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Les munitions chimiques françaises.

 

Les substances utilisées et leur historique.  

 

 

 

En France, la production industrielle des usines chimiques était extrêmement peu importante et complètement insuffisante pour soutenir le combat à armes égales contre l’Allemagne. Malgré une volonté évidente de riposter vigoureusement à l’agression chimique allemande, de nombreuses contraintes freinèrent le développement des techniques envisagées en laboratoire et les chimistes français durent rapidement se limