Dès les premières semaines de campagne, l’invasion allemande du Nord du territoire privait la France d’une partie importante de son patrimoine industriel chimique. Contrairement à l’Allemagne, le gouvernement français pensa à organiser les rapports entre l’Etat et les industrie chimiques et pharmaceutiques au premier jour du conflit.
La production d’explosifs fut rapidement touchée, celle des poudreries nationales étant largement insuffisante. La rupture des approvisionnements était multifactorielle, mais prévisible ; importation de matières premières d’Allemagne, absence de marchés passés vers d’autres pays, absence de stocks et saisie des usines productrices de matières premières du Nord du Pays par l’ennemi. Dans l’urgence, de nombreux marchés furent passés avec des producteurs privés qui ne manquèrent pas d’imposer leurs conditions de prix.
Le 5 août 1914, fut créé l’Office des Produits Chimiques et Pharmaceutiques ou O.P.C.P., sous la direction du Ministère du commerce. Son rôle était d’assurer les approvisionnements en matières chimiques et leur répartition et contribuer à développer en France la production de ces produits. Monsieur Béhal, professeur à L’Ecole supérieure de Pharmacie de Paris fut nommé directeur. En janvier 1915, un comité de direction fut nommé, constitué de députés, de chimistes et de professeurs éminents[1]. A la fin du mois de février, plusieurs personnalités rejoignaient le comité de direction de l’O.P.C.P. ; par la suite, toutes jouèrent un rôle important dans les recherches qui concernaient les gaz de combat. La première fut le professeur Albin Haller, éminent pharmacien dirigeant le Service des poudres. Puis Guignard, directeur honoraire de l’Ecole supérieure de pharmacie de Paris, Roux, directeur des services scientifiques et sanitaires et de la répression des fraudes au Ministère de l’Agriculture et enfin monsieur Weiss, conseiller d’état, directeur des mines au ministère des Travaux Publics.
Très rapidement, l’office recruta de nouveaux collaborateurs et Béhal ne cachait pas son objectif : conquérir le marché mondial de la chimie en profitant de la nouvelle économie de guerre qui s’était imposée à la France ; « jamais une occasion aussi favorable ne s’est offerte et très probablement ne s’offrira à la France industrielle de reprendre la place qu’elle occupait autrefois[2] ». En effet, quelques mois plus tard, la réalisation industrielle nécessaire à la production de milliers de tonnes de gaz de combat, concrétisait les ambitions de Béhal et le renouveau de l’industrie chimique française. En juillet 1915, Cuvelette, nommé à la tête du Matériel Chimique de Guerre, s’exprimait ainsi : « Répondre aux nécessités urgentes de favoriser le développement de l’industrie nationale peut très bien se concilier dans la question du chlore. La grande industrie chimique des matières organiques est à peine existante en France. La fabrication du chlore est donc liée à la question industrielle très vaste et du plus grand intérêt pour l’avenir économique du pays ».
Le chlore en question devait évidemment être utilisé à la production de vagues gazeuses et de gaz de combat. Ces rapports étroits, liant les intérêts et pouvoirs publics et politiques aux pouvoirs privés, dans une recherche de développement de l’industrie chimique, expliqueront la promptitude avec laquelle le programme industriel de production de gaz de combat fut lancé et réalisé, comme l’absence de débat politique sur l’opportunité des représailles chimiques après le 22 avril 1915.
[1] Monsieur Astier, ancien président de jury international des produits chimiques et pharmaceutiques aux expositions de Londres, Bruxelles, Turin et Gand. Paul Painlevé, membre de l’Institut, député. André Lefèvre, député des Bouches-du-Rhone. Chapsal, directeur au Ministère du commerce et de l’industrie. Lindet, président de la société d’encouragement pour l’industrie nationale. Maquenne, membre de l’institut, professeur à l’Ecole centrale des arts et manufactures. Pelletier, Avocat. Vergniaud, auditeur au conseil d’Etat.
[2] Revue des produits chimiques, 15 février 1915.
Ci-dessus : compagnies Z à l'entraînement. Les hommes portent au dos l'appareil Tissot grand modèle muni de la cartouche additionnelle. Le, cliché est donc postérieur à août 1917. La vague est nettement visible, additionnée ici d'un fumigène. Les conditions atmosphériques sont défavorables, le nuage formé se dilue dans l'air et ne colle pas au sol (droits réservés).
La nécessité de répondre à l'attaque allemande du 22 avril 1915 s'imposa en très peu de temps, mettant de côté toutes considérations morales face à ce mode de combat jugé comme déloyal (voir aussi ci-dessus).
Dès le 29 avril 1915, le Général Commandant en chef demanda au Ministre de la Guerre de constituer au plus tôt trois groupes "spéciaux" destinés à la mise en oeuvre des appareils de série Z.
Les premiers essais de production de vague gazeuse eurent lieu dès le 4 mai 1915. Mais les difficultés à surmonter furent nombreuses, et tout d’abord d’ordre industriel. Les premiers besoins en chlore liquide étaient fournis principalement par l’Angleterre, l'industrie chimique française étant absolument incapable d'en assumer la production.
Entre-temps, il fallut résoudre un par un, tous les problèmes techniques liés à la production des vagues gazeuses. Les études furent menées par les capitaines Bied-Charreton et Beccat, auxquels les laboratoires de Delépine, Urbain et Kling participèrent. La réalisation pratique de la vague fut étudiée en premier. La nature du gaz utilisé fut déterminée avec précision, en procédant aux essais de différents mélanges. Les conditions météorologiques les plus favorables furent ensuite fixées, avec la création d’ateliers météorologiques attachés aux équipes d’émission. La procédure d’ouverture des cylindres fut analysée pour déterminer par quel procédé obtenir les concentrations maximales (pour plus de précisions, consultez la page : Etudes des vagues gazeuses dérivantes par la section agression de l'IEEC ). Enfin, il fallut répertorier les secteurs se prêtant particulièrement géographiquement à ce type d’opérations.
L’émission des vagues gazeuses dérivantes fut confiée aux unités du Génie. Des unités spéciales ont donc été constituées et appelées compagnies Z. Les autorités militaires françaises souhaitaient mettre en oeuvre leur première opération chimique avant la fin de l'été 1915. Du retard fut pris et la priorité fut donné au chargement des obus chimiques au début du mois de juillet 1915. Les disponibilités en chlore étant excessivement réduites, ce dernier fut utilisé pour la fabrication d'autres toxiques destinés aux obus spéciaux.
Au mois d'août, tout fut mis en oeuvre de nouveau, pour mener une opération au plus tôt, début septembre si possible. Le personnel fut sélectionné avec le plus grand soin possible, notamment des hommes de la section technique du Génie ; l'encadrement fut choisit parmi les membres du régiment des sapeurs pompiers de la ville de Paris. Dans la mesure du possible, les hommes choisis s'étaient déjà fait remarquer pour leur sens de la discipline, du dévouement, pour leur calme, leur énergie et leur résistance physique. Les compagnies Z étaient alors considérées comme des un unités d'élite ; en cas de mesure disciplinaire, les sapeurs étaient rétrogradés dans l'infanterie. La première compagnie était formées au 15 septembre, mais le remplissage des cylindres de chlore ne put débuter qu'au mois d'octobre.
Comme nous l’avons vu précédemment, les autorités françaises s’accordèrent sur la nécessité de répliquer le plutôt possible aux allemands. Le 29 avril 1915, le Général Commandant en Chef demanda au Ministre de la Guerre de constituer trois groupes spéciaux (ou compagnies) destinés à la mise en œuvre d’appareils série Z (des cylindre de gaz liquide), en utilisant de préférence le personnel des sapeurs-pompiers de la ville de Paris. Ces trois groupes devaient être par la suite, versés au dépôt du 1er régiment du Génie.
Arrivé à la fin du mois de juin 1915, devant la difficulté à se procurer du chlore liquide, il fut décidé de différer l’émission de vague gazeuse pour porter tous les efforts sur le chargement d’obus et de bombes en substances agressives. La création des compagnies Z n’était plus une priorité au début de l’été. Au courant du mois de juillet, la production d’obus toxique fut planifiée de façon à disposer de stocks dès le début du mois de septembre (le programme fut repoussé et finalement, on ne disposa que d’un type de chargement à la fin de l’été). A la mi-août, la constitution des compagnies Z redevint un sujet préoccupant. Les bouteilles disponibles pour le chargement du chlore étaient alors utilisées au transport de toxiques pour le chargement des munitions d’artillerie chimiques, mais devaient être disponibles d’ici peu. De même, les marchés passés laissaient supposer que la quantité de chlore nécessaire serait également disponible pour cette période. L’idée de trois groupes fut rapidement abandonnée et à la mi-août, c’est finalement le général Chevalier, directeur du Génie, qui décide de la création de deux compagnies, rattachées au dépôt du 22iem bataillon du 1er régiment du Génie, et numérotées 22/31 et 22/32.
