L’I.E.E.C. recherchait toujours le moyen de protection le plus efficace qui pourrait remplacer le tampon TN. Il aura fallu attendre que celui-ci soit distribué en masse, pour se rendre compte que, si sa protection chimique était satisfaisante, son mode de fixation était constamment rejeté par ses utilisateurs. La séparation de la protection des voies respiratoires (réalisée par le tampon) de celle des yeux, apparaissait maintenant inutile et même préjudiciable, car la rapidité de mise en place de l’appareil devenait impérative, depuis la multiplication des attaques fulgurantes par obus toxiques. De nombreuses propositions de masques complets, réunissant lunettes et tampons, avaient été adressées à la Commission, mais aucune n’avait été retenue. Plusieurs de ces masques à gaz apparaîtront dès mai 1915 dans certaines formations de l’avant. Par exemple, le pharmacien Piedalu en avait proposé un qui sera produit sur le front en petite quantité.
Un modèle d’avant-garde sera également proposé par le médecin-major de première classe Gaston Haury, médecin chef du Groupe de brancardiers de la 63e D.I.. Malheureusement, leur conception ne garantissait pas une bonne étanchéité du masque sur le visage et ils seront rapidement abandonnés. La Commission de protection avait elle-même expérimenté, puis produit, un masque complet, le S.T.G., mais la défectuosité de son mode d’attache conduira certains membres à rejeter en bloc toute proposition concernant les masques complets. Ainsi, Bertrand déclarait en réunion, le 20 juillet 1915 : « Il ne faut pas protéger en un seul appareil la bouche et les yeux ; les mouvements respiratoires soulèvent les lunettes et laissent passer le gaz ». Le manque d’étanchéité des lunettes et le risque d’éjection des viseurs confortaient alors cette thèse.
En septembre 1915, l’établissement Graveraux proposa un masque à gaz ressemblant de près à celui du docteur Haury mais présentant une étanchéité correcte. Seul, Lebeau parut comprendre l’intérêt du prototype, et il le développa, en parallèle à des recherches menées sur l’imprégnation et sur la conception du masque Banzet qui devait devenir le tampon Tambuté. Après quelques modifications sur le masque Graveraux et l'adoption des compresses polyvalentes, il le présentera à nouveau dès le mois d’octobre 1915. La Commission déclarera que le masque Graveraux présentait un très grand intérêt, mais aucune mesure concrète ne sera prise pour son adoption et sa fabrication. Le docteur Haury présentera son masque, après quelques modifications, à la Commission le 18 octobre 1915. Le compte-rendu de celle-ci sera le suivant : « Ce masque recouvre toute la face. La partie supérieure est constituée par un tissu très serré, la partie inférieure par une poche en flanelle dans laquelle se trouvent deux morceaux de tissu-éponge. Ce tissu-éponge a été imprégné à l’aide de ricinate de soude et en a fixé 11 grammes. L’expérimentateur muni du masque Haury et qui pénètre dans une atmosphère contenant 1 litre de chlore pour 1500 litres en sort incommodé au bout d’une minute ». Le masque sera rejeté.
Lebeau et son équipe s’acharneront et procéderont à de nombreux essais sur le masque Graveraux. Des expériences seront faites sur des masques imprégnés au ricin-ricinate et à la nouvelle formule à la Néociane, les masques comportant 6, 7, 8 et 10 épaisseurs de gaze pour chacune des compresses. Les résultats seront à nouveau discutés le 3 et le 16 novembre et la nouvelle formule à la Néociane sera adoptée pour tous les masques. Le masque Graveraux était unanimement considéré comme la meilleure des protections du moment, mais personne ne put se résoudre à lancer la production. Dès l’apparition de la solution polyvalente, la plupart des armées tenteront de réunir tampon et lunettes en un seul appareil. La 1ère armée fabriquera un masque très proche du S.T.G., qui sera testé par la Commission le 18 octobre 1915 et jugé comme inférieur aux tampons. Le Détachement d’Armée de Lorraine fera fabriquer à Nancy 60 000 tampon-masques d’un modèle indéterminé. Le 16e C.A. commandera à Châlons-sur-Marne 30 000 cagoules en gaze qui réunissaient le tampon et la cagoule. Le 9e C.A. passera un marché pour 25 000 engins protecteurs formés d’un masque et de lunettes réunis…Les demi-cagoules du 1er C.A.C. et celles de la 4e armée avaient également le même rôle. Quand le G.Q.G. interdira ce genre d’initiatives, les armées tenteront de réunir le tampon P2 et la cagoule en un seul appareil. Au début du mois de décembre 1915, le général Pétain, commandant la 2e armée, enverra au G.Q.G. un rapport demandant la mise en place rapide d’appareils de protection complets et performants. D’après lui, « ceux-ci devraient être munis de clapets de nature à permettre l’expulsion de l’acide carbonique produit par la respiration ». Enfin, il proposa un appareil, mis en place dans son armée (au 20e C.A.) réunissant à l’aide de toile cirée les lunettes et le bâillon. 2000 de ces appareils avaient déjà été confectionnés et 580 étaient à l’essai depuis quelques temps. La Commission, à qui le dossier sera transmis par le G.Q.G. qui souhaitait réaliser le projet de Pétain, réagira très défavorablement à cette initiative : « La 2e armée prend elle-même des décisions relatives à la constitution d’appareils de protection qui se révèlent défectueux (…). En outre, aucun appareil de protection ne devra être muni de clapets. Très défectueux, il expose au plus grand danger par les irrégularités de son fonctionnement ».
Cependant, la demande croissante des armées pour un masque complet ne pouvait plus rester sans réponse. Lebeau, s’appuyant sur la demande de Pétain, proposa l’adoption du masque Graveraux, en étendant la surface filtrante à la totalité du masque et en le munissant, comme le masque de la 2e armée, d’un pare-pluie sur toute la face extérieure du masque. Ce masque, dans sa version définitive, sera adopté le 6 décembre et vraisemblablement baptisé M2 par analogie avec Masque de la 2e armée. Il était constitué de deux pièces de gaze, imprégnées et cousues ensemble, qui n’étaient en contact avec la peau que par leur contour. La première recouvrait tout le visage et permettait la vision au travers d’une vitre de cellophane qui empêchait, théoriquement, la formation de buée en absorbant l’humidité. La seconde formait une cavité qui englobait le menton et les joues. Le maintien sur le visage était assuré par deux sangles élastiques, fixées aux coins supérieurs du masque, et se positionnant derrière et au-dessus de la tête. Une sangle permettait de porter le masque autour du cou en position d’attente. Une boîte métallique était prévue pour y ranger le masque. Le 15 décembre 1915, alors que le M2 était adopté, la Commission justifia sa condamnation des masques complets : « Parmi les desirata exprimés aux armées , celui que masque et lunettes soient réunis en un objet unique, d’une adaptation facile et rapide, est celui qui est le plus général. Il est certain que le masque protégeant à la fois les yeux et les voies respiratoires présente de grands avantages; mais il a aussi des inconvénients ; les lacrymogènes peuvent ne nécessiter, quand la densité est faible, que la protection des yeux. D’autre part, la neutralisation chimique de la bromacétone est, à l’heure actuelle, encore insuffisante du point de vue de la protection des yeux s’il s’agit d’un masque. Pour ce corps particulier, des lunettes séparées seraient préférables. Il pourrait en être de même à l’avenir pour de nouveaux produits employés. Des arguments subsistent donc encore pour l’emploi des lunettes séparées qu’il ne faut pas condamner d’une façon absolue ».
