiques de la première moitié du XXe siècle, fondateur de la chimie thérapeutique. Ses travaux révolutionnèrent le traitement des maladies nerveuses en jetant les bases de l’arsenal médicamenteux dont on dispose aujourd’hui, concernant les anesthésiques locaux, les bêtabloquants, les bronchodilatateurs, les premiers antibiotiques, les antihypertenseurs, les relaxants musculaires et les tranquillisants.

Sa formation passa par des travaux au sein des laboratoires allemands les plus prestigieux d'avant-guerre, avec Emil Fischer et Richard Willstätter ; il garda d'ailleurs une amitié indéfectible pour ses collègues d'outre-Rhin. Pendant la Première Guerre mondiale, il participa aux recherches sur les agressifs chimiques au sein de l'IEEC.  A la mobilisation de 1939, son laboratoire intégra à nouveau la Commission des Etudes et Expériences Chimiques pour des travaux intéressant la Défense Nationale, dans le cadre de la Guerre chimique et sur ordre du Ministre de la Guerre. Le rôle du professeur Ernest Fourneau dans ces travaux reste difficile à cerner. A ce jour, nous ne connaissons pas le domaine des recherches qui furent menées par cette équipe, mais tout porte à croire qu'il portait sur des agressifs chimiques attaquant le système de neurotransmission des organismes vivants.

 

Le Professeur Ernest Fourneau, pharmacien.

Imminent chercheur, fondateur de la chimie thérapeutique, chef de service du laboratoire de chimie thérapeutique de l'Institut Pasteur de 1911 à 1944. Il rejoint l'Inspection des Etudes et Expériences Chimiques dès 1915. Son laboratoire de l'Institut Pasteur sera attaché aux services chimiques en 1939.

 

 

 

 

Daniel Bovet

Il travaille au laboratoire de chimie thérapeutique de l'Institut Pasteur, dirigé par Ernest Fourneau, de 1929 à 1947.

Prix Nobel de Physiologie et médecine en 1957 pour ses travaux sur les médicaments bloquant l’action de certains neurotransmetteurs. Grand spécialiste de chimie thérapeutique, de neuropharmacologie et de pharmacologie du curare. Le laboratoire dans lequel il travaille est rattaché à l’IEEC en 1939, pour des travaux intéressant la Défense Nationale.

 

 

 

Il faut encore noter que le professeur Pierre Baranger s'exila auprès du général de Gaulle en Angleterre en 1940 après l'Armistice et qu'il sembla rejoindre le centre de recherche secret de Porton Down, pour une collaboration avec les chimistes anglais, dont nous ignorons l'aboutissement. Certains prétendent qu'à cette occasion il y eu transfert de connaissance autour des substances neurotoxiques ; nous ne sommes pas arrivé à le démontrer. Il est cependant tentant de relier les travaux de Barranger aux progrès anglais réalisés sur les inhibiteurs de la cholinesterase, comme le D.F.P. (fluorophosphate de di-isopropyle), utilisés comme agressifs chimiques militaires puis comme agents thérapeutiques de certains affections.

L'exhumation des archives françaises de ces travaux est particulièrement intéressante, même si à ce jour, nous ignorons presque tout de ses aboutissements. En effet, la découverte des agents chimiques de guerre de la famille des neurotoxiques est attribué au docteur Gerhard Schrader, de la firme allemande I.G. Farben, en 1936. La substance découverte par Schrader fut militarisée par l'armée allemande dès 1939 et baptisée Tabun, le premier neurotoxique militarisé par l'Allemagne nazi. La production fut débutée en avril 1942 pour atteindre un stock de près de 12 000 tonnes en 1945. En 1939, une substance neurotoxique encore plus puissante fut découverte, toujours par la même équipe, le Sarin, puis le Soman en 1944.

Les historiens qualifient aujourd'hui l'avance que possédaient les force armée allemandes dans ce domaine comme considérable. Au regard de ces quelques données parcellaires concernant les recherches françaises, devant la toxicité du produit 886 (toxicité, action suffocante et vésicante jugée comme dix fois supérieure aux substances les plus toxiques alors connues, en regard au Tabun allemand, jugée comme 25% plus efficace que l'ypérite), sur les progrès réalisés dans la dispersion des arsines et devant les recherches entreprises sur le B.31, il semble que l'avancée allemande dans le domaine de la Guerre chimique soit tout de même à nuancer. De plus, au début de la Deuxième guerre mondiale, les capacités de synthèse du Tabun et sa militarisation étaient loin d'être établies par les chimistes du régime nazi.

 

Fabrication semi-industrielle

 

Ces recherches de laboratoire furent poussées pour les produits les plus intéressants, sur le plan semi-industriel. Jusqu'en 1929, les essais de fabrication étaient effectués avec des moyens de fortune dans un atelier qui n'était qu'un hangar et avec un matériel rudimentaire; a partir de 1929, un dotation de 175.000 Francs permit de faire à l'atelier les premiers aménagements indispensables. Il fut également mis au point les méthodes de travail très strictes pour mener à bien la fabrication de ces substances excessivement dangereuses. A cet effet, il fut défini un système d'isolement de toutes les parties de l'appareillage utilisé, dans des cellules individuelle ventilées, permettant d'éviter l'infection générale des ateliers, comme cela fut le cas en 1932 et 1933 avec le chloréthylamine (886). La nature des matériaux pour l'appareillage fut également particulièrement étudié pour être utilisé dans la modernisation des ateliers à partir de 1933.

A partir de 1933, d’importants travaux réalisés aux ateliers du Bouchet permirent de débuter des synthèses en quantités importantes des produits les plus intéressants, soit plus de 5 tonnes en quatre ans.

Puis, des études de dispersion de ces substances seront menées. On avait réussi rapidement, dès 1925, la mise au point de chandelles de 1 kg, puis on poursuivit les études de vaporisation par mélange chauffant. En 1932, on créa au Bouchet un laboratoire de dispersion pour ce domaine de recherche, et en 1935, on finissait la mise au point de chandelles de 100 kg. Cinq de celles-ci permettaient de créer une infection de terrain profonde de 30 km. Pour la dispersion par obus, on étudia un obus à culot vissé et un obus à chandelle, dit à dépotage, qui donnaient de bons résultats. On augmenta également l’agressivité du phosgène dispersé en obus grâce à des solutions concentrées d’acétate de vinyle. En 1935, une nouvelle chambre blindée de 64 m3 était en construction, avec un appareillage optique spécial devant permettre de photographier les explosions,. Un modèle de grenade chargé en ypérite et destiné à être lancé par avion avait été mis au point, ainsi qu’un lance-grenade. Enfin, des essais très prometteurs sur la dispersion du B. 31 étaient menés.  

En 1934, l'établissement fut rattaché au Service des poudres et son activité devait encore fortement s'accroître. En avril 1934, l'Allemagne quitta la Conférence du désarmement et la France, refusant de cautionner le réarmement allemand, signifia qu'elle assurerait désormais seule sa propre sécurité. Le programme de recherche français fut ainsi encore  fortement renforcé. L'effectif des équipes travaillant au Bouchet fut doublé en quelques années. De 1934 à 1940, 600 nouveaux produits furent étudiés et préparés. Les études de dispersion furent réalisées dans les chambres d'explosion au Bouchet, puis poursuivis sur le champ de tir de Bourges et en Algérie.

Enfin, en 1938, fut réalisé la construction d'un site entièrement dédié aux études et à la production semi-industrielle au sein de la poudrerie de Boussens. Plus de 20 tonnes de substances diverses y furent synthétisées, dans le but d'étudier les conditions de leur dispersion et donc de leur militarisation. De nouveaux crédit furent alloués au Centre d'Etude en 1939 et 1940. A l'Armistice de juin 1940, la poudrerie de Boussens était effective dans la synthèse de l'Ypérite 1012 en quantité industrielle, dans celle de la Marsite, de la Lewisite ou V201, du 886 (trichloroéthylamine), de l'arseniure d'aluminium (nécessaire dans la réalisation des engins Z5)

 

Études de dispersion

 

En effet, les études physiologiques menées sur un produit toxique sortant du laboratoire de synthèse ne sont que des études préliminaires. Il faut ensuite s'assurer qu'il conserve son pouvoir agressif lorsqu'il a été dispersé. L'agressivité dépend en effet du mode de dispersion (explosion, combustion...) et d'autres facteurs tels la charge d'explosif, le système chauffant et ses dimensions, etc. Ces études de dispersion se faisaient d'abord au Bouchet, dans l'une des trois chambres d'explosion aménagées. Elles étaient ensuite suivies au champ de tir de la Commission d'expérience de Bourges, dans des conditions proches du combat. Venait ensuite les essais en grand.

Les premiers essais de dispersion en grand furent réalisés en Algérie dans la région de Touggourt et dans la région de Chegga, dès 1930.

Pour mener ces essais de dispersion et des essais de tirs réels en terrain découvert, le centre d'essais de tir de Chegga en Algérie fut rapidement délaissé au profit de ce qui allait devenir l'un des plus grand centre d'expérimentation d'armes chimiques au monde (le plus grand, excepté la Russie), le centre Béni-Wénif (ou Béni-Ounif, tel qu'il est nommé dans les archives militaires des années 1930). Au milieu de nul-part, situé sur un plateau calcaire su Sahara algérien, il offrait toutes les garanties de sécurité et de discrétion.

Ce centre, resté en activité jusqu'en 1978, est demeuré un secret d'État jusqu'en 1997. Sa superficie représentait plusieurs milliers de kilomètres carrés, 100 km de long sur 60 de large. Nous ne disposons que de très peu d'informations sur sa création. Les premiers essais que nous avons recensé datent de la campagne de 1931-1932. Ainsi, il est entré en fonction avant la date de création fréquemment avancée de 1935. Des essais en grand y sont effectués en avril 1932 et dans l'hivers 1932-1933. Dès lors, des mesures furent envisagées pour en faire un centre d'essai et un champ de tir gigantesque et semi-permanent.

Après la Première Guerre mondiale, l'ECMCG (Établissement central du Matériel Chimique de Guerre), avait été transformé en ERG (Établissement de Réserve Générale) qui disposait d'une compagnie Chimiste appartenant au Bataillon d'Ouvriers d'Artillerie d'Aubervilliers (104e Cie chimiste du 22e BOA). Cet ERG disposait d'un centre de recherche et d'essais chimiques, situé dans le Sud Oranais, à Béni-Ounif. En 1935, ce centre devint le Centre d'Expérimentation semi-permanent de Béni-Ounif, alias CESP de Béni-Wénif. Il était alors composé de trois sites, nommés B1, B2 et B3. Par la suite, probablement dans les années 1950, le centre B2, connu sous le nom de B2-Namous, fut spécialisé dans les essais sur les armes chimiques.

 

 

Le Centre d'Expérimentation semi-permanent de Béni-Ounif et son site B2-Namous est resté un secret d'État particulièrement bien gardé.

Comme expliqué plus haut, il entra en service dès 1931 et reçu son appellation officielle en 1935. Jusqu'en 1940, de nombreuses expérimentations sur les armes et les munitions chimiques y ont eu lieu. Après l’Armistice de juin 1940, le CESP fut camouflé sous l’appellation d’Annexe-magasin de Revoil Beni-Ounif pour échapper aux investigations des Commissions d’Armistice ; il était par ailleurs une annexe de l'ERG d'Aubervilliers.

Dans les années 1950, dans un contexte de guerre froide, les activités reprirent à B2-Namous, essentiellement sous forme de manoeuvres offensives de l'Otan avec des armes chimiques. Puis, en 1962 et à la veille de l'indépendance de l'Algérie, le centre ultra-secret fit l'objet de négociations secrète aux accords d'Evian, comme d'autres bases du Sahara. Le maintient de la base fut accepté pour 5 années ; mais en 1967, alors que tous les autres centres fermaient, B2-Namous fut conservé. Les militaires français furent contraint à travailler sous couverture civile ; une filiale de Thomson, la Sodeteg, étant leur employeur "officiel". Le centre fut fermé et démantelé en 1978. Plusieurs sources laissent à supposer que les recherches furent stoppées à la fin des années 80.

Le secret fut révélé au grand jour par le Nouvel Observateur en octobre 1997, dans un article publié sous la plume, de Vincent Jauvert.

Rappelons que la France a signée à Paris en 1993 la Convention Internationale sur l'Interdiction des Armes Chimiques. En 1989, le président de la république François Mitterrand affirmait à la tribune de l'ONU que la France n'avait jamais disposé de stocks d'armes chimiques. En 1997, le rapport remis aux inspecteurs de la Convention Internationale sur l'Interdiction des Armes Chimiques suivait le chemin tracé jusque là ; aucun stocks d'armes chimiques n'a jamais  été constitué en France.

D'autres études furent menées, notamment sur la dispersion de l'Ypérite par épandage aérien, l'épandage par voitures arroseuses, la dispersion par bombes d'aviations, la dispersion par génératrice d'aérosols. 

Études de dispersion en chandelle

 

A la fin de la Première Guerre, la France n'avait utilisé aucune substance irritante à type d'arsine. Il fut envisagé d'étudier la vaporisation de arsines en commençant par le produit utilisé par les Anglais, la DM ou Diphénylaminochlorarsine. L'atelier de Pyrotechnie du Bouchet étudia un engin analogue aux chandelles anglaises et mis au point en 1923 une chandelle de 1 kg en mélange comprimé. L'amorçage fut mis au point en 1925 en liaison avec l'École centrale de Pyrotechnie de Bourges. 

Des procédés de dosage pour de très petites quantités de produits furent mis au point, des appareils de prélèvement d'atmosphère pouvant fonctionner à distance furent réalisés.

L'étude de la vaporisation par mélange chauffant fut appliqué à un grand nombre de substances. Seuls des engins comprimés furent alors étudiés, avant que l'on s'aperçoive des inconvénients que cela représentait.  On s'orienta alors vers la fabrication d'engins coulé qui permettaient la fabrications et la dispersion de grandes quantités de toxiques. Ces engins furent essayés dès 1930 en Algérie mais se révélèrent décevant. 

La laboratoire de dispersion fut créé en janvier 1932 et du reprendre l'intégralité de ces études. Un nouvel appareillage permit d'étudier au microscope la dimension des particules et leur aptitude à floculer dans les conditions variées de formation du nuage. Puis, des méthodes de prélèvement de nuage, par précipitation électrique sur des plaques de verre et de dosage des produits obtenus par spectrographie ou par colorimétrie, seront mises au point. Les essais à Béni-Ounif permirent de préciser dès 1932 le taux de compression à faire subir à la substance, puis le taux de remplissage. Le degré de tamisage des poudres fut déterminé avec le même soin, puis l'influence des impuretés sur la dispersion du produit agressif défini. On testa des chandelles obtenues par compression, puis par coulage à chaud et enfin à coulage à froid à l'aide de résines synthétiques.

La densité d'engins à mettre en oeuvre fut ensuite étudiée à Béni-Ounif.

L'ensemble de ces quinze années d'études permit la mise au point des engins Z5

 

 

Études de dispersion par explosion

 

Les premiers travaux furent de fixer l'évolution dans le temps des projectiles issus des reliquats stockés depuis la fin de la Première Guerre. Des méthodes d'analyses furent ainsi définies.

De nombreux essais ont ensuite cherchés à améliorer le rendement dispersif des munitions chimiques. On mis au point un obus à culot vissé à cet effet. La dispersion des nouveaux produits fut également une préoccupation constante des services chimiques.

L'augmentation de l'agressivité du phosgène a été déterminée, notamment en le mélangeant à différents corps. Après de nombreux déboires, on s'orienta vers des solutions concentrées à l'aide d'acétate de vinyle qui donnèrent d'excellents résultats. 

Le chargement des arsines en obus donna lieu à la mise au point d'obus de 75 à chandelle ou a dépotage.

Enfin, un modèle de grenade destinée à être lancé par avion fut mis au point, propulsé par un dispositif lance-grenade étudié à Bourges.

 

 

 

Il est impossible de clore ce paragraphe sans mentionner la création, en décembre 1922, d’une Commission de bactériologie, dans le but de mener les études nécessaires à la guerre bactériologique. La présidence sera assurée par le général de division Maurice. La Commission était composée de membres civils : Roux, Achard, Bertrand, Mayer, Lebeau, Borrel (professeur à l’université de Strasbourg), Vallée (directeur du laboratoire de recherche du Ministère de l’Agriculture) et de membres militaires dont le médecin général inspecteur Vincent et le médecin principal Dopter.

L’ensemble des personnels des deux sections de la Commission, ainsi que ceux des différents laboratoires de l’IEEC et de la Commission d’expérience de Bourges, avaient mené ces études.  

Tableau récapitulatif des principaux corps étudiés - 1920-1935 

Désignation conventionnelle Appellation normale Caractéristiques physiques Caractéristiques physiologiques Origine Etat de l'étude
V.201 Lewisites ou chlorovinylarsines primaire et secondaire liquides légèrement jaunâtres Vésicant voisin de l'ypérite. Irritant et suffocant très nocif Découvert par les Américains pendant la première Guerre mais non utilisé Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Etude de la fabrication industrielle en cours.

Essayé en 1930 à Chegga en obus, puis ultérieurement à Béni-Ounif (Béni-Wénif).

Essais à poursuivre dans la campagne 1934-35

I.101 ou D.M. Adamsit ou diphénylaminochlorarsine Solide Irritant et strenutatoire Fabriqué par les Anglais vers la fin de la Guerre pour être utilisé sous forme de chandelles Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Utilisation de stocks cédés par les Anglais. Etude de la fabrication industrielle en cours.

A fait l'objet d'essais en Algérie à Chegga en 1930 et à Béni-Ounif (Béni-Wénif) en 31-32 et 32-33. Essais poursuivis en 34-35

 

I.102 Phénylarsine-imine Solide sublimable Irritant et strenutatoire Laboratoire de synthèse du Bouchet Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. essayé sous forme de chandelles fin 1931 à Chegga. Résultats inférieurs à ceux de la DM
I.103 Oxyde de diphénylarsine Solide Irritant et strenutatoire Employé en obus par les Allemands pendant la Guerre Essais suspendus.
986 Chlorophénoxarsine Solide résistant à la pyrolyse Irritant supérieur à la DM Découvert par les Anglais Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Essai prévu en chandelles
886 Trichloroéthylamine Liquide Toxique suffocant et vésicant Inédit dans la littérature scientifique. Découvert au laboratoire de synthèse du Bouchet en 1930 Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet. Essayé à Beni-Ounif (Béni-Wénif) dans l'hivers 1932-33; en obus de 75 à culot vissé. Efficacité comparable à celle du V.201. La continuation des essais est prévue dans la campagne 1934-35
B.13 Iso-octyl-pyrogallol Liquide visqueux inidore Vésicant. propriétés pruriante. Découvert par le capitaine Baranger au laboratoire du professeur Fourneau sur les indications de ce dernier. Fabriqué au laboratoire de synthèse du Bouchet en quantité assez importante (une centaine de kg).

Sera expérimenté en obus.

B.31 Ether carbamique de la choline Solide utilisable en solution aqueuse Toxique général puissant, suffocant, très insidieux. Découvert par le capitaine Baranger au laboratoire du professeur Fourneau sur les indications de ce dernier. Fabriqué au laboratoire de synthèse du Bouchet en quantité assez importante (une centaine de kg).

Sera expérimenté en obus.

 
Fer carbonyle Fer pentacarbonyle Liquide jaunâtre Décomposé au contact du charbon du masque avec dégagement d'oxyde de carbone et échauffement de la cartouche. Connu depuis longtemps Sa fabrication nécessite un appareillage industriel.

L'étude de sa dispersion a été entreprise au Bouchet en 1931 avec des échantillons de provenance allemande.

La substance 886, ou trichloroéthylamine est une Ypérite à l'azote, alias Ypérite à l'azote HN-3. C'est une substance bien plus agressive que les Ypérite au souffre. Sa découverte au début des années 1930 au centre du Bouchet, fut un secret extrêmement bien conservé pendant de nombreuses années, voire même jusqu'à nos jours. Les données concernant le 886 sont extrêmement rares ; la trichloroéthylamine est souvent décrite comme une substance découverte après la Deuxième Guerre mondiale. La plupart des archives la concernant semblent avoir disparues.

La trichloroéthylamine est une substance dite de première génération, dont la toxicité est proche des produits dits de deuxième génération que sont les neurotoxiques. Sa toxicité par inhalation est inférieure aux neurotoxiques produits par l'Allemagne nazie pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais sa  létalité par voie percutanée est supérieure (20mg/kg pour la trichloroéthylamine, 50 à 70 pour le Tabun).

Il en est de même pour le B-31, une substance proche des neurotoxiques. Nous ignorons tout aujourd'hui de son développement, si développement il y a eu...

 

 

A partir de 1935, le programme de recherche chimique connut encore un essor supplémentaire appuyé par des crédits conséquents. L'élaboration d'un capacité de riposte chimique fut effective à l'issue de ce nouvel effort. Le programme industriel nécessaire à la réalisation de la synthèse de milliers de tonnes de toxiques fut mis sur pied. 

 

 

B) La protection.

1) De l’ARS à l’ANP31 ou Appareil Normal de Protection.

Les recherches en matière de protection seront reprises dès 1920. Le premier point sur lequel on allait travailler était la filtration des arsines. Au cours de l’année 1918, on avait remarqué l’inefficacité des cartouches filtrantes à ces poussières. On trouvait fréquemment des intoxiqués qui n’avaient pas quitté leur masque dans les zones contaminées lors d’attaque par obus à croix bleue. Les arsines utilisées étaient composées de particules solides dont le diamètre était inférieur au millième de millimètre. Dans le filtre à charbon activé, les gaz était absorbés par les pores du charbon. Les poussières, par contre, ne pouvaient être retenues que par le faible diamètre des pores constituant le filtre. Hors, un filtre aux pores très serrés permettait difficilement d’obtenir une respiration aisée. De plus, les poussières se chargeaient électriquement et, en se déposant sur les parois du filtre, elles les chargeaient également. Les particules suivantes étaient alors électrostatiquement repoussées par les autres et elles arrivaient à se frayer ainsi un chemin au travers du filtre. On tenta la filtration des arsines au travers de couches superposées de feutre, de papier, de coton et de fibres végétales, en les plaçant à l’intérieur des bonnettes, mais sans résultats efficaces. On souhaitait également augmenter la durée de protection des cartouches, pour éviter le port de l’une d’entre elles en supplément, et on s’attendait à devoir augmenter considérablement la proportion dans la boîte filtrante. De là naquit le projet d’un nouveau masque respiratoire, relié par un tuyau souple à une cartouche filtrante portée en bandoulière au niveau de la taille. Il fallait cependant résoudre plusieurs problèmes avant l’adoption de ce nouvel appareil.

Le premier concernait l’emploi du caoutchouc. On avait remarqué qu’il vieillissait mal, mais surtout qu’il n’était pas imperméable à plusieurs agressifs, et notamment à l’ypérite. Des études avaient déjà été menées pour éviter son emploi. On avait doublé le tissu caoutchouté par un tissu huilé pour confectionner les premiers ARS. Les soupapes en caoutchouc seront également remplacées par d’autres en mica et en aluminium. On choisira dans les années 20 de substituer les rubans élastiques des masques par des tendeurs à ressort, et on finit par remplacer la deuxième couche de tissu huilé du masque par un tissu cellophané, l’huile dégradant le caoutchouc à la longue. Avec le concours de plusieurs industriels, un caoutchouc de meilleure qualité, plus résistant au vieillissement et pratiquement imperméable à l’ypérite allait être mis au point.

Le deuxième point sur lequel on travailla, fut la réalisation d’un charbon filtrant plus performant. Lebeau, aidé de trois employés militaires, et avec la collaboration de plusieurs industriels, réalisa sa mise au point et en testa de plus efficaces : le cuprène, le charbon sulfurisé, l’agglomération de poussière de charbon, l’addition de tétrachlorure de silicium… En 1925, un nouveau charbon présentant une efficacité jusqu’à 10 fois supérieure aux autres était adopté. Ce charbon sulfurisé, appelé S1925, ne rentra qu’en 1929 dans les approvisionnements. Les laboratoires du Bouchet s’apercevront rapidement que celui-ci absorbait l’humidité de l’air et que cela diminuait son efficacité. Entre temps, le marché des masques destinés aux populations civiles était né avec la  ’’Défense passive’’, et les fabricants civils faisaient des progrès marqués. Ainsi, ils étaient parvenus à une excellente qualité de charbon, grâce à une collaboration étroite avec les laboratoires de l’IEEC, et on décida de les utiliser. Un cahier des charges sera mis en œuvre pour leur réception. Ainsi, dès 1930, les cartouches des masques seront chargées avec des charbons mis au point par des marchands civils, conférant une protection 6 à 7 fois supérieure à ceux des années 20.

La collaboration avec des établissements privés sera particulièrement étroite pour mettre au point un papier particulier, dénommé alfa, qui possédait des pores assez fins pour arrêter les arsines, sans augmenter la gêne respiratoire au travers de la cartouche. L’IEEC réalisera ce travail avec la maison Fernez, ce qui nécessita une collaboration très suivie des ingénieurs des laboratoires, notamment celui de Lebeau, et du fournisseur. La réalisation industrielle sera au point dès 1927. Lebeau élabora un procédé de colmatage du papier, nécessaire à son efficacité immédiate, à l’aide de tétrachlorure de silicium. Restait à créer le dispositif qui devait le mettre en œuvre. Deux voies seront explorées.

La première visait à tirer parti des importantes quantités de cartouches d’ARS existantes, et à réaliser un dispositif s’adaptant sur celles-ci. On fabriqua ainsi un système s’adaptant en dessous de la cartouche, et renfermant une galette de papier alfa, constituée de 15 disques de papier séparés par des couronnes de carton et assemblés par des œillets métalliques. Les premiers exemplaires sortiront des chaînes de fabrication en 1930, mais on s’aperçut rapidement que    50 % des exemplaires, une fois montés sur la cartouche, ne présentaient pas l’efficacité souhaitée par manque d’étanchéité. On détermina que ce n’était pas le système qui était en cause, mais le fournisseur. En 1932, la fabrication était relancée et les exemplaires seront livrés en 1933, en étant nommés ‘’galette d’addition modèle 1933’’. Ils devaient alors équiper les masques dits ‘’appareils momentanés’’, devant doter les formations mobilisées du territoire.

Entre temps, l’établissement Fernez avait réussi à produire une cartouche monobloc, renfermant un filtre en papier alfa plié en accordéon. Au mois d’octobre 1932, la Commission ayant essayé le dispositif, le trouva si efficace, qu’elle décida de remplacer le dispositif à galette, dont la fabrication était en cours, par la cartouche Fernez. En 1934, sera créé un cahier des charges pour agréer ces cartouches de l’industrie civile. Deux établissements seront primitivement retenus : Fernez et la S.E.F.M.P. (Section d’études et de fabrication des masques de protection). Les crédits débloqués en 1935 permettront l’achat de ce genre de cartouches, appelées modèle 35M. Ces établissements fabriquants également des masques en tout point identiques à l’ANP 31 dont nous allons parler, l’armée allait également se fournir en masques auprès d’eux.

La seconde voie visant à mettre en œuvre le dispositif contre arsine avait été formulée en 1924, où l’on souhaitait remplacer la cartouche du masque par un bidon filtrant de plus grande capacité. Le logement contre arsines ayant pu être prévu dès la conception, il ne présenta pas de difficultés particulières et sera adopté en 1932 sous le nom de ‘’bidon ovale modèle 32’’.

En 1930, les prototypes du nouveau masque étaient au point. Un tuyau souple reliait le bidon filtrant, contenu dans un sac porté en bandoulière, au masque. Celui-ci était très proche de l’ARS, mis à part son embase qui différait par quelques points. Pour utiliser le stock d’appareils ARS existant, et en attendant la fabrication du nouvel ANP 31, on proposa en 1931 de modifier les anciens ARS, en intercalant simplement un tuyau entre la cartouche et le masque. L’appareil ainsi transformé s’appellera ‘’appareil transitoire’’. Pour que le tuyau fixé à l’embase du masque trouve une inclinaison sensiblement verticale, il suffisait d’intercaler un dispositif spécial coudé. Le tuyau contenant également la soupape d’inspiration, il fallait supprimer celle faisant double usage sur le masque.

Cette solution devait permettre d’attendre la fabrication du nouvel appareil ANP. Seulement, en 1933, celle-ci n’avait toujours pas débuté, et la fabrication des masques ARS était stoppée. L’IEEC n’avait pu suivre le calendrier fixé car la conception, les très longs délais de réalisation et d’essais dans la troupe retardaient le programme. Mais surtout, simultanément à la mise au point de la réalisation industrielle de l’ANP 31, on cherchait à produire un autre type de masque dont la maquette avait été présentée au Bouchet en 1928, en même temps que l’ANP. Ce masque devait être plus performant que l’ANP. On l’appelait ‘’semi-rigide’’, car il comportait une pièce de la face en cuir, sur laquelle étaient montées les vitres et les soupapes. Entre-temps, pour permettre la fabrication rapide de l’ANP et rattraper le retard pris, on décida de ne fabriquer que les pièces qui différaient entre celui-ci et l’ARS, c’est-à-dire l’embase, le tuyau souple et sa soupape, ainsi que le bidon filtreur. On transformait un ARS en ANP en démontant son embase, et en changeant la cuvette avant (l’embase comporte deux cuvettes, une avant et une arrière). Le tuyau fileté de la nouvelle embase assurait au raccord en caoutchouc une inclinaison sensiblement verticale.

Pour résumer, la situation en 1934 était la suivante :

-          On souhaitait doter les formations mobilisées du territoire d’un appareil efficace et économique, semblable à ceux recommandés aux populations civiles. A cette date, cet appareil n’était pas fixé ; plusieurs propositions étaient en cours d’essais pour adopter cet appareil momentané[2].

-          La construction du nouvel ANP 31 n’avait toujours pas débuté. On avait transformé une partie des anciens ARS, soit en modifiant leur embase pour obtenir un ANP, soit en conservant l’embase d’origine et en adaptant le dispositif spécial coudé, pour obtenir un appareil dit ‘’transitoire’’[3]. En outre, on avait commandé 10 000 exemplaires d’appareils proposés aux populations civiles, par la SEFMP (Section d’études et de fabrication des masques de protection), similaires en tout point à l’ANP 31.

-          On souhaitait lancer la fabrication de l’ANP 31, qui devait être produit avec une cartouche d’une grande capacité, le bidon modèle 32. Il semble que le retard pris soit dû à des hésitations entre cette solution, et celle d'attendre la mise au point du masque dit ‘’semi-rigide’’, bien plus performant que l’ANP, qui serait également équipé du bidon modèle 32.

-          Seulement 10 000 exemplaires du dispositif à galette modèle 33 avaient été produits. La fabrication d’un nombre très important de ceux-ci était en cours en 1934 ; plus de 5 millions devaient bientôt sortir des chaînes de montage. Ils devaient équiper les appareils dit ‘’momentanés ‘’. En réalité, à peine ces dispositifs produits, on adopta la cartouche modèle 35 M. Elle allait équiper les ANP 31 enfin produits à compter de 1935, en attendant la production du bidon modèle 32.

Les fabrications massives d’ANP et de bidons modèle 32 ne débutèrent vraisemblablement qu’au courant de 1936. Durant cette même année, on adopta enfin le masque ‘’semi-rigide’’, qui sera dénommé ‘’masque 36 T’’. Il semble que l’on souhaitait en munir toutes les formations combattantes ; son coût de fabrication et le retard pris dans les commandes mettront un terme à ce projet.

2) La protection contre le monoxyde de carbone.

L’appareil filtrant LD, mis au point par Desgrez et Labat en 1917 et 1918, avait montré plusieurs faiblesses. Cet appareil, encore appelé ‘’Tissot pour char de combat’’, ne semble pas avoir été étudié à nouveau après guerre. La protection contre le monoxyde de carbone allait pourtant devenir un point sensible. Elle intéressait particulièrement les servants des pièces d’artillerie sous casemate. Dès 1929, la Marine avait demandé la reprise des recherches en ce domaine. On arrêta la composition de la substance neutralisante, l’hopcalite, formée d’un mélange de bioxyde de manganèse et d’oxyde de cuivre. On la plaçait entre deux couches de corps desséchant, et on assurait une fermeture aussi hermétique que possible du bidon filtrant. Les études aboutiront à l’adoption, en 1933, du bidon polyvalent CO modèle 33. La cartouche avait la forme d’un bidon ovale modèle 32, aux dimensions agrandies. On avait conservé le chargement en charbon actif et la galette contre arsine pour assurer la polyvalence ; le bidon mesurait 19,5x15,7x7,8 cm, pour un poids moyen de 1,8 kg.

Le bidon allait présenter un inconvénient lorsqu’on souhaita en doter les troupes de forteresse, et particulièrement les servants des armes sous casemate et sous tourelle des ouvrages de la Ligne Maginot. L’utilisation du masque pouvait être assez fréquente dans les conditions de combat des ouvrages, et la forte humidité qui y régnait dégradait rapidement le contenu absorbant le monoxyde de la cartouche. On souhaita alors mettre au point un dispositif de complément, qui pourrait à volonté s’intercaler entre le masque et le bidon classique. Il fut réalisé et adopté en 1939, sous le nom de cartouche de complément CO modèle 39. La production débutait à la mobilisation, et seulement 200 000 exemplaires seront en dotation aux armées en mai 1940.

3) Les appareils à circuit fermé.

On souhaitait en premier lieu perfectionner les appareils Draeger, jugés trop rudimentaires. Plusieurs voies seront explorées qui méneront à différentes solutions, sans qu’aucune ne soit réellement adoptée et poussée plus en avant. On expérimenta un appareil continu, à deux cartouches, l’une chargée en air comprimé, et l’autre en oxygène. On adopta en 1939 un appareil isolant proposé par l’établissement Mandet, le MC 39, mais à peine quelques milliers d’exemplaires seront produits. Un autre appareil, d’un modèle inconnu de nous, sera fabriqué en deux versions ; il s’agissait des Granger légers et des Granger petit modèle, produits respectivement à 10 et 700 exemplaires.

Enfin, on réalisa une amélioration de l’appareil Fenzy grand modèle, décrété beaucoup trop lourd. Un granulé analogue à l’oxylithe, ne présentant pas de danger d’inflammation et susceptible de ‘’démarrer’’ à froid sera fabriqué. L’appareil sera adopté en 1936 dans sa version définitive : le Fenzy modèle 36 sera fabriqué à 78 000 exemplaires.


C) Entre condamnation de l'utilisation de l'arme chimique et nécessité d'une capacité de réplique immédiate : réalité et déni du réarmement chimique en France, 1919-1939.

 

Fin 1919, le Ministre de la Guerre appuyé par l'état major de l'armée, fixa les grands traits de la politique chimique militaire de l'après guerre : 

"Les approvisionnements d'obus toxiques et lacrymogènes, d'engins pour l'émission de gaz asphyxiants, de produits toxiques, seront conservés dans les limites où les possibilités techniques le permettront (...) ; les services chimiques poursuivront d'une façon continue les études sur les produits chimiques agressifs (...) de façon à être toujours en mesure d'entreprendre les fabrications de munitions, d'engins toxiques dans le cas où l'ennemi prendrait l'initiative de ce genre d'agression". 

 

Dès la signature de l’Armistice, le travail de l’ensemble des usines de production de toxiques fut ainsi stoppé. Les stocks restant de la production de guerre semblaient largement suffisants, voire même trop importants. L’étude de ces approvisionnements s’imposa rapidement, pour étudier leur état de conservation dans le temps. On mit ainsi au point plusieurs méthodes d’analyses qui permirent d’éliminer certaines catégories d’obus spéciaux. Ces importants stocks seront conservés à l’entrepôt de réserve générale de la Ferté Hauterive. Pour des raisons tactiques, 90 % des stocks seront constitués avec du phosgène et de l’ypérite. Les autres seront probablement détruits par noyade en mer.

 

Utilisation de l'arme chimique dans la guerre du Rif, 1921-1926.

La guerre du Rif fut une guerre coloniale qui opposa, entre 1921 et 1926, les tribus rifaines aux armées espagnoles et françaises (à partir de décembre 1924), dans la région géographique du Rif, au nord du Maroc. Les deux armées européennes agirent de manière officielle, en vertu des accords du protectorat passés par le sultan du Maroc, avec la France et avec l'Espagne.  

L'Espagne utilisa des gaz de combat contre des tribus berbères qui refusaient l'autorité de Madrid. Elle utilisa l’arme chimique de façon certaine à partir de l’été 1924, mais des témoignages, des articles de presse et de nombreux documents font état d’utilisation antérieure, dès 1921, grâce au soutien de la France. En 1921, l’Espagne demanda à l’Allemagne, de lui livrer des gaz de combat. Le 10 juin 1922, un accord fut signé entre l'Allemagne et l'Espagne pour la construction d'une usine chimique et la livraison de toxiques dans l'attente de la production de cette usine, ou de précurseurs de la synthèse de l'Ypérite comme le thiodiglycol. Avec l’aide d’un chimiste allemand, Hugo Stoltzenberg, elle monta une usine de production près de Madrid, la Fabrique nationale de produits chimiques. Hugo Stoltzenberg participa à l'élaboration de bombes d'aviation destinées à l'épandage d'Ypérite. L’Allemagne, bien que le traité de Versailles le lui interdisait, livra très probablement des substances toxiques à partir de 1923 ; 500 à 600 tonnes de phosgène provenant des stocks résiduels de 1918. L’Espagne aurait utilisée de l’Ypérite, du phosgène, du di-phosgène, de la chloropicrine. 

Les armées françaises sont fortement suspectées d’avoir utilisé de l’Ypérite et du phosgène. Selon les travaux de Rudibert Kunz et Rolf-Dieter Müller, journalistes allemands, l'Espagne disposait de munitions chimiques dès l'été 1921, grâce au soutien de la France qui les lui fournissait. 

Le 24 juillet 1922, le Caïd Haddou Ben Hamou, dans une correspondance destinée à Abdelkrim, écrit : "Je t'informe qu'un bateau français a transporté 99 quintaux de gaz asphyxiant pour le compte des espagnols. Le dit chargement est arrivé à Melilla le 16 juin du courant mois (...).  Les Espagnols ont adopté cette mesure, alors que les Français ont refusé de l‟employer eux-mêmes". De nombreux documents attestent de la livraison de projectiles chimiques de la France à l'Espagne, en 1921 et 1922 . 

Les allégations d'utilisation d'armes chimiques par les armées françaises concernent la région de Fès en 1925. Selon l'auteur Espagnol Maria Rosa de Madariaga (Abdelkrim El-Khattabi, La lutte pour l’indépendance, Éd. Alianza Editorial, Madrid, 2009), en 1925, Lyautey aurait demandé au Président du Conseil Paul Painlevé, l'envoi d'obus à Ypérite.

Les archives françaises conservent la trace de l'envoi de munitions chimiques à Casablanca, à la suite de cette demande. Un document du 23 mai 1925, émanant de Paul Painlevé, alors Président du Conseil et Ministre de la guerre, adressé au commandant d l'ERG de la Ferté Hauterive, demande l'expédition de 2000 obus de 75mm chargés en phosgène et de 2000 obus chargés en Ypérite à destination du Parc d'Artillerie régional de Casablanca. Un deuxième document demande l'expédition urgente de 40 000 masques ARS, 500 paires de moufles et 600 bourgerons, destinés à la protection contre l'Ypérite.

Lien externe : Guerre chimique contre le Rif

 

23 Mai 1925

Ministère de la Guerre, Direction de l’Artillerie, 2ème Bureau, Matériel, 9ème Section.

Le Président du Conseil, Ministre de la Guerre à Monsieur le Commandant de l’ERG de la Ferté-Hauterive.

 

Je vous prie de faire expédier au Parc d’Artillerie régional de Casablanca, à destination du Port de Kenitra après entente avec le parc d’artillerie régional de Marseille (Service du transit) en ce qui concerne  la date d’expédition.

1°) 2 000 cartouches de 75 à obus spéciaux N°5 et 2 000 cartouches de 75 à obus spéciaux N°20 avec fusées correspondantes…/

Pour le Ministre et par son ordre, Le Général Directeur de l’artillerie. P.P. le Colonel Chef du Bureau.

Signé De Sablet

23 Juin 1925

Ministère de la Guerre, Direction de l’Artillerie.

Le Président du Conseil, Ministre de la Guerre à M. le Commandant de l’Entrepôt de Réserve Générale de matériel d’Aubervilliers.

 

Je vous prie de faire expédier d’urgence au Parc Régional de Casablanca, à destination du Port de Kenitra, et après entente avec le Commandant du Parc d’Artillerie Régional de Casablanca (Service en Transit) :de 40 000 masques ARS, de 500 paires de moufles, de 600 bourgerons et de pièces détachées pour les masques…

 

NB : document aimablement communiqués par Mr XXX ; source : SHD

 

 

 

1925 - Le protocole de Genève

En 1920, la Société des Nations, sous l'égide de la Commission pour la réduction des armements, engageait une réflexion devant aboutir à la prohibition internationale des gaz de combat. Une conférence consacrée au commerce internationale des armes s'ouvrit à Genève en 1925. Après d'âpres négociations, un texte concernant la guerre chimique fut adopté sous le terme de Protocole de Genève : 

Considérant que l'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de

Considérant que l'interdiction de cet emploi a été formulé dans des traités auxquels sont Parties la plupart des Puissances du monde ;
Dans le dessein de faire universellement reconnaître comme incorporé au droit international cette interdiction, qui s'impose également à la conscience et à la pratique des nations,
 
DÉCLARENT:
Que les Hautes Parties contractantes, en tant qu'elles ne sont pas déjà parties à des traités prohibant cet emploi, reconnaissent cette interdiction, acceptent d'étendre cette interdiction d'emploi aux moyens de guerre bactériologiques et conviennent de se considérer comme liées entre elles aux termes de cette déclaration.
Les Hautes Parties contractantes feront tous leurs efforts pour amener les autres États à adhérer au présent protocole. Cette adhésion sera notifiée au Gouvernement de la République française et, par celui-ci, à toutes les Puissances signataires et adhérentes.
Elle prendra effet à dater du jour de la notification faite par le Gouvernement de la République française.
Le présent protocole, dont les textes français et anglais feront foi, sera ratifié le plus tôt possible. Il portera la date de ce jour.
Les ratifications du présent protocole seront adressées au Gouvernement de la République française, qui en notifiera le dépôt à chacune des Puissances signataires ou adhérentes.

Le gouvernement français en est le dépositaire. La France ratifia le Protocole le 26 mai 1926 avec ces réserves : 

Ledit protocole n'oblige le Gouvernement de la République française que vis-à-vis des États qui l’ont signé et ratifié, ou qui y auront adhéré ; Ledit protocole cessera de plein droit d'être obligatoire pour le Gouvernement de la République française à l'égard de tout État ennemi dont les forces armées ou dont les Allies ne respecteraient pas les interdictions qui font l’objet de ce protocole.
 
 

Le protocole fut signé par près de 40 pays, dont la France et l'Allemagne. Il ne comprenait malheureusement aucune procédure de vérification, ni aucune sanctions en cas de violations. De plus, la France se réserva le droit de conserver des moyens de représailles à l'égard de tout ennemi en cas de violations du protocole ; ce qui impliquait de conserver des capacités de réplique immédiates. Au moment de leur adhésion, de nombreux États firent, comme la France, des réserves par lesquelles ils se réservaient le droit de riposter avec des armes chimiques contre toute attaque chimique lancée contre eux ou contre des pays non membres du Protocole. Nombre de ces réserves furent toutefois retirées par la suite.

Ainsi, de nombreux états, dont la France, poursuivirent leurs activités de recherches tandis que la confidentialité entourant le domaine de la guerre chimique était portée à un degré absolu. En effet, même si le protocole ne condamnait que l'emploi de l'arme chimique, il eut été particulièrement délicat pour un état signataire de révéler ou même d'être soupçonné de continuer des recherches dans le domaine offensif.

En février 1932, une Conférence du désarmement se réunit à Genève, où se dessina l'objectif de trouver des modalités à la prohibition de l'arme chimique. De profondes divergences devaient naître sur les modalités d'application et de vérification. Certains Etats, comme la France, souhaitaient un régime d'inspection internationale ayant la capacité de surveiller les industries chimiques dans tous les pays signataires, d'autres y étaient farouchement opposés. 

Le 14 octobre 1933, l'Allemagne quitta la conférence du désarmement et la Société des Nations dans la foulée. Six mois plus tard, refusant de cautionner le réarmement de l'Allemagne, la France déclarait assurer sa sécurité par ses propres moyens :

Respectueux des engagements internationaux auxquels la France a souscrit, le gouvernement français s'efforcera au début d'une guerre et d'accord avec ses alliés, d'obtenir des gouvernements ennemis l'engagement de ne pas user des gaz de combat comme arme de guerre. Si cet engagement n'était pas tenu, il se réserve d'agir suivant les circonstances.

Étrange paradoxe, quand le concept de dissuasion était encore une notion floue... La signature du protocole et la position française défendue à la Conférence de 1932 sur le désarmement, interdisait à la France d'être soupçonnée de mener un programme de recherche offensif, alors que la détérioration des relations franco-allemandes et les insuffisances du Protocole de Genève imposait la mise sur pied d'un arsenal chimique visant à assurer sa sécurité en cas de violation des accords internationaux.

 

En 1936, le protocole devait montrer ses limites et prouver qu'il ne constituait à lui seul aucune garantie suffisante permettant de faire l'économie d'une force de représailles. L'Italie avait ratifié le protocole en 1928 ;  mais en 1935, les forces armées de Mussolini sous le commandement du général Badoglio, n'hésitèrent pas à larguer 700 tonnes d'Yperite sur les forces éthiopiennes, qui ne possédaient aucun moyen de défense et de riposte. L'Éthiopie protesta, apporta des preuves irréfutables auprès de la Société des Nations et du Protocole. La communauté internationale s'indigna et décréta, par la voix de la Société des Nations, un embargo. Cette mesure fut sans effet et quelques mois plus tard, l'Italie annexa l'Abyssinie, consacrant la déchéance et l'impuissance des institutions internationales. Dès lors, le Protocole et les conventions discréditées, et face à la menace du réarmement de l'Allemagne, la constitution d'un arsenal de sanction immédiat s'imposait pour les autorités militaire françaises. 

 

A l'Armistice de 1918, les stocks de munitions chimiques, tant dans différents parcs d'artillerie qu'à l'ERG de la Ferté-Hauterive,  étaient les suivant : 

 

Stocks de munitions chimiques à l'Armistice

75mm 2 900 000
105mm 30 000
120mm 135 000
145mm 85 000
155mm 790 000
total :  3 970 000

 

Ces munitions chimiques  furent l'objet de nombreuses attentions. Le phosgène se conservait très bien, mais l’ypérite avait tendance à s’épaissir ; on détermina qu’elle ne conservait que 50 % de ses propriétés lors des tirs d'essais effectués annuellement. Delépine réussit à mettre au point, par un procédé de distillation, une méthode permettant de la stabiliser et de traiter l’importante quantité non chargée en obus. Ce problème de conservation de l'Ypérite devait devenir de plus en plus préoccupant ; il fut imputé au mode de synthèse de l'Ypérite au bichlorure de soufre, qui attaque le métal des obus pour donner naissance à des produits goudronneux.

 

 

Situation des approvisionnements en projectiles toxiques à l'ERG de la Ferté-Hauterive - 1925

Matériel Chargement  Quantité
75 non encartouchés Produit n°4B (Vitrite) 66 900
     
75 encartouchés Produit n°5 (Phosgène) 4 296
75 non encartouchés Produit n°5 (Phosgène) 981 442
105 Produit n°5 (Phosgène) 42
120 Produit n°5 (Phosgène) 44 390
145 Produit n°5 (Phosgène) 41
155 Produit n°5 (Phosgène) 201 100
     
75 non encartouchés Produit n°7 (chloropicrine) 6 000
120 Produit n°7 (chloropicrine) 36 100
155 Produit n°7 (chloropicrine) 61 000
     
75 non encartouchés Produit n°16(Rationite) 18 000
155 Produit n°16 (Rationite) 1 200
     
75 en cartouchés Produit n°20 (Yperite) 34 400
75 non encartouchés Produit n°20 (Yperite) 802 500
155 Produit n°20 (Yperite) 25 200
     
75 non encartouchés Produits n°21 (Cyanure de benzyle) 75 300
155 Produits n°21 (Cyanure de benzyle) 8 750

 

A cette date, il restait encore dans différents parcs d'artillerie, un total de 13 850 tonnes de munitions chimiques diverses, ainsi réparties :

1 000 tonnes au PA de Langres, 1 000 tonnes au PA de la Fère, 11 000 tonnes au PA de Toul, 300 tonnes au PA de Strasbourg et 350 tonnes au PA d'Epinal.

 

Les différents chargement conservés étaient les suivants  : 

Chargement toxiques réglementaires 1919-1938

Produit Code Composition du chargement Effets
Vitryte ou chlorure de cyanogène 4B MGM 70% de cyanogène (Mauguinite)

30% de trichlorure d'arsenic

Toxique cellulaire incapacitant et mortel, fugace.
Collongite ou Phosgène 5 CO ou CM CO : phosgène et tétrachlorure d'étain (Collongite Opacite)

CM : phosgène et trichlorure d'arsenic (Collongite Marsite)

Toxique suffocant, fugace.
Aquinite ou chloropicrine 7 AO 75% de trichloronitrométhane (Chloropicrine et Aquinite) et 25% de tétrachlorure d'étain (Opacite) Toxique, suffocant, lacrymogène, persistant mais d'agressivité immédiate.
Rationite ou Sulfate de Diméthyle 16 R1, R2, R3 80% de sulfate de diméthyle et 20% de chlorhydrine sulfurique. Toxique persistant, d'agressivité immédiate.
Ypérite ou sulfure d'éthyle dichloré 20 YT ou YM Sulfure d'éthyle dichloré en mélange avec du dichlorobenzène. Vésicant d'agressivité retardée.
Camite ou bromocyanure de benzyle 21 CA 87% de bromocyanure de benzyle dans 13% de chloropicrine. Toxique, très irritant, persistant, d'agressivité immédiate.

 

En 1930, les reliquats des stocks du Premier conflit mondial, représentaient encore : 2 500 000 coups de 75 mm, 27 000 de 105, 106 000 de 120, 76 000 de 145 et enfin 580 000 de 155. A cette époque, on avait d’ailleurs conservé un potentiel de production de toxiques permettant la fabrication et le chargement de 472 000 obus par mois. La production de toxiques pouvait être assurée soit par la poudrerie d’Angoulême (notamment pour l’ypérite), soit par des établissements privés comme Poulenc. La fabrication de chloropicrine, de rationite et de bromure de benzyle pouvait être immédiatement démarrée.  

Le chargement de ces obus se répartissait, alors pour 50% en phosgène, 40% en Yperite et 10% en chargements divers. Il ne s'agissait que de munitions issues des fabrications de guerre. Tous les lots jugés comme "périmés" ou sujet à des fuites furent progressivement écartés. Puis, tous les stocks disponibles sur le territoire furent regroupés à La Ferté-Hauterive.

 

Situation des approvisionnements en projectiles toxiques à l'ERG de la Ferté-Hauterive - 1930

Matériel Chargement  Quantité
     
75 encartouchés Produit n°5 (Phosgène) 7 523
75 non encartouchés Produit n°5 (Phosgène) 1 053 530
105 Produit n°5 (Phosgène) 0
120 Produit n°5 (Phosgène) 70 094
145 Produit n°5 (Phosgène) 76 525
155 Produit n°5 (Phosgène) 0
     
75 non encartouchés Autres 233 882
120 Autres 36 100
     
75 en cartouchés Produit n°20 (Yperite) 37 220
75 non encartouchés Produit n°20 (Yperite) 859 952
105 Produit n°20 (Yperite) 19 532
155 Produit n°20 (Yperite) 579 932
    total : 3 171 000

Environ 41 000 tonnes

 

 

 

Une grande inquiétude s'installât, relative à la conservation des propriétés agressives de ces obus. A cet effet, des tirs de contrôle annuels étaient réalisés ainsi que des inspections soignées des projectiles. Cette même année, en 1930, 74 407 obus de 75mm et 27 304 obus de 155 furent détruis par noyage en mer. Dans les années suivantes, il fut décidé de ne conserver que les chargements en Yperite et phosgène, mais l'Yperite perdait irrémédiablement une partie de ses propriétés.

Evolution du stock de munitions chimiques 1920-1930
Calibres 1920 1930 différentiel
75mm 2 900 000 2 192 000 708 000
105 30 000 19 500 10 500
120 135 000 106 000 29 000
145 85 000 76 000 9 000
155 791 000 580 000 210 000
total 3 970 000 2 973 500 996 500

 

Probablement à partir de 1935, on décida de relancer le chargement de munitions en Ypérite, dans le but de pallier à cette perte de propriétés agressives. L'ateliers de chargement existant du fort d'Aubervilliers fut remis en état, et deux nouveau ateliers furent organisés, à Pont-de-Claix et Angoulême. La capacité théorique de ces ateliers était alors de 472 000 obus chimiques par mois ; la capacité de l'atelier de chargement de Pont-de-Claix devait atteindre plus de 350 000 projectiles par mois en cas de mobilisation. Il devait également produire 1 000 000 grenades d'aviation par mois, chargées en Yperite, près de 5 000 bombes chargées en phosgène par mois. Ces chargements restèrent probablement peu important et largement en dessous des capacités de productions, jusqu'en 1938. Ils devaient fortement s'intensifier par la suite.

 

Marquage des obus spéciaux :

 

A partir de 1921, une instruction précise les modalités de marquage à froid sur les obus chimiques, à porter à un cm en dessous du joint de la gaine. Cette marque comporte en caractère de 1cm de hauteur, une croix suivie des indications relatives au numéro de classification du produit de chargement.

 

 

 

 

Le réarmement chimique à travers le monde, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale

L'Allemagne entreprit des essais sur l'arme chimique dès 1922. En 1926, un laboratoire de recherche sur la guerre chimique fut créé à Berlin et dès la fin de cette même année, un programme offensif était lancé. En 1926, un accord secret fut trouvé avec l'union soviétique pour un centre commun de fabrication, d'essais et d'expérimentation d'armes chimiques à Shikhani, près de Volsk ; le projet portait le nom de Tomka. Les nazis, dans le cadre du réarmement de l'Allemagne, s'intéressèrent de plus près à l'arme chimique à partir de 1934. Un nouveau centre d'essais fut créé sur un site déjà marqué par l'arme chimique, le centre d'essais de Breloh situé à Lüneburg en Saxe. En 1937, les chercheurs de l'I.G.Farben découvraient le premier neurotoxique, le tabun. En 1939, 10 000 à 12 000 tonnes d'agents chimiques, dont 80% d'Yperite, constituaient l'arsenal allemand, essentiellement constitué de stocks non chargés en projectiles. Le Sarin puis le soman furent découvert pendant le conflit. Ils produisirent à partir de 1942 et jusqu'en 1945, 30 000 tonnes de tabun, et probablement 7000 tonnes de sarin. Au début de 1945, le stock de gaz de combat était évalué à 65 000 tonnes.

La Grande-Bretagne lança un programme de réarmement chimique qu'à partir de 1936, mais devait rencontrer de grosses difficultés dans sa réalisation. En 1939, ses stocks ne dépassaient pas 500 tonnes de toxiques constitués presque exclusivement d'Yperite. Elle ne réussit à constituer que 2 000 tonnes de stocks, près de deux années plus tard, en janvier 1941.

L'Italie révéla la capacité et la force de son programme chimique lors de la guerre d'Abyssinie où les forces armées italiennes larguèrent par épandage aérien 700 tonnes d'Yperite sur les troupes éthiopiennes (15 000 victimes). 

Le Japon était particulièrement bien préparé et possédait un arsenal chimique développé, et de nombreux vecteurs de dissémination. Son programme chimique semble avoir débuté au début des années 1920 pour s'accroître jusqu'à la veille du conflit.

Les soviétiques développèrent un programme conséquent dès 1920, en collaboration avec l'Allemagne dans un premier temps. Ils disposaient depuis le début des années 1930 de tous les agents modernes (Yperite, Lewisite, chloropicrine, phosgène) et de nombreux vecteurs de dissémination.

 

En France, un vaste programme industriel fut activé à partir de 1936, montant en puissance d'années en années. Plusieurs sites datant de la Première Guerre furent réactivés, mais surtout, deux nouvelles poudreries devaient être entièrement dévolues à la fabrication de gaz de combat avec des capacités de production jamais atteintes jusque là, Boussens et Mauzac.

A l'aube de la Deuxième Guerre Mondiale, le plan de mobilisation de 1939 prévoyait alors, en moins d'une année, d'arriver sur le territoire français à une capacité de production permettant de fabriquer et de charger en projectiles plus de 50 000 tonnes de gaz de combat par an, 4 200 tonnes par mois. L'équivalent de plus du double de la totalité des agressifs utilisés par les armées françaises durant la Première Guerre mondiale, plus de la totalité de ceux produits par l'Allemagne durant la même période.

En 1939, la France était probablement le seul état à se doter d'un arsenal chimique permettant de mener une guerre chimique extensive à court terme. Paradoxalement, la découverte de l'ampleur de ce réarmement par les forces allemandes en 1940, participa très probablement à écarter la perspective de l'utilisation des gaz de combat sur le théâtre des opérations en Europe jusqu'en 1945, en donnant une vision erronée aux Allemands des capacités chimiques de ses adversaires.

Ainsi, contrairement à une idée extrêmement étendue, le  programme de réarmement chimique français à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, fut probablement le programme le plus avancé et le plus important de l'ensemble des pays industrialisés. Les travaux débutés depuis 1922 avaient débouchés sur la mise au point de substances toxiques extrêmement puissantes, pratiquement à la hauteur des premiers neurotoxiques allemands. Avant 1939, leur synthèse industrielle était en passe d'être maîtrisée et une étude complète de leurs propriétés avait débouchée sur une militarisation parfaite de leurs moyens de dispersion.

Devant l'échec des négociations sur le désarmement chimique internationale, la constitution de stocks chimiques nécessaires pour mener une guerre chimique extensive, était en cours au début des hostilités de la Deuxième Guerre mondiale.

 

Un bref aperçu de la question des gaz de combat pendant la campagne de 1939 à 1940.

Durant l’entre-deux guerres, l’organisation du Service des gaz aux armées sera remaniée, de façon à lui donner plus d’autonomie vis-à-vis du Service de santé. Il ne s’en séparera cependant jamais, les personnels incontestablement les plus qualifiés restant dans ce domaine les médecins et surtout les pharmaciens. Ces derniers se voyaient spécifiquement attribué le problème de la détection et de l’identification des gaz de combat.  

Dès le début des hostilités, le gouvernement français réaffirma son intention de respecter les engagements internationaux et le Protocole de Genève. Il n'utiliserait l'arme chimique qu'en cas de représailles.

En 1939, la France mobilisait. L’organisation générale des services Z n’était pas très différente de celle de la première guerre : l’I.E.E.C. se voyait complétée par différents organismes comme la Commission d’expérimentation du matériel Z et différents conseils scientifiques et techniques. Les centres médico-légaux étaient remplacés par les Inspections Z régionales mais gardaient les mêmes fonctions. On retrouvait des médecins Z et des pharmaciens Z à tous les échelons, de l’armée au régiment. La formation de ces cadres était réalisée avec soin. Le service de santé possédait des Sections d’hygiène de lavage et désinfection (S.H.L.D.) chargées de désinfecter le terrain en cas d’attaque par toxique, ce qui lui permettait de conserver son personnel purement médical en vue de ses tâches spécifiques, en cas d’attaque chimique. Le matériel de protection individuel avait été mis au point par les spécialistes les plus compétents dans ce domaine.

 

La Ligne Maginot, qui devait éviter le risque de percée du front en cas d’attaque brusquée, avait été pensée et construite du mieux que l’on pouvait. Elle était équipée, du plus gros de ses ouvrages jusqu’au plus petit bloc situé dans les intervalles, d’un système de filtration complexe la mettant à l’abri des attaques de gaz et de jets de liquides enflammés. Cependant, sur ce sujet, l’avis des commandants du Génie de plusieurs ouvrages n’était pas unanime après plusieurs exercices en temps de guerre. A l’ouvrage d’Anzeling, l’alerte contre les gaz était donnée par le commandant du Génie depuis un émetteur spécial. Chaque bloc recevait alors un message visuel et sonore auquel il devait accuser réception. Seulement, dans la pratique, cet accusé était rarement donné et compromettait la rapidité et la sûreté de l’alerte, tout simplement parce que l’appareillage de détection donnait lieu à de nombreuses alertes intempestives, si fréquentes que certains chefs de blocs débranchaient l’appareil sonore d’avertissement, le jugeant évidemment trop bruyant...

La crise de l'hydrogène arsénié.

Puis, durant l’hiver 1939-1940, plusieurs coups de mains étant réalisés du côté des lignes allemandes, on trouva des bouteilles de gaz comprimé renfermant un mélange à base d’hydrogène arsénié. Il n’en fallut pas plus pour déclencher une véritable crise au sein des Services chimiques français, l’hydrogène arsénié étant un toxique redoutable, mais surtout très mal retenu par les appareils protecteurs alors en usage

L'hydrogène arsénié avait été activement étudié au Bouchet. Sa toxicité était en effet deux fois supérieure au phosgène, il se conservait en chargement liquide dans le corps d'obus et il résistait à l'explosion du projectile. Son utilisation comma agressif fugace était donc tout à fait envisageable.

Sa volatilité et son instabilité (il s’agit d’un gaz facilement inflammable) l’avaient fait écarter des produits d’agression dès le début des recherches en ce sens, et aucun moyen de protection n’avait alors été mis au point. Il semblait peu probable que le produit puisse être utilisé contre des troupes à l’air libre, mais dans la fortification, il pouvait avoir des effets dramatiques. L’inefficacité de la filtration existante nécessiterait, en cas d'attaque avec ce toxique, l’arrêt de la ventilation des blocs et devait conduire à l’arrêt des combats, et même à l’arrêt de la production d’énergie électrique par la centrale « diesel-électrique ».

 

Toute confusion avec une attaque aux gaz « normale » serait mortelle pour tout l’équipage de l’ouvrage. Une alerte spéciale sera donc créée, avec une codification très particulière pour éviter toute confusion. On chercha également à mettre au point un détecteur d’hydrogène arsénié. On le caractérisait selon la méthode dite de Denigès, améliorée par Labat et un de ses collaborateurs, Dufilho. Un papier réactif à l’iodure mercurique virait jusqu’au jaune-brun par formation du complexe AsH(HgI)2. On réalisa des appareils à détection continue, confectionnés à l’aide de bidons d’essence remplis d’eau, se vidant goutte à goutte et aspirant ainsi l’air extérieur, d’une manière continue, à travers des tubes contenant le papier réactif. Dans tous les ouvrages, un détecteur de ce genre sera installé devant chacune des entrées.

La crise de l'hydrogène arsénié vue par le colonel Kasper, commandant du Génie à l'ouvrage de l'Anzeling :

Affaire de l'hydrogène arsénié.

Courant septembre ou octobre 1939, l'officier Z du secteur confie au chef du service de sécurité que les Allemands disposent d'un gaz de combat nouveau, qui n'est "adsorbé" ni par les cartouches des masques ARS, ni par les boîtes filtrantes à grand débit des ouvrages : il s'agit de l'hydrogène arsénié, gaz toxique à odeur d'ail. D'après cet officier, les Allemands pourraient répandre massivement ce gaz, sur la ligne Siegfried, par de multiples points de déversement desservis par canalisations enterrées. Y aurait-il relation entre cette surprise et l'arrêt de l'avance en Sarre ? Cette question, que l'on se pose à ce moment, n'est pas dénuée de sens...

Pour parer au danger qu'une attaque par ce gaz ferait courir à l'ouvrage, l'officier Z du secteur donne des instructions pour la création d'une alerte "Protection spéciale", en attendant que les boîtes filtrantes aient été munies du produit neutralisant approprié (il s'agit bien d'une neutralisation chimique, et non d'une "adsorbtion").

Pour éviter toute confusion avec une attaque par gaz retenu par les boîtes filtrantes, l'alerte spéciale ne se transmet que par téléphone. (...)

L’IEEC ainsi que tous les laboratoires d’armée, cherchèrent également à neutraliser l’hydrogène arsénié au travers de la cartouche filtrante du masque. Il semblait impossible de mettre en fabrication une nouvelle cartouche filtrante, le temps de sa conception l’interdisant. La neutralisation chimique se réalisait par des solutions oxydantes, de permanganate de potassium notamment. On réalisa donc une bonnette en tissu spécial, remplie de déchets végétaux imprégnés de substance neutralisante. La bonnette se fixait sous la cartouche filtrante 35 M de l’ANP 31, grâce à une attache métallique et un cercle de caoutchouc. Elle assurait, entre autres, une meilleure filtration des arsines. Cette bonnette sera baptisée modèle 1939, date à laquelle elle avait été adoptée et rapidement mise en fabrication. Les premiers exemplaires seront mis à disposition du GQG le 15 février 1940. Elle sera massivement distribuée aux armées à partir du 15 mars ; 2 300 000 exemplaires auront été distribués jusqu'à la fin de la campagne.

 

Bonnette contre l'hydrogène arsénié modèle 1939

Voir : La protection française

Les caisses filtrantes des ouvrages de la Ligne Maginot ne seront pas transformées, la manœuvre n’étant pas réalisable rapidement, et la neutralisation de l’hydrogène arsénié par les bonnettes ne semblant pas être complètement efficace. En cas d’attaque de la Ligne, la ventilation des ouvrages devait être coupée, et toutes les armes des blocs devaient faire feu pour enflammer le gaz à l’extérieur. Heureusement, il ne semble pas qu’une attaque par gaz ait été tentée durant la campagne de mai-juin 1940. Peut-être les Allemands se réservaient-ils l’usage de leur nouveau toxique en cas d’échec de leur percée ?  

Par ailleurs, il fut découvert ultérieurement que les Allemands avaient développés une petite quantité d'un arséniure de magnésium et d'aluminium dénommé Aéroform, ou produit T.300. Répandu sur le sol humide, il dégageait de l'hydrogène arsénié et permettait de réaliser rapidement des concentrations mortelles d'hydrogène arsénié. Il semble que sa production ne put pas être développée faute de quantité suffisante d'arsenic.

 

Ci-dessus : Essais d'un dispositif émetteur de fumigènes toxiques pour camion, entre 1930 et 1940. Le brouillard ainsi formé pouvait servir d'écran fumigène, ou de vague gazeuse toxique dérivante. A noter que le 4iem Groupe autonome d'artillerie, en charge en 1940 de l'émission de substances toxiques, était nommé "groupe fumigène". 

Immanquablement, il était maintenant pratiquement certains pour l'Etat major français que l'Allemagne ne respecterait pas ses engagements et que les combats à venir allaient à nouveau être marqués par l'utilisation de gaz de combat.

Devant l’immobilité des combats depuis le début de la guerre, une tentative de percée semblait se dessiner au niveau du GQG français à partir du printemps 1940. On avait étudié l’intérêt que pourrait représenter l’utilisation des gaz de combat dans cette tentative. De nombreuses études météorologiques avaient été entreprises dès le début des hostilités pour savoir si les vents dominants des régions de la Ligne Maginot se prêtaient à une attaque brusquée par gaz de combat, aussi bien française qu’allemande.

Tous les rapports ainsi établis concluaient en ces termes « Les vents de nord-est et de l’est sont très rares sauf pendant les grands froid de l’hiver. La propagation des gaz à d’aussi grandes distances, à travers les nombreuses régions boisées, demande des conditions favorables exceptionnelles ». La réalisation d’une attaque par vague ne semblait donc pas être à craindre de la part des Allemands, mais ne semblait pas non plus réalisable par les Français. Par contre, les vents dominants avantageaient 8 fois sur 10 les Français, puisqu’ils soufflaient beaucoup plus souvent vers l’Allemagne qu’inversement.

 

Réactualisation des stocks d'armes chimiques en France et mise sur pied d'une capacité de riposte chimique.

 

En 1940, il n’existait (à notre connaissance) qu’un seul organe chargé de l’émission de substances toxiques. Il s’agissait du 4e Groupe Autonome d’artillerie, stationnant alors à Bruyères, près de Laon. Début avril 1940, le GQG y enverra plusieurs observateurs pour y étudier ses possibilités et établir comment le rendre opérationnel. Le groupe manquait alors cruellement de moyens et on décida de lui fournir ce qui lui manquait. La suite des événements ne lui laissera pas le temps nécessaire à son entraînement, malgré la réception de matériel.

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la France possédait un stock de munitions chimiques hérités de 14-18, stocké dans un Etablissement de réserve général (ou ERG) particulier, dédié aux munitions chimiques, l'ERG Munitions de la Ferté-Hauterive.

Les recherches menées sans discontinuité depuis 1920 sur les agressifs chimiques, débouchèrent sur l'adoption de nouveaux chargements, désignés par une nouvelle nomenclature et de nouveaux codes. La tactique d'utilisation de l'arme chimique fut également réactualisée, comme les modalités de réglage des pièces d'artillerie. Les nouveaux chargements ne comprenaient plus de fumigène dans le but de dissimuler plus facilement à l'adversaire l'utilisation de projectiles chimiques. Ces dispositions furent progressivement introduites à partir de 1935. Les anciens numéros-code furent remplacés par des lettres. Les obus étaient ainsi identifiés par leur peinture, leurs marquages à la peinture du chargement sous forme de lettre, leur atelier de chargement, leur numéro de lot et leur année de chargement. Au niveau de l'ogive, depuis 1921, un marquage à froid précédé d'une croix reprenait le code lettre du chargement.

Les munitions du Premier conflit devenaient obsolètes, aussi il fut lancé un vaste programme de réarmement chimique, passant par la construction de nouveaux complexes devant assurer la production en masse des toxiques, et par la mise sur pied de nouveaux ateliers de chargement. Cet aspect est développé dans le chapitre suivant.

 

Nouveaux chargements adoptés en 1939 

C - obus n°5 Pour Collongite, chargement en Phosgène probablement additionné d'un autre corps, le rendant plus agressif.
Y - 20 Ypérite et solvant (dichlorobenzène). Les études menées depuis 1920 visaient à rendre l'Ypérite exempt d'impuretés par différents procédés de distillation. Le procédé présentait la particularité de rendre le toxique plus résistant et moins odorant.
Yp Ypérite épaissi au Rhodopas. Cette nouvelle Ypérite pâteuse, présentait l'avantage d'être extrêmement indisieuse et résistante dans l'environnement. Elle n'agissait que par contact direct sur la peau avec des effets retardés.
H - 886 Trichloroéthylamine ou HN-3, Ypérite à l'azote, produit n°886. Extrêmement insidieuse, vésicante et très suffocante, indétectable à l'odeur avec des effets très marqués sur les yeux.
L - V201 - obus n°31 Lewisite (ou V-201). Vésicante et non insidieuse (action suffocante immédiate et odeur de géranium très marquée).
A - J101 - obus n°41 Adamsite, irritant respiratoire (sternutatoire) chargé dans un projectile à dépotage arrière. Le pot fumigène ainsi largué se consumait au sol en émettant un nuage toxique.