Le personnel fut finalement sélectionné dans « les dépôts en dehors de ceux de l’artillerie, du génie et à l’exclusion des R.A.T. (Régiments de l’armée Territoriale), de préférence ayant déjà servi sur le front et qui se seraient fait remarquer par leur sang froid et leur énergie et particulièrement résistants, surtout au point de vue respiratoire ». « Il importe surtout que l’on puisse compter sur des gradés et des hommes choisis ; ils opèreront en effet, dans des conditions tout à fait spéciales ; ils agiront à peu près isolément sur un front très étendu ; la surveillance des gradés sera intermittente ; les hommes livrés à eux-mêmes devront assurer le fonctionnement des appareils en appliquant intégralement la consigne qu’ils auront reçue avant l’action. Il faut donc que l’unité soit constituée par des hommes disciplinés, calmes et dévoués ». Le souhait du Ministre de la Guerre était de mettre en œuvre les deux compagnies sur le front dès le début de septembre 1915.
Courant septembre 1915, les deux premières compagnies étaient enfin formées (la 22/32 fut créée officiellement en novembre 1915) ; elles comprenaient du personnel de la Section Technique du Génie et des hommes des dépôts. Selon le vœux exprimé par le général commandant en chef des armées, l’encadrement était assuré par des membres du régiment des sapeurs-pompiers de la ville de Paris, disponibles au sein du dépôt des compagnies de sapeurs chargés de la mise en œuvre des appareils Schilt (lance-flamme). Au mois d’octobre, les compagnies Z participent au chargement des premières bouteilles de chlore dans l’usine de « l’acétylène dissous » à Champigny sur Marne.
Chaque compagnie se composait d’un état-major et de trois sections, auxquelles fut rattaché un poste de météorologie. En effet, la réussite d’une opération d’émission d’une vague gazeuse dérivante était conditionnée par une multitude de contraintes techniques, mais surtout de contraintes météorologiques. Il était impératif de surveiller, à différents points du front d’émission, de façon préliminaire et lors du déclenchement de l’opération, la vitesse, la régularité et l’orientation des vents.
L’ensemble de la compagnie se composait de 5 officiers, les officiers Z, de 22 sous-officiers et de 369 sapeurs. Fin novembre 1915, une troisième compagnie fut créée, la 22/33, et formée à Satory à partir de janvier 1916 (date réelle de sa création). Par la suite, de nouvelles compagnies furent créées. Le 9 janvier 1916, le général Joffre ordonna la création de trois nouvelles compagnies au sein du 22e bataillon : la 22/34, 22/35 et 22/36.
Recommandé par Joffre, le lieutenant-colonel de réserve Soulié fut nommé chef du Service des compagnies Z, par le Ministre de la Guerre, le général Galliéni, en février 1916. En mars 1916, la compagnie dénommée 22/34, était enfin prête à opérer sous le commandement du capitaine Dautel, du 25e bataillon de chasseur.
Enfin, le général commandant en Chef décida le 24 mars 1916, d’adopter la numérotation suivante : deux compagnies devaient désormais être attachées à un seul bataillon. Ainsi :
Le 31e bataillon du génie sera composé des compagnies 22/35 et 22/36 qui prendront les noms de compagnie 31/1 et 31/2. Le 32e bataillon du génie sera composé des compagnies 22/32 et 22/33 qui prendront les noms de compagnie 32/1 et 32/2. Le 33e bataillon du génie sera composé des compagnies 22/31 et 22/34 qui prendront les noms de compagnie 33/1 et 33/2. Deux nouvelles compagnies, en formation à cette date, seront dénommées 31/3 et 32/3. Enfin, la compagnie de dépôt portera le nom de compagnie D/31.
De nouvelles compagnies furent créées les mois suivants : la 31/4 en juin 1916. Il existait ainsi à cette date 9 compagnies Z.
Le 28 juin 1917, deux groupes furent formés, ayant chacun 2 bataillons à 2 compagnies, dénommés 1er et 2e groupe Z. Le nombre de compagnies fut ramené à 8 par suppression de la 5e compagnie du 31e bataillon. Il fut ainsi constitué dans chaque bataillon, par dissolution de cette compagnie, une section de parc.
Ainsi, en juillet 1917, on compte : 2 groupes Z à 2 bataillons ; chaque bataillon étant constitué de 2 compagnies Z et d’une section de parc, chaque compagnie Z possédant 3 sections et un poste mobile de météorologie.
Par exemple, le 33e bataillon comprend la Cie 33/1 (22/32 puis 32/1) et la Cie 33/2 (ex 32/3), 2iem groupe Z.
Les compagnies Z utilisaient trois types de bouteilles : type lourd (70 kg pour 40 kg de gaz, 1,25m de haut), type moyen (50 kg pour 27 kg de gaz, 0,90m de haut), type léger (25 kg pour 15 kg de gaz, 0,75 m de haut).
Pour les opérations avec matériel léger , l’émission pouvait avoir une durée de 5 à 20 minutes suivant la densité de la vague, sur un front de 500 à 600 mètres pour une compagnie (750 bouteilles légères, soit 11,250 tonnes de gaz par compagnie).
Toutes les bouteilles étaient constituées de tôle d'acier de 4mm d'épaisseur, soudées à l'autogène, portant à leur base une frette servant d'embase au récipient. Leur diamètre était de 20 cm.
Ces trois types de bouteilles portent à leur partie supérieure un robinet à pointeau et un tube plongeur vissé dans l'oeil du récipient. Le tube plongeur a un diamètre intérieur de 5 mm. Le robinet à pointeau est manoeuvré au moyen d'une clef carrée de 8 mm.
Pour les opérations avec matériel lourd, une compagnie pouvait faire une émission d’une durée de 1 à 2 heures, suivant la densité de la vague, sur un front minimum de 3 km. On utilisait alors près de 1000 bouteilles par km (40 tonnes/km) ; une compagnie pouvant mettre en œuvre environ 3000 bouteilles. Les bouteilles étaient groupées sur un collecteur en fer, prolongé par un tube d’éjection en plomb se terminant par une lance en fer. Les bouteilles étaient alors dissimulées dans des abris creusés au moins à 2 mètres sous le parapet.
La vague pouvait être rendue opaque par l’adjonction d’un produit fumigène : l’opacite ou chlorure d’étain.
La première opération des compagnies Z devait se réaliser dans l’Aisne, près du mont Têtu. Le lâcher de la vague, programmé pour le 3 décembre 1915, fut repoussé à plusieurs reprises pour finalement être annulé pour des raisons météorologiques et techniques.
Très peu de travaux permettent aujourd'hui d'appréhender cet aspect des hostilités du côté français. L'essentiel de ceux qui ont été publiés jusqu'ici sont complètement inexacts et absolument inexploitables tant ils sont truffés d'erreurs. Olivier Lepick, dans son ouvrage La Grande guerre Chimique, dresse pour la première fois un tableau de ces attaques un peu plus précis. Il insiste sur la difficulté à retracer un bilan de ces opérations, les archives allemandes étant malheureusement parties en fumée à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les publications les plus récentes jugent l'ensemble du programme chimique français, et particulièrement celui relatif aux attaques par vagues gazeuses, comme médiocre. La réussite des attaques françaises serait limitée par trois facteurs : le tonnage de gaz utilisé pendant ces attaques, l'utilisation de chlore seul et la qualité du masque respiratoire allemand. Une étude plus approfondie de l'ensemble des opérations des compagnies Z permet de confondre ce jugement. La qualité des observations et des études réalisées par l'IEEC ont permis aux services français d'atteindre une maîtrise dans ce domaine, inconnue jusqu'alors. Non seulement, le tonnage utilisé fut dans l'ensemble important et souvent supérieur à celui observé par les Allemands, mais les travaux réalisés sur les facteurs influençant la concentration de la vague, permirent de déterminer les conditions d'émission les plus favorables et d'obtenir des concentrations de toxiques bien plus élevée pour des tonnages identiques. Les conditions météorologiques furent définies avec soin ; vitesse du vent, régularité, mouvements particuliers dans chaque secteur d'émission, tendances générales des vents, vitesse au sol et à plusieurs mètres de haut, heure d'émission, température du sol et différence avec la température ambiante, soleil, humidité... Mais aussi une quantité d'autres facteurs, comme la vitesse d'éjection du gaz en sortie des rampes d'émission, fonction du gaz utilisé, de la contenance des bouteilles, de la température ambiante, du nombre de bouteilles groupées sur une nourrice, ou sur un collecteur, de la longueur du tuyau de la bouteille à la rampe, de sa constitution (diamètre, métal, caoutchouc...), de la profondeur des abris d'émission (facteur pouvant diminuer de moitié la concentration de la vague), et de bien d'autres encore. Selon les études menées par le capitaine Bied Charreton, ces facteurs pouvaient modifier la concentration obtenue d'un facteur de 1 à 10.
La décision d'ajouter du phosgène au chlore dans les vagues fut prise le 18 décembre 1915 par le général Commandant en Chef.
Contrairement aux unités allemandes, les compagnies Z procédaient à la mise en place des bouteilles chargées de gaz toxique, en les enfouissant dans des abris souterrain, qui les mettaient à l'abri des tirs d'artillerie. Au cours de l'année 1916 et pendant les premières émissions, ces abris étaient peu profonds. Mais l'expérience démontra qu'il était nécessaire d'avoir une couche de terre de plusieurs mètres pour suffisamment protéger les cylindres d'acier. L'aménagement de ces abris fut constamment modifié pour qu'ils puissent accueillir un nombre de bouteilles de plus en plus important.
Les opérations étaient en principe à l’initiative des commandants de groupe d’armée, auxquels une compagnie (ou plus) était mise à disposition. L’étude des opérations incombait au commandant du groupe Z ou de la compagnie, ou du bataillon. Il déterminait les zones de terrain où l’opération était envisageable et définissait le plan général.
Ce plan était envoyé au Général Commandant en Chef. Puis, venait l’étude préliminaire et détaillée, avec examen topographique du terrain, détermination du type d’installation à adopter, liaisons téléphoniques à créer, nature et quantité du matériel à prévoir, étude météorologique et probabiliste. Elle donnait lieu à la rédaction d’un projet d’opération, présenté par le chef du groupe Z (ou commandant de compagnie avant leur formation) et soumis à l’approbation du Général Commandant le groupe d’armée qui envoyait au Général en Chef un compte rendu succinct de l’opération projetée.
Après approbation, on passait à la préparation. Le chef de bataillon préparait la commande de matériel, le piquetage en ligne des postes d’émission et s’assurait du bon déroulement des travaux et de l’installation. Les bouteilles étaient envoyées par train, réceptionnées à la gare la plus proche du front, et transportées par camion ou par voie de 60 au plus près des lignes. Elles étaient ensuite portées à bras dans les boyaux et tranchées. Puis, un fois les travaux terminés, venait la période d’attente des conditions favorables.
Dès qu’elles se présentaient, les compagnies étaient alertées par le commandant de l’unité. L’heure de l’attaque était fixé par le général commandant la division ou le groupe d’armée, sur proposition du commandant de l’unité Z. L’attaque déclenchée, ce dernier en surveillait, minute par minute, en liaison téléphonique constante avec les postes météorologiques et les postes d’émission, le déroulement.
En général, deux hommes étaient affectés à chaque poste d'émission. Un caporal surveillait 5 postes, un sergent douze postes, un lieutenant et un adjudant surveillaient 25 postes. Les différentes phases de l'opération se faisaient à des heurs fixées à l'avance, pour éviter l'emploi de signaux qui pourraient donner l'éveil à l'ennemi.
Chaque Cie puis chaque groupe Z possédait un poste météorologique. Avant l'opération, il renseignait le commandement sur le régime atmosphérique du moment et celui probable dans les heures à venir. Peu de temps avant l'opération, il faisait des prévisions à courte échéance, pour préciser l'heure à laquelle l'opération pouvait avoir lieu. Pendant l'opération, il suivait à chaque instant l'allure des vents pour permettre au commandement de donner l'ordre d'arrêt si la poursuite de l'opération devenait dangereuse. Deux études étaient systématiquement faites. La première était celle de la situation atmosphérique générale. Deux à trois fois par jour, les postes Z recevaient de toutes les stations météo de France, des pays alliés et des principaux pays neutres, les renseignements concernant la situation et la tendance barométrique, ainsi que l'état du temps à ces postes. Au moyen de ces renseignements, les chefs de poste établissaient les cartes isobariques qui faisaient ressortir les points de basse et haute pression. Ces cartes permettaient, dans une certaine mesure, de prévoir la direction des vents et la vitesse des grands courants aériens. La seconde était l'étude des modifications que subissaient le poste météo et les éléments atmosphériques des lignes. La forme et la nature du terrain avaient une influence considérable sur la vitesse et la direction du vent au contact du sol, et c'est précisément ces conditions qui influençaient la vague à son émission. Il fallait ainsi, par une longue série d'observation quotidienne, poursuivie simultanément au poste météo et dans les tranchées de première ligne, déterminer à quelle vitesse et direction de vent en chaque point de la tranchée, correspondait chaque vitesse et direction de vent lues au poste météo. Toutes ces observations permettaient d'établir des tables de correspondance qui permettaient de déduire d'une lecture faite au poste, une vitesse et une direction réelle de vent au parapet de la tranchée d'émission.
La compagnie 22/32 embarquait le 3 novembre 1915 de la gare des matelots pour la Champagne. Sur place, elle procéda à l’instruction des renforts qui finissaient de rejoindre la compagnie, et à diverses reconnaissances. Le choix du site pour la première émission fut retenu le 16 novembre : le mont 180, entre le mont Têtu et la butte de Mesnil. Les travaux d’aménagement débutèrent le 18 ; les abris furent creusés sous le parapet de la tranchée, sous forme de niches d’émission, peu profondes.
Mais rapidement, les conditions de travail devaient se détériorer. Le gel et dégel successif et la pluie éboulaient les niches aménagées. L’accès aux premières lignes devenait très compliqué au milieu de tranchées effondrées par les conditions météorologiques et les bombardements. Puis, les sacs de terre et le matériel de boisage finirent par disparaître au profit des troupes d’infanterie qui n’hésitaient pas à piller les abris. Des sapeurs furent blessés par les bombardements incessants.
Enfin, le portage des bouteilles en première ligne débuta le 29 novembre. 500 bouteilles furent amenées à destination dans des conditions difficiles, de nuit. La fin du transport devait avoir lieu dans la nuit du 2 décembre ; les hommes partirent avec leur chargement de l’index à 18 heure. Mais les porteurs, après avoir lutté jusqu’à 4 heure du matin, durent abandonner leurs bouteilles où elles se trouvaient. Plusieurs s’étaient cassés une jambe, démis l’épaule, ou avaient été blessé par les bombardements. Il fallut trois nuits pour rassembler les bouteilles laissées éparses sur le terrain. Le 7 décembre, la compagnie fut contrainte de réparer toutes les niches d’émission, détruites par le mauvais temps. Le 9, tout était enfin prêt et la compagnie, très éprouvée, prit position en première ligne dans l’attente de conditions favorables. Le 11, un renfort de la compagnie 22/31 arrivait pour remplacer la centaine d’hommes évacués depuis les jours derniers. Les conditions étaient toujours déplorables. Le 11, à minuit, l’ordre fut donné de mettre les bouteilles en batterie et de fixer la tubulure ; l’émission devait être imminente. De nombreuses bouteilles fuyaient, le matériel avait été très éprouvé, tant et si bien que dans la confusion la plus complète, l’opération fut purement et simplement annulée.
Dans les jours suivant, l’état du matériel fut de nouveau évalué, et devant les réparations à effectuer, l’opération fut définitivement abandonnée. Le 17 novembre, la compagnie recevait l’ordre de changer de secteur. C’est donc une méconnaissance complète de la complexité de la mise en œuvre de ces opérations qui serra la cause de l’avortement de la première émission gazeuse française.
Malheureusement, l’arrivée du matériel spécial et son transport, l’indiscrétion des troupes ne permirent pas de préserver le secret de l’opération. Il s’en suivi un énervement général de la population et du commandement. Cette situation fut connue du Président de la République, Raymond Poincaré, en voyage dans la région, puis par différents membres du gouvernement. Ils firent remarquer que des populations civiles françaises importantes vivaient à proximité de la ligne d’émission et que la nappe de gaz ne manquerait pas de provoquer des pertes parmi ces civils français. Il semble que Poincaré intervint personnellement pour empêcher l’opération, en jugeant la perte de populations civiles françaises comme intolérable. Les militaires français jugèrent que l’opération ne pouvait avoir lieu sans évacuation de la ville de Thann, ce qui ne semblai pas réalisable.
A la date du 30 janvier, la compagnie Z reçue l’ordre de se tenir prête à opérer. On remarqua alors dans les tranchées ennemies, des essais de rampes de feu destinées à la protection contre les gaz ; l’opération était donc connue également de l’ennemi et fut finalement ajournée.
La compagnie fut alors dirigée vers le Thillot, mais le matériel arrivé en pleine nuit fut installé tout près de la gare, à la vue de tous les voyageurs. En hâte, des bâches furent demandées au commandant du cantonnement de la gare, qui refusa...
Les conclusions sur les préparatifs des opérations spéciales furent rapidement tirées : « une compagnies Z arrivant dans un secteur ne doit pas être astreinte aux mêmes démarches qu’une unité quelconque sous peine d’attirer l’attention et de compromettre l’opération projetée (…) ; elle doit être isolée le plus possible de tout autre troupe ou de civils (…) ; le matériel qui doit rejoindre le plus tard possible la compagnie, doit être transporté de la gare aux abris d’attente la nuit ». Suite à l’échec de l’opération de Thann, le commandant Chevalier fut remplacé par le chef de bataillon Bloch, commandant le génie de la 129e D.I.. Puis le capitaine Franceschi fut nommé pour remplacer le capitaine Grisard, à la tête de la compagnie 22/31. Le 28 avril, la compagnie 22/31 reçut l’ordre de s’installer dans la région du Violu.
La première opération ayant effectivement été réalisée se déroula au nord de Reims, à La Neuville-Le Godat, le 14 février 1916 . Contrairement à ce qui est fréquemment reporté, cette opération fut de grande envergure , 2700 bouteilles contenant 108 tonnes de chlore ayant été placées en ligne. Au final, 90 tonnes de chlore sur 2,2km de front seront utilisés pour l'opération, soit un tonnage de 40 tonnes par km, un tonnage plus important que celui des vagues allemandes de l'année 1915 et sur un adversaire qui possède un appareil de protection nettement moins efficace que celui des troupes françaises (voir l'historique de la compagnie 22/33). Par ailleurs, et toujours en opposition à ce que l'ensemble des auteurs ont pu décrire jusqu'ici, ces opérations sont presque toutes d'envergure importante, comme le laisse voir le tableau ci-dessous.
Les premières opérations sont l'occasion de nombreux essais, la technique et l'organisation se développant au fur et à mesure des émissions. Rapidement, les bouteilles sont protégées dans des abris creusés sous le parapet de la tranchée, abris qui seront creusés de plus en plus profondément et qui abriteront un nombre de bouteilles de plus en plus important. Dans la majeure partie des opérations par matériel lourd, les abris sont séparés d'une distance d'une vingtaine de mètres. Les tuyauteries en caoutchouc sont remplacées par de collecteurs métalliques sur lesquels ont dispose 3, puis 6,12 et enfin 18 bouteilles. La première émission réalisée par matériel léger se déroule le 3 juin 1916, au Violu, sur un terrain à priori impraticable pour ce genre d'opération. Très rapide à mettre en oeuvre, ce type d'émission devait surprendre l'adversaire dans des secteurs réputés à l'abri d'attaques par vague. Les documents saisis sur des prisonniers allemands mettront en lumière la crainte que les troupes ennemies pouvaient avoir devant ce type d'attaque, où aucun secteur ne pouvait être épargné. De fait, ce type d'opération fut l'objet d'études et d'instructions particulières, de façon à se développer dès la fin de l'année 1916. Malgré un tonnage faible et une largeur de front réduite, les conditions d'émission permettaient d'obtenir des résultats probants tout en harcelant l'adversaire. L'inconvénient majeur était la dangerosité et la vulnérabilité ; la dernière de ces opérations se soldera par l'intoxication de près de la moitié de la Cie et le décès de 79 sapeurs.
Au cours de l'année 1916, les émissions furent concentrées sur quelques secteurs géographique. La région au nord de Roye, coupée en deux une petite rivière de Picardie, la Avre, fut l'objet de plus de 50 lâchers de gaz contre les troupes allemandes, dans le cadre de 11 opérations successives menées par le 31e bataillon du génie. Ces attaques locales, planifiées dans le cadre de la grande offensive franco-britannique de la Somme, avaient pour objet de harceler l'adversaire, de lui causer le plus de pertes possible et surtout de l'obliger à maintenir sur ce front une quantité de troupe importante, en lui faisant craindre une action offensive sur ce secteur à la limite de la grande offensive. Ces troupes allemandes, maintenues dans un secteur qui s'avèrera stratégiquement insignifiant, manquèrent sur le front de la bataille qui se jouait à quelques kilomètres de là.
La diversité du type d'opérations menées par les unités Z est tellement étendue qu'il est très délicat d'en faire une synthèse. Les velléités offensives des opérations chimiques, telles qu'elles avaient été envisagée aux prémices de la réplique alliée, furent revues très largement à la baisse. Et même, lors des préparatifs de la première opération préparée par la Cie 22/32, il n'était absolument plus question de percer le front, ni même de lancer une offensive limitée, à la suite d'un lâcher de gaz. Le but de ce type d'opération est pratiquement constant tout au long du conflit ; harceler l'adversaire, lui provoquer des pertes, fixer ses réserves sur des points du front sans intérêt stratégique, le contraindre à une défense passive en tous lieux et tous points du front, le démoraliser... A certaines occasions, les lâchers de gaz pouvaient avoir pour objectif de forcer la résistance de certaines parties du front, sur des objectifs restreins et dans le cadre d'opérations limitées. Très souvent, ces opérations étaient suivies de coups de mains, organisés par les troupes occupant le secteur et souvent avec l'aide de sapeurs volontaires des Cies Z. Ils étaient l'occasion de cueillir des renseignements chez l'adversaire et de se rendre compte de l'efficacité des vagues gazeuses. En 1916, ils étaient fréquemment lancés après la dernière vague ; l'ennemie qui était souvent aux aguets et les tirs de représailles de l'artillerie allemande rendaient ces missions très périlleuses. Parfois, les hommes n'avaient même pas l'occasion de quitter les lignes françaises tant la densité du feu ennemi était importante. A partir de 1917, on choisit souvent d'attendre avant d'envoyer les troupes opérer ces coups de mains. Parfois, ils avaient lieu un, deux ou trois jours après l'opération. Les prisonniers recueillis étaient alors plus à même de fournir des renseignements sur les effets des gaz.
Tout au long du conflit, de nombreuses stratégies furent élaborées pour surprendre les Allemands lors des émissions. La première vague était souvent claire, de concentration importante pour causer le maximum de pertes. Les chefs de bataillon planifiaient parfois un deuxième lâcher dans les deux minutes suivantes, à l'aide d'une vague opaque. Malheur à celui qui n'avait pas son appareil de protection directement sous la main. En plus de l'atmosphère toxique qui envahissait la tranchée, la visibilité tombait alors à quelques centimètres au bout de 2 minutes et pouvait provoquer un véritable mouvement de panique. Toutes les combinaisons possibles furent essayées, de façon à ne jamais renouveler un plan d'opération (voir le détails des opérations).
Au final, il est frappant de constater avec quelle détermination les services chimiques français se sont consacré à la technique des vagues gazeuses dérivantes, sans entraver le développement d'autres techniques comme celle de l'artillerie. Les troupes allemandes et anglaises se contentaient de porter en ligne des milliers de cylindres, de les enterrer au deux tiers et d'ouvrir les pointeaux au moment opportun ; l'évacuation se faisait par un simple tuyau de caoutchouc qui était fixé sur le bord de la tranchée. De leurs côté, l'organisation des émissions par les Cies Z devint de plus en plus complexe. Les postes d'émission des opérations par matériel lourd étaient protégés par plusieurs mètres de terre et regroupaient parfois des dizaines de bouteilles, montées sur des collecteurs avec des nourrices métalliques calibrées. Rien n'était laissé au hasard et tout avait été déterminé pour une efficacité maximale (voir la partie Etude et la partie Technique) . Les différents secteurs d'émission étaient tous reliés par ligne téléphonique au PC de la Cie ou au PC de commandement. Les lignes téléphoniques étaient souvent doublées par des lignes de secours. En plus d'un poste météorologique placé en arrière du front, différents opérateurs météo communiquaient en temps réel leurs informations au PC, tous les jours, ainsi que pendant toute la durée des opérations. La direction des vents et leur vitesse étaient analysées en temps réel lors des émissions ; le commandant de la Cie pouvait (ce qui se fit fréquemment) arrêter à tous moment un poste ou un groupe de postes d'émission, qui pouvait présenter un risque en raison de conditions météo défavorables. Malgré toutes ces précautions, les intoxications dans les rangs des manipulateurs des Cies Z étaient fréquentes. On imagine donc aisément qu'elles furent encore plus nombreuses au sein des troupes allemandes qui n'avaient pas mis en place de système si complet de précautions.
Date
Front d’émission
Nature de l’émission
Corps allemands paraissant avoir subi l’attaque
Observations
14 février1916
Secteur de Reims
La Neuville le Godat
4h30-5h50, front de 2200 m
1h00 d'émission entrecoupée de deux pauses.
Chlore
90 tonnes
40 t/km
32e Div
22/33(32/2)
25 mars 1916
Secteur de la Pompelle
23h00-23h30 23h45-00h05, front de 2800 m
72 tonnes
25t/km
4e Div
39 intoxications dans les unités Z, 75 au total.
13 avril 1916
Secteur de Compiègne
Ferme de Quennevières, Boyau du peintre (Compiègne),2h30-4h00
Front de 2600 m
103 tonnes
40t/km
16e Div de réserve
4 juin 1916
Secteur Les Marquises
22h00-23h00
Front de près de 3000 m
23t/km
103e Div
14 intoxications dans les unités Z
13 juin 1916
La Neuville Le godat
35 tonnes
32e Div, 12e Btn de chasseurs
28 juin 1916
Région nord de Roye (Somme)
Fouquescourt-Parvillers-Andèchy
Front de 7100m
220 tonnes
31t/km
36e Div
5 juillet 1916
Lihons-Maucourt
35e Div
Opération interrompue ; 62 intoxications dans l’unité Z et 8 morts.
12 juillet 1916
Secteur Echelle Saint-Aurin-Dancourt-calvaire de Beuvraignes
Front de 5400 m
130 tonnes
24t/km
2e Div de la Garde
31/2 : 76 tonnes
14 août 1916
Secteur Echelle Saint-Aurin-Dancourt-route de Tilloloy à Roye
Front de 3800 m
110 tonnes (57 + 53) tonnes
29t/km
11e Div de réserve
15 août 1916
Région nord-est de Compiègne
Secteur sud-ouest de Moulin-s/-Touvent
Front de 2200 m
40 tonnes
18t/km
25 août 1916
Ferme de Navarin
Front évalué à 12 000m
420 tonnes ?
38t/km
9e et 10e Div de réserve
32/3 : 103 tonnes sur près de 3km ; 35t/km
22/34 : 52 tonnes
13 septembre 1916
Route d’Amiens à Roye et Andechy
Front de 2400 m
16t/km
8e Div de réserve Bav
4 octobre 1916
Secteur Ferme de Quennevières Boyau Duplessis
Front de 2750 m
60 tonnes
22t/km
45e Div de réserve
7 intoxications dans l’unité Z
6 octobre 1916
Secteur Somme-Suippes, Perthes, du boyau Jousset dans la tranchée Wombey, au saillant ouest du bois du coucou, du boyau chabannais à la tranchée Fleurus.
128 tonnes
42t/km
52e Div de réserve
28 octobre 1916
Secteur Echelle-Saint-Aurin-Dancourt
Front de 2100 m + 1100 m
Chlore-phosgène
155 tonnes
47t/km
33/1 : 96 tonnes
8 novembre 1916
Secteur de la Harazée
Matériel léger
19e Div de réserve
23 novembre 1916
Secteur de Saint-Souplet
10e Div erzatz
25 novembre 1916
idem
Idem
5 décembre 1916
Fouquescourt-Andéchy
Front d'environ 6000m
212 tonnes
35 t/km
15e Div de réserve
6 intoxications
31/2 : 106 tonnes
12 décembre 1916
Secteur sud-ouest de Moulins-s/-Touvent
213e Div
Secteur de Bailly
Front de 500 m
212e Rgt de réserve
20 décembre 1916
Secteur au nord de Vingré
80 tonnes
36t/km
9e Div
4 intoxications
22 décembre 1916
Secteur Dancourt bois D
100 tonnes
23e Div
23 décembre 1916
Suite de l'opération de la veille
31 décembre 1916
Secteur de Tahure
Chlore (puis chlore + opacite) : 9 tonnes (matériel léger)
Phosgène : 1,6 tonnes (matériel 1/2 lourd).
263e Rgt, 239e Rgt, 240e Rgt
16 février 1917
21h00
Secteur de Sainte-Marie à Py-Saint-Souplet, à l’est de la route Saint-Hilaire-le-Grand-Saint Souplet
Front de 1450 m, une vague 21h à22h30
Chlore + Phosgène + Opacite
127 tonnes
Matériel lourd
90t/km
25e Div de réserve
26 intoxications
17 février 1917
1h00
Secteur d’Auberive, à cheval sur la route de Mourmelon-le-Grand à Auberive, secteur Russe
Front de 1400 m
Chlore + Phosgène
128+16 tonnes
100t/km
212e Div de réserve
Interrompue par une saute de vent, seulement 319 bouteilles ouvertes
29 mars 1917
5h00
Chlore + Opacite + Phosgène en 2 vagues
Matériel lourd 3800 bouteilles
144 tonnes
212 Div de réserve
1er avril 1917
0h00
Bois Brûlé, forêt d’Apremont
Front de 600 m
1er vague 0h00 à 0h08, Chlore + Opacite
2e vague : 1h30 à 1h40, Chlore + Phosgène + Opacite
28t/km
1er Div Bav
2h00-2h15
12 tonnes
Une vague
31 mai 1917
22h30
Secteur de Nieuport, entre la côte et le canal de Plaschenaele
Front de 2650 m
de 22h30 à 23h30
126 tonnes
48t/km
1er Div Maritime
Front non continu en raison des Polders.
30 intoxications
31/2 : 64 tonnes
4 juin 1917
0h45
Front utile 1200 m (?)
Une vague Chlore + Phosgène avec matériel léger à 0h45
7,2 tonnes pour la Cie 31/1 et sensiblement le même tonnage pour 31/2
2e vague : 2h00
Chlore + phosgène +opacite 12 tonnes
25 juin 1917
Opération de la Grotte du dragon
31/4 (deviendra 32/2)
11 juillet 1917
1h30
Secteur de Troyon, Bois de Saint-Remy au sud de la route de Mouilly à Saint-Remy
Front de 350 m
Une vague Chlore + phosgène + opacite de 15 min.
34t/km
8e Div de Ldw
Secteur de Troyon, Bois Bouchot, en avant de Vaux-les-Palameix
Front de 400 m
1er vague : 1h30 à 1h38, Chlore + phosgène
2e vague : 2h30 à 2h36, Chlore + opacite
30t/km
19 juillet 1917
La Harazée
Une vague Chlore + phosgène + Opacite de 1h00 à 1h12
30 tonnes
75 t/km
2e Div Bav
24 juillet 1917
Urvillers
24 août 1917
Saint-Quentin, saillant de Rocourt, saillant côte 116
Front de 10 000 m
380 tonnes
75 intoxications dont 1 mort.
31/1 : 84 tonnes
9 septembre 1917
Creute du Panthéon
14 septembre 1917
Seicheprey, bois de Mort Mare
1er vague : 2h30
2e v
40 tonnes Chlore + opacite + phosgène
3 octobre 1917
Fey en Haye
Front de 1000m
Chlore + phosgène
14 octobre 1917
Marvoisin
7 tonnes
17t/km
30 octobre 1917
Front de 1200 m
66t/km
24 novembre 1917
Secteur sud-ouest de Juvincourt, Ville au Bois
15 tonnes chlore phosgène
Renforcée par un tir de 500 bombes de projecteurs
27 novembre 1917
Seicheprey, bois de Faye de Chenevières, bois de Remières
Front de 300 m
14 tonnes
46t/km
9 décembre 1917
Bois de Mortmare
Front de 750 m
3 front différents
18 tonnes de chlore-phosgène et chlore-phosgène-opacite.
24t/km sur 5 et 10 minutes.
6 janvier 1918
50 tonnes
41t/km
19 intoxications
10 janvier 1918
Secteur de Reillon-Saint-Martin
Front de 3000 m
174 tonnes chlore-phosgène-chloropicrine
58t/km
12 intoxications dont 3 morts.
19 janvier 1918
Secteur de Veho
9 tonnes
12t/km
6 intoxiqués
9 février 1918
Secteur de Badonviller, ferme du Malgrejean
19 mars 1918
Bois Banal
Émission à 23h30
Chlore-phosgène-opacite
Type lourd et léger
45 tonnes
37t/km
7,5 tonnes de phosgène.
Nous avons développé l'historique de chacune de ces attaques dans les pages des Compagnies Z, mais nous revenons ici sur quelques opérations particulières :
Probablement par hasard, deux Compagnies Z du Génie et des pionniers des Compagnies chimiques allemandes vont se retrouver en face, dans le cadre de préparations et d’opérations chimiques proprement dites.
Nous ignorons presque tout des préparatifs allemands en vue de ces attaques. Elles furent menées conjointement avec des troupes du Corps de Marine des Flandres, son détachement d’assaut et des pionniers des compagnies chimiques.
Le détachement d’assaut du Corps de Marine des Flandres, ou Sturm-Abteilung du Marine-Korps, fut créé par ordre du jour du 15 juillet 1916. 300 hommes furent prélevés sur les 3 régiments d’Infanterie de Marine, les 5 régiments de fusilliers Marins ainsi que des compagnies du Génie du Marine-Korps.
Stationnés à De Haan, ces hommes reçurent une formation de six semaines en vue de former une troupe d’élite. A l’issue de cette formation, les 100 meilleurs soldats furent sélectionnés et constituèrent un Sturm-Abteilung. Ils reçurent leur baptême du feu à compter du 20 octobre 1916. La création du Sturm-Abteilung fut officialisée par ordonnance le 11 février 1917.
Ces hommes furent ainsi engagée dans l’opération « Feldpost » à partir du mois de mars 1917.
Ci-dessus : exceptionnel document présentant un pionnier des compagnies chimiques, une bouteille de gaz dans le dos, expliquant son fonctionnement devant des hommes et des officiers du Marine-Korps, dans le cadre de l'opération Feldpost.
Le 31 bataillon Z du Génie rejoint le secteur de Nieuport.
Le 15 avril 1917, le 31e Bataillon du Génie constitué des Cies 31/1 et 31/2, est désigné pour une opération chimique dans le secteur de Nieuport occupé par la 79e D.I.. Le bataillon débarque le 17 avril en gare de Furnes en Belgique et part cantonner au camps de Champérimont à l’ouest de Dunkerque.
Le 19 avril, le piquetage des abris commence. Le secteur de la 31/1 est situé entre le centre Albert et la mer du Nord, représentant 131 abris (d'un point situé à 50m à droite du boyau Verrières à un point situé 60m à gauche du boyau Michel). La configuration du terrain étant particulière, il s'agit de dunes de sable, la construction d'abris classiques s'avère impossible. On envisage donc la construction de caisses abris et de postes d'émission constitués de sacs de sable. Chaque poste comprend 12 bouteilles, 6 de chlore et 6 de mélange chlore et phosgène. La 31/2 prend le secteur : Mammelont vert-point G. 1536 bouteilles doivent ainsi être disposées, soit 61 tonnes de gaz sur un front total pour les deux Cies, de 2650 m.
Alerte ! Gaz !
Le 23 avril, en fin d’après midi, les sapeurs sont en ligne, travaillant à la construction des abris d’émission. Vers 16h00, tout le secteur retenti des klaxons d’alerte. Aucun doute possible, les hommes réalisent en quelques secondes qu’ils sont pris dans une attaque au gaz. Chacun se précipite sur son masque M2 et sous les ordres des sous-officiers, s’équipent et saisissent leurs armes pour se précipiter aux parapets des tranchées de première ligne.
Dans le secteur de la 31/1, la vitesse du vent est élevée. Les hommes ne ressentent aucune odeur et on ne déplore aucune perte.
La 31/2 n’a pas cette chance. Elle est prise directement sous le vent qui porte la vague de gaz. Un bombardement d’artillerie est déclenché sur la ligne et rend la position extrêmement difficile à tenir. La vague dure une vingtaine de minutes pendant lesquelles les sapeurs et les fantassins restent en première ligne. Puis, elle s’interrompt pendant une dizaine de minutes et reprend à nouveau pour quinze à vingt minutes. Sur ordre, les 2e et 3e sections se replient sur la position L2, tandis que la 1er reste en ligne avec les fusiliers marins.
Par intermittence selon les secteurs, la vague est accompagnée d’émission de fumigènes qui obscurcissent le paysage et plonge les hommes dans une atmosphère d’apocalypse. Tous sont aux aguets et tentent de distinguer ce qui se passe du côté des tranchées allemandes.
Puis tout s’interrompt de nouveau. Le vent balaye rapidement les panaches de fumée qui entouraient encore les hommes quelques minutes auparavant. Les sapeurs conservent leur masque au visage et scrutent les tranchées allemandes, au travers de leurs oculaires embués. Au fur et à mesure que le calme revient, la tension augmente chez les hommes.
5h00, subitement, l’azur semble déchiré par un nouveau vacarme assourdissant ; le bombardement d’artillerie redouble de violence et s’étend sur tout l’arrière du secteur, finissant d’isoler les hommes des premières lignes du reste du monde.
Simultanément, des groupes de fantassins allemands sortent de leurs lignes et par petits groupes compacts et résolus, s’approchent des lignes françaises et tentent de s’en emparer. Les sapeurs tirent, un combat se déclenche, violent dans certains secteurs où les groupent allemands débouchent dans les tranchées et tentent de faire des prisonniers. Ces hommes appartiennent au détachement d’assaut du Corps de Marine des Flandres ; ils sont particulièrement entraînés à ce type de combat et sont là pour en découdre avec les français. A plusieurs endroits, ils gagnent les lignes françaises et affrontent directement leurs occupants. Ils parviennent à faire des prisonniers mais laissent de nombreuses victimes dans les tranchées et devant la pugnacité des défenseurs, finissent par abandonner le combat et reviennent dans leurs lignes en emportant avec eux nombre des corps de leurs camarades.
Au soir du 23 avril, les pertes sont lourdes : la Cie perd 5 blessés, 5 tués et 66 intoxiqués. Au niveau de la 29e Division, on compte 64 tués, 138 blessés, 15 disparus et 191 intoxiqués.
Le nombre d’intoxiqués va sans cesse augmenter les jours suivants (Les chiffres de la 57e Brigade sont inconnus. La 58e Brigade (3e RI et 351e RI), 126 asphyxiés au soir du 23). La vague contenait en effet du phosgène, un gaz inodore très insidieux qui a la particularité de provoquer des intoxications retardées plusieurs jours après avoir été inhalé (voir pour le phosgène : http://www.guerredesgaz.fr/lesgaz/suffocants/suffocants.htm ).
Ainsi les évacuations vont se poursuivent les jours suivants au sein de la Compagnie 31/2 : le 25 avril, 17 sapeurs ayant pris part aux combats du 23 avril, sont évacués vers l'arrière en raison de symptômes d'intoxication retardée. Puis, le lendemain 26 avril, 5 autres sapeurs et le 27 avril, 5 autres sont évacués pour les mêmes raisons. 7 sapeurs le 29 avril, 4 le 1er mai, 9 le 2 mai, 5 le 3 mai, 3 le 6 mai, 2 le 9 mai, portant le total à près de 150 intoxiqués évacués, plus du tiers de l’effectif.
En raison de ces intoxications retardées et de la difficulté à déterminer l’ensemble des unités en ligne à ce moment, il reste difficile de préciser le nombre total de victimes. A minima, on déplore 553 intoxications graves dont 58 mortelles sur les troupes en présence, mais en réalité probablement plus. Et pourtant, la vitesse du vent était bien trop élevée pour ce type d'opération (5 à 6 m/s) ; la vague n'a eu d'effets toxiques que sur une profondeur de 3 à 400 mètres et aucune intoxication ne fut à déplorer au delà de l'Yser.
Rapport de la 29e DI : Il s'agit d'une attaque allemande précédée d'une émission de gaz. Elle a été particulièrement énergique sur les dunes, et aussi dirigée aussi sur les PA de l'Avenue et de l'Eclusette, sur le Mamelon vert et le Boterdijk. La durée de la première vague a été de 10 à 15 minutes sur le sous secteur de l'Yser, et de 20 minutes partout ailleurs. Partout, sauf à St Georges, elle a été suivie d'un intense bombardement d'artillerie (commencé à 5h00) a la suite duquel l'infanterie a débouché. A Mieuwendamme, une deuxième vague a suivie à 5h00 puis 5h30, sans aucune attaque d'infanterie. Dans les autres secteurs, nos 1er lignes renforcées au moment de l'alerte, ont toutes été évacuées au moment du tir d'artillerie, à 5h00. Dans tous les secteurs, des troupes d'assaut du Sturm Abteilung du Corps des Marines des Flandres ont débouchées par petits groupes, et ont tenté de prendre nos lignes ; ils y ont parfois pris pied mais ont été repoussés par la suite. Dans plusieurs secteurs, ils ont fait quelques prisonniers. Les troupes d'assaut allemandes laissent sur le terrain plusieurs morts, et parviennent à ramener les corps de nombre d'entre-eux dans leurs lignes. On compte approximativement au soir du 23 avril, 64 tués, 138 blessés, 15 disparus et 191 intoxiqués. Le nombre de ces derniers va sans cesse augmenter les jours suivants (Les chiffres de la 57e Brigade sont inconnus. La 58e Brigade (3e RI et 351e RI), 126 asphyxiés au soir du 23).
Trois sapeurs seront cités à l’ordre de l’armée pour faits héroïques ; Yésou Yvon (qui trouva la mort ce 23 avril), Roblin Toussaint et Pelleter Jean, tous deux grièvement blessés. Deux hommes seront décorés de la croix de Guerre avec palme, Chevalier Jean-Théodore et Gilet Emile.
Les travaux de préparation de l’attaque se poursuivent malgré tout les jours suivant. Il est convenu que l’opération sera renforcée par une émission par matériel léger si les conditions le permettent. Le 19 mai, les chefs de section procèdent au piquetage pour cette émission. Le portage des bouteilles en ligne débute le 27 et s’achève le 31 mai. Un poste de douze bouteilles est placé tous les dix mètres, de façon à obtenir une concentration maximale de gaz. Certains postes ne seront pas équipés de bouteilles, le service météorologique constatant des remous dans certains secteurs.
Alerte et attaque sur les lignes allemandes
Le 31 mai, alors que les hommes sont redescendu des tranchées, les compagnies sont mises en alerte, les conditions atmosphériques étant favorables. Les hommes s’équipent à nouveau et montent en ligne en emportant les bouteilles de petit modèle. Les sapeurs gagnent les abris et mettent en place la tuyauterie sur les bouteilles dans le silence le plus complet ; le matériel est vérifié et chacun se tiens prêt. Le chef de bataillon à son PC est en liaison constante avec chaque section où un météorologiste le tiens informé en permanence de la vitesse et de la direction du vent. L’opération n’est décidée que si les conditions favorables se maintiennent.
En début de soirée, l’émission par matériel léger est annulée, mais l’opération est maintenue et fixée à 22h30. Les hommes sont prévenus, chacun ajuste sa montre et vérifie à nouveau son matériel. Les masques Tissot sont vérifiés à nouveau, la vie des sapeurs en dépend. Comme toujours, l’attente est interminable dans les 263 postes, tous séparés de seulement dix mètres. 22h30, le signal est donné et un bombardement d’artillerie est déclenché sur les premières lignes allemandes. Il doit couvrir par ses détonations le bruit d’échappement du gaz des bouteilles, puis s’interrompre brutalement au moment où la vague aborde la tranchée allemande. Croyant à une attaque d’infanterie, les allemands devraient bondir de leur tranchée et sauter sur leur parapet et ainsi se faire surprendre par le gaz arrivant sur eux.
Près de 1600 bouteilles sont ouvertes simultanément. Elles libèrent un mélange de chlore et de phosgène qui gagne doucement les lignes allemandes. Le vent est favorable, sa vitesse est parfaite 1,6 à 1,2 mètres/seconde dans le secteur de la Cie 31/2, jusque 2,4 m/s dans celle de la 31/1. Quelques postes doivent fermer leurs bouteilles, le vent étant si faible que quelques retours de gaz se produisent. Dans ces conditions, la concentration en toxique est maximale ; la vague reste collée au sol, ne se disloque pas et ne se dilue pas. Le risque de retour de gaz est également très grand et la vigilance est extrême. L’étude des vents du secteur réalisée avant les opérations et le suivi en continu de l’évolution de sa vitesse, sa force et sa direction doit permettre de suspendre l’émission dans les postes qui deviendraient exposés en cas de changement.
La vague aborde les premières tranchées allemandes en quelques minutes. Tout semble calme, seul le sifflement de vidange des bouteilles est audible au travers des explosions d’artillerie et la nuit enveloppe tout le champs de bataille sans que l’on puisse distinguer les lignes adverses. 22h35, première réaction ennemie, des sirènes, des klaxons, des cris. Nombre de fusées éclairantes sont tirées et illuminent le terrain entièrement recouvert au-delà des lignes françaises par un brouillard très épais, restant collé au sol et progressant doucement sur le secteur allemand.
Les feux de mousqueterie débutent dans les dix premières minutes et s'éteignent tous pendant le reste de l'émission. A la fin de l'émission, seul les tirs d'artillerie lourde persistent. Pour la première fois, l'infanterie et l'artillerie de tranchée (en dehors de l'artillerie lourde située à plusieurs kilomètres en arrière) sont complètement anhilées dès les premières minutes de l'opération. Mais les canons placés plus en arrière réagissent considérablement et exécutent des tirs très puissants sur la première ligne et les boyaux adjacents. Le bombardement devient excessivement violent à partir de 23h00 et sous les explosions, les six dernières bouteilles sont ouvertes à 23h10. L’opération s’achève à 23h30.
Sur tout le front d'opération, des reconnaissances dans les lignes adverses sont prévus pour vérifier les résultats ; c’est une pratique courante après les attaques par vague. Les hommes qui y participent sont volontaires et savent que l’entreprise est extrêmement périlleuse. En général, les tranchées allemandes sont en partie évacuées pendant l’émission de la vague, mais les hommes restent sur le qui-vive et réinvestissent la première ligne à la moindre alerte, les mitrailleuses tirent alors sans cesse, l’artillerie balaie le terrain et les grenades pleuvent à l’approche des lignes allemandes.
Les reconnaissances du 165e RI et du 3e RI. restent bloqués dans leur tranchées par des tirs de mitrailleuses très nourris qui bloquent sur place les troupes qui franchisent le parapet. Impossible d’exécuter la mission.
Seul le groupe de reconnaissance du 141e RI réussit à sortir des tranchées et revient au bout de 20 minutes ; selon ses rapports, l'opération a donnée d'excellents résultats. Les hommes se sont dirigés vers un petit poste allemand situé en avant des lignes ennemies. Ils ont pu l’investir sans problème et sur place ils ne trouvent que des cadavres allemands (trois), manifestement intoxiqués.
Les archives du marine Korps (composé de deux divisions de Marine, trois Marine-Infanterie Rgts, cinq Matrosen Rgts et deux Matrosen Artillerie Rgts) ont aujourd'hui disparues. Les historiques édités après guerre et relativement peu précis des 3 Marine-Infanterie Rgts et du 2 Matrosen Rgt, font état de plusieurs dizaines de décès dans la période (près d'une quarantaine), alors que ces régiments n’étaient vraisemblablement pas en ligne à ce moment, mais dans des positions de repos en arrière.
On dénombrera 39 intoxications au sein de la Cie 31/1, essentiellement par déplacement des appareils de protection consécutif aux souffles des explosions de munitions allemandes pendant le bombardement, cinq morts, 12 blessés, deux brûlés. Au total, c'est 5 tués, 31 blessés, deux brûlés (par des fuites de gaz liquide au niveau des bouteilles) et 43 intoxiqués que le 31e Bataillon du Génie compte. La 29e DI déplore également 18 intoxiqués dans ses rangs.