La fabrication du M2 sera lancée, mais une première modification interviendra rapidement. En effet, le masque était logé dans un étui métallique du même genre que celui du TN, mais plus large et de forme rectangulaire. Pour y faire entrer l’appareil, il fallait le plier en deux, suivant un axe transversal passant par son milieu : cette opération devenait délicate lorsque celui-ci venait d’être utilisé et que la cellophane était humide ; on risquait ainsi de l’endommager. D’ailleurs, la grande taille de la plaque de vision la rendait trop fragile. C’est pourquoi l’E.C.M.C.G. proposa le 24 janvier 1916, une modification du masque en remplaçant la lame unique par deux œilletons comme ceux utilisés dans la fabrication des lunettes, et fixés sur un rectangle de caoutchouc. Les œilletons seront constitués, comme dans les lunettes, d'une lame de cellophane et d'une lame de verre. La lame de cellophane était placée à l’intérieur du masque ; elle était destinée à absorber l’humidité qui s’y déposerait et y formerait de la buée. La plaque de verre servait à protéger celle de cellophane. Cette modification du viseur du masque interviendra, dès que l’écartement entre les deux œilletons sera déterminé. Lebeau s'en chargea et la modification définitive fut adoptée le 2 mars 1916.
A la demande du G.Q.G., le masque M2 sera essayé le 22 février 1916 à Satory par trois compagnies Z1 sous la direction du capitaine Bied-Charreton et du pharmacien aide-major Damiens. Les essais seront très concluants et les premiers masques seront envoyés aux armées le 2 mars 1916, à raison de 50 000 par armée. Ils permettaient de se protéger, dans une atmosphère concentrée en chlore et en phosgène, pendant 5 heures (contre 3 pour le TN).
Au front, le M2 sera distribué en priorité aux troupes qui stationnaient en première ligne. Il sera rapidement considéré comme un bon masque par les hommes qui l’utilisaient. Grâce à son système de double sangle, il se mettait en place très rapidement. La protection qu’il conférait était large (il était polyvalent vis-à-vis des gaz employés par l’ennemi et contre ceux potentiellement utilisables), et prolongée (il était prévu pour protéger, pendant au moins 4 heures, de tous les gaz).
Les viseurs des masques TNH et M2 avaient une fâcheuse tendance à s'échapper de leur logement en caoutchouc. Le 21 juillet 1916, le Docteur Banzet proposera de les enserrer dans une armature métallique à griffe. Puis, le 13 août 1916, Lebeau fera supprimer la couche de gaze paraffinée, placée sur le pourtour du M2, visant à éviter le contact des sels de nickel avec la peau.
Depuis la distribution du M2, beaucoup se plaignaient de la taille unique du masque. Certain ne pouvaient trouver de masque s’ajustant parfaitement à leur visage (une épingle à nourrice était placée sur la sangle partant du sommet du masque et permettait de tendre cette sangle au besoin). L’opinion de la Commission resta ferme sur ce sujet et l’initiative de proposer différentes tailles de masques reviendra à la maison Gravereaux. Celle-ci fabriqua des M2 de taille plus grande et ils furent essayés par les hommes qui avaient des problèmes à l’adapter. L’expérience fut concluante et Lebeau, qui entreprenait la mise au point d’un nouvel appareil, se trouva très intéressé. Il fallait cependant déterminer combien de personnes nécessitaient d'avoir un masque de dimensions différentes, et combien de tailles il fallait fabriquer. Plusieurs essais à grande échelle seront réalisés, puis on décida le 21 décembre 1916 de mettre en fabrication, à titre d’essai, 40 000 masques de petite taille et 20 000 de grande taille. Elle sera marquée en toutes lettres, à l’envers du pare-pluie. Grâce à cette mesure, les hommes qui se trouvaient obligés d’adopter un tampon TN, pour des raisons de morphologie du visage, allaient pouvoir se munir d’un masque M2.
Une autre initiative intéressante revient aussi au fabricant Gravereaux, et à Seligman. Le 21 juillet 1916, ils proposèrent une nouvelle façon de fabriquer le M2, en une seule pièce. Malheureusement, aucun prototype de masque n’étant fabriqué, personne ne pourra se prononcer sur le procédé, et la section s’en remettra à la D.M.C.G. La question restera en suspens jusqu’au 10 mars 1917 lorsque Lebeau, ayant essayé différents masques modifiés, en atmosphère contaminée, conclut que le procédé assurait une homogénéité aussi complète que possible, des parties filtrantes du masque. Enfin adopté, le nouveau type de fabrication du M2 entrera immédiatement dans les chaînes de fabrication.
