Ils agissent au niveau des voies respiratoires. Ils provoquent immédiatement une douleur intense et une forte difficulté à respirer, pouvant aller jusqu'à la formation d'un oedème et d'une congestion pulmonaire qui contrarie l'hématose, entrave la circulation sanguine et retentit sur d'autres fonctions vitales, pouvant finalement provoquer la mort. Cette action peut être réalisée par la formation in situ d’acide chlorydrique ou bromhydrique. Cette propriété est facilitée si le produit possède une tension de vapeur élevée, donc une bonne volatilité lui permettant d’atteindre l’alvéole pulmonaire sans se condenser sur les parois bronchiques.
Ils sont responsables de la plupart des décès par intoxication « aux gaz de combat » pendant la Première Guerre mondiale.
Ils furent utilisés dans tous lessystèmes de militarisation des gaz de combat :vagues gazeuses dérivantes, artillerie chimique et projecteurs..
Action physiologique
Suffocant
Nom de guerre
Bertholithe (France)
Formule
Cl2
Etat physique
Gazeux
Epoque d’apparition
22 avril 1915 dans les Flandres (Allemagne)
13 février 1916 (France) à La Neuville, près de Reims
Moyen de dispersion
Essentiellement par vagues
Le Chlore est probablement l'agressif utilisé lors de la Première Guerre mondiale le moins toxique. Sa constante de Haber, traduisant sa capacité létale est de 7500, plus de deux fois moins toxique que les substances lacrymogène de cette même période. Paradoxalement, le chlore est le premier toxique utilisé massivement dans la guerre des gaz et celui le plus produit (135 000 tonnes en Allemagne, 23 900 en France). Et pourtant, son action, dans les vagues gazeuses, fut redoutable, essentiellement en raison de ses propriétés physico-chimiques, dont sa densité de 2,5 par rapport à l'air, qui permettait au nuage très lourd de chlore gazeux, de coller au sol, de s'insinuer dans les cavités et les dépressions du terrain et d'y atteindre des concentrations notablement toxiques.
Il reste cependant facilement repérable car il donne à l’émission un nuage lourd, de couleur jaune, d’odeur caractéristique et aussi par le sifflement qu’il produit en se détendant à l’ouverture des bouteilles. Au contact des voies respiratoires, il se transforme en acide chlorhydrique par réaction avec l'hydrogène moléculaire. Son action est ressentie immédiatement, provoquant une vive irritation accompagnée de toux, dyspnée (difficulté de la respiration), hémoptysie (crachement de sang provenant des voies respiratoires). A très forte concentration, il est susceptible de provoquer la mort en quelques minutes. Mais, dans les vagues, les concentrations obtenues étant plus faibles, les effets mortels n’apparaissent qu’après 20 à 30 minutes, suite à un œdème pulmonaire qui peut entraîner le décès quelques minutes ou quelques jours plus tard.
La dose létale est estimée à 60 mg de chlore, ce qui correspond à un séjour de 20 minutes dans une atmosphère à 0,36g/m3, ou 1/10000e . On considère que dans cette concentration, tout homme surpris sans protection est mis hors de combat. C’est aussi la concentration minimale obtenue jusque 1km derrière le point d’émission, avec des quantités de l’ordre de 50 tonnes de chlore par km de front d’émission. Lors de conditions atmosphériques favorables, cette concentration sera observée jusque 10 km (parfois plus) en arrière des lignes.
Enfin, au fond d’une tranchée et à moins de 100 de distance du point d’émission, on observe des concentrations de l’ordre de 3,2g/m3 (expériences réalisées par l’IEEC ) et parfois bien plus élevées. Il faut alors moins de 2 minutes pour inhaler une dose létale de chlore et provoquer une intoxication massive provoquant la mort en 30 à 60 minutes. Les essais allemands menés au cours du Premier conflit ont montré qu'au cours d'une attaque par vague au chlore, d'une durée normale selon leur système de vidange simultané des bouteilles (5 à 10 minutes), par vent de 3m/s, avec leur densité habituelle de bouteille, la concentration atteinte à une distance de 500 à 1000 mètres était de l'ordre de 600 à 300mg/m3.
Ils s'expliquent essentiellement par sa faculté de liaison avec certains composants de l'organisme, notamment avec l'hydrogène que renferme les molécules des cellules, aboutissant à des modifications chimiques qui aboutissent à leur destruction. Un effet toxique est également décrit, mais n'a probablement que peu d'importance.
L'homme semble présenter une sensibilité particulière au chlore, en comparaison à d'autres espèces animales. Il provoque sur l'organisme humain des dommages même à très faible concentration ; son action se fait immédiatement sentire, sans latence et sans que l'on puisse en tirer des conclusions sur le degré des lésions. Les intoxications par le chlore sont le plus souvent profondes, pouvant laisser des séquelles perceptibles même après complète guérison.
Son effet toxique s'observe donc par son attaque des tissus sur les voies respiratoires supérieures et sur les poumons ; leur fonction de transfert d'oxygène vers le sang est entravée et l'oedème pulmonaire qui se forme peut avoir des conséquences mortelles. Dès la mise en contact avec le toxique, le sujet ressent une sensation de brûlure au niveau de la gorge, s'accompagnant d'une toux spasmodique. Rapidement, une production abondante de mucosités est expulsé par cette toux, une multitude de vaisseaux capillaires éclatent sur le trajet du toxique et les mucosités expulsées deviennent sanguinolentes. Les cordes vocales sont rapidement atteinte, le sujet perd sa voix.
Le chlore est désagréablement perçu dès 0,01 g/m3, provocant toux et irritations des voies respiratoires et devient insupportable dès 0,1 g/m3 (0,034ppm). Les premiers effets létaux peuvent se ressentir dès 0,46 g/m3 (160ppm) pour une exposition de 30 minutes. Une minute d'exposition à 2,9g/m3 (1000ppm) est considérée comme mortelle.
Seuil des effets létaux significatifs : CL5%, ou concentration pour laquelle on obtient le décès de 5% de la population exposée.
Seuil des premiers effets létaux : CL1%.
CL50 (Concentration létale provoquant la mort de 50% de la population exposée) estimée chez l'homme est de 500ppm ou 1,45g/m3 pour 30 minutes, 200ppm ou 0,58g/m3 pour les populations vulnérables.
D'après Henry et Michael Belot, Effets Physiologiques des Agents de Guerre Chimique, Service du Déminage, 1994; Notice Clinique et Thérapeutique des Lésions causées par les gaz de Combat, Paris, 1937 ; A Meyer, Les gaz de combat, Charles Lavauzelle, 1938 ; Labruyere LA, Les effets cliniques des gaz de combat allemands, thèse médecine¨Paris, 1920 ; différents travaux de l'IEEC, SHD. Facteur de converstion à 25°C : 1ppm=2,9mg/m3; 1mg/m3=0,34ppm.
Le chlore est un gaz bien retenu par les appareils protecteurs, même les plus précoces.
Attaque sur le saillant d'Ypres le 22 avril 1915 :
Témoignage du lieutenant Jules-Henri Guntzberger, commandant la 2e compagnie du 73e R.I.T., qui se trouve alors à son poste de commandement, situé à 70 ou 80 mètres des tranchées avancées allemandes. « J’ai vu alors un nuage opaque de couleur verte, haut d’environ 10 mètres et particulièrement épais à la base, qui touchait le sol. Le nuage s’avançait vers nous, poussé par le vent. Presque aussitôt, nous avons été littéralement suffoqués (…) et nous avons ressenti les malaises suivant : picotements très violents à la gorge et aux yeux, battements aux tempes, gêne respiratoire et toux irrésistible. Nous avons dû alors nous replier, poursuivis par le nuage. J’ai vu, à ce moment, plusieurs de nos hommes tomber, quelques-uns se relever, reprendre la marche, retomber, et, de chute en chute, arriver enfin à la seconde ligne, en arrière du canal, où nous nous sommes arrêtés. Là, les soldats se sont affalés et n’ont cessé de tousser et de vomir ».
Témoignage du médecin aide-major Cordier, du 4e bataillon de chasseurs à pied : « La première impression ressentie est la suffocation, avec brûlure des muqueuses du nez, de la gorge et des bronches. Une toux douloureuse s’ensuit, avec affaiblissement général des forces. En général, les vapeurs ne provoquent pas les larmes. Beaucoup subissent les effets d’un empoisonnement violent : maux de tête, vomissements qui vont jusqu’au sang, diahrée. Il s’ensuit, pendant plusieurs jours, une courbature générale et d’une grande dépression, avec bronchite plus ou moins violente ».
Attaque du Secteur de Forges-Béthincourt, 22, 24, 26 novembre 1915.
Témoignage de l’adjudant Sougeux du 34e R.I.T. : « A 5 heures du soir, on n’y voyait déjà plus, le service de nuit venait d’être pris et je causais avec le sergent Bonn près de mon abris. Tout à coup, un homme du poste d’écoute de gauche se précipite sur nous, essoufflé : Mon adjudant, les gaz ! En même temps, la nappe arrivait, nappe épaisse, jaunâtre, suffocante, pouvant avoir trois mètres de haut.
- Ca y est, dit Bonn, en se précipitant vers sa section.
- Mettez vos masques ! Aux créneaux !
Tout en ajustant mon bâillon, pendant que la fusillade commence à crépiter, je cours au poste téléphonique, à deux pas de là (…). Pendant que je courais, mon masque s’était déplacé, je respirai des gaz et je tombais… Combien de temps je suis resté étourdi ? Je ne saurais le dire. Mon malaise un peu dissipé, je fis le tour de ma section. Bonn m’avait remplacé. Tout le monde avait fait son devoir. Le tir n’avait pas cessé. Tous, plus ou moins, avions respiré des gaz. Nous étions tous abasourdis et ahuris, souffrant de la tête, de la gorge, de la poitrine. Ce n’était que toux, étouffements, vomissements. Les moins malades s’efforçaient de soigner les autres, mais cinq déjà étaient morts. Je voulus voir alors ce qui se passait à ma droite, à la tranchée Santolini (section Langard). Là, le spectacle était affreux. Pas un homme ne restait debout. Dans la tranchée bouleversée par les obus, les corps gisaient à demi-ensevelis, pêle-mêle avec les équipements et les fusils qui avaient encore la baïonnette au canon ; quelques moribonds râlaient au milieu des décombres ; à son poste, le lieutenant Langard agonisait. En hâte, j’envoyai quelques hommes pour garder ce coin de malheur.
Témoignage du Docteur Paul Voivenel, La Guerre des gaz ; journal d'une ambulance Z, Paris, La Renaissance du Livre, 1919, Paul Voivenel et Paul Martin :
Nous retirons les brancards. Trois cadavres. Un sous-lieutenant rasé, portant des lunettes. Deux soldats. L'officier, rigide, parait dormir. Les soldats sont tuméfiés ; une spumosité rosée suinte de la bouche et des narines. L'intoxiqué vivant, crispé au brancard, bleui par l'asphyxie, râle (...).
Malgré notre affairement, malgré que nos nerfs fussent durcis par ce que nous avions vu depuis août 1914, nous étions saisis au cœur par le spectacle de nos malades. Dans chaque salle un infirmier administrait l'ipéca. Un autre nouait des bandes au-dessus du coude pour arrêter la circulation veineuse et faire saillir les veines que notre bistouri allait crever. Un troisième piquait les cuisses pour les injections hypodermiques. Les autres administraient l'oxygène. Sur les bras aux vaisseaux turgescents, à la hauteur du coude, rapidement nous pratiquions la saignée, heureux quand le sang giclait sur nous, car, trois fois sur quatre, le sang, privé de son eau, passée dans les poumons qu'elle noyait, bavait noir et poisseux. Nous incisions alors, largement dans le sens vertical, la veine, et, avec tous les procédés additionnels classiques, nous étions désolés de n'obtenir que quelques centimètres cubes de sang. Nous allions, nerveux, d'un malade à l'autre, ayant malgré l'atroce spectacle, dès les premières heures de la matinée, la sensation que la saignée et l'ipéca soulageaient nos malheureux camarades. Dans l'après-midi nous n'avions perdu que deux de nos moribonds. Mais, sur notre impression générale, notre gestionnaire envoyait chercher quarante cercueils.
Quelle lutte !
Contenu stomacal visqueux et liquide pulmonaire mousseux coulaient au pied de chaque lit, la misérable pourpre du sang tachait les draps. Les yeux convulsés, la poitrine affolée, la bouche engorgée, les agonisants aspiraient l'oxygène qui ne trouvait pas à se loger dans les alvéoles pulmonaires remplis d'eau. La plupart étaient violacés et leurs vaisseaux du cou semblaient prêts à éclater. Leur intelligence lucide assistait à la mort de leur corps. Deux seulement avaient la triste chance de délirer et voulaient se jeter sur l'ennemi qui attaquait. Un troisième, immobile, couché sur le dos, pâle comme un marbre, la respiration superficielle, mais n'ayant pas d'écume aux lèvres, marmottait des paroles inintelligibles et parfois, levant la main, suivait ses hallucinations d'apparence tranquille.
L'auscultation faisait entendre dans les poumons la marée montante de l'inondation alvéolaire. Au lieu des bruits souples de la respiration normale, c'était une pluie de râles mélangés, fins et ronflants, rappelant le sel qui crépite, les cheveux qu'on froisse, mélangés à des bruits bulleux de liquide que l'air brasse péniblement, donnant lieu chez quelques malades à un vacarme intérieur impressionnant qu'on appelle « le bruit de tempête ».
Et les quintes de toux déchirantes se succédaient, inextinguibles (...).
Brome
Br2
Liquide
Juin 1915 en Argonne (Allemagne)
Projectiles divers (engins de tranchée, grenades), le brome étant contenu dans des bouteilles en verre.
Le brome est un liquide de couleur rouge-brun dégageant des vapeurs de la même couleur. Ses propriétés sont très proches de celles du chlore. Son utilisation cessera rapidement, au profit de composés lacrymogènes plus puissants.
action physiologique
Suffocant et lacrymogène
Collongite (France)
COCl2
Les Allemands l’utilisent en vague depuis le 19 décembre 1915 (Ypres), mais un essai a peut être eu lieu par chargement en obus le 26 novembre à Avocourt (Meuse).
Les Français l’utilisent le 21 décembre 1915 à l'Hartmannswillerkopf, en munitions de 75mm.
D’abord en vagues où il est parfois mélangé au chlore, puis en obus.
Le phosgène est incolore, très volatil, d’odeur peu perceptible et complexe, rappelant parfois le foin moisi. A faible concentration, il modifie l’odorat et le goût, ce qui rend sa détection difficile. Il est beaucoup plus toxique que le chlore et semble responsable de la majorité des décès attribués aux toxiques pendant la Première Guerre. Au regard des études de toxicité, c'est même l'agressif utilisé le plus toxique (constante de Haber égale à 300) . C’est un gaz extrêmement insidieux, ses effets apparaissent après un temps de latence dont la durée est considérée comme inversement proportionnelle à la dose inhalée. A faible concentration, il provoque progressivement des effets lacrymogènes puis suffocants. Mais, à des concentrations supérieures, apparaît une inflammation bronchique avec toux et dyspnée, puis, de 1 à 24 heures après l’exposition, survient un œdème pouvant entraîner la mort. Une surinfection est alors fréquente, et les fonctions pulmonaires peuvent rester endommagées.
Le processus toxique du phosgène est aujourd'hui incertain et incomplètement élucidé. Son effet toxique est souvent attribué à son hydrolyse en milieu aqueux des muqueuses respiratoires, provoquant une inflammation locale avec libération d'acide chlorhydrique. Selon certains, cette libération se traduirait par la libération d'histidine, qui serait décarboxylée en histamine, vecteur d'une vasodilatation locale et d'une inflammation de l'arbre respiratoire. Des réactions d'acylation sont également évoquées sur les parois alvéolaires et les capillaires, par inhibition du système adénylcyclasique.
Avec le phosgène, les signes d'irritation des yeux et des voies respiratoires sont quasiment inexistant. Au delà de 3ppm, on observe parfois une légère difficulté à respirer, une oppression indéfinie dans la poitrine, une sensation de pression rétro-sternale et épigastrique avec nausées et toux sèche, parfois un malaise. Ces symptômes sont inconstants et observés surtout si les muqueuses ont été sensibilisées par des inflammations du type rhume ou bronchite. A l'inverse d'un suffocant classique, il n'y a aucun signe d'alerte instinctif de type toux ou irritation, qui soustrait l'action du toxique des alvéoles pulmonaires ; ici, le phosgène pénètre au plus profond des poumons sans être remarqué, pour exercer son action destructrice.
Au delà de concentrations supérieures à 50ppm/minutes, l'apparition de symptômes plus sérieux, du type de détresse respiratoire, demande généralement plus d'une heure, voir deux, après l'exposition. Après une période asymptomatique, succède la période d'oedème pulmonaire. Progressivement, les alvéoles pulmonaires se remplissent de liquide et ne parviennent plus à assurer les échanges gazeux. Les fréquences cardiaques et respiratoires montent brusquement ; passant de 15 à 20 inspirations par minutes à la normale, à 30, 40 et jusque parfois plus de 70. Les intoxiqués suffoquent, cherchent de l'air, s'agitent en des mouvements désordonnés. Les mouvements respiratoires peuvent prendre une ampleur démesurée. Le coeur a graduellement des ratés, s'arrêtant parfois. Le patient décède la plupart du temps déjà au cours des premières heures suivant l'intoxication.
Pour des expositions au delà de 200ppm/minutes, la mort survient en quelques minutes, sans formation d'oedeme pulmonaire ; le phosgène passe alors la barrière alvéocapillaire et provoque une hémolyse et une congestion par les fragments érythrocytaires qui stoppent la circulation sanguine.
Le “ seuil des effets létaux ” correspond à la concentration maximale de polluant dans l'air pour un temps d'exposition donné en dessous de laquelle chez la plupart des individus, on n'observe pas de décès.
Le “ seuil des effets irréversibles ” correspond à la concentration maximale de polluant dans l'air pour un temps d'exposition donné en dessous de laquelle chez la plupart des individus on n'observe pas d'effets irréversibles.
La dose létale du phosgène est de 3,2mg. Le phosgène est difficilement retenu par les appareils protecteurs, surtout en forte concentration. Les premiers masques retenant efficacement ce toxique apparaissent en 1916 (masque TN pour la France et cartouches allemandes 11-11-S), mais leurs performances vis à vis de ce redoutable toxique ne cessera d’être améliorées.
Palite (France)
K stoff (Allemagne)
ClCOO CH2Cl
Repéré par les Services Chimiques Français le 18 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (Allemagne), sont chargement commença en janvier 1915.
Obus et engins de tranchée
Il s’agit d’un dérivé du phosgène dont les propriétés sont proches, mais de toxicité jugée comme légèrement plus faible. Il possède une activité lacrymogène bien plus marquée et une meilleure persistance sur le terrain. Ses effets physiologiques sont ceux du diphosgène, décrits ci-dessous. A très faible concentration, il est simplement irritant, mais il devient suffocant et mortel aux concentrations efficaces.
Obus de 15 cm Gr. 12 type K2 dans sa version de 1915. Il est chargé en chloroformiate de méthyle chloré ou palite (K Stoff). Cet obus deviendra l’obus K en 1916 ; l’appellation K2 étant plus tard réservée aux obus chargés en surpalite apparaissant au printemps de 1916 (voir : les munitions chimiques allemandes, 1915).
Il s'agit bien de la première munition chimique létale, chargée par l'industriel chimique allemand Bayer, dès janvier 1915 dans ses ateliers de Leverkusen (voir : Prélude à la Guerre chimique). 1700 tonnes seront chargées et utilisées lors de cette même année.
Après la découverte de son utilisation par les armées allemande, il fut un temps considéré comme une substance suffocante et irritante, mais non létale et d'action inférieure au phosgène. Ce point de vue totalement erroné est souvent repris par nombre d'historiens actuels, qui considèrent encore que les premiers obus létaux, furent ceux chargés de phosgène et utilisés par la France à partir de 1916. En réalité, ce furent bien les obus chargés de chloroformiate de méthyle chloré, tiré par les Allemands dès juin 1915, qui l'étaient.
Surpalite (France)
Perstoff (Allemagne)
ClCOO CCl3
23 juin 1916 au fort de Souville ?(Allemagne)
Obus
Il s’agit également d’un dérivé du phosgène mais son action lacrymogène est plus forte. La particularité de la surpalite réside dans sa longue persistance sur le terrain, qui peut aller jusqu’à 12 heures. Elle imprègne les vêtements des combattants, ainsi que leur masque, de sorte que son action peut perdurer, même en dehors de l’atmosphère contaminée. Elle contient aussi une quantité de chloroformiate de méthyle dichloré, qui s’hydrolyse au contact du masque, pour produire du monoxyde de carbone et du phosgène. Lors de son apparition sur le champ de bataille, les Allemands jugeront son efficacité si remarquable qu’ils décideront de multiplier l’utilisation d’obus toxiques et de rechercher d’autres substances susceptibles d’êtres utilisées, elles aussi, dans des obus.
Ses effets physiologiques sont ceux du phosgène. : toux, oppression thoracique, irritation des yeux, de la gorge, des voies respiratoires. Les doses incapacitantes et létales sont quasiment les mêmes que pour le phosgène. A très faible concentration, seul l'action irritante et observée, mais il devient suffocant et létal aux concentrations supérieures. Tout comme le phosgène, il dénature le goût du tabac et inhibe l'odorat.
