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Les suffocants. Ils agissent au niveau des voies respiratoires. Ils provoquent immédiatement une douleur intense et une forte difficulté à respirer, pouvant aller jusqu'à la formation d'un oedème et d'une congestion pulmonaire qui contrarie l'hématose, entrave la circulation sanguine et retentit sur d'autres fonctions vitales, pouvant finalement provoquer la mort. Cette action peut être réalisée par la formation in situ d’acide chlorydrique ou bromhydrique. Cette propriété est facilitée si le produit possède une tension de vapeur élevée, donc une bonne volatilité lui permettant d’atteindre l’alvéole pulmonaire sans se condenser sur les parois bronchiques. Ils
sont responsables de la plupart des décès par intoxication « aux gaz de
combat » pendant la Première Guerre mondiale. Ils furent utilisés dans tous les systèmes de militarisation des gaz de combat : vagues gazeuses dérivantes, artillerie chimique et projecteurs.
A) Le chlore.
Le Chlore est probablement l'agressif utilisé lors de la Première Guerre mondiale le moins toxique. Sa constante de Haber, traduisant sa capacité létale est de 7500, plus de deux fois moins toxique que les substances lacrymogène de cette même période ( voir : Etudes). Paradoxalement, le chlore est le premier toxique utilisé massivement dans la guerre des gaz et celui le plus produit (135 000 tonnes en Allemagne, 23 900 en France) (voir : Industrie). Et pourtant, son action, dans les vagues gazeuses, fut redoutable, essentiellement en raison de ses propriétés physico-chimiques, dont sa densité de 2,5 par rapport à l'air, qui permettait au nuage très lourd de chlore gazeux, de coller au sol, de s'insinuer dans les cavités et les dépressions du terrain et d'y atteindre des concentrations notablement toxiques. Il reste cependant facilement repérable car il donne à l’émission un nuage lourd, de couleur jaune, d’odeur caractéristique et aussi par le sifflement qu’il produit en se détendant à l’ouverture des bouteilles. Au contact des voies respiratoires, il se transforme en acide chlorhydrique par réaction avec l'hydrogène moléculaire. Son action est ressentie immédiatement, provoquant une vive irritation accompagnée de toux, dyspnée (difficulté de la respiration), hémoptysie (crachement de sang provenant des voies respiratoires). A très forte concentration, il est susceptible de provoquer la mort en quelques minutes. Mais, dans les vagues, les concentrations obtenues étant plus faibles, les effets mortels n’apparaissent qu’après 20 à 30 minutes, suite à un œdème pulmonaire qui peut entraîner le décès quelques minutes ou quelques jours plus tard. La
dose létale est estimée à 60 mg de chlore, ce qui correspond à un séjour de
20 minutes dans une atmosphère à 0,36g/m3, ou 1/10000e .
On considère que dans cette concentration, tout homme surpris sans protection
est mis hors de combat. C’est aussi la concentration minimale obtenue jusque
1km derrière le point d’émission, avec des quantités de l’ordre de 50
tonnes de chlore par km de front d’émission. Lors de conditions atmosphériques
favorables, cette concentration sera observée jusque 10 km (parfois plus) en
arrière des lignes. Enfin, au fond d’une tranchée et à moins de 100 de distance du point d’émission, on observe des concentrations de l’ordre de 3,2g/m3 (expériences réalisées par l’IEEC ) et parfois bien plus élevées. Il faut alors moins de 2 minutes pour inhaler une dose létale de chlore et provoquer une intoxication massive provoquant la mort en 30 à 60 minutes. Les essais allemands menés au cours du Premier conflit ont montré qu'au cours d'une attaque par vague au chlore, d'une durée normale selon leur système de vidange simultané des bouteilles (5 à 10 minutes), par vent de 3m/s, avec leur densité habituelle de bouteille, la concentration atteinte à une distance de 500 à 1000 mètres était de l'ordre de 600 à 300mg/m3.
Le chlore est un gaz bien retenu par les appareils protecteurs, même les plus précoces. Voir
également la page Technique
des vagues gazeuses dérivantes.
B) Le brome.
Le brome est un liquide de couleur rouge-brun dégageant des vapeurs de la même couleur. Ses propriétés sont très proches de celles du chlore. Son utilisation cessera rapidement, au profit de composés lacrymogènes plus puissants. C) L’oxychlorure de carbone ou phosgène.
Le phosgène est incolore, très volatil, d’odeur peu perceptible et complexe, rappelant parfois le foin moisi. A faible concentration, il modifie l’odorat et le goût, ce qui rend sa détection difficile. Il est beaucoup plus toxique que le chlore et semble responsable de la majorité des décès attribués aux toxiques pendant la Première Guerre. Au regard des études de toxicité, c'est même l'agressif utilisé le plus toxique (constante de Haber égale à 300) . C’est un gaz extrêmement insidieux, ses effets apparaissent après un temps de latence dont la durée est considérée comme inversement proportionnelle à la dose inhalée. A faible concentration, il provoque progressivement des effets lacrymogènes puis suffocants. Mais, à des concentrations supérieures, apparaît une inflammation bronchique avec toux et dyspnée, puis, de 1 à 24 heures après l’exposition, survient un œdème pouvant entraîner la mort. Une surinfection est alors fréquente, et les fonctions pulmonaires peuvent rester endommagées.
La
dose létale du phosgène est de 3,2mg. Le phosgène est difficilement retenu
par les appareils protecteurs, surtout en forte concentration. Les premiers
masques retenant efficacement ce toxique apparaissent en 1916 (masque TN pour la
France et cartouches allemandes 11-11-S), mais leurs performances vis à vis de
ce redoutable toxique ne cessera d’être améliorées.
Voir également la page Technique des vagues gazeuses dérivantes.
D) Le chloroformiate de méthyle chloré.
Il s’agit d’un dérivé du phosgène dont les propriétés sont proches, mais de toxicité jugée comme légèrement plus faible. Il possède une activité lacrymogène bien plus marquée et une meilleure persistance sur le terrain. Ses effets physiologiques sont ceux du diphosgène, décrits ci-dessous. A très faible concentration, il est simplement irritant, mais il devient suffocant et mortel aux concentrations efficaces.
Après la découverte de son utilisation par les armées allemande, il fut un temps considéré comme une substance suffocante et irritante, mais non létale et d'action inférieure au phosgène. Ce point de vue totalement erroné est souvent repris par nombre d'historiens actuels, qui considèrent encore que les premiers obus létaux, furent ceux chargés de phosgène et utilisés par la France à partir de 1916. En réalité, ce furent bien les obus chargés de chloroformiate de méthyle chloré, tiré par les Allemands dès juin 1915, qui l'étaient.
E) Le chloroformiate de méthyle trichloré ou diphosgène.
Il s’agit également d’un dérivé du phosgène mais son action lacrymogène est plus forte. La particularité de la surpalite réside dans sa longue persistance sur le terrain, qui peut aller jusqu’à 12 heures. Elle imprègne les vêtements des combattants, ainsi que leur masque, de sorte que son action peut perdurer, même en dehors de l’atmosphère contaminée. Elle contient aussi une quantité de chloroformiate de méthyle dichloré, qui s’hydrolyse au contact du masque, pour produire du monoxyde de carbone et du phosgène. Lors de son apparition sur le champ de bataille, les Allemands jugeront son efficacité si remarquable qu’ils décideront de multiplier l’utilisation d’obus toxiques et de rechercher d’autres substances susceptibles d’êtres utilisées, elles aussi, dans des obus. Ses effets physiologiques sont ceux du phosgène. : toux, oppression thoracique, irritation des yeux, de la gorge, des voies respiratoires. Les doses incapacitantes et létales sont quasiment les mêmes que pour le phosgène. A très faible concentration, seul l'action irritante et observée, mais il devient suffocant et létal aux concentrations supérieures. Tout comme le phosgène, il dénature le goût du tabac et inhibe l'odorat.
F) La chloropicrine ou nitrochloroforme.