Enfin, toujours le 10 mars 1917, la Section de protection adopta une autre modification proposée dès 1916 par Leclercq et dont la mise au point et les essais incombèrent à Lebeau. Leclercq avait proposé d’ajouter au M2 l’attache, passant derrière la tête, qui existait sur les tampons TN et sur les TNH. Lebeau fera donc réaliser la modification et plusieurs expérimentateurs pourront l’essayer à Satory en effectuant des travaux pénibles et en subissant différents chocs. Le système assurant une meilleure sécurité dans le port de l’engin, la modification sera adoptée. Le nouveau masque, fabriqué en une seule pièce et avec la sangle antéro-postérieure, sera dénommé M2B.
L’efficacité du masque M2 était vérifiée tout au long de sa fabrication. Tous les jours, un officier de l’ECMCG, chargé de la surveillance des usines de production, se rendait dans l’une de celles-ci, et prélevait le nombre de masques qu’il jugeait nécessaire. On testait alors quotidiennement la durée de vie de ceux-ci, en atmosphère viciée, chargée en concentration connue de toxique. Plusieurs expérimentateurs y séjournaient pendant une heure, chacun à leur tour, jusqu'à épuisement du masque. Le pharmacien de première classe Gin, chargé de la direction des essais physiologiques, vérifiait lui-même si le masque était réellement épuisé, en entrant dans la chambre d’essai. On vérifiait également l’ensemble des matériaux de confection, et on réalisait plusieurs essais à différentes phases de fabrication. La protection chimique conférée par le masque M2 était excellente, jusqu’au milieu de l’année 1917 ; l’introduction de nouveaux agressifs allait remettre en cause sa polyvalence[1]. Jusqu'à cette date, le masque français resta le plus performant, en terme de durée de protection, comparé aux appareils des autres belligérants. La quantité de substances neutralisantes retenues dans les compresses était supérieure à celle que l’on pouvait introduire à l’intérieur d’une cartouche filtrante, sans entraver la facilité avec laquelle l’air inspiré pouvait la traverser. La neutralisation qui s’opérait au travers des compresses se faisait sur la surface entière du masque et diminuait ainsi la gène respiratoire. Celle s’effectuant dans une cartouche filtrante se faisait dans une section plus réduite, dont la taille était limitée par des contraintes qui empêchaient d’obtenir une meilleure efficacité en augmentant le volume de substances neutralisantes. Par contre, la simplicité du masque M2 avait pour contrepartie un certain inconfort, lors de son port durant de longues périodes. Le contact des compresses imprégnées sur la peau, et l’odeur qui s’en dégageait, associés à son manque d’étanchéité sur le pourtour du visage, en faisaient, dès 1917, un appareil déclassé, par rapport à ceux des autres belligérants.
Le M2 réussit, à son apparition et contrairement aux autres appareils utilisés, à assurer une durée de protection qu'aucune vague ne pouvait mettre en défaut. Lebeau arriva à optimiser la fabrication des compresses constituant le masque, pour aboutir, dès mars 1916, à des résultats remarquables : la durée de protection atteignait 4 heures et 30 minutes dans une atmosphère comprenant du chlore à une concentration de 6,4 g/m3, et du phosgène à une concentration de 0,2 g/m3. Les perfectionnements apportés par Lebeau permirent également d'obtenir une protection contre la bromacétone et la bromométhyléthylcétone, qui arrivaient à traverser les compresses en quelques minutes, et provoquaient alors une légère irritation oculaire. Le problème ne sera jamais complètement résolu, mais on finit par obtenir une protection d'une heure dans une atmosphère à 1%.
La production totale de masques M2, de début 1916 au 11 novembre 1918, approchait les 29 300 000 exemplaires.
Il est facilement aisé de dater un masque M2, tant il fut l'objet de nombreuses modifications.
1 Les compagnies Z, appartenant aux bataillons du génie n°31, 32, 33 et 34, à trois compagnies chacun, sont chargées de l’émission des vagues de gaz toxiques. Elles seront crées à la fin de l’année 1915.
[1] La neutralisation de certains lacrymogènes, comme la bromacétone, n’était pas complète. Une faible quantité de produit filtrait au travers des compresses, et irritait les yeux, sans provoquer d’autres signes.
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