Emission par matériel léger
Le 1er juin, le bataillon est alerté pour effectuer une deuxième émission avec le matériel du type léger entreposé dans les caves de Nieuport-bain aux environs de l’église. Les Compagnies quittent le camps de Champermont à 20h00 en camion et gagnent les caves de Nieuport. Elles montent en ligne sur le même front que la veille et sont prêtent à opérer à 22h50. Mais l'émission est remise en raison de la mauvaise orientation du vent.
Le 3 juin, nouvelle alerte à 18h00, le vent semblant une fois de plus favorable.
Il faut porter en ligne 160 bouteilles par section, 480 par compagnie soit 960 pour le bataillon. Les tuyaus d’éjection en plomb avaient été roulés autour de la partie supérieure de la bouteille et des tringles en bois de 1 mètre de long disposées par paquet de 16. Ces tringles servaient à assurer la rigidité du tuyau placé sur le parapet. A 20h, les hommes se rendent en camion aux abris d’attente ; ils seront renforcés par 600 hommes de l’infanterie qui aideront au portage.
Les hommes sont chargés des bouteilles dans l'ordre de leur numéro de poste, et dirigés sous le commandement de leurs caporaux ou sous officier vers les premières lignes, masque au cou. Les caporaux portent l’appareil Vermorel chargé au sel Solvay. Les bouteilles sont montées sur la banquette de tir ; accolées par 4 et revêtues de 18 sacs de sable. Les 4 tuyaux d'éjection sont maintenus sur le parapet par des sacs de sable et le système de perche. Cette installation nécessite 15 à 20 minutes et surtout le silence absolu.
Si les conditions météorologiques deviennent optimales, l’opération sera déclenchée. Le vent ne doit pas dépasser les 2 m/s, sous peine de diluer la vague et de la rendre moins efficace. Sa direction et sa force doit rester constante. Les sapeurs sont maintenant aguerris pour ces opérations, mais l’attente reste affreusement longue. Les conditions propices se maintiennent, les ordres sont donnés, l’heure est fixée à 1h00. Puis, un premier contre-ordre avance l’opération à 0h30 et un second à 0h45.
Le 4 juin à 0h45 du matin et sous un vent favorable de 1,2 à 1,65 m/s, l'opération est enfin déclenchée. Les sapeurs ouvrent le robinet de toutes les bouteilles et la nappe se forme juste devant la tranchée et roule vers les lignes ennemies ; en quelques secondes, elle l’aborde et l’envahie.
La vague continue de progresser dans d'excellentes conditions et aucun signe d'alerte n'est perçu chez l'ennemi avant 0h53, soit 8 minutes après le début de l'émission ; l'ennemi semble complètement surpris. L'artillerie adverse réagit alors en étendant son tir sur le secteur de la Briquetterie et sur le saillant de Boterdijk, puis les mitrailleuses entrent en action ; le vacarme devient assourdissant.
A 0h58, au nord ouest du Mamelon vert, dans le Polder, on remarque des lueurs provenant de la combustion de feux de bois. Les Allemands tentent par ces moyens de briser la vague et de la disperser hors des tranchées. Le tir d'artillerie s'étend alors sur ce secteur et atteint une extrême violence, en s'attachant à la destruction de la ligne L1. Sur place, c’est l’enfer et les obus bousculent tout. Finalement, le calme se rétablit dans le secteur après 1h45.
Au début de l'émission, à 0h47, un Allemand sans masque se présente dans la tranchée française à l'ouest de la Maison du Cèdre. Il faisait partie d'une section de pionniers de corvée en première ligne. Surpris par l’émission, il s'est rendu rapidement plutôt que de revenir 300m en arrière où il avait laissé son masque. Il parcourt ainsi les premiers mètres en direction des lignes françaises en gardant sa respiration mais doit se résoudre à inhaler sur la fin de son parcourt, pendant quelques dizaines de secondes, l’air vicié. Il étouffe, tousse et arrive à bout de souffle dans la ligne française où il se rend.
La reconnaissance prévue par le 141e RI part à l'heure comme convenu. Elle doit gagner les tranchées ennemies et observer les effets de la vague. A peine sortie de la tranchée, les hommes aveuglés par la fumée et la poussière et incommodés par les effluves de gaz, dévient de la route prévue et passent à côté de la brèche pratiqué dans le réseau. Ils se heurtent alors à un réseau de fils intacts, qu'ils essaient de cisailler. Mais les hommes se font repérer ; une mitrailleuse ennemie entre en action et tue un sergent dont le corps reste entre les lignes.
Le groupe de reconnaissance du 3e RI ne peut sortir des tranchées en raison d'un tir de barrage de l'artillerie et des tirs des mitrailleuses, ainsi que d'une fusillade nourrie partant de la tranchée de Lombartzyde, fortement garnie. Le groupe du 165e RI avait reçu l'ordre de ne pas marcher, le gaz ne pouvant pas atteindre la grande dune comme il avait été convenu d'abord, en raison de l’orientation du vent pendant l’émission. Le lieutenant Babillotte demanda tout de même l'autorisation de tenter le coup de main, mais sa demande fut faite trop tard. Quant au pionnier allemand qui travaillait sur son réseau et qui fut surpris par la vague, il a été interrogé par le sapeur Biard, qui a pu recueillir de nombreuses informations. Malheureusement, intoxiqué par la nappe pendant quelques dizaines de secondes, il devait décéder dans la nuit.
Les pertes françaises comptabilisées pour la 29e DI, suite à cette opération, sont de 22 intoxiqués, 20 blessés et 5 tués ; le 31e Bataillon du Génie 3 tués et 8 blessés.
Représailles allemandes
La nuit du 5 au 6 juin, le vent étant nettement favorable aux Allemands, les hommes de la Cie montent en ligne pour la corvée de portage destinée à ramener à l’arrière le matériel d’émission de la veille, munis de deux masques M2 et en armes. Une attaque allemande par vague est à craindre et tous s’y sont préparé. Les hommes font leur maximum pour récupérer le matériel dans un secteur bouleversé par l’artillerie, mais ils se font repérer.
En effet, la corvée est sur le point de s'achever lorsque le 6 juin, à 0h35, tout le secteur sonne l'alerte ; l'émission de gaz allemande attendue est déclenchée. Un violent tir d'artillerie se déchaîne ensuite et s'étend à tout le secteur, avec des obus de tous calibre et des obus lacrymogènes.
La première émission est émise à 0h30 et touche plus particulièrement le Polder et tout le sous secteur de Nieuport ville. Une deuxième émission se produit à 1h15 et touche plus particulièrement Nieuport bains.
Le calme ne revient qu'à 1h45. La compagnie 31/2 éprouve les pertes suivantes durant l'opération : 2 blessés et 15 intoxiqués. La 31/1 n’en déplore aucune alors que les pertes de la 29e DI sont élevées : 255 intoxiqués, 39 blessés et 19 tués.
Le soir, un coup de main ennemi est tenté sur Boterdijk entre 21h00 et 21h30. Les hommes trouvent L1 vide et y subissent des pertes. Ils abandonnent le cadavre d'un des leurs, appartenant au 3e Marine-Infanterie Rgt.
Le 13 juin, après avoir replié son matériel, le bataillon quitte le secteur pour être mis au repos.
Le 20 juin, la Cie 31/2 est citée à l'Ordre de l'armée pour le motif suivant :
"Compagnie 31/2 du 31 Bataillon du Génie sous le commandement du capitaine Bertraud, du lieutenant Roby et des sous-lieutenants Rault et Ferraud, surprise par une émission de gaz suivie d'attaque au moment où elle exécutait des travaux d'installation en première ligne, a immédiatement et spontanément pris une part active à la défense des tranchées, a énergiquement contribué à rejeter les éléments ennemis qui y avaient pénétré et à fait preuve de la plus belle attitude sous un bombardement très violent. A par la suite participé avec beaucoup de dévouement à l'évacuation des blessés. "
Le 10 juillet, un détachement de la Cie composé d'un officier, de 3 adjudants, 3 sergents, 3 caporaux et 4 sapeurs part en mission spéciale, défiler le 14 juillet devant le Président de la République.
Le 16 juillet, le bataillon embarque pour gagner la région de Saint Quentin préparer une nouvelle émission.
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