 

La mobilisation déclenchait le programme de fabrication de mobilisation, avec démarrage des usines productrices de gaz de combat, stockage et chargement de ces toxiques.

Le programme industriel chimique allait bientôt atteindre son régime normal, prévu pour juin ou juillet 1940, avec la mise en service des poudreries de Boussens et Mauzac, décuplant la capacité de riposte chimique des armées françaises.

Le stock fut donc très largement réactualisé à partir de 1939, les reliquats du premier conflit étant jugés comme totalement dépassés (pour mémoire, en 1930 : 2 500 000 coups de 75 mm, 27 000 de 105, 106 000 de 120, 76 000 de 145 et enfin 580 000 de 155.

 

En mai 1940, selon nos travaux, les productions débutées depuis peu permettaient d'atteindre un stock de :

 - 551 135 coups (munitions d'artillerie encartouchés, prêtent à l'emploi) de calibres 75mm, chargés en produit n°20 (Ypérite).

 - 92 632 coups de calibres 155mm, chargés en produit n°20 (Ypérite).

 - 996 407 coups de calibre 75mm, chargés en produit n°5 (Phosgène).

 - 395 000 coups de calibre 155mm chargés en produit n°5 (phosgène).

 - 66 628 coups de calibre 120mm chargés en produit n°5 (phosgène).

 - 76 193 000 coups de calibre 145mm chargés en produit n°5 (phosgène).

Soit environ 32 000 tonnes de munitions chargées en phosgène (représentant 80 trains chargés !).

 - 236 000 coups, commandés en avril 1940 dont la production avait débutée dans le site de production de Lannemezan, chargés en produit J.101 (Adamsite), soit environ 120 tonnes.

 - Le chargement d'un nombre indéterminé de munitions (75 encartouchés, 105 et 155), chargées en produit n°886 (trichloréthylamine) et en V201 (Léwisite) était prévu, mais la production de ces composés dans la poudrerie de Boussens connu des retards, si bien que les chargements n'avaient pas réellement débutés en juin 1940 (la production de ces deux composés n'excédait pas la tonne en mai 1940). La production de produit 1031 (chloracétophénone) était amplement débutée sur le site, mais aucun chargement ne semble avoir débuté.

 - 3 000 000 de grenades d'aviation chargées en Ypérite (140ml de toxique), étaient en cours de livraison. Le programme de mobilisation prévoyait un chargement à hauteur de 1 000 000 par mois, mais les chargement qui débutèrent au début de 1939 ne dépassaient pas 50 000 unités par mois.

 - En avril 1940, il existait également 10 000 bombes d'avion chargées en produit n°5 (phosgène), et les livraisons se poursuivaient (capacités théorique de chargement au plan de mobilisation de 7 500 bombes diverses et 4 000 bombes de 200kg par mois. Les chargements débutèrent en 1938 ou au début de 1939).

 - 55 000 engins Z5 chargés de 5kg d'Adamsite furent commandés en octobre 1939. Les livraisons devaient être effectives pour février 1940, mais des retards intervinrent, décalant les délais de quelques mois. En mai 1940, 19 000 engins Z5 étaient disponibles, le restant étant en cours de livraison.

Ce stock représentait près de 60.000 tonnes de munitions et d'armes chimiques.

 

Inventaire des munitions chimiques disponibles en mai 1940 - Nouveaux chargements

Matériel Chargement  Quantité  
Bombes d'aviation (probablement du modèle de 200kg chargé de 61 litres) Produit n°5 (Phosgène) 16 100  
Projectiles Livens Produit n°5 (Phosgène)    
Bouteilles d'acier pour la production de vague Produit n°5 (Phosgène)    
75A encartouchés-charge normale Produit n°5 (Phosgène) 921 200  
75A encartouchés-charge réduite Produit n°5 (Phosgène) 75 100 Total 75 n°5 : 996 300
105A Produit n°5 (Phosgène) 38 100  
120 A Produit n°5 (Phosgène) 485  
120 FA Produit n°5 (Phosgène) 66 143 Total 120 n°5 : 66 628
145A Produit n°5 (Phosgène) 41  
145 FA Produit n°5 (Phosgène) 76 152 Total 145 n°5 :76 193 
155 A (Mll 19)   11036  
155 A (GP) Produit n°5 (Phosgène) 120  
155 FA (GP) Produit n°5 (Phosgène) 46 184  
155 FA Produit n°5 (Phosgène) 337 651 Total 155 n°5 : 394 991
240 FA Produit n°5 (Phosgène) 51  
Bouteilles en verre Produit n°20 (Ypérite) 17 667  
Grenades d'aviation Produit n°20 (Ypérite) 176 00  
75 A encartouchés Produit n°20 (Ypérite) 551 135  
105 A Produit n°20 (Ypérite) 51 758  
155 FA ou FAGP Produit n°20 (Ypérite) 75 932  
155 GP Produit n°20 (Ypérite) 16 700 Total 155 n°20 : 92 632
75 encartouchés Produit n°886 (trichloréthylamine) En commande  
105 Produit n°886 (trichloréthylamine) En commande  
155 Produit n°886 (trichloréthylamine) En commande  
75 encartouchés Produit J101 En commande  
Engin Z5 Produit J101 19 000 36 000 unités en cours de livraison
75 encartouchés Produit V201 En commande  
105 Produit V201 En commande  
155 Produit V201 En commande  

 

Caisse de 9 cartouches de 75mm chargées en phosgène. 921 200 coups étaient ainsi disponibles en mai 1940, à l'ERG de la Ferté Hauterive. Cela représentait plus de 102 300 caisses de ce type, soit, rien que pour ce modèle, plus de 840 tonnes de projectiles.

Marquages : 

Chargement : CO : pour Collongite (Phosgène ou produit n°5, Oxychlorure de Carbone).

19B EF 40: 19 ième B lot de cartouches de "l' Entrepôt de réserve générale de la Ferté-Hauterive" de 1940.

AUB: Atelier de chargement d’Aubervilliers

V550 => vitesse initiale 550 m

+ + => poids de l’obus = normal

BSP => poudre B en bande

RAD D2,5 => poudre radoubée au taux de 2,5

42 32 SM => 42ième Lot de Saint Médard de 1932

Au début de l'année 1940, les munitions toxiques du dépôt de La Ferté-Hauterive furent délocalisées en partie, pour éviter leur destruction en cas de bombardement allemand sur l'ERG.

Certaines furent évacuées vers les bois de LEYDE (alentours de NEUILLY-Le-REAL), d'autres vers d'autres dépôts dont certains furent créés pour l'occasion (comme Durbans par Assier).

Le dépôt de Pognat (Allier) devait regrouper plusieurs centaines de milliers de munitions chargées en phosgène ainsi que des munitions fumigènes.

Le dépôts de Chavanon (Corrèze)  regroupait près de 10 000 engins Z5. 

Le dépôt d'artifices de Durbans par Assier (Lot), situé à proximité du lieu dit La salle-Durbans, à 5km au nord ouest de Livernon. Il contenait près de 600 000 grenades n°61 chargées en Ypérite et 9600 artifices Z5.

Le dépôt de gaz de combat de Plaisance (Landes) permit de stocker 18 000  bombes de 200kg de phosgène et 3000 artifices Z5. Des munitions conventionnelles y étaient également conservées (obus de 75mm et diverses fusées). Le dépôt était situé en bordure de la voie ferrée allant de Roquefort à Houeïlles, environ à 12 km au nord ouest de Lapeyrade.

Le dépôt de Saint-Ours les Roches permit de stocker 650 000 obus de 75mm chargés en Ypérite.

On trouvait également des stocks répartis dans les différents lieux de production et de chargement, comme la poudrerie de Sainte Livrade, l'atelier de chargement de Pont-de-Claix, l'atelier de chargement de Lannemezan (ancien arsenal qui deviendra le site du CM10).

 

Mai 1940, la campagne de France.

 

Le 13 mai 1940, les Allemands déclenchaient la deuxième phase de leur plan d’invasion de la France et perçaient le front dans la région de Longwy. Sous la pression, la 2e armée se verra contrainte de se replier, dans des conditions parfois catastrophiques, transformant ainsi la retraite en débâcle.

Le 4e Groupe Autonome d’artillerie prit dans la tourmente, était passé sous les ordres du colonel De Gaulle et ne disposait d'aucun moyen de transport propre. Il restait cependant à Bruyères près de 18 000 (17 664) bouteilles chargées de 4 litres d'Yperite, destinées à l'épandage massif de vésicant. Il était impensable de laisser ce stock tomber entre les mains de l'ennemi. Le 15 mai 1940, l'alarme fut donnée et la situation prise en main pour l'évacuation du matériel interdit.

L'opération fut programmée dans la nuit du 16 au 17 mai, mais aucun convoi ne put parvenir à destination pour embarquer le chargement, tous les camions ayant été détruits. Le 18 mai, seulement 21 camions avaient été rassemblés pour commencer l'évacuation des caisses. Le lendemain, 1000 caisses étaient en sécurité ; il en restait 2500. Le 20 mai, 45 camions démarraient à nouveau vers la même destination ; 12 arrivaient à l'heure convenue et 33 autres seulement au petit matin. Il manquait encore 2 camions pour charger les 80 caisses restantes. Le 21 mai, 2 derniers camions, à peine leur déchargement réalisé, firent demi-tour et tentaient de regagner Bruyères, mais trouvèrent la route coupée ; un chauffeur fut blessé par une rafale de mitrailleuse. Ainsi, 320 bouteilles tombèrent aux mains des Allemands.

L’encerclement des armées du nord-est, prises au piège par la percée des chars de la 1e Panzer division, se confirmait. Pour lutter contre la pression, le groupe d’armée n°3 eut l’idée, au début du mois de juin 1940, d’utiliser des substances toxiques, notamment de l’ypérite, dans le but de pratiquer la guerre totale. Ne pouvant assumer seul cette décision, le général d’armée Besson en fera directement la demande, dans un courrier daté du 3 juin 1940, au Général Commandant en chef sur le front nord-est, le général Georges. Heureusement, le temps allait manquer pour mettre en œuvre une opération de ce genre. La campagne de juin 1940 allait rapidement se terminer dans les conditions dramatiques que l’on sait.

Devant la situation dramatique qui se présentait en juin 1940, et malgré les demandent de certains généraux, la France respecta ses engagements internationaux jusqu'au bout, ne laissant aucune place à l'utilisation de l'arme chimique sur le champs de bataille. Il faut dire que son programme de réarmement, débuté trop tardivement, ne devait atteindre son plein rendement que quelques mois après ces évènements. La guerre "éclair" menée par les armées allemandes en mai-juin 1940, ne donnait pas de perspectives tactiques favorables à l'utilisation des munitions chimiques, sur le sol français et au milieu d'une population civile nombreuse et omniprésente sur te théâtre des opérations.

 

Quel est le devenir des stocks de munitions chimiques et des produits agressifs ?

Cette question fait l'objet d'un blackout totale de la part des autorités françaises, en dépit d'un risque considérable de pollution et d'accident. Dans quelle mesure l'occupant allemand réussit-il à récupérer les travaux français ? Est-ce la raison pour laquelle l'armée allemande, malgré des stocks de toxiques extrêmement importants (10 000 tonnes en 1939 et 65 000 tonnes en 1945) ne fit jamais usage de l'arme chimique ? Une partie des recherches a t-elle pu traverser la Manche, voir l'Atlantique ? Nous tenterons de répondre à ces questions par la suite.

Les stock de munitions chimiques entreposés et disséminés dans toute la France, comme ceux de l'ERG de La Ferté Hauterive restèrent, pour une partie, en place au moment de l'Armistice de juin 1940, puis furent traités sous l'occupation pour être livrés à l'Allemagne, détruits ou récupérés ; certains furent l'objet de tentatives de dépollution dans l'immédiat après-guerre. 

 

 

Article de presse du 17/12/2014 – La Montagne

Des obus au gaz moutarde dans le sous-sol de Montbeugny.

 

Les obus à l’ypérite (le gaz moutarde) enterrés entre Montbeugny et Neuilly-le-Réal sont là depuis 1940. Ils attendent la création sans cesse promise et repoussée d’un site national d’élimination.

La Montagne leur avait consacré un dossier en juillet 2001, reprenant des éléments du journal Valmy parus en 1950.

Ce dépôt d’obus chimiques est une vieille histoire. Des correspondances, aux archives départementales de l’Allier, en attestent. Lettre d’un colonel au préfet, le 12 août 1943 : « le dépôt de projectiles existant à Yzeure a été totalement évacué sur le bois de Leyde. Ces projectiles seront traités par l’entreprise Laroye, adjudicataire du marché de démolition ». Le colonel Montjean au préfet le 18 juin 1947 : « Le tonnage des munitions à démolir est le suivant : 4.700 tonnes. Le chantier de démolition se trouve dans le bois de Leyde ». Les éts Laroye au préfet, le 17 novembre 1947 : « actuellement, le traitement des obus explosifs tire à sa fin. Par contre, les lots de 4.000 tonnes environ d’obus toxiques chargés en ypérite restent entiers ».

Le chantier s’est arrêté au début des années cinquante. Beaucoup d’obus ont été détruits. Mais certains n’ont pas pu être traités et sont réapparus en 1992 (La Montagne du 15/12/1992), lors de travaux pour un parc de chasse. « La pelleteuse a trouvé un obus, puis un autre », rappelle Guy Charmetant, élu maire de Montbeugny en mars 2001. Une lettre du 31 juillet 1992 adressée à son prédécesseur faisait part des inquiétudes préfectorales vis à vis de ces “engins contenant un gaz mortel”.

« J’ai exploité 12 ans un domaine à côté du terrain. Je trouvais régulièrement des grenades. Le service de déminage de Lyon ramenait le tout. Mais les obus d’ypérite, je ne les ai jamais vus », poursuit Guy Charmetant.

 

En 2012, le ministère de la défense avait écrit au maire que la caractérisation des produits enfouis est impossible sans excavation et cette excavation n’est pas envisageable tant que les moyens de destruction ne seraient pas opérationnels.

 

Renforcer la sécurité

 

« Ces obus ont été fabriqués vers 1925-1930, dans le nord-est de la France. Suite à l’invasion allemande, ils ont été descendus à La Ferté-Hauterive puis enfouis à l’approche des Allemands, explique Christophe Hériard, directeur de cabinet du préfet de l’Allier. Énormément d’obus ont sûrement été détruits. On est loin des 85.000, mais il en reste (une estimation de 1992 évoque 600 obus sur trois rangs NDLR). Il n’y aurait plus de charge explosive, mais il y a de l’ypérite. On ne peut pas savoir s’il y a des fuites ». Pour le représentant de l’État, laisser ces munitions où elles sont tout en renforçant la sécurité du site est la meilleure solution en attendant la mise en service du SECOIA (site d’élimination des chargements d’objets identifiés anciens, pour détruire les munitions) et d’une unité mobile de démantèlement (*). 

Pascal Larcher

http://www.lamontagne.fr/montbeugny/insolite/armee-conflit/2014/12/17/des-obus-au-gaz-moutarde-dans-le-sous-sol-de-montbeugny_11261792.html

 

 

Mobilisation et aspect industriel de la guerre chimique, 1930-1940.

 

Pendant le Premier conflit mondial, la faiblesse de l’industrie chimique sur le territoire français fut un handicape majeur. Un programme de développement industriel sans précédent fut réalisé, mais nécessita plusieurs années avant qu’il fut opérationnel.

Aussi, dès la fin de la Première Guerre, le Service des poudres qui était en charge de la production en temps de guerre des produits spéciaux, ébauchât un plan de mobilisation pour la production de « gaz de combat » dans l’éventualité d’un conflit chimique futur.

Ce n’est qu’à partir de 1930 et au fur et à mesure que la tension sur la scène internationale montait, faisant craindre un nouveau conflit européen, que des crédits importants furent débloqués. Il servirent ainsi à la création d’installations nouvelles, tant dans les poudreries d’Etat que dans les usines privées. Dans ces dernières, c’est l’Etat qui fit la presque totalité des frais pour des installations nouvelles qui restèrent sa propriété.

Le plan de mobilisation existant en septembre 1939 devait permettre, dans l'éventualité du déclenchement d'hostilités chimiques, de mener une guerre chimique intensive contre les armées allemandes. Les crédits alloués aux Services chimiques furent ainsi répartis dans les années précédant le conflit : 

Crédits affectés aux réalisations du Service des poudres et relatifs à la Défense Nationale (remise en état d'installations existantes, créations d'installations nouvelles dans les poudreries et constitution de stocks).

1920 à 1936 530 millions de francs
1937 194 millions de francs
1938 205 millions de francs
Avant le 1er septembre 1939 474 millions de francs
Total 1 403 millions de francs

 

Les crédits alloués avant 1930 ne permirent que d'entretenir les installations existantes, de façon très insatisfaisante. A partir de 1930, ils devinrent plus conséquents, permettant la mise sur pied des premiers programmes nouveaux, mais aussi de la reconstruction de certaines installations laissée à l'état de ruines. Mais c'est surtout à partir de 1937 qu'ils devinrent importants et permirent alors la construction d'installations nouvelles et la mise à niveau des installations déjà existantes.

Installations nouvelles réalisées avant la mobilisation :

Fabriques d'acide nitrique dilué à Sorgues( 300t/mois), à Rouen avec l'usine du Grand Couronné de la Société PEC (1800t/mois), usine de Lannemezan d'acide concentré de la société SPA (440t/mois) et à la Poudrerie de Bergerac (7200t/mois).

Atelier de concentration d'acide nitrique à Toulouse pour l'acide produit par l'ONIA.

Fabrique d'oléum à partir de gypse à Miramas (annexe de la Poudrerie de Saint-Chamas (2400t/mois).

Extension des usines de chlore de Saint-Auban (Péchiney, 470t/mois), de Jarrie et Plombières (Electrochimie, 380t/mois), de Pont-de-Claix (Progil, 200t/mois).

Fabrique de phosgène à Clamecy, usine de la Société des Produits Chimiques de Clamecy (660t/mois) et à Villers-Saint-Paul à l'usine Kuhlmann (150t/mois).

Fabrique de thiodiglycol à Péage de Roussillon (70t/mois) et à Saint-Fons à l'usine Rhone-Poulenc (165t/mois).

Usine de fabrication de charbons absorbants à Langeac, usine d'Etat construite par la société Sodex.

Usine pour la fabrication de charbon à la Poudrerie d'Angoulème.

 

 

Besoins mensuels en agressifs selon le plan de mobilisation de septembre 1939

Phosgène 1 982 tonnes mensuelles
Yperite 1 275 tonnes mensuelles
Lewisite 672 tonnes mensuelles
Trichloroéthylamine 238 tonnes mensuelles
Adamsite 76 tonnes mensuelles
Perchlorate de dicyandiamine 76 tonnes mensuelles
Fumigérite (fumigène) 228 tonnes mensuelles
Tétrachlorure de carbone (fumigène) 80 tonnes mensuelles
Charbon absorbant (masques) 1079 m3 mensuels

 

La capacité de production de matières premières et de produits intermédiaires, quand ils existaient dans la chimie civile, fut augmentée. Ainsi, la production nationale de chlore fut étendue à plus de 2000 tonnes supplémentaires par mois. Il fut impossible de réaliser dans les usines existantes l’ensemble des surplus de production nécessaires, aussi un programme de construction d’usines nouvelles fut lancé en 1937, et confié à un service spécial : le centre des travaux de la Garonne. Un crédit de 100 millions de francs fut débloqué à cet usage.

Un projet de réalisation d’une poudrerie nationale fut lancé en Dordogne. Le site retenu fut celui de Mauzac, Il comprenait une fabrique de chlore (d’une capacité de production de 720 tonnes par mois), un atelier de fabrication de phosgène (1 050 tonnes par mois), une unité de distillation de benzol pour la production de chlorobenzène (plus de 1 000 tonnes par mois), ainsi qu’un atelier de chargement d’obus en gaz de combat. Au moment ou la guerre éclata, aucun travaux n'avait commencé. La construction de l’usine devait être achevée au premier semestre 1940 ; plus de 1000 employés y travaillerons jours et nuits jusqu’à l’Armistice de juin 1940.

La construction d’une usine chimique de produits spéciaux en Haute Garonne à Boussens (usine d’Estarac), proche du site d’une usine de production de chlore liquide datant du premier conflit. Ce centre de production, appelé poudrerie de Boussens (dirigée par Germain Gattet), devait permettre la fabrication de plus de la moitié de la production nationale d’Ypérite, mais aussi de DM (Adamsite), ainsi que la totalité de la production de Lewisite (V201, plus de 600 tonnes mensuelles) et de trichloroéthylamine (886 ou ypérite à l’azote à raison de plus de 200 tonnes par mois). Les activités de la poudrerie devaient entrer en service pour avril, puis juillet 1940. En septembre 1939, seule l'assise de l'usine était construite ainsi que les bâtiments annexes. A l'Armistice, la poudrerie de Boussens fonctionnait au moins partiellement ; la production de la DM avait commencé et celle d'autres produits allait ou était débutée.

 

Prévision des capacités de production de l'usine de produits spéciaux de Boussens

Chlore 720 tonnes mensuelles
Yperite 765 tonnes mensuelles
Chlorure d'arsenic 800 tonnes mensuelles
Adamsite 60 tonnes mensuelles
Lewisite 672 tonnes mensuelles
Trichloroéthylamine 222 tonnes mensuelles

 

Prévision des capacités de production de l'usine de produits spéciaux de Mauzac
Chlore 720 tonnes mensuelles
Phosgène 1 000 tonnes mensuelles
Chlorobenzène 1 000 tonnes mensuelles

 

Au 1er septembre 1939, démarrait le programme de mobilisation avec le démarrage de toutes les productions de toxiques ainsi que le chargement des munitions chimiques. Les réalisation industrielles prévues pour l'avant-conflit n'étaient pas achevées, tant dans le domaine de la production de poudres et d'explosifs que de produits spéciaux ; leur ampleur n'avait cessée de croître durant les trois dernières années. Un programme quadriennal établi peu de temps avant la mobilisation, évaluait les dépenses pour les réalisations restant à exécuter à 2,1 milliards de francs. Le montant des dépenses pour la réalisations du programme de guerre se montait à 5 milliards de francs. 

Les plans de mobilisation furent ajustés dès les premiers mois de guerre. La mise au point de la réalisation industrielle de la trichloroéthylamine ainsi que les prévisions de l'achèvement de l'usine pour sa synthèse à Boussens, nécessitèrent de suppléer en attendant par la production d'Yperite. Par ailleurs, la consommation en Yperite fut revue à la hausse en cas de déclenchement de guerre chimique, en raison de prévision d'utilisation d'un nouveau moyen de dispersion, l'épandage par avions.

Ainsi, fut débuté la construction de fabriques de produit 1012 (destiné à la production d'Ypérite) aux Poudreries d'Angoulême et de Boussens. Un crédit fut alloué à la construction et l'extension d'installations pour l'étude des produits spéciaux au Bouchet.

La production d'Adamsite se révéla inférieure aux besoins. Il fallut construire un atelier de fabrication d'Adamsite à Villers-Saint-Paul (établissements Kulhmann) et à Vertolaye (Usines Chimiques des Laboratoires Français, UCLAF dans le Puy-de-Dôme).

 

Prévision du programme de production mensuelle au 1er septembre 1939

 

Angoulême

Sorgues

Calais

Villers-St-Paul

Kuhlmann

Clamecy

Usine de la Société des produits chimiques

Boussens

Mauzac

Totaux

Phosgène     120 t 150 t 660 t   1050 t 1980 t
Ypérite                
Au Thiodiglycol   330 t       200 t   530 t
Au produit 1012 200 t         1200 t   1400 t
Au bichlorure de soufre 180 t             180 t
Total 380 t 330 t           2110 t
Lewisite           673 t   673 t
Trichloroéthylamine           222 t   222 t
Triphénylarsine           100 t   100 t
DM           100 t   100 t
Perchlorate de dicyandiamidime supprimé              

Le thiodiglycol était produit à Péage de Roussilon (70t/mois) et à Saint-Fons (165t/mois) dans l'usine Rhone-Poulenc.