Irritant, suffocant et lacrymogène
Aquinite (France)
Klop (Allemagne)
CCl3 NO2
Fin 1916 (France) et avril 1917 (Allemagne)
Obus, vagues
La chloropicrine fut utilisée aussi bien seule que mélangée à d’autres substances toxiques (phosgène et arsines chez les Allemands). C’est un liquide huileux, légèrement jaunâtre, peu soluble dans l’eau et donnant des vapeurs très lourdes. Sa persistance peut atteindre 15 heures sur le terrain. A très faible concentration, son odeur se rapproche de celle du pain d’épices. Ses effets sont violents, avec un pouvoir lacrymogène puissant, rapide et intense. Elle possède des propriétés suffocantes proches de celles du phosgène. A faible concentration, ses effets sont accompagnés de violents vomissements, de narcose et d’état dépressif. Comme elle est très lipophile, les voies d’intoxication peuvent être à la fois respiratoires et transcutanées. La chloropicrine est un toxique mal retenu par le masque M2.
Ses effets incapacitants s'observent dès 1mg/m3. Au delà de 30mg/m3, ses effets sur les yeux sont si violents qu'il est impossible de voir ; la douleur au niveau des yeux s'accompagne de violents maux de tête. Le seuil de l'insupportable est évalué à 50mg/m3. Le seuil des premiers effets létaux observés avoisine 100mg/minute/m3. Des concentrations de 200mg/m3 provoquent une totale mise hors de combat en quelques secondes. Au delà de 2g/m3, une minute d'exposition est fatale.
Claircite (France)
CSCl2
7 septembre 1915 en Champagne (France)
Ce fut le premier produit à être chargé dans les obus français. Très toxique à forte concentration, il perd ses propriétés une fois dilué. Son introduction sur le front fut un échec.
(les sources utilisées pour la rédaction de ce chapitre sont essentiellement les études réalisées par les Services français, menées principalement sous la direction d’André Mayer, avec la collaboration, entre autres, de : Lebeau, Magne, Plantefol, Guieysse, Pelissier, A. Kling, Faure, Fremier, Mawas, Vles, Morel, Hervieu, Flandin, Muratet, Moreau.).
Nous avons choisi le phosgène comme modèle d’étude ; il domine nettement le lot des suffocants qui possèdent tous des propriétés communes. Il est certainement le plus redoutable de tous, notamment à cause de sa grande insidiosité. A l’inverse des autres, il est dénué de propriétés irritantes.
Ce type d’intoxication est assez rare. On l’observe en l’absence de protection, ou lorsque le combattant se retrouve subitement dans une concentration énorme de toxique, obtenue principalement lors d’un tir de projector. L’issue est la mort après quelques symptômes brefs : angoisse paroxystique, efforts respiratoires désordonnés, puis syncope sans réveil. L’asphyxie est rapide et fatale.
A l’autopsie, on retrouve des poumons gonflés, sans oedème liquide, des bronches contractées, oblitérées par le spasme et des capillaires remplis de globules agglutinés.
Ce type d’intoxication est plus fréquente Elle est la conséquence d’une inhalation de quantité de toxique importante, pendant plusieurs minutes. L’issue est la mort, en 30 à 60 minutes. Les troubles responsables du décès sont nombreux et complexes, placés sous la dépendance des lésions pulmonaires.
Sous l’action du toxique, la trachée et les bronches se congestionnent, perdent leur épithélium et deviennent le siège d’une abondante exsudation. Au niveau alvéolaire, le caustique détruit les cellules épithéliales. Leurs parois altérées laissent alors transsuder peu à peu une nappe de liquide, qui inonde progressivement toute la cavité pulmonaire. Les gazés sont littéralement noyés dans le liquide de leur propre corps. L’hématose est contrariée jusqu’à devenir impossible ; il n’y a plus d’échanges gazeux. Pour compenser cette insuffisance, le sujet accélère sa respiration jusqu’à l’extrême limite du jeu thoracique. L’oxygène qui ne passe plus dans le sang disparaît progressivement ; l’intoxiqué bleuit et meurt d’anoxémie (ou privation d’oxygène).