La chloropicrine fut utilisée aussi bien seule que mélangée à d’autres substances toxiques (phosgène et arsines chez les Allemands). C’est un liquide huileux, légèrement jaunâtre, peu soluble dans l’eau et donnant des vapeurs très lourdes. Sa persistance peut atteindre 15 heures sur le terrain. A très faible concentration, son odeur se rapproche de celle du pain d’épices. Ses effets sont violents, avec un pouvoir lacrymogène puissant, rapide et intense. Elle possède des propriétés suffocantes proches de celles du phosgène. A faible concentration, ses effets sont accompagnés de violents vomissements, de narcose et d’état dépressif. Comme elle est très lipophile, les voies d’intoxication peuvent être à la fois respiratoires et transcutanées. La chloropicrine est un toxique mal retenu par le masque M2. Ses effets incapacitants s'observent dès 1mg/m3. Au delà de 30mg/m3, ses effets sur les yeux sont si violents qu'il est impossible de voir ; la douleur au niveau des yeux s'accompagne de violents maux de tête. Le seuil de l'insupportable est évalué à 50mg/m3. Le seuil des premiers effets létaux observés avoisine 100mg/minute/m3. Des concentrations de 200mg/m3 provoquent une totale mise hors de combat en quelques secondes. Au delà de 2g/m3, une minute d'exposition est fatale. G) Le chlorosulfure de carbone ou thiophosgène.
Ce fut le premier produit à être chargé dans les obus français. Très toxique à forte concentration, il perd ses propriétés une fois dilué. Son introduction sur le front fut un échec. Intoxication aux suffocants (les sources utilisées pour la rédaction de ce chapitre sont essentiellement les études réalisées par les Services français, menées principalement sous la direction d’André Mayer, avec la collaboration, entre autres, de : Lebeau, Magne, Plantefol, Guieysse, Pelissier, A. Kling, Faure, Fremier, Mawas, Vles, Morel, Hervieu, Flandin, Muratet, Moreau.). Nous avons choisi le phosgène comme modèle d’étude ; il domine nettement le lot des suffocants qui possèdent tous des propriétés communes. Il est certainement le plus redoutable de tous, notamment à cause de sa grande insidiosité. A l’inverse des autres, il est dénué de propriétés irritantes. Intoxication aiguë, suffocation brutale. Ce type d’intoxication est assez rare. On l’observe en l’absence de protection, ou lorsque le combattant se retrouve subitement dans une concentration énorme de toxique, obtenue principalement lors d’un tir de projector. L’issue est la mort après quelques symptômes brefs : angoisse paroxystique, efforts respiratoires désordonnés, puis syncope sans réveil. L’asphyxie est rapide et fatale. A l’autopsie, on retrouve des poumons gonflés, sans oedème liquide, des bronches contractées, oblitérées par le spasme et des capillaires remplis de globules agglutinés. Intoxication
massive. Ce type d’intoxication est plus fréquente Elle est la conséquence d’une inhalation de quantité de toxique importante, pendant plusieurs minutes. L’issue est la mort, en 30 à 60 minutes. Les troubles responsables du décès sont nombreux et complexes, placés sous la dépendance des lésions pulmonaires. Sous l’action du toxique, la trachée et les bronches se congestionnent, perdent leur épithélium et deviennent le siège d’une abondante exsudation. Au niveau alvéolaire, le caustique détruit les cellules épithéliales. Leurs parois altérées laissent alors transsuder peu à peu une nappe de liquide, qui inonde progressivement toute la cavité pulmonaire. Les gazés sont littéralement noyés dans le liquide de leur propre corps. L’hématose est contrariée jusqu’à devenir impossible ; il n’y a plus d’échanges gazeux. Pour compenser cette insuffisance, le sujet accélère sa respiration jusqu’à l’extrême limite du jeu thoracique. L’oxygène qui ne passe plus dans le sang disparaît progressivement ; l’intoxiqué bleuit et meurt d’anoxémie (ou privation d’oxygène). Intoxication
Moyenne ou commune. C’est l’intoxication la plus fréquente. Celle du combattant qui ne met pas son masque suffisamment vite, ou qui l’enlève trop tôt, qui se fait surprendre par une nappe, ou au voisinage duquel quelques obus toxiques tombent. Les tableaux cliniques peuvent prendre de nombreux aspects différents, en fonction de nombreux facteurs et du toxique incriminé. En simplifiant, l’évolution passe par trois phases : irritation (sauf pour le phosgène), rémission et période d’état. -