 

Estimation des besoins en matières premières et en produits intermédiaires mensuels à la Mobilisation.
Chlorobenzène 1 100 tonnes
Chlorure d'arsenic 1 000 tonnes
Chlore 13 000 tonnes
Thiodiglycol 400 tonnes
Diphénylamine 290 tonnes
Aniline 650 tonnes

 

Malgré les efforts réalisés avant le conflit et notamment l'extension des usines de chlore existantes (Pechiney à Saint-Auban, usine l'Electrochimie de Jarrie, Plombières, Progil à Pont-de-Claix, Société des produits chimiques à Cmamecy, Villers-Saint-Paul), la capacité de production de chlore était largement insuffisante, de l'ordre de 5400 tonnes par mois. Un vaste programme d'un montant de 400 millions, à la charge de l'Etat, fut réalisé. Il portait la capacité mensuelle à 13 650 tonnes, plus de la totalité du chlore produit en France pendant le premier conflit Mondiale.

Programme de production supplémentaire en chlore
Péchiney, Sain de Giraud 800 tonnes
Péchiney, Salindres 800
Péchiney, Société des produits chimiques de Ribécourt 300
Société d'Electrochimie, Jarrie 300
Société Progil, Pont-de-Claix 200
Société des produits chimiques de Clamecy 600
La MotteBreuil, Bozel Meletra 450
Saint Gobain, Saint Fons 180
Potasse et produits chimiques, La Palisse 720
Société des produits azotés, Marignac 300
Solvay, Tavaux 360
Kulhmann, Brignoud 160
Kuhlmann, L'Estaque 300
Rhône-Poulenc, Péage de Roussillon 180
Poudrerie de Boussens 900
Poudrerie de Mauzac 1700

 

La production d’Ypérite pendant le conflit :

A la mobilisation, deux usines étaient opérationnelles pour la production :

La poudrerie nationale d’Angoulême, capacité de 180 tonnes/mois sur une chaîne au produit 1012, portée à 380 tonnes en mai 1940 avec une chaîne de fabrication au bichlorure de soufre de 180 tonnes (Ypérite classique).

La poudrerie nationale d'Angoulême où fut synthétisé l'Ypérite jusqu'en 1940.

 

La poudrerie nationale de Sorgues et son atelier de synthèse au thiodiglycol (capacité de 510 tonnes/mois, augmentée à près de 700 en 1940).

L’atelier de production de Boussens était opérationnel avant l'Armistice de juin 1940 (400 tonnes/mois) pour une production d'Ypérite 1012 et d'Ypérite classique. 

La capacité de production devait ainsi atteindre le chiffre démentiel de 1290 tonnes d'Yperite par mois en juillet 1940 ! En considérant que la production française cumulée sur l'année 1918 atteignait 1968 tonnes, 7600 tonnes pour l'Allemagne pour 1917 et 1918.

Selon les informations communiquées aux autorités d'occupation après juin 1940, le manque de moyens de stockage et le démarrage à allure réduite des ateliers de chargement obligèrent la Direction des Poudres à réduire l'allure de fabrication. La période des grands froids de l'hivers 1939-1940 entraîna par ailleurs un arrêt momentané de la production aux poudreries d'Angoulême et de Sorgues. Au mois de mai 1940, l'aménagement de l'atelier de lavage de Sorgues permettait un accroissement de production mensuelle de 100 à 150 tonnes. Un atelier de 1012 prévu à la poudrerie de Boussens devait entrer en fonctionnement en juillet 1940. La poudrerie d'Angoulême prévoyait pour août le démarrage d'un atelier de 200 tonnes de produit 1012. Bousens avait commencé la construction d'un atelier d'Ypérite au thiodyglycol d'une capacité de 200 tonnes par mois.

L'ensemble de cette production permit d’atteindre un stock de 1740 tonnes en juillet 1940 (2100 tonnes étaient prévues au programme initial avant l’arrêt de la production si aucun conflit chimique n’avait eu lieu). Au cas où l'emploi d'engins spéciaux n'aurait pas lieu, les stocks disponibles devaient permettrent d'arrêter la fabrication dès le début de juillet 1940.

 

Production d'Yperite pendant le conflit 1939-1940
Septembre 1939 56 tonnes
Octobre 1939 281 tonnes
Novembre 1939 266 tonnes
Décembre 1939 100 tonnes
Janvier 1940 137 tonnes
Février 1940 250 tonnes
Mars 1940 265 tonnes
Avril 1940 349 tonnes
Total 1704 tonnes

   

 

Stocks d'Yperite pendant le conflit 1939-1940
Septembre 1939 648 tonnes
Octobre 1939 604 tonnes
Novembre 1939 985 tonnes
Décembre 1939 1028 tonnes
Janvier 1940 1146 tonnes
Février 1940 1101 tonnes
Mars 1940 1200 tonnes
Avril 1940 1320 tonnes
Mai 1940 1530 tonnes
Fin juin 1940 1740 tonnes

 

Ainsi, au moins 612 tonnes d'Ypérite furent utilisées pendant la période du conflit pour des chargements divers, dont probablement près de 550 tonnes dans des munitions d'artillerie (environ 700 000 coups de différents calibres) type Y et peut être du type Yp (Ypérite épaissie).

 

La production de phosgène pendant le conflit :

Le phosgène est un composé utilisé dans l’industrie chimique. Sa production à des fins militaires fut donc développée au seins d’établissement civils, sur trois sites différents : l’usine de la Société des produits chimiques de Clamecy (660 tonnes/mois), l’usine de Laire à Calais (120 tonnes/mois), l’usine Kuhlmann à Villers-Saint-Paul (150 tonnes/mois), pour une capacité de production de près de 1000 tonnes/mois.

L’extension à la poudrerie de Mauzac (1050 tonnes/mois) devait entrer en service pour le premier semestre 1940, et porter la production nationale à hauteur de 2000 tonnes/mois.

En réalité, de nombreuses contraintes obligèrent le Service des poudres à freiner la production. Le stockage du phosgène devait se réaliser dans des bouteilles spécifiques dont la livraison fut retardée ; une commande de 45 000 bouteilles fut passée mais les livraisons n'intervinrent qu'à partir de février 1940. Également, la disponibilité en corps d’obus et en bombes d’aviation fut très limitée, ralentissant la cadence des chargements prévue initialement. Des fuites intervenant sur les orifices de chargement des bombes d'aviation se présentèrent et nécessitèrent de nouvelles études.

Ainsi, seulement près de 2000 tonnes de phosgène furent produites jusqu’en avril 1940, pour un stock disponible de 800 tonnes au 31 mai 1940.

 

 

Production de phosgène pendant le conflit 1939-1940
Septembre 1939 143 tonnes
Octobre 1939 177 tonnes
Novembre 1939 45 tonnes
Décembre 1939 67 tonnes
Janvier 1940 160 tonnes
Février 1940 205 tonnes
Mars 1940 328 tonnes
Avril 1940 452 tonnes
Total jusqu'à l'Armistice  près de 2000 tonnes

   

 

Stocks de phosgène pendant le conflit 1939-1940
Septembre 1939 143 tonnes
Octobre 1939 177 tonnes
Novembre 1939 45 tonnes
Décembre 1939 67 tonnes
Janvier 1940 160 tonnes
Février 1940 205 tonnes
Mars 1940 328 tonnes
Avril 1940 452 tonnes
31 mai 1940 800 tonnes

 

Ainsi, si on s'en tient aux déclarations de production aux autorités d'occupation, près de 1350 tonnes de phosgène furent utilisées pendant le conflit à des chargements divers.

Quantité bombes d'aviation au phosgène en juin 1941
Contenance Stockage Quantités Poids en phosgène
85 - 90 kg Plaisance 18.000 1.530 tonnes
85 - 90 kg Atelier de Lannemezan 843 75 tonnes
85 - 90 kg Pont-de-Claix 114 10 tonnes
Total   18.957 1.615 tonnes

A l'évidence, les chargements avaient commencés avant septembre 1939, à minima pour 265 tonnes dans des bombes d'aviation.

 

La production d’Adamsite (DM ou J101) :

Un seul atelier existait, à la poudrerie de Sorgues. Sa production théorique de 60 tonnes par mois s’est révélée surestimées (elle atteignit 25 à 30 tonnes pour le mieux). La commande fin octobre 1939 de 55 000 engins Z5 pour le mois de février 1940 au plus tard, nécessita l’aménagement de deux nouveaux ateliers, à Villers-Saint-Paul (établissements Kulhmann) et à Vertolaye (Usines Chimiques des Laboratoires Français, UCLAF dans le Puy-de-Dôme).

 

Deux vues des usines Kuhlmann de Villers-Saint-Paul, où une unité de production de DM fut montée ainsi qu'un atelier de chargement de munitions toxiques.

Au moment de l'Armistice, la poudrerie de Boussens avait commencé la production de DM.

Selon les rapports de production rédigés à l'intention des autorités d'occupation en juin, 275 tonnes furent produites et la cadence de production fut réduite pour éviter l’accumulation des stocks qui s’élevaient à 150 tonnes fin mai 1940.

Seulement, l'état des stocks déclaré à la Commission d'Armistice en août 1940, additionné à celui des stocks présents à Boussens en septembre 1940, à ceux de Sorgues, laisse apparaître un total de 264 tonnes, auxquelles il conviendrait d'ajouter la quantité de DM chargée en projectiles à Lannemezan (stock de 120 tonnes de munitions) et celle des engins Z5 présents dans plusieurs dépôt (460 tonnes).

A l'évidence, la quantité de DM produite est bien plus importante que celle qui fut déclarée.

 

La production de Lewisite, V.201 :

Fabriqué en 1/2 grand au Bouchet, l'étude de sa fabrication industrielle fut réalisée très précocement. Dès 1930 ,à Chegga, des tirs réels avec des chargement en V.201 sont réalisés, puis ultérieurement à Béni-Ounif (Béni-Wénif) lors de plusieurs campagnes d'essais.

Initialement, le Bouchet avait retenu une réaction qui utilisait le chlorure d'aluminium comme catalyseur. Un premier problème fut de résoudre celui de l'appareillage dans lequel la réaction avait lieu. Une phase délicate et dangereuse intervenait, lors de la transformation des Léwisites secondaires et tertiaires à l'état primaire.

Utilisant des renseignements fournis par les Anglais, le Bouchet étudia un synthèse utilisant le chlorure mercurique. Cette réaction présentait l'avantage de supprimer la phase de rétrogradation et d'abaisser la température de réaction.

De peur de manquer de mercure, la direction du service des Poudres fit étudier et mettre au point une nouvelle réaction au chlorure cuivreux. Cette dernière s'affranchissait de la rétrogradation, mais la température de réaction était encore élevée et présentait des risques.

En 1939, c'est cette réaction qui fut utilisée pour monter la chaîne de production à la poudrerie de Boussens. Le programme débuta probablement au tout début de l'année 1940 par une tranche de 2 tonnes/jour. La production sur le site de Boussens posa à nouveau quelques problèmes de choix de matériaux pour l'appareillage. Puis en mai 1940, un nouveau procédé devait être démarré après essais et mise au point au Bouchet à l'aide du procédé anglais au chlorure mercurique. La transposition du Bouchet au site de Boussens devait être immédiate. A ce jour, nous ignorons quel fut son développement ultérieur.

Des documents postérieurs à l'Armistice de 1940 laissent supposer que la production de Léwisite resta à l'état de projet, puisque seulement 788kg auraient été produits. Il est cependant probable que la synthèse débutée au début de 1940 et le chargement d'une faible quantité de projectiles chargés en V.201, aient été dissimulés aux autorités allemandes.

La production de Trichloroéthylamine, produit 886 : 

La Trichloroéthyllamine fut fabriquée en 1/2 grand au Bouchet, puis essayée à Beni-Ounif (Béni-Wénif) dans l'hivers 1932-33; en obus de 75 à culot vissé. Une certaine quantité de munitions fut chargée de cette substance, dans l'objectif de la militariser et de procéder à des tirs d'essais. L'efficacité fut jugé comparable à celle du V.201. Elle fut ainsi adoptée et destinée à être militarisée ; les études sur le 886 furent poursuivies.

Selon certains documents, une petite quantité fut synthétisée à Boussens avec la technique de 1/2 grand mis au point au Bouchet (qui fut responsable de nombreuses intoxications). Que penser des documents fournis aux Commissions d'Armistice après juin1940, qui stipules qu'aucune installation de fabrication n'était encore commencé en mai 1940 ? A l'évidence, qu'ils sont incomplets.

 

 

 

Les chargements pendant le conflit :

Cet aspect est encore fort peu documenté ; nous manquons de sources pour exposer le programme de chargement de projectiles depuis 1935.

Trois ateliers furent conservés durant l'entre-deux guerre, remis en état puis organisés (dès 1930) pour le chargement des obus chimiques : Pont-de-Claix, Angoulême et Aubervilliers. Leur capacité pouvait alors atteindre 472 000 obus par mois.

L'atelier de Salaise fut également remis en fonctionnement. Les chargements en Adamsite dans les obus spéciaux à dépotage furent réalisés aux ateliers de l'Ecole centrale de pyrotechnie (chargement également en fumigérite et opacite). Un atelier travailla également aux chargements à Cerdon. Nous avons enfin également identifié un atelier de chargement, nommé Atelier de construction de Lyon et usine Coignet.

En septembre 1939, en même temps que la guerre était déclaré, démarrait le programme de mobilisation qui prévoyait le chargement de nouveaux obus chimiques, chargement qui avait en réalité déjà débuté.

Les programmes de fabrication provoquèrent une demande considérable de main d'oeuvre avec un déficit très important de spécialistes rares, que ce soit dans les usines de l'Armement ou dans les poudreries. Les effectifs des poudreries passèrent de 10 500 personnes à 45 000 dès le premier mois, pour atteindre 120 000 en avril 1940. Il faut y ajouter 90 000 personnes qui, sous la direction des poudres travaillaient dans les 1100 usines de l'industrie privée.

Cette pénurie provoqua de nombreux retards dans l'ensemble des programmes, mais certaines priorités purent être données. Le déficit était partout ressenti ; le personnel d'encadrement militaire était également insuffisant et il fallut faire appel à des civils par contrat.

Une procédure d'affectation spéciale avait été mise au point avant le début des hostilités pour déterminer les personnels susceptibles d'être des spécialistes rares et les diriger vers le service des Poudres. Le centre du Bouchet passait de 760 personnes à 1980 au 1er juin 1940, dont 465 affectés spéciaux. Nous ne connaissons pas l'effectif des ateliers de chargement, qui comme le restant des effectifs, connu une pénurie.

 

 

En mars 1939, la commande de mobilisation auprès de l'atelier de chargement de Pont-de-Claix  était la suivante : 

Commande de mobilisation - Atelier de chargement de pont de Claix
Projectiles Produits Quantités
75mm Phosgene 140 000
75mm Lewisite 110 000
75mm Trichloroethylamine 55 000
105mm Lewisite 11 000
105mm Trichloroethylamine 5 500
155mm non GP Lewisite 22 000
155mm non GP Trichloroethylamine 11 000
155 GP Lewisite 11 000
155 GP Trichloroethylamine 5 000
Bombes diverses Phosgene 7 500
Bombes de 200kg Phosgene 4 000
Grenades Ypérite 1 000 000

Toujours en mars 1939, l'atelier chargeait des bombes de phosgène à la cadence de 50 par jour ainsi que des obus d'exercice chargés en fumigérite. Le chargement en grenades présentait des difficultés, les machines automatiques étant imparfaite et évasaient souvent l'orifice de remplissage.

 

Un atelier de chargement existait à Aubervilliers près de l'ERG, mais présentait des risques importants pour l'ERG et la population de la ville d'Aubervilliers. Depuis 1935, un projet visait à transférer cet atelier, mais la question restait en suspens depuis. A la mobilisation de 1939, l'ateliers dénommé usine IV et rattaché au service des Fabrications d'armement, fut transporté à l'usine Kuhlmann de Villers-Saint-Paul. Le personnel de l'usine IV, constitué des 11e, 12e et 13e compagnies du 22e BOA fut éclaté ainsi : la 11e Cie rejoignit l'usine de Villers Saint Paul (80 hommes restèrent sur place à Aubervilliers jusque mi-novembre pour démonter le matériel) et les deux autres compagnies furent dirigées vers Lannemezan.

 

Deux vues des ateliers de chargement du fort d'Aubervilliers pendant le premier conflit Mondial.

 

On trouvait alors à Lannemezan une ancienne usine électrique de la Poudrerie nationale de Toulouse, qui devint en 1921 la Société des produits Azotés auprès de laquelle une nouvelle usine productrice d'aluminium fut construite en 1939. La société était spécialisée dans la fabrication de cyanamide calcique (base de la fabrication d'ammoniac, d'urée, de cyanure), puis de dérivés fluorés organiques. Notons également que Lannemezan est situé à 60 km de l'usine de Boussens. A partir de 1938, il s'y implante un arsenal et un atelier de chargement de projectiles chimiques sur le quartier de la Hitolle où se trouvait un hippodrome avec tribunes en dur et une piste de 2 000 mètres. L'atelier de chargement de Lannemezan semblait spécialisé, probablement en complément de l'atelier de l'Ecole Centrale de Pyrotechnie, dans le chargement de différents modèles de munitions à DM (Adamsite), en munitions à Ypérite et en bombes d'aviation de 200kg chargées en phosgène. Il subsistait en juin 1940 à Lannemezan, 88 tonnes de DM, 320 tonnes d'Ypérite et 120 tonnes de munitions diverses chargées en DM.

L'atelier de chargement de Mauzac n'était pas entré en production au moment de l'Armistice.

 

Le devenir des travaux français dans l'immédiat après-juin 1940 :

A l'Armistice de juin 1940, tous les travaux, les chargements et les productions furent stoppés (article 6 - La fabrication de nouveau matériel de guerre en territoire non occupé devra cesser immédiatement. Article 13 - Le gouvernement français s'engage à veiller à ce que, dans les territoires à occuper par les troupes allemandes, toutes les installations, établissements et stocks militaires soient remis intacts aux troupes allemandes). Les conventions passées avec l'occupant stipulaient la déclaration de l'ensemble de ce programme et des recherches menées jusque là. Nous verrons qu'un débat fut engagé pour tenter de préserver les travaux réalisés au Bouchet depuis les années 1920 jusqu'en 1940. Le gouvernement de Vichy, engagé dans la collaboration, choisit de livrer les archives du Bouchet à l'Allemagne.

L'ampleur de la production de gaz de combat fut ainsi révélée à l'Allemagne, mais il semble qu'une partie des avancées et des recherches menées purent être préservée.

Les Ypérites épaissies furent préparées ultérieurement par les Anglais et les Allemands, laissant supposer que certains secrets furent transférés jusqu'en Angleterre et que les armées d'occupation allemande aient pu également mettre la main dessus.

La trichloréthylamine fut également préparée par l'Allemagne après 1940 et après que les troupes allemandes aient mis la main sur une partie des travaux français. Elle pris le nom de code de Stickstoff-Lost ; sa production n'atteignit pas plus de 2000 tonnes. Elle fut chargée en obus et en rockets. 

Des études sur la DM avaient également été entreprises par de nombreuses nations, comme l'Allemagne, l'Angleterre, la Russie et les Etats-unis. Mais l'efficacité et la facilité de production des engins Z5 fut reconnue par l'Allemagne et l'Angleterre. Les anglais adoptèrent les chandelles Z5 et leur mode de fabrication (Dm coulée à froid avec du perchlorate d'ammoniaque et du sirop d'urée Nobel) et les Allemands fabriquèrent des engins similaires de 3 et 16kg.

 

 

Sauvegarde de documents par le résistant Norbert Casteret :

 

Dès novembre 1939, il a été chargé de mission secrète par le colonel Fauveau, directeur de la poudrerie nationale de Toulouse, aux fins d'indiquer des cavernes susceptibles d'abriter la production et les stocks considérables de la poudrerie.

Après plusieurs entrevues à Saint Gaudens et à Toulouse, et diverses visites de cavernes, la grande grotte de Bédeilhac (Ariège), fut retenue comme étant la plus appropriée. En définitive, cette grotte ne fut pas utilisée par la poudrerie, mais par l'usine d'aviation Dewoitine, qui y effectua des travaux considérables.

En juin 1940, il fut chargé de mission par le Service des Poudres (mission secrète émanant du Capitaine Robert Clavier, adjoint au Directeur du Service central des Constructions des Poudres de Montauban) qui lui remit trois grands sacs caoutchoutés, ne devant absolument pas être détruits (documents secrets uniques), et ne devant à aucun  prix tomber aux mains de l'ennemi.

Ces documents très précieux furent cachés au fond du gouffre d'Esparros, par Norbert Casteret et son ami Germain Gattet, directeur de l'usine de chlore de Boussens (Haute Garonne). Cette mission, confiée par le Capitaine Clavier, de Paris, fut exécutée dans la nuit du vingt-cinq au vingt-six juin 1940.

Les dépôts furent surveillés, probablement à plusieurs reprises ; "1er février 1941. En auto avec M Gattet et colonel Carton. Les sacs en caoutchouc sont en parfait état (...)".

En février 1941, Norbert Casteret fut pressenti par les officiers du 2° Hussards de Tarbes, désireux de cacher dans des grottes un important stock d'armes et de munitions, pour les soustraire à l'ennemi, et s'en servir au moment voulu. Après plusieurs entrevues et visites de cavernes, le grotte de Montsaunès fut retenue, et dans la nuit du dix-sept au dix-huit février 1941, avec l'aide de vingt officiers en civil, quatre camions amenèrent à pied d'œuvre les caisses d'armes et de munitions. Ces caisses furent portées à bras et cachées dans la grotte, dont l'orifice d'entrée, assez étroit, fut ensuite bouché et éboulé. Ce stock de seize tonnes resta de longs mois sous terre, jusqu'au jour où il fut exhumé pour l'armée de la Résistance.

En mars 1941, une opération analogue à la précédente a été effectuée dans un gouffre de la région de Cahors, grâce à la participation et au matériel d'échelles de corde de Norbert Casteret (toujours pour le 2° Hussards).

En décembre 1943, Norbert Casteret fut sollicité d'indiquer des grottes pouvant servir à entreposer des armes parachutées pour le maquis. Il montra diverses grottes à Messieurs  Cauchois et Schneegans au cours d'une randonnée, destinée entre autres à fixer divers emplacements pour le parachutage d'armes et de munitions.

En outre, Norbert Casteret aida plusieurs jeunes gens réfractaires au STO, par ses conseils judicieux (témoignage de Georges Fouet), et il cacha et abrita certains maquisards (dont  Marcel Loubens, passeur de France en Espagne), chez sa propre mère, madame Casteret, à Saint Gaudens.

A la Libération, Norbert Casteret, comme beaucoup de braves gens à ce moment-là, fut importuné, et subit le fruit de la jalousie de certaines personnes malveillantes. Il fut défendu et protégé par Maître Armand de Bertrand Pibrac, avocat à Saint Gaudens, et monsieur  Dautrème, sous-préfet de Saint Gaudens sous le régime de Vichy, mais en même temps grand résistant, immatriculé à l'Armée Secrète. Norbert Casteret subit deux incarcérations  successives, sans vouloir trahir le secret des documents qui lui avaient été confiés, et qui étaient toujours cachés au fond du gouffre d'Esparros. Enfin, conseillé par ses défenseurs, il finit par révéler ces missions secrètes. Accompagné du sous-préfet et d'agents de police  armés, ils descendirent au fond du gouffre. Au vu des documents, en parfait état de conservation, estampillés « Secret Défense », il fut immédiatement libéré. Plus tard, à l'occasion de la   remise de la décoration de la Légion d'Honneur, octroyée par le Président Vincent Auriol, il fut réhabilité par la ville de Saint Gaudens, dans une grande liesse populaire.