C’est l’intoxication la plus fréquente. Celle du combattant qui ne met pas son masque suffisamment vite, ou qui l’enlève trop tôt, qui se fait surprendre par une nappe, ou au voisinage duquel quelques obus toxiques tombent.
Les tableaux cliniques peuvent prendre de nombreux aspects différents, en fonction de nombreux facteurs et du toxique incriminé. En simplifiant, l’évolution passe par trois phases : irritation (sauf pour le phosgène), rémission et période d’état.
- Irritation (absente avec le phosgène) :
Les premiers symptômes consistent en une sensation d’arrêt respiratoire subit accompagné de constriction de la gorge et du thorax. Apparaît ensuite une angoisse douloureuse et démoralisante qui pousse le gazé à faire des efforts désespérés pour reprendre haleine. Il éprouve en même temps une faiblesse intense. Survient ensuite une toux déchirante et spasmodique.
- Rémission :
Dès que le gazé est soustrait de l’atmosphère toxique, les signes précédents s’atténuent peu à peu et sont remplacés par une irritation intense de la gorge et de la poitrine. Avec le chlore, la toux persiste, parfois pendant plus de 24 heures. Une asthénie intense apparaît souvent (plus marquée avec le phosgène et ses dérivés) et il arrive fréquemment que le gazé s’endorme sur place, ou devienne inapte à tout effort.
Cette période de rémission masque le développement d’un œdème pulmonaire et malgré l’apparente amélioration de l’état général, un équilibre précaire s’installe. A tout moment, cet équilibre peut être brisé (par un effort musculaire, un choc, un refroidissement, un excès alimentaire, la prise d’alcool…), sans retour possible, et évoluer souvent vers la mort.
- Complications immédiates et rupture de la phase de rémission
Ces complications sont l’origine des décès tardifs, de plusieurs heures à plusieurs jours après l’intoxication. L’œdème pulmonaire qui s’est développé grève une partie de la fonction pulmonaire. Au repos, cette surface pulmonaire réduite est suffisante pour couvrir lez besoins modérés de l’organisme en oxygène. Mais si ces besoins augmentent, si le sujet fait un effort, les besoins en oxygène augmentent et exigent une suractivité respiratoire dont les poumons lésés sont alors incapables. Le taux d’oxygène dans le sang tombe brusquement
et affecte immédiatement les centres respiratoires et cardiaques. Le rythme cardiaque s’accélère ; l’œdème pulmonaire augmente la résistivité au passage du sang dans les poumons et pèse sur le cœur droit ; cela contraint le myocarde à un travail forcé dans un contexte d’anoxémie. Survient alors l’arrêt cardio-respiratoire et le décès.
- Période d’état :
L’asphyxie est toujours très marquée. Le gazé est prostré, dyspnéique, il cherche de l’oxygène. Il est cyanosé, les lèvres sont violettes. La toux fait à nouveau son apparition, sous forme de quintes convulsives et permet l’expectoration d’une mousse rose abondante. Le cœur lutte contre le barrage élevé par les poumons ; on observe baisse de la tension artérielle, tachycardie et polypnée. Il y a fréquemment présence de vomissements (surtout avec la chloropicrine, parfois avec le phosgène). On note également encore de la fièvre et une néphrite toxique pouvant aller jusqu’à une insuffisance rénale. Enfin, le gazé présente une asthénie très marquée, une sorte d’indifférence et de torpeur, avec des céphalées tenaces.
L’expérience de la Première Guerre à montrée que la mortalité se juge, en l’absence de terrain difficile, dans les quatre premiers jours. Si le gazé franchit ce cap, la guérison est presque sûre. Ce délai correspond essentiellement au temps nécessaire à l’œdème pour se stabiliser. Après quoi, le patient entre en convalescence.
Cette première période est appelée période toxique et s’oppose à la seconde, la période septique apparaissant après la première semaine ou l’on observe les complications infectieuses. Parmi ces complications, retenons surtout les broncho-pneumonies, puis les abcès et les foyers gangreneux.
Les séquelles peuvent être nombreuses. Les troubles fonctionnels sont tenaces : gène respiratoire, toux quinteuse, douleurs thoraciques, bronchites à répétition, bronchites congestives, emphysémateuses, asthmatiformes.
Les anciens gazés, porteurs de lésions cicatricielles étendues, deviennent souvent des tousseurs et cracheurs chroniques, insuffisants respiratoires, menacés à plus ou moins longue échéance, d’insuffisance cardiaque.
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