Irritation (absente avec le phosgène) : Les premiers symptômes consistent en une sensation d’arrêt respiratoire subit accompagné de constriction de la gorge et du thorax. Apparaît ensuite une angoisse douloureuse et démoralisante qui pousse le gazé à faire des efforts désespérés pour reprendre haleine. Il éprouve en même temps une faiblesse intense. Survient ensuite une toux déchirante et spasmodique. -
Rémission : Dès que le gazé est soustrait de l’atmosphère toxique, les signes précédents s’atténuent peu à peu et sont remplacés par une irritation intense de la gorge et de la poitrine. Avec le chlore, la toux persiste, parfois pendant plus de 24 heures. Une asthénie intense apparaît souvent (plus marquée avec le phosgène et ses dérivés) et il arrive fréquemment que le gazé s’endorme sur place, ou devienne inapte à tout effort. Cette période de rémission masque le développement d’un œdème pulmonaire et malgré l’apparente amélioration de l’état général, un équilibre précaire s’installe. A tout moment, cet équilibre peut être brisé (par un effort musculaire, un choc, un refroidissement, un excès alimentaire, la prise d’alcool…), sans retour possible, et évoluer souvent vers la mort. -
Complications immédiates et rupture de la phase de rémission Ces complications sont l’origine des décès tardifs, de plusieurs heures à plusieurs jours après l’intoxication. L’œdème pulmonaire qui s’est développé grève une partie de la fonction pulmonaire. Au repos, cette surface pulmonaire réduite est suffisante pour couvrir lez besoins modérés de l’organisme en oxygène. Mais si ces besoins augmentent, si le sujet fait un effort, les besoins en oxygène augmentent et exigent une suractivité respiratoire dont les poumons lésés sont alors incapables. Le taux d’oxygène dans le sang tombe brusquement et
affecte immédiatement les centres respiratoires et cardiaques. Le rythme
cardiaque s’accélère ; l’œdème pulmonaire augmente la résistivité
au passage du sang dans les poumons et pèse sur le cœur droit ; cela
contraint le myocarde à un travail forcé dans un contexte d’anoxémie.
Survient alors l’arrêt cardio-respiratoire et le décès.
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Période d’état : L’asphyxie est toujours très marquée. Le gazé est prostré, dyspnéique, il cherche de l’oxygène. Il est cyanosé, les lèvres sont violettes. La toux fait à nouveau son apparition, sous forme de quintes convulsives et permet l’expectoration d’une mousse rose abondante. Le cœur lutte contre le barrage élevé par les poumons ; on observe baisse de la tension artérielle, tachycardie et polypnée. Il y a fréquemment présence de vomissements (surtout avec la chloropicrine, parfois avec le phosgène). On note également encore de la fièvre et une néphrite toxique pouvant aller jusqu’à une insuffisance rénale. Enfin, le gazé présente une asthénie très marquée, une sorte d’indifférence et de torpeur, avec des céphalées tenaces. L’expérience de la Première Guerre à montrée que la mortalité se juge, en l’absence de terrain difficile, dans les quatre premiers jours. Si le gazé franchit ce cap, la guérison est presque sûre. Ce délai correspond essentiellement au temps nécessaire à l’œdème pour se stabiliser. Après quoi, le patient entre en convalescence. Cette première période est appelée période toxique et s’oppose à la seconde, la période septique apparaissant après la première semaine ou l’on observe les complications infectieuses. Parmi ces complications, retenons surtout les broncho-pneumonies, puis les abcès et les foyers gangreneux. Les séquelles peuvent être nombreuses. Les troubles fonctionnels sont tenaces : gène respiratoire, toux quinteuse, douleurs thoraciques, bronchites à répétition, bronchites congestives, emphysémateuses, asthmatiformes. Les anciens gazés, porteurs de lésions cicatricielles étendues, deviennent souvent des tousseurs et cracheurs chroniques, insuffisants respiratoires, menacés à plus ou moins longue échéance, d’insuffisance cardiaque. |
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