Le procès-verbal permet de connaître succinctement la nature des documents : 

- 6 presses à filer de 1 100 tonnes (Ste Livrade)

-Dossier concernant la fabrication du produit n°5 et produit G (gaz suffocant).

- Plan de meule

- Poudres et explosifs

- Plan de matériel de poudrerie

- Tolite et trinito-anisol

- Mélinite téthyle

- Penthirite - pentolite

- Hexogène

- (...)

Les documents furent récupérés le 25 mai 1945, en présence du Colonel Carton et de Mr Gattet.

 

Source : http://norbertcasteret.net/le-patriote et archives familiales Casteret.

 

 

La France et la paternité des recherches sur l'arme atomique.

Les recherches concernant la fission atomique existaient très probablement dans plusieurs pays, avant la seconde guerre mondiale. Les recherches en France étaient menées par une équipe du Collège de France, constituée par MM. Hans Heinrich von Halban, Jean-Frédéric Joliot, Lew Kowarski et Francis Perrin.

Ils réussirent à mettre en évidence la fission de l'uranium et la possibilité de produire une réaction en chaîne. Cinq brevets furent déposés, entre le 30 avril 1939 et le 4 mai 1939, qui couvraient le descriptif de différents types de réacteurs atomiques, l'interruption de la réaction en chaîne, le calcul du réseau au coeur des réacteurs hétérogènes, et particulièrement un décrivait le principe d'une bombe atomique. 

Rapidement, l'armée décida de financer les travaux en mettant l'accent sur le développement "d'un processus de libération brutale de l'énergie atomique avec des effets dépassant infiniment ceux des explosifs puissants", une bombe atomique. Le projet fut nommé "La grande expérience" et avait comme but d'aboutir à l'explosion de la première bombe à uranium dans un centre d'expérimentation secret, nommé CESP de Béni-ounif, alias B2-Namous... Des essais d'utilisation d'eau lourde devaient être entrepris quand l'Armistice et la défaite mirent fin, provisoirement, au travaux sur le sol français.

 

 

 

 

 

 

 

Documents :

Compte-rendu d'une visite au 4iem groupe Autonome d'artillerie à Bruyères.

 

Lettre du général d’armée Besson au Général Commandant en chef, relative à l’emploi de substances toxiques (pages 1 à 3) 

 

 

IV) 1940, la débâcle et l’Armistice.

 

 

L’Armistice signé le 22 juin 1940 entre le gouvernement français de Pétain et le troisième Reich met fin aux hostilités militaires. Un Armistice est également signé avec l’Italie fasciste le 24 juin1940, et met fin à la déclaration de guerre de l’Italie du 10 juin 1940.

La France est découpée en trois zones : la zone d’occupation allemande, la zone d’occupation italienne et la zone libre. Pratiquement tous les stocks d’armes chimiques se trouvent, après parfois un déplacement précipité en mai-juin 1940, en zone dite libre ou en zone Italienne (l’Italie ayant déclarée la guerre à la France la 10 juin 1940, alors que la situation de cette dernière était perdue).

Selon les clauses de l’Armistice, les matériels et les stocks d’armes chimiques sont à remettre aux autorités allemandes et italiennes. Les discussions et négociations pour la mise en œuvre des conditions imposées par l’ennemi, opposent la Commission Allemande d’Armistice (CAA), la Commission Italienne d’Armistice (CIA), chargées de l’application de la convention de l’Armistice (sous l’autorité du Haut Commandement allemand) à une délégation française nommée par son gouvernement et représentant ses intérêts.

   

Article 6 - La fabrication de nouveau matériel de guerre en territoire non occupé devra cesser immédiatement.

Article 13 - Le gouvernement français s'engage à veiller à ce que, dans les territoires à occuper par les troupes allemandes, toutes les installations, établissements et stocks militaires soient remis intacts aux troupes allemandes.  

 

Le sort des gaz de combat est réglé par la note 121/40 du 5 août 1940 ; « La totalité des produits chimiques de guerre (munitions, appareils et produits toxiques) y compris les produits bruts, devront être livrés ». Cela inclut, malgré quelques protestations françaises, l’ensemble des stocks existants et évidemment ceux qui avaient été mis à l’abri en zone libre.

L’ensemble des munitions toxiques et des produits spéciaux restent donc dans leurs établissement, jusqu’à ce qu’une Commission de contrôle allemande ou italienne vienne sur place et désigne les produits à livrer. La Commission allemande demande ainsi que lui soit établi un inventaire des dépôt existant, des stocks, des usines ayant fabriqué ces produits et des appareils pouvant servir à leur usage, en territoire occupé et non-occupé.

Cet inventaire va être établis par les autorités françaises pour être communiqué aux armées allemandes et italiennes. Il est intéressant de noter que certains dépôt sont, très probablement, volontairement omis. Par exemple, les stocks de produits nouveaux de la poudrerie de Boussens seront découverts par les allemands fin septembre 1940 ; ils en demanderont la livraison. Le Service des poudres expliquera ainsi qu’ils avaient été considérés comme échantillons et donc non déclarés. Le différentiel entre les quantités de munitions chimiques disponibles en mai 1940 et celles déclarées après l’Armistice, laisse apparaître parfois des quantités de munitions manquantes.

 

 

Etat des stocks de munitions chimiques en Zone libre et Zone d’occupation Italienne - différentiel
Chargement Calibre Stock 1930 Stock Mai 1940 Déclaration à la CAA, Post juin 1940
N°5 phosgène 75 1.053.530 996.300 1.027.389
N°5 phosgène 105 0 38.100 35.526
N°5 phosgène 120 70.094 66.628 66.628
N°5 phosgène 145 76.625 76.193 76.193
N°5 phosgène 155 0 394.991 411.094

N°20 Ypérite

1914-1918

75 897.152 784.600

N°20 Ypérite

1939-1940

75 551.135 748.660

 

N°20 Ypérite

1914-1918

105 19.532 19.080

N°20 Ypérite

1939-1940

105 51.758 19.940*

N°20 Ypérite

1914-1914

155 579.932 121.040

N°20 Ypérite

1939-1940

155 92.632 9.300*
Divers 75 233.882 108.391
Divers 120 36.100 35.829
Divers 155 62.721 62.716
Bombes d’aviation de 200kg 16.100 18.089
Engins Z5

19.000

+36.000 en cours de livraison

20.296
Etat des stocks de munitions chimiques en Zone d’occupation Allemande
N°20 Ypérite 1939-1940 105 et 155 80.000 à 100.000
* il faut y ajouter les 80.000 à 100.000 obus de 105 et 155 du dépôt du bois de Leyde, situé en zone occupée.

   

 

 

Etat des dépôts d'armes chimiques après juin 1940

Dépôt Calibres Quantité Tonnage
La Ferté-Hauterive Cartouches de 75 n°5 (phosgène)   621.252 Dirigés vers l’Allemagne  
Obus de 75 n°5 (phosgène)   406.137 Dirigés vers l’Allemagne  
Obus de 105 n°5 (phosgène)   11.650 Dirigés vers l’Allemagne  
Obus de 120 n°5 (phosgène)   66.628 Dirigés vers l’Allemagne  
Obus de 145 n°5 (phosgène)   76.193 Dirigés vers l’Allemagne  
Obus de 155 n°5   326.038 Dirigés vers l’Allemagne  
Obus de 75 non encartouchés de 14-18   108.400 Une partie noyées en mer à Toulon, une autre déchargée, une troisième disparue.  
Obus de 120 de 14-18   35.900 Une partie noyées en mer à Toulon, une autre déchargée, une troisième disparue.  
Obus de 155 de 14-18   63.000 Total n°5 : 28.900 tonnes Une partie noyées en mer à Toulon, une autre déchargée, une troisième disparue.  
Bouteilles de 4l d’Ypérite 17.676 86.9 tonnes Déchargées et envoyées à Angoulême  
Dépôt de Pognat (Allier)   Obus de 105 n°5 (phosgène)   23 576   Dirigés vers l’Allemagne
Obus de 155 n°5 (phosgène)   85 056   Tonnage : 4 300 tonnes soit 11 trains   Dirigés vers l’Allemagne
Dépôt de Chavanon (Corrèze)   Engins Z5   9 504   215 tonnes   Dirigés vers l’Allemagne
Dépot de Durbans par Assier (Lot)   Engins Z5   9 293   210 tonnes   Dirigés vers l’Allemagne
Grenades d’aviation   581 000   210 tonnes Noyées en mer à Toulon  
Dépot de Plaisance (Landes)   Engins Z5   1 499   35 tonnes Dirigés vers l’Allemagne
Bombes de 200kg (phosgène)   18 089 5 000 tonnes   ?
Pont de Claix (Isère)   Grenades d’aviation   247 300 Grenades fuyardes enfermées dans une fosse cimentée étanche.  
Obus de 75 n°20 (Ypérite)   10 150 Déchargés sur place 
Obus de 155 GP n°20   3 400   Déchargés sur place  
Obus de 75 n°20 de 14-18   784 600 En partie déchargés sur place.  
Obus de 105 n°20 de 14-18   19 080  En partie déchargés sur place
Obus de 155 n°20 de 14-18   121 040   Total 14-18 : environ 10.000 tonnes En partie déchargés sur place
Fûts d’Ypérite   1.693   260.6 tonnes   Envoyés à Angoulême sauf 17t.  
Dépôt de Saint Ours les Roches   Obus de 75 n°20   650 000 Plus de 6.500 tonnes.   Noyés en mer à Toulon.  
Poudrerie de Sainte- Livrade   Obus de 75 n°20   42 500  300 tonnes Noyés en mer à Toulon.  
Poudrerie de Boussens   Ypérite 1012   71 fûts   Dirigés vers l’Allemagne
Ypérite en provenance d’autres poudreries 24 fûts   12 tonnes d’Ypérite au total Dirigés vers l’Allemagne
V201   788kg   Dirigés vers l’Allemagne
Sulfol   197 fûts Dirigés vers l’Allemagne
Marsite 170 tonnes   Dirigés vers l’Allemagne
886   467kg   Dirigés vers l’Allemagne
Lannemezan (atelier de chargement) Ypérite   320 tonnes   Noyés en mer à Sète en août 1940 par le Prado.  
DM   88 tonnes   Dirigés vers l’Allemagne  
Munitions diverses chargées en DM   120 tonnes   Dirigés vers l’Allemagne
Phosgène en bouteilles de 33l.  
Poudrerie de Sorgues   DM   6 tonnes Dirigés vers l’Allemagne
Dépôt du bois de Leyde (zone d’occupation allemande)   Ypérite   80.000 à 100.000 obus de 105 et 155   Environ 4.000 tonnes Restera en l’état.  
60.700 tonnes

 

Selon les chargements, les autorités d’occupation vont définir le sort à donner aux différents stocks chimiques. La priorité fixée par les troupes d’occupation est de faire rapidement disparaître les munitions présentant un intérêt militaire, des régions de la zone libre.

Les stocks présentant un possibilité de réutilisation par l’armée allemande seront dirigés vers l’Allemagne. C’est le cas des stocks et des munitions chargées en phosgène qui seront récupérées (à l’exclusion de 700 tonnes destinées à l’industrie française, le restant représentant 1.616.530 coups soit 32 000 tonnes), comme ceux de DM (Admasite, 120 tonnes de munitions diverses et 88 tonnes de DM à Lannemezan, 8 tonnes à la poudrerie de Sorgues), ceux de V.201 (Lewisite), de 1031 (chloracétophénone) et de 886 (trichloroéthylamine).

 

 

Initialement, les stocks et les munitions chargées en Ypérite n’auront pas pour fonction d’être récupérés (note 2308/40 du 19 décembre 1940), mais d’être simplement détruits par immersion en mer.

Devant la masse considérable de métal que ces munitions représentent et la quantité de matières chimiques qu’ils renferment, le gouvernement français va négocier un recyclage de la plus grande quantité possible des ces obus, pour en récupérer le métal et  transformer l’Ypérite qu’ils contiennent en taurine, un produit détersif inoffensif, ayant pour vocation d’être ensuite transformé en savon (initialement prévu à la poudrerie de Sorgues).

Malgré les efforts de la Délégation française, la Commission Allemande d’Armistice voulu faire disparaître au plus vite les stocks et les munitions de la zone libre. Suite à une réunion menée à Paris entre le colonel von Horn et des représentants français (Inspecteur général Blanchard, directeur des Industries chimiques, Monsieur Desmaroux et l’Inspecteur général de Varine), elle ordonna ainsi, dans une note du 21 mars 1941, la destruction de tous les obus de 75mm chargés en Ypérite de la zone d’occupation allemande, par noyage à Toulon (46.072 coups de la Ferté Hauterive, 650.000 de Saint-Ours-les-Roches et 42.500 de Sainte-Livrade).

 

Quand à la transformation de l’Ypérite et aux déchargement des obus, elle l’accepta sous réserve que cela se fasse en zone occupé, à la poudrerie d’Angoulême, et non à Sorgues.

La Commission italienne donna également son accord en avril 1941, pour le déchargement des obus en Ypérite existant à Pont de Claix.

Les munitions pour lesquelles un déchargement était envisageable seront déchargées pour en récupérer leur contenu et le métal de leur enveloppe. Les autorités d’occupation vont fixer une date butoir au 30 juin 1941. Au delà de cette date, le restant devait être immergé en mer. Mais le programme de transformation d’Ypérite va prendre énormément de retard et les Allemands comme les Italiens accepteront que les stocks attendent d’être traités, sous condition qu’ils soient rapatriés en zone occupée. C’est ainsi que de nombreuses munitions et quasiment la totalité des stocks non chargés de la zone sous contrôle allemand, seront dirigés vers la poudrerie d’Angoulême dans l’attente de leur traitement à partir d’avril 1941. Mais les retards vont continuer de s’accumuler, si bien qu’une partie seulement sera transformée d’ici la fin du conflit.

 

En juin 1941, les obus n°20 de la Ferté Hauterive quittent le dépôt pour rejoindre la poudrerie d’Angoulême, en vue de leur déchargement (19.920 105mm, 34.080 155mm non GP, 5.900 155mm GP). En janvier 1942, seulement 6.172 155mm et 4.440 105mm avaient été déchargés, quand des tensions naissaient suite à la revendication de l’Allemagne sur le métal des obus déchargés (350 tonnes) et leur enlèvement. La Commission allemande décida de stopper les opérations de déchargement, et nous ignorons si elles furent reprises par la suite. Un document datant du début de 1944 laisse à supposer que les stocks étaient toujours présent sur le site d’Angoulême, qui fut bombardé et en partie détruit en mars 1944.

 

A l’atelier de chargement de Pont de Claix, en zone d’occupation italienne, le programme de déchargement avait déjà débuté en août 1941 (3.483 obus de 155 et 11.592 obus de 75, pour 17,5 tonnes d’Ypérite). Il sera finalisé quelques mois plus tard, pour les obus à chargement récent. Puis, en avril 1942, débutait les essais de récupération de l’acier des obus de 14-18 (900.000 obus). Les obus étaient passés, après démontage des gaines, dans un four chauffé à 700°C dans lequel l’Ypérite était brûlée. Des problèmes techniques se posèrent immédiatement avec les gaz corrosifs qui s’échappaient du four et qui le rendait rapidement hors d’usage. Le programme initial du traitement de 6000 obus par jour (qui nécessitait la bagatelle de deux années pour arriver au bout des 900.000 coups) fut immédiatement jugé comme bien trop optimiste. Il semble même qu’il ait été abandonné jusqu’en janvier 1944 où l’Italie dépêcha sur place des ouvriers pour reprendre le travail de déchargement, qui ne fut jamais conduit au bout.

 

Toutes les munitions datant de la Première guerre mondiale, non chargées en Ypérite, devaient être simplement détruites par noyage en mer (chargées en produit 4B, chlorure de cyanogène et chlorure d’arsenic, en produit 7, chloropicrine et produit 16, sulfate de diméthyle). Ne présentant aucune valeur militaire, le gouvernement français demanda et obtint de pouvoir démonter et récupérer le contenu des obus chargés en composé n°7 (chloropicrine et tétrachlorure d’étain) de moyen calibre, pour en récupérer la chloropicrine à des fin de désinfection. La solution fut acceptée pour les calibres supérieurs au 75mm et l’opération menée à l’ERG de la Ferté-Hauterive. Sur le lot, près d’un millier de munitions ne pourront être démontée et seront noyées à Toulon en février 1942. Au final, les archives dont nous avons pu disposer, ne permettent de constater l’immersion que de 91.613 projectiles chargés en 4B ; nous ignorons le sort donné aux munitions chargées en n°16 et aux calibres de 75mm chargées en n°7.

 

Devenir des Munitions issues de la Première Guerre mondiale

Produit

Calibre

Quantité

 

N°4B Chlorure de cyanogène et chlorure d’arsenic

75

91.613

Immergées (réalisé en juillet 41) à Toulon

N°16 sulfate de diméthyle et chlorhydrine sulfurique

75

3.425

Initialement destinées à être Immergées (?).

N°16

155

265

Initialement destinées à être Immergées (?).

N°7 chloropicrine et tétrachlorure d’étain

75

5.433

Initialement destinées à être Immergées (?).

N°7

120

35.829

Démontés et déchargés

N°7

155

62.088

Démontés et déchargés

N°20

75

784.600

Programme de récupération à Pont de Claix.

N°20

105

19.080

Programme de récupération à Pont de Claix.

N°20

155

121.040

Programme de récupération à Pont de Claix.

 

   

Stocks d’Ypérite en vrac à l’Armistice selon déclaration à la CAA.

 

 

Lieu

Kg

 

 

 

Ypérite

Fûts

Pont de Claix

149.280

1244 fûts de 110l

Au trichloréthylene

Tous vers Sorgues

 

 

 

33.120

138 f de 120l

A l’ortosol

 

 

 

 

67.200

278 de 220l

CCl4

 

 

 

 

8.000

33 de 220l

Allemands, résidus visqueux

5200kg

 

 

Boussens

12.000

fûts

Produits goudronneux

5000kg

 

 

Sorgues

  279 t

 

 

 

 

 

 Munitions chargées en Ypérite à l'Armistice

 

 Chargement

  Dépôt

Quantités

Poids d’Ypérite tonnes

 

 

Grenades d’aviation

 

0,14 Litres

Dépôt de Durban à Assier

581 000

100 tonnes

  (y20)

immergés

Grenades d’aviation

 

0,14 Litres

Pont de Claix

(Isère

247 300

42,5 tonnes

  (y20)

Conservées en cuve étanche.

Obus de 75

0,43 Litres

La Ferté

46 072

24,3

Encartouchés (y20)

Immergés

Obus de 75

 

Pont de Claix

10 160

5,3

Encartouchés (y20)

Sorgues

Obus de 75

 

Saint-Ours les Roches

650 000

 

343,7

Encartouchés (y20)

immergés

Obus de 75

 

Sainte-Livrade

42 500

22,3

Encartouchés (y20)

A détruire, Ypérite acide attaquant le fer. Immergés

Obus de 105

1,175L

La Ferté

19 940

28,8

  (y20)

Angoulême

Obus de 155 non GP

2,5L

La Ferté

34 100

104,8

  (y20)

Angoulême

Obus de 155 GP

3L

La Ferté

5 900

21,7

  (y20)

Angoulême

Obus de 155 GP

3L

Pont-de-Claix

3 400

12,5

  (y20)

Angoulême

Bouteilles

4L

La Ferté Hauterive

17 676

86.9

  (y20)

Angoulême

 

Obus de 14-18 : 75

 

Pont-de-Claix

784 600

415

 

 

Obus de 14-18 : 105

 

Pont-de-Claix

19 080

27

 

 

Obus de 14-18 : 155

 

Pont-de-Claix

121 040

370

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les immersions :

 

Presque immédiatement après l’Armistice, dès le 29 juillet 1940, la destruction du stock d’Yperite de Lannemezan va être envisagée par les autorités françaises, « en raison de l’état dans lequel se présente aujourd’hui cette Ypérite, en raison des émanations dangereuses provoquées par les grosses chaleurs ». Après avoir hésité à faire disparaître le dépôt à l’insu des Commissions d’Armistice, la délégation française en fit finalement la demande le 31 juillet 1940. La Commission allemande donna son approbation et dépêcha deux officiers allemands pour faire des prélèvements et s’assurer de l’immersion des 360 tonnes. La méthode d’immersion en mer avait été utilisée après le Premier conflit, pour se débarrasser de stocks encombrant ; c’est donc avec cette solution qu’on décida de faire disparaître les stocks de 1940. Il n’existait évidemment aucun frein écologique à cette époque, à immerger de la sorte des milliers de tonnes de toxiques chimiques. Le 15 août, les deux officiers allemands étaient sur place pour réaliser leur mission et l’immersion fut réalisée avant la fin du mois.

 

La solution étant peu coûteuse, on décida de traiter de la sorte tous les lots destinés à être détruits. La priorité fut donné aux grenades d’aviation chargées en Ypérite, qui présentaient des problèmes de fuite. Le premier stock était situé à l’atelier de chargement de Pont de Claix. Le nombre de grenades fuyardes était tellement important que l’on avait fini par les enfouir dans une fosse en béton spécial étanche. 247.300 y étaient stockées et devant le risque que présentait l’ouverture de la fosse, on décida purement et simplement de les laisser sur place.

On traita donc le dépôt de Durbans par Assier où l’on transporta 581.000 grenades (210 tonnes) vers Toulon en avril 1941. Le problème des grenades fuyardes se présenta à nouveau, et il fallut enfouir sur place, dans un sol rocheux, 100 caisses de deux chargeurs soit 11.000 grenades. Les premiers largages en mer révélèrent un problème sérieux ; les caisses de chargeurs ne coulaient pas, elle flottaient, tout comme les chargeurs extraits de leur caisse. Il fallait donc sortir les chargeurs des caisses, les percer aux deux extrémités avec tous les risques que cela représentait, pour s’assurer qu’ils coulent vers le fond. Les caisses devaient ensuite être brûlées pour éviter toute contamination. Finalement, l’opération qui devait prendre trois jours se poursuivi sur près d’un mois.

Les immersions se poursuivirent mais dès le mois de juin, un nouvel incident vint perturber le programme. Une pénurie de chaland dans le port de Toulon, contraint à réduire les cadences de deux à un convoi par semaine. Malgré tout, les chalands vont se relayer jusqu’au mois d’octobre 1941 pour noyer l’ensemble des munitions prévu, soit 650.000 obus de 75mm de Saint-Ours-Les-Roches (6.500 tonnes), 42.500 obus de 75mm de Saint-Livrade (300 tonnes), 46.072 obus de 75mm chargés en Ypérite et 91.613 obus de 75mm chargés en 4B de La Ferté Hauterive (350 tonnes et 700 tonnes). Si les 18.000 bombes de 200kg chargées en phosgène du dépôt de Plaisance (5000 tonnes) figurent bien au programme de destruction de 1941, nous n’avons pas pu trouver de document attestant leur acheminement vers Toulon ; nous ignorons leur sort.

Finalement, les 924.720 obus de la Première guerre chargés en Ypérite, représentant 10.000 tonnes, ne seront pas noyés. En Avril 1941, sollicité par les autorités françaises, la Commission d’Armistice Allemande autorisa des essais de déchargement des calibres de 75, 105 et 155mm. L’opération fut programmées à Pont de Claix, qui possèdait le matériel nécessaire pour les importants stocks laissés sur place (zone sous contrôle italien), et toutes les munitions de la Ferté Hauterive seront dirigées vers la poudrerie d’Angoulême (zone sous contrôle allemand) pour y être déchargées. Cependant, en juin 1942, il semble que seulement 6.172 obus de 105 et 4.440 obus de 105, provenant des chargements les plus récents, avaient été traités à Angoulême, laissant envisager un énorme retard dans le programme.

 

Ci-dessus : Arsenal de Toulon en 1942.

 

Vue moderne de l'Arsenal de Toulon.

 

Immersion de munitions réalisées à Toulon

Origine

Type

Chargement

Quantités

Poids

Durbans par Assier

Grenades d’aviation

Ypérite

581.000

210 tonnes

Saint Ours les Roches

Obus de 75mm

Ypérite

650.000

6.500 tonnes

La Ferté Hauterive

Obus de 75mm

Ypérite

46.072

350 tonnes

La Ferté Hauterive

Obus de 75mm

4B

91.613

700 tonnes

Saint-Livrade

Obus de 75mm

Ypérite

42.500

300 tonnes

 

8.060 tonnes

 

 

 

 

 

 

 

 

La production secrète d'Ypérite belge rapatriée sur le territoire français.

Le programme chimique belge est très peu connu. Il a pourtant débuté au milieu des années 1920-1930. Son versant offensif est encore pratiquement resté secret. Un atelier de production avait été installé dans la forteresse de Steendorp, qui rentra en phase de production probablement vers 1935. Il y fut produit, de façon épisodique, de l'Ypérite, de l''adamsite (DM ou marsite),de la chloropicrine. Les premières production d'Ypérite utilisèrent la méthode de l'éthylène et du bichlorure de soufre, puis ultérieurement, celle au thiodiglycol de provenance française (ce qui laisse supposer une collaboration active entre les services chimiques des deux pays). La dernière méthode présentait l'avantage de produire une Ypérite qui résistait au temps une fois chargée dans des projectiles. Les stocks chimiques étaient ensuite transférés à la forteresse de Zwijndrecht où ils pouvaient être chargés en projectiles. Des essais de projectiles chimiques à dépotage et chargés en DM sont décrits sur le camps militaire de Beverlo.

Quand l'Allemagne envahie la Belgique en 1940, les stocks de Steendorp furent évacués en secret et en catastrophe par train, pour rejoindre la France. Ils furent envoyés aussi loin que possible de la ligne de front, de façon à garder le secret du programme belge. Ils furent certainement cachés à Boussens ou à Lannemezan. Pas pour longtemps, puisque la France envahie à son tour fut contrainte à divulguer les lieux où des agressifs chimiques se trouvaient sur son territoire. Mais selon les documents que nous avons pu étudier, il ne semble pas que le secret du programme chimique belge ait été connu des services allemands.

 

 

 

Les différents dépôts :

 

La plupart des dépôt furent vidés de leurs contenus. Parfois, des munitions fuyardes intransportables furent enterrées sur place, comme les 11.000 grenades à Durbans sur Assier, des bombes au phosgène à Plaisance (une centaine), des engins Z5 à Chavanon et à Plaisance. Des restes d’Ypérite à Lannemezan furent également détruits à l’atelier de chargement (5 tonnes stockées dans des récipients non étanches). Après l ‘occupation de la zone libre par l’Allemagne en novembre 1942, les lieux de regroupement d’armes chimiques semblent ne plus avoir fait l’objet de déplacement. Nous avons vu que la poudrerie d’Angoulême fût détruite par bombardements en 1944, dispersant probablement sur place les munitions d’Ypérite qui s’y trouvaient. Le dépôt du bois de Leyde est resté en l’état et il subsiste encore en partie aujourd’hui. Nous sommes incapable aujourd’hui d’évaluer la quantité restante d’obus d’Ypérite restant à Pont de Claix à la libération ; ils ont probablement fait l’objet d’un noyage en mer dans les années 1960. Les grenades chargées en Ypérite sont peut-être encore aujourd’hui dans leur fosse étanche.

L’Entrepôt général de la Ferté Hauterive fut vidé de ses munitions chimiques en 1941 ; il servit au déchargement des obus n°7, au transvasement des bouteilles d’Ypérite de 4 litre, puis au rassemblement des munitions fumigènes. En novembre 1942, suite à l’occupation de la zone libre, les Allemands occupèrent à nouveau l’entrepôt et continuèrent l'évacuation des munitions à chargement spécial en créant un dépôt de ces munitions dans la forêt de JALIGNY. L'ERG fut alors transformé en dépôt de munitions de toutes natures. Fin Août 1944, les Allemands quittèrent l'entrepôt, firent sauter la presque totalité des munitions allemandes alors entreposées. L'Etablissement fut détruit à 80%.

Les autorités allemandes, constatant l’importance du programme chimique français, vont tout faire pour se l’approprier, pour récupérer ses stocks, sa production et même sa participation à la production aux armes chimiques allemandes.

 

Le cas des travaux et des archives du Centre d’Etudes du Bouchet.

 

Le Centre d’Etudes du Bouchet dirige l’ensemble des études, des essais et des recherches sur les armes chimiques et bactériologiques depuis les années 1920.

En 1940, à la mi-mai, devant la tournure tragique prise par la campagne militaire, la décision fut prise d'évacuer le centre d'études du Bouchet, les chercheurs, leur matériel et l’ensemble des archives dans le sud de la France, en lieu sur. Deux centres de replis avaient été définis par avance : la poudrerie de Toulouse ainsi que l'école d'agriculture et l'institut de biologie de Montpellier. Le projet visait à protéger les recherches hautement stratégiques sur l'arme chimique, de l'ennemi.

Au 13 juin, la poudrerie et le centre d'étude avaient quittés le Bouchet, les bâtiments étant abandonnés. Le service de production avait été redéployé à Toulouse, les recherches à Montpellier.

Le 23 juin 1940, dix jours après et lendemain de la signature de l’Armistice avec l'Allemagne, les troupes allemandes prennent possession du Centre d’Etudes du Bouchet à Vert-le-Petit dans l’Essonne et pillent consciencieusement ses locaux. Il est probable que ce ne fut qu'à partir de ce moment que les autorités allemandes prirent conscience de l'intérêt du site. Progressivement, au fur et à mesure de leurs découvertes, leur objectif devint de mettre la main sur les recherches françaises concernant la guerre chimique. Sur place, tout avait été soigneusement épuré et l'occupant ne trouve que des documents ne présentent aucun intérêt. Les autorités allemandes ne souhaitent cependant pas en rester là et procèdent à différents recoupement pour poursuivre leurs investigations. L'article 6 de la convention d'Armistice signée le 22 juin leur permettait de mettre la main sur le matériel emporté en zone libre : « les armes, munitions et matériel de guerre de toute espèce restant en territoire français non occupé, dans la mesure où ceux-ci n’auront pas été laissés à la disposition du gouvernement français pour l’armement des unités françaises autorisées, devront être entreposés ou mis en sécurité respectivement sous contrôle allemand ou sous contrôle italien (...)»

 

Ci-dessus : Pierre Gavaudan, directeur du Service de biologie cellulaire des Services Chimiques de l'Etat au Centre d'études du Bouchet en 1940, docteur en Pharmacie.

   

 

 

 

A cette époque troublée, personne du côté français ne souhaite divulguer la destination prise par le matériel et les archives du centre d'études.

Seulement, le 9 septembre 1940, une inspection surprise de la Commission allemande d’Armistice, est menée à Montpellier, à l’école d’Agriculture, et se dirige directement vers le Centre du Bouchet qui y est dissimulé. L’ingénieur en chef Robin, qui dirige le centre, est prévenu par téléphone quelques minutes plus tôt et reçoit la Commission dans son bureau.

Les questions allemandes sont directes : où sont les établissements occupés par le Bouchet, ses chercheurs, ses travaux, son matériel et ses archives. Robin proteste mais la Commission dirigé par l’hauptmann Opale, lui oppose le point de vue des autorités allemandes ; tout le matériel destiné aux fabrications de guerre faisant partie d’un établissement situé en zone occupée, appartient ipso facto aux autorités allemandes d’occupation, même si ce matériel a été transporté en zone libre. Les archives et le matériel de laboratoire rentrent donc, selon l’hauptmann Opale, dans cette catégorie. Par ailleurs, précise t-il, cette thèse n’est pas nouvelle et était celle présentée après la Première guerre aux autorités allemandes par l’Etat français.

 

 

Il faut effectivement se rappeler que les négociations entre la France et l’Allemagne, après l’Armistice de 1919, avaient été difficiles et que l’Etat français avait exigé du gouvernement allemand qu’il divulgue les recherches et le mode de fabrication de toutes les préparations chimiques et substances toxiques, préparées ou utilisées au cours du conflit. De même que le fonctionnement de l’usine d’Oppau pour la synthèse de l’azote et surtout, la destruction de toutes les usines chimiques allemandes.

En 1919, la France tenait seule l’Allemagne comme responsable de l’utilisation de l’arme chimique, réfutant toute participation des armées françaises dans le développement de cette arme prohibée. Selon les autorités françaises, l’Allemagne devait payer le prix de cette violation unilatérale des traitées internationaux. Les tensions avaient été très vives et malgré les légitimes protestations allemandes, le texte avait été signé ainsi le 28 juin 1919.

Les négociations secrètes menées par la suite entre les intérêts allemands et le gouvernement français, avaient débouchées sur un accord entérinant la révélation des secrets de synthèse des usines allemandes de synthèse de l’ammoniac aux seules autorités françaises, contre l’abandon de l’exigence par les français de la destruction de l’industrie chimique allemande. Au final, aucun procédé ni aucune recherche sur l’arme chimique, autre que des banalités, ne furent révélés, en dehors du fonctionnement de l’usine de synthèse de l’ammoniac.

   

 

Ce 9 septembre 1940 à Montpellier, la Commission allemande manœuvre finement ; elle connaît parfaitement les limites légales de sa requête et sait qu’elle risque d’essuyer un refus des français ; c’est une esbroufe. L'article 6 de la convention est relativement flou, et son champ d'action ne s'étend qu'aux "armes, munitions et matériel de guerre", aucunement aux matériels servant la recherche.

Pour arriver à ses fins et espérer négocier un compromis, l'occupant décide donc la mise sous séquestre de toutes les archives et de tous le matériel de laboratoire, en attendant que la Commission d’Armistice statue sur leur devenir. Le matériel scientifique du Bouchet est essentiellement composé d’appareils modernes ultra-sophistiqués dont l’usage scientifique est fondamental pour la recherche française. Cette mise sous séquestre par les autorités allemande est évidemment complètement abusive, et n’a aucun autre but que de faire pression sur les autorités françaises.

La Commission allemande va encore exiger, avec insistance, pour procéder à l’inventaire de l’ensemble des archives, de connaître la destination du matériel et des archives secrètes qui ont quitté Montpellier par voie ferrée pour être mises en sécurité. Robin s’exécute et confie que le restant des archives est parti à la poudrerie de Toulouse. La Commission s’y rend expressément et le matériel et les archives de Toulouse subissent le même sort.

Le 22 octobre, une délégation allemande de la Commission d’Armistice, composée du capitaine Opale (Commission de contrôle d’Avignon), du lieutenant-colonel von Horn (Inspection de Bourges) et du professeur Jung se rend à Montpellier puis à Toulouse. Les autorités allemandes se montrent, cette fois-ci, beaucoup plus conciliantes et remettent à la disposition des français, tous les appareils scientifiques non dévolus aux recherches sur la guerre chimiques ainsi que toutes les archives administratives. Le lieutenant colonel von Horn ne dissimule pas alors son très vif intérêt pour les dossiers d’études du Bouchet conservés à Toulouse et propose alors, de façon officieuse, un marché. Il rappel que la Commission allemande d’Armistice n’a pas encore statué du devenir de ces archives mais que selon lui, il ne fait aucun doute qu’elle en exigerait la livraison. Il explique que l’intérêt qu’il porte à ces documents à pour origine d’être renseigné sur l’orientation des recherches au moment de l’Armistice, afin de prévoir dans quelle voie les Anglais pourraient chercher une arme nouvelle. Enfin, il propose qu’en échange d’une libre communication aux autorités allemandes, il puisse se porter garant du retour du Laboratoire central et de ceux du Bouchet dans leurs locaux respectifs. Mais il prévient que le temps presse, car la Commission allemande d’Armistice ne tardera pas à prendre sa décision et qu’il ne sera alors plus possible d’obtenir une contre-partie.

La proposition de von Horn remonte rapidement la voie hiérarchique jusqu’au Gouvernement français. La question est délicate car l’acceptation du marché irait à l’encontre des engagements officiels français de ne pas prêter son concours sur le développement de la guerre chimique ; il s’agirait d’un acte de collaboration notoire, qui pourrait fournir à l’occupant allemand un avantage décisif sur ses ennemies. Les archives du Bouchet sont d'un très haut intérêt stratégique, le fruit de vingt années de recherches dans un secteur du plus haut intérêt militaire.

 

L’ingénieur en chef Demougin, de la Commission de la délégation française à Wiesbaden fait plusieurs remarques, dans son compte rendu de la visite des 23 et 24 octobre, qui nous éclaire sur l’état d’esprit qui entoure cette problématique. Car il faut bien comprendre que sans le matériel de laboratoire et les locaux de recherche confisqués par les allemands, les chercheurs des Services des poudres, se retrouvent au chômage technique. Les ingénieurs du Bouchet consultés sur cette question par le Gouvernement français, vont livrer plusieurs informations dont les dernières paraissent surprenantes.

En premier lieu, ils précisent que des mesures exceptionnelles ont été prises pour préserver le secret absolu des rapports chimiques ; les documents anglais que possédait le Bouchet ont tous été détruit au moment de l’Armistice, comme ceux des recherches sur la guerre bactériologique ; il n’en subsiste à priori aucune copie. Les doubles conservés au Laboratoire Central des Poudres de Paris, malgré leur importance, ont également été détruits au moment de l’évacuation. Seuls les archives conservées à Toulouse subsistent. Elles sont censées y être protégées envers et contre tout. Mais voilà,  ils précisent également que selon eux, les études sur les gaz nouveaux ont portés sur des séries de corps qui, selon toute vraisemblance, ont également été étudiés en Allemagne, minimisant toutes les recherches conduites en France depuis vingt années. Toujours selon eux, les seules études qui pourraient êtres utiles à l’occupant sont celles concernant les perfectionnements pour la fabrication de produits agressifs et pour leur militarisation et leur mise en œuvre. Pourquoi autant de précautions si ces documents ne représentent que peu d’importance ?

 

Le 30 octobre, la Direction des services de l’Armistice informe la délégation française à Wiesbaden que, devant une question d’une telle gravité, une décision du gouvernement est nécessaire et que le général Huntzinger, Ministre secrétaire d’Etat à la Guerre, étant en déplacement, une décision sera prise seulement à son retour.

Du temps de gagné pour rien ; la décision du gouvernement tombe le 9 novembre 1940 ; la suggestion du colonel von Horn est retenue, toutes les archives du centre d’Etude du Bouchet seront rapatriées au Bouchet où les spécialistes allemands vont pouvoir les étudier. En outre, le directeur du laboratoire du Bouchet, Monsieur Kovache, est habilité par le gouvernement français pour répondre aux questions des experts allemands et pour leur donner tous renseignement sur le matériel de recherche et les comptes-rendus d’essais effectués. En échange, les Allemands libèrent le Laboratoire des Poudres de Paris et les laboratoires et bâtiments administratifs du Bouchet.

   

Le gouvernement de Vichy a t-il collaboré au réarmement chimique du troisième Reich ?

Suite à la décision du Gouvernement français, en novembre 1940,les Allemands mettent la main sur les vingt années de recherches françaises sur les armes chimiques d’un des pays le plus avancé dans le domaine, l’étude de plus de 1500 produits agressifs, de leur toxicité, leur militarisation, leur chargement, leur dispersion, leur pertinence tactique, leur synthèse et leur production industrielle. Egalement sur toutes les avancées dans le domaine de la protection contre les gaz de combat. Le tout avec le concours et l’appui du Gouvernement français.

 

Quelle est la valeur de cet apport pour les armées du troisième Reich ? Même si nous ne connaissons pas la teneur exacte des archives du Bouchet, un simple constat permet de répondre partiellement : à l’exception d’un seul,  tous les projets aboutis, les développements, les programmes industriels, les méthodes de synthèse, de production, de dispersion, mis au point au Bouchet, vont être adoptés par l’Allemagne.

 

Toutes les avancées sur l’Ypérite mises au point par le Centre d'étude du Bouchet furent adoptées : Ypérites épaissies et Ypérite au 1012 ainsi que leurs méthodes de synthèse et leurs méthodes d’épandage, pour une production d’Ypérite totale de 27000 tonnes par l’Allemagne à la fin du conflit.

A partir de 1943, l'Ypérite au 1012 fut adoptée par les chimistes d'outre-Rhin à la place de celle au thiodiglycol sous le nom de Direkt-Lost, code D. La chaîne de production alors réalisée possédait une capacité deux fois supérieure à celles construites à partir de 1936 (1500 tonnes/mois au lieu de 600 à 800 tonnes). 4110 tonnes de Direkt-Lost furent produits . Deux Ypérites épaissie furent également adoptées, à base de polystyrène (Z-OA 396 Zählost ou Ypérite vicieuse) et à base de solution de caoutchouc (Z-OM 8), deux avancées du Bouchet.

Les travaux systématiques sur les différents types d'Ypérite avaient probablement été réalisés en Allemagne, mais il est troublant de s'apercevoir que les travaux du Bouchet sur les sulfures aliphatiques halogénés, les polysulfures et les sesqui-Ypérites (toutes de la famille des Ypérites au souffre) trouvèrent tous des applications dans les différentes formes d'Ypérites adoptées par les armées du Reich (Ypérite à l'oxygène O-Lost code OB, Sesqui-Ypérite Sesquilost code DO, Propyl-Ypérite Propyllost et Trichloréthylamine ou Stickstofflost, code T9). 

L'Allemagne diversifia ses Ypérites pour en militariser un dizaine de variétés différentes ; certaines restant liquides jusque 6°C, d'autres jusque -16°C, -20°C et -30°C. 

 

Variétés chimiques d'Ypérites allemandes
Nom allemand Nom français Code allemand Code Nato Remarques
Oxolost et ses variantes S-Lost (Ypérites d'hivers) Ypérite au Thiodiglycol O et OL (Ypérite d'hivers) HD Méthode de synthèse allemande
Direktlost et ses variantes D-Lost (Ypérites d'hivers) Ypérite 1012, mise au point au Bouchet vers 1938. D et DL (Ypérite d'hivers). HD Procédé de synthèse français au 1012 ou protochlorure de soufre, probablement adopté par l'Allemagne suite à la communication des archives du Bouchet en 1940, produite en Allemagne à partir de 1943.
Sesquilost Sesqui-Ypérite,  DO Q Etudiée au Bouchet dès les années 20.
Propyllost       Etudiée au Bouchet dès les années 20.
O-Lost  Ypérite à l'oxygène OB T Etudiée au Bouchet dès les années 20.
Stickstofflost Ypérite à l'azote

Trichloréthylamine

T9 HN-3 Découvert au Bouchet en 1930.

 

 

 

L’Adamsite ou DM (Diphénylaminochlorasine) a été étudiée par de nombreuses nations avant le conflit. Mais le Service de Dispertion du Bouchet avait réalisé une avancée très importante dans sa militarisation, au travers des engins coulés à froid type Z5. La militarisation de la DM avait été extrêmement étudiée et poussée par les chercheurs en France, si bien que de nombreuses techniques élaborées au Bouchet ont suscitées un très vif intérêt de la part des services chimiques allemands (synthèse, méthodes de dispersion, études de dissémination, procédés en chandelle, coulage à froid, obus à dépotage). L'Adamsite fut par ailleurs adoptée sous le nom de code Azin en Allemagne et produite de 1940 à 1944 à hauteur de 3880 tonnes. L'Allemagne fit par ailleurs pression sur le gouvernement français dès janvier 1941 et sur l'industrie française, pour la livraison d'un composant essentiel à la fabrication des engins Z5, un sirop d'urée tout à fait spécifique sans lequel il n'est pas possible d'obtenir des chandelles de DM type Z5. Après plusieurs mois de tergiversation, la volonté de ne pas collaborer au réarmement chimique notamment portée par le Général d'Armée Huntziger (Ministre de la Guerre du gouvernement de Vichy), en opposition au Secrétaire d'Etat à la production Industrielle dirigée par le collaborateur Pierre Pucheu, semblait s'affaiblir. Puis, après le décès de Huntziger en novembre 1941, la livraison du sirop Nobel fut autorisée à partir de janvier 1942 par le Ministre de la Défense Nationale, l'Amiral de la Flotte François Darlan, appuyée par le Secrétaire d'Etat à la Production Industrielle, .

 

La trichloroéthylamine est un agressif que le Centre Technique du Bouchet a particulièrement étudié depuis le début des années 30 ; c'était même un des programme phare du réarmement chimique français, développé par des essais de tirs réels dès ce même début des années 1930. L'Allemagne avait également prévue l'utilisation de cet agressif et débutait sa synthèse expérimentale dans l'hivers 1939-40. Mais de nombreux problèmes furent rencontrés dans le démarrage de la production, notamment dans la synthèse de composés intermédiaires. En France, le programme de synthèse en grand dans la poudrerie de Boussens devait démarrer à hauteur de plus de 200 tonnes/mois à l'été 1940. Inutile de développer ici l'intérêt que les études du Bouchet sur cet agressif pouvait représenter pour le programme militaire allemand (synthèse, méthodes industrielles, dispersion, militarisation). En 1942, le programme de synthèse allemand à hauteur de 50 tonnes/mois rencontrait encore des problèmes ; il fallut attendre 1943 pour que la synthèse soit progressivement portée à hauteur de 120 tonnes/mois. Au final, 1928 tonnes furent synthétisée par le troisième Reich.

 

Toutes les archives du Bouchet ont-elles été livrées à l’Allemagne ? Probablement pas… le témoignage livré par Norbert Casteret sur la dissimulation de documents appartenant au Service des poudres, laisse effectivement à supposer qu’un tri a été effectué dès juin 1940. Par ailleurs, il semble que les autorités allemandes furent confrontées à des difficultés pour la réalisation industrielle de toxiques français. Pour preuve, leur demande de communication des plans et schémas relatifs à la fabrication de l’Ypérite 1012 en novembre 1942, tout comme la demande de livraison de sirop d’urée pour la fabrication des chandelles type Z5, en janvier 1941.

 

Les locaux du centre d’Etudes du Bouchet seront restitués aux autorités françaises le 24 avril 1941.

 

Le centre d'étude du Bouchet en 1961.

 

1940-1945

 

Le spectre de la Guerre chimique ne devait pas tarder à réapparaître sur le théâtre des opérations militaires, la tournure du conflit balayant les dernières préoccupations morales qui pouvaient retenir ses détracteurs.

Les autorités britanniques étudièrent dès l'été 1940 la possibilité de bombardements massifs à l'Ypérite, des plages anglaises en cas de débarquement allemand. Le programme chimique anglais fut ainsi énergiquement relancé en juillet 1940. Dès 1941, l'Angleterre avait la capacité de bombarder les principales villes allemandes, avec plus de 250 000 bombes chargées d'Ypérite ou de phosgène. Cette force de frappe chimique devait être utilisée en terme de représailles contre l'Allemagne si celle-ci s'aventurait à utiliser elle-même l'arme chimique contre l'Angleterre ou l'un de ses alliés. Cette perspective fut annoncée publiquement par Winston Churchill en mai 1942, par message radiophonique.

A partir de 1943, la maîtrise de l'espace aérien au dessus de l'Allemagne par les Alliés, ne fit qu'exacerber cette crainte auprès des autorités militaires du Reich et devait annihiler toute perspective d'utilisation d'arme chimique par les armées allemandes, jusqu'à la fin du conflit. Hitler diffusa des ordres strictes pour interdire le stockage d'arme chimique en dehors du territoire du Reich et éviter de donner un prétexte aux Alliées pour initier une guerre chimique. Jusqu'à la fin du conflit et même pendants les moments les plus critiques, les ordres donnés par le Führer furent respectés de façon à ne donner aucun prétexte au déclenchement d'hostilités chimiques.

 

 

- Préparation à la guerre chimique ; les agressifs produits en 39-45.

 

 

- Les anciens agressifs.

Nous passerons en revue les différents agressifs chimiques utilisés pendant la Première Guerre mondiale et ceux qui étaient en voie de développement au moment de la fin des hostilités.

L'Ypérite.

Elle reste la substance dont l'intérêt tactique comme vésicant à action retardée est le plus marqué. Tous les belligérants qui se sont préparés à une action offensive à l'aide d'armes non-conventionnelles, ont produits de l'Ypérite pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle fut chargée en obus, grenades, rockets, mines terrestres et bombes d'avion ; l'Allemagne avait chargé la majeure partie de sa production en bombe d'avion.

L'épandage par avion avait été utilisé par les Italiens, au cours de la guerre d'Ethiopie, en 1935-1936 (malgré que l'Italie figure parmi les nations signataires du Protocole de Genève de 1925). Les Anglais avaient mis au point l'épandage direct par avion, à basse et haute altitude, sans problème de contamination de l'appareil. La France avait également travaillé ce mode de dispersion et des essais étaient menés jusqu'en 1940. Elle avait également procédé au chargement de grenade d'aviation qui étaient larguées de l'appareil et répandaient leur contenu au sol. L'épandage au sol à l'aide de véhicules fut étudié par les Russes, les Anglais et la France. La France chargeât des bouteilles en verre de 4 litre destinées à infecter une large zone.

Une première innovation importante fut réalisée en France, grâce aux travaux réalisés au Bouchet et à la poudrerie de Boussens, sur une variété particulière d'Ypérite nommée 1012. Il s'agissait d'une méthode de synthèse qui permettait une production considérable par des opérations peu compliquées et avec un appareillage simple. L'Ypérite 1012 (Ypérite au protochlorure de soufre) était plus facile à épandre et se conservait bien mieux que les autres variétés (l'Ypérite au bichlorure de soufre, procédé français mis au point en 1918, attaquait le métal des obus dans lesquels elle était enfermée pour donner naissance à des produits goudronneux). Le procédé fut copié par l'Allemagne et la variété d'Ypérite nommée Direktlost (code D ou DL).

Une deuxième innovation fut également le fruit des travaux du Bouchet qui permit la réalisation d'Ypérites épaissies ou Ypérites visqueuses. Ces Ypérites avaient la particularité de persister sur le terrain beaucoup plus longtemps que les classiques ; elles adhéraient à tous les matériaux et résistaient aux agents classiques de décontamination. Les Allemands et les Anglais, qui récupérèrent les travaux du Bouchet, réalisèrent également ce type d'Ypérite. 

Les chimistes allemands produisirent deux types d'Ypérites épaissies à partir des travaux français. La première, Z-OA 396 Zählost ou Ypérite vicieuse, était composée de 91% d'Ypérite OA (Ypérite d'hivers combinant près de la moitié de sa formule à des arsines) ainsi que du caoutchouc et de la cire. La deuxième, Z-OM 8, était formulée à partir de 90% d'Ypérite OM (Ypérite d'hivers, constituée d'Ypérite additionnée d'Oxy-Ypérite et de sesqui-Ypérite), de polystyrène et de cire

L'Allemagne diversifia les formulations de ses Ypérites pour qu'elles restent liquides à des températures très basses, jusque -30°C.

La France s'était dotée d'une capacité de production devant atteindre 1290 tonnes par mois en juillet 1940. En juin 1940, plus de 600 tonnes avaient été chargées dans des projectiles et 1700 tonnes étaient stockées en réserve. L'Allemagne fabriqua 27.000 tonnes d'Ypérite jusqu'à la fin du conflit. Elle fut synthétisée par pratiquement toutes les nations belligérantes (Angleterre, USA, Japon, France, Allemagne, Italie, Belgique...).

 

 

Nuage mortelle d’Ypérite à Bari – Italie –1943.

 

2 décembre 1943, Werner Hahn, pilote son Messerschmitt Me-210 de reconnaissance à plus de 7000 mètres d’altitude, au-dessus du port de Bari, dans le sud-est de l’Italie. Il repère de nombreux bateaux dans le port.

Bari était une cité portuaire de près de 200 000 habitants. Ce 2 décembre 1943, plusieurs dizaines de navires alliés s’y trouvaient et ses installations fonctionnaient à pleine capacité.

Parmi les navires ancrés dans le port, était amarrée le John Harvey. Le cargo était arrivé quatre jours plus tôt après un long voyage commencé à Baltimore et qui s’était poursuivi avec des escales à Norfolk, Oran et Augusta. Comme des U-boot allemands étaient présents dans l’Adriatique, des chercheurs avaient conclu que « le navire était dans l’endroit le plus sûr qu’il pouvait trouver à ce moment-là ».

 

Le John Harvey, commandé par le capitaine Elwin F. Knowles, était un Liberty Ship typique, à peine différent des autres amarrés dans le port. La majorité de son chargement était également conventionnel : munitions, nourriture et équipement. Mais le navire transportait aussi un secret mortel.

Cachées dans la cargaison, se trouvaient 2000 bombes M47A1 chargées d’Ypérite. Ce toxique avait été envoyé dans le plus grand secret au cas où les Allemands, en pleine déroute, ne se mettent à utiliser cette arme contre les troupes Alliées. Bien que plusieurs agents étaient au courant de la cargaison inhabituelle et dangereuse, la priorité fut donnée à d’autres navires transportant des fournitures médicales et des munitions conventionnelles et le John Harvey attendait sur le quai à côté de quatorze autres navires.

Les bombes d’Ypérite avaient l’apparence de munitions conventionnelles. Chaque bombe faisait 1,2 m de long et 20 cm de diamètre, et contenait 27 à 31 kg de produit chimique. 

 

Bombe M47A2 (fumigène), similaire à la M47A1 (Ypérite).

 

La cargaison fut emmenée dans le plus grand secret. Même Knowles, le commandant, ignorait le contenu des bombes chimiques. Les membres perspicaces de l’équipage avaient cependant deviné que le voyage sortait de l’ordinaire ; le premier-lieutenant Howard D. Beckstrom de la 701e compagnie de maintenance chimique se trouvait à bord avec un détachement de 6 hommes. Tous étaient experts dans le maniement de matériel toxique et étaient manifestement là dans un but bien précis.

Beckstrom aurait bien voulu décharger la cargaison secrète le plus tôt possible, mais quand le navire arriva à Bari, le 26 novembre, ses espérances furent anéanties. Le port était rempli de navires et un autre convoi devait arriver sous peu. Des douzaines de vaisseaux étaient empilés le long des jetées, chacun attendant son tour pour le déchargement. Comme les bombes d’Ypérite n’avaient aucune existence officielle, le John Harvey n’avait pas à recevoir une priorité spéciale.

Aussitôt informé de la présence de nombreux navires dans le  port de Bari, la Luftwaffe décidait d’un raid surprise le jour même. Les pilotes Allemands arrivèrent à Bari en fin de journée, à 19h30 précise. Le premier-lieutenant Gustav Teuber, leader de la première vague, ne pouvait en croire ses yeux : les docks étaient brillamment allumés ; des grues se distinguaient alors qu’elles déchargeaient les cargaisons depuis les cales grandes ouvertes des navires, et la jetée est était pleine de bateaux.

Les Ju-88 descendirent sur Bari, leur attaque illuminée par les lumières de la ville et les fusées éclairantes allemandes. Les premières bombes frappèrent la cité elle-même, de grands geysers de fumée et de flammes marquant chaque détonation, mais bientôt ce fut le tour du port. Quelque 30 vaisseaux se dirigeaient vers leur lieu d’ancrage cette nuit et les équipages eurent à répondre à l’alerte du mieux qu’ils le pouvaient. La surprise était totale, et quelques bateaux durent fonctionner sans tout leur effectif, de nombreux matelots se trouvant à terre en permission.

Les bombes déchirèrent les pipelines de carburant du port, et le pétrole se répandit partout ; un côté du navire Joseph Wheeler fut éventré par une bombe, alors qu’une explosion détruisit le pont du John Bascom. Les produits chimiques utilisés en médecine présents dans ce navire prirent rapidement feu, tout comme les amarres, ce qui entraîna une collision entre ce navire et le John l. Motley, avec une cargaison de 5 000 tonnes de munitions, qui avait déjà été touché par une bombe à la cinquième porte.

Le Motley en flammes explosa alors et entraîna la mort de tout l'équipage qui comptait 64 membres. L’explosion démolit le flanc gauche du Bascom, alors qu’une bombe explosa sur le pont du marchand britannique Fort Athabaska, tuant 45 des 55 membres d’équipage.

Le Liberty Samuel J. Tilden, touché par un engin explosif dans la salle des machines et ensuite mitraillé depuis un avion allemand, coula touché par une torpille lancée par un navire britannique pour éviter que le feu ne se répande aux autres navires de fret. Le cargo polonais Lwów fut touché par deux bombes et prit rapidement feu.

Environ une demi-heure plus tard, le dernier avion allemand lâchait sa cargaison de bombes.  « Le port est en flammes, la surface de l’eau brûle et les navires en flammes explosent » . Dans un premier temps, le vent soufflait dans la direction opposée à la ville, ce qui facilitait l'évacuation de la population, mais bientôt le vent changea de direction et la zone autour du port fut envahie par la fumée. La mer fut bientôt recouverte par les flammes ; le carburant des navires et d'autres combustibles brûlaient sur sa surface.

 

Pendant l’attaque, le John Harvey  pris feu et quelques minutes plus tard, explosa. Tout l’équipage fut tués à bord et dans tout le port, la force de l'explosion projeta des hommes à terre. Les hommes à bord du USS Pumper, un pétrolier transportant du carburant pour avions, furent les témoins des derniers moments du John Harvey. L'air fut initialement happé par le vortex de l'explosion, puis l'onde de choc déplaça le bateau de 35 degrés par rapport au port.

Alors que les marins attendaient d'être secourus, l'enseigne K. K. Vesole, commandant le détachement de gardes armés du John Bascom, ressentit des difficultés à respirer. Beaucoup d'autres hommes avaient le souffle coupé, mais ce fut Vesole qui nota quelque chose d'étrange à propos de la fumée. « Je sens de l'ail », dit-il, sans réaliser les implications de sa remarque. L’Ypérite avait été généreusement mélangé avec l'huile qui flottait dans le port et se mêlait à la fumée qui se répandait sur la zone.

 

L’Ypérite répandu dans l'huile avait recouvert le corps des marins alliés qui se déplaçaient dans l'eau et certains avaient même avalé cette mixture nocive. Même ceux qui ne se trouvaient pas dans l'eau en avaient avalé de bonnes doses, tout comme des centaines, peut-être des milliers de civils italiens

Le raid allemand commença à 19h30 et finit 20 minutes plus tard. Les pertes allemandes furent très faibles, et la Luftwaffe avait réussi au-delà de ses attentes les plus optimistes. Dix-sept navires alliés furent coulés et huit autres endommagés, donnant à Bari le surnom de « second Pearl Harbor ». Les Américains supportèrent les plus grosses pertes, perdant les Liberty Ships John Bascom, John L. Motley, Joseph Wheeler, Samuel J. Tilden et John Harvey. Les Britanniques perdirent quatres navires, les Italiens trois, les Norvégiens trois et les Polonais deux.

Le lendemain, les survivants se réveillèrent sur une scène de destruction totale. De larges parties de Bari étaient en décombres, spécialement la ville médiévale. Des portions de la ville et du port brûlaient encore, et un fin voile de fumée noire pendait dans le ciel. Il y eut plus de 1000 blessés parmi les marins militaires et marchands ; environ 800 furent admis dans les hôpitaux locaux. Un nombre au moins aussi important de blessés civils était à dénombrer.

Heureusement, Bari était le site de nombreux hôpitaux militaires alliés. Les blessés du raid commencèrent à se déverser dans les hôpitaux jusqu’à ce que ceux-ci soient pleins à craquer. Presque immédiatement, quelques-uns des blessés se plaignirent d’avoir des « poussières » dans les yeux et leur état se dégrada en dépit du traitement conventionnel. Leurs yeux étaient enflés, et des lésions de la peau apparurent. Submergé par les blessés de tous genres et de tous styles, le staff médical ne réalisa pas qu’il avait à faire avec un toxique de combat et permit aux victimes de rester avec leurs habits trempés de gaz et d’huile pendant une longue période.

Les victimes n’étaient pas seulement sévèrement brûlées et couvertes d’ampoules, mais leur système respiratoire était aussi très irrité. Les blessés au gaz étaient saisis de toux et avaient des difficultés à respirer, mais les équipes de l’hôpital semblaient sans espoir face à cette maladie inconnue. Des hommes moururent, et même ceux qui survécurent durent avoir une longue et pénible convalescence. Des aveuglements temporaires, la douleur atroce des brûlures et un terrible enflement des parties génitales produisirent une angoisse tant physique que mentale chez tous les malades.

Comme les victimes commençaient à mourir, les médecins commencèrent à suspecter qu’un quelconque agent chimique était en cause. Quelques chimistes pointèrent le doigt sur les Allemands, spéculant qu’ils avaient eu recours à une arme chimique. Un message fut envoyé au quartier-général allié à Alger informant le chirurgien général adjoint Fred Blesse que des patients mouraient d’une maladie mystérieuse. Pour résoudre cette énigme, Blesse envoya le lieutenant-colonel Francis Alexander, un expert des traitements pour cause de guerre chimique, à Bari.

Alexander examina les patients et les interrogea quand cela était possible. Cela commençait à ressembler à une exposition à du gaz moutarde, mais le médecin n’en était pas sûr. Ses suspicions furent confirmées quand un fragment d’une bombe fut retrouvé au fond du port. Le fragment fut identifié comme une bombe américaine M47A1, qui avait été créée pour porter une charge possible de gaz moutarde. Les Allemands pouvaient être éliminés comme suspects.

Alexander ne savait toujours pas d’où émanait le gaz moutarde. Le médecin compta les morts par gaz moutarde par navire, puis reconstitua la position de chaque bateau dans le port. La plupart des victimes venaient des navires ancrés près du John Harvey. Les autorités britanniques du port admirent finalement qu’ils savaient que le John Harvey transportait un gaz mortel. Alexander écrivit un rapport détaillant ses découvertes qui fut approuvé par le Commandant suprême allié, le général Eisenhower.

Le secret couvrit néanmoins toute l’affaire. Finalement, les Américains et les Britanniques furent informés du raid dévastateur de Bari, mais la partie jouée par le gaz moutarde fut passée sous silence. Le Premier ministre britannique Winston Churchill était particulièrement inflexible sur le fait que la tragédie demeure secrète. Il était déjà suffisamment embarrassant que le raid s’effectue sur un port sous juridiction britannique. Churchill pensait que de publier le fiasco donnerait un coup de pouce à la propagande allemande.

Même si le gaz est mentionné dans les rapports officiels américains, Churchill insista pour que les rapports médicaux britanniques soient purgés de toute mention de gaz et pour que les morts dus à l’Ypérite soient enregistrés comme « brûlés à cause de l’action ennemie ». Les tentatives de Churchill de maintenir le secret ont pu causer plus de victimes, car si l’information avait circulé, davantage de personnes et spécialement les civils italiens, auraient cherché un traitement adapté.  

 

Bombes M47A1 chargées en Ypérite HS, Ypérite simple au monochlorure de soufre.

Il y eut 628 blessés par gaz moutarde chez les militaires alliés et le personnel de la marine marchande. 69 décédèrent dans les deux semaines après le bombardement. La plupart des victimes, néanmoins, comme le capitaine Heitmann du John Bascom, retrouvèrent leur pleine santé après une longue convalescence. Mais les chiffres ne comprennent pas les civils italiens qui ont été exposés à l’agent chimique mortel. Il y eut un exode massif des civils hors de la cité après le raid. Quelques-uns étaient probablement des victimes du gaz et moururent par manque d’un traitement approprié.

 

Source : Niderost, "Deadly Luftwaffe Strike in the Adriatic", World War II, March 2004.

 

 

La Léwisite.

La Léwisite est un mélange de chlorovinyldichlorarsine (75 à 80%) et de dichlorovinylchlorasine (20 à 25%). Elle a des propriétés vésicantes et irritantes.

Elle fut l'objet d'études importantes en France et en Angleterre avant 1940, puis ultérieurement en Amérique. Elle fut fabriquée en France, en Angleterre; aux Etats-Unis (qui l'abandonnèrent à la suite de la découverte du BAL), en Russie, au Japon, chargée en obus, grenades et bombes d'aviation, seul ou en mélange avec l'Ypérite (Ypérite HL en Angleterre). 

La Trichloréthylamine.

Elle fut préparée au Bouchet dès 1930, puis produite en petite quantité à Boussens en 1940. Ultérieurement, l'Allemagne nazie qui avait projeté son chargement probablement à partir de 1937 mais essuyé des déboires dans sa production, après avoir récupéré les études françaises en 1940, en produisit à hauteur de 2000 tonnes sous le nom de Stickstoff-Lost ou T9, pour la charger en obus et rockettes.

 

L'Ethyldichlorarsine.

Irritant respiratoire, suffocant et vésicant, utilisée par l'Allemagne pendant la¨Première Guerre mondiale comme diluant actif de l'Yperite, elle fut synthétisée en 39-45 par les américains.

 

La Diphénylchlorarsine ou CLARK I et la Diphénylcyanarsine ou CLARK II.

Les USA considérèrent le Clark I comme un des meilleurs irritant et le chargèrent en obus et bombes d'aviation. L'Allemagne produisit 12.600 tonnes d'huile d'Arsine, le produit brut, dont 3.000 tonnes de Clark I ont été extraites. Elle fut mélangée à l'Ypérite dans certains chargements.

 

La Diphénylaminochlorarsine ou DM.

La DM fut étudiée par l'Allemagne, la France, l'Angleterre, les USA, et la Russie. Avant 1940, Anglais et Américains avaient mis au point la vaporisation d'arsines à mélanges de poudres pour réaliser des aérosols de particules de l'ordre du micron, non arrêtés par les charbons actifs des cartouches de masques filtrants (nécessitant donc un filtre spécial appelé filtre à arsines) et dont la portée pouvait être considérable. Les essais conduits dans le nord de l'Ecosse avaient porté sur une émission de 15 tonnes de DM, qui avaient diffusées sur plus d'une dizaine de km.

L'avancé la plus marquante dans le domaine est à mettre au crédit des laboratoires du Bouchet. Les travaux remarquables du laboratoire de dispersion aboutirent à la mise au point des engins dit Z5 à vaporisation de DM coulée à froid. Leur charge était constituée d'un mélange de 4,850kg de DM, de perchlorate d'ammoniaque et de sirop d'urée Nobel. Le mélange pâteux obtenu était d'une manipulation bien plus facile que les mélanges de poudres utilisés par les Anglais. Une émission d'éssais réalisée en Algérie à Béni-Ounif, en 1938-1939 à l'aide de 320 engins Z5, produisit à 50km du point d'émission un nuage de 5km de large rendant le port du masque obligatoire. Des expérimentations de DM et d'huile d'anthracène menées avant 1940 permettaient de traverser les filtres spéciaux des masques en usage.

Après l'Armistice de juin 1940, les techniques de fabrication des engins Z5 furent adoptées par l'Angleterre. L'Allemagne nazie, en récupérant les travaux du Bouchet, adopta à son tour les engins Z5. Les chimistes allemands essuyèrent, semble t-il, quelques revers lors de la réalisation de leur engins. Ils exigèrent la livraison de sirop d'urée Nobel fabriqué initialement en France, pour réaliser leurs chandelles de DM. Ils finirent par produire 4.000 tonnes de DM chargées dans des chandelles type Z5 de 3kg et 16kg.

 

La Chloracétophénone.

Elle fut synthétisée par la France, puis l'Allemagne. Initialement synthétisée en 1916 par le pharmacien Jacques Bongrand, elle fut retenue comme un puissant agent lacrymogène. La France en avait synthétisée une petite quantité en 1940, qui fut récupérée par l'Allemagne après l'Armistice. L'Allemagne en produisit par la suite 6.000 tonnes, chargées en obus et bombes d'aviation.

 

Le Cyanure de benzyle bromé ou Camite.

Il fut étudié et produit en Angleterre.

 

L'Oxime de phosgène.

Fut étudié par la Russie et la France ; cette dernière le jugea instable et l'abandonna.

 

La chloropicrine.

Fabriquée par les Américains et les Russes, elle fut chargée en mélange avec du phosgène par les Anglais.

 

Le phosgène.

Il fut chargé par de nombreux belligérants, comme la France, l'Allemagne, les Anglais, les Américains, les Russes.

 

L'acide cyanhydrique.

C'est un toxique redoutable mais difficile à militariser, en raison de sa faible densité.

L'Allemagne étudia sa dispersion par temps froid et le chargea dans des grenades frangibles. Il fut utilisé dans les chambres d'extermination des camps allemands.

Les Etats-Unis réussirent à réduire sa fugacité et l'adoptèrent.

Les Russes le chargèrent en bombes d'aviation et en obus.

 

Le chlorure de cyanogène.

Fut étudié par l'Allemagne qui en produisit un vingtaine de tonnes. Les USA et la Russie l'auraient chargés en obus, grenades et bombes d'aviation.

 

L'hydrogène arsénié.

Il traverse les cartouches des masques de protection. L'Allemagne l'étudia mais fut confrontée à des problèmes de stabilité. Ils produisirent un produit nommé Aéroform T.300, mélange d'un arséniure de magnésium et d'aluminium qui, répandu sur le sol, dégageait de l'hydrogène arsénié à concentration mortelle. Le Bouchet étudia également ce toxique.

 

 

 

- Les nouveaux agressifs.

 

Ils sont essentiellement issus des recherches allemandes. La toxicité des substances élaborées dans les laboratoires de chimie du Reich et particulièrement ceux de l'IG Farben, étaient systématiquement déterminés. Si celle ci dépassait un certains seuil, la substance était considérée comme potentièlement intéressante et signalée au Ministère de la Guerre.

Ainsi, jusqu'en 1935, plus de 200 produits avaient été retenus et étudiés par le Reich. Ces travaux conduirent à la préparation d'une série d'agressifs inédits, dissimulés sous le nom de trilons, nom déjà adopté pour désigner des substances destinées à décalcariser l'eau. Ces trilons sont le Tabun, le Sarin et le Soman.

Le Tabun.

Il s'agit du diméthylaminocyanophosphite d'éthyle. C'est le docteur Gerhard Schrader qui le découvrit en 1937 en cherchant à préparer des insecticides et des anticryptogamiques et en reprenant des travaux datant de 1902, par Michaelis dans les annales de Liebig.

Sa préparation se fait à partir de l'oxychlorure de phosphore sur la diméthylamine, puis avec du cyanure de sodium et de l'alcool en présence de chlorobenzène, on obtient le Tabun.

Il se présente sous l'aspect d'un produit incolore à légère odeur cyanhydrique ; le produit industriel est brun et renferme 5 à 20% de chlorobenzène. C'est une molécule fragile, qui se décompose facilement à la chaleur et peu résistant à l'explosion. Il est légèrement soluble dans l'eau et facilement hydrolysable, rapidement détruit par les solutions alcalines.

Le Sarin.

 

 

 

 


[1] En 1936, l’Allemagne découvrait de façon fortuite, en travaillant sur des insecticides, les premières substances neurotoxiques.

[2] Finalement, aucune solution ne devait aboutir dans cette voie. L’appareil momentané sera remplacé par un ANP 31 muni d’une cartouche 35M ou d’une cartouche d’ARS munie d’un dispositif à galette.

[3] 480 000 avaient été produits jusqu’en 1933.

 

 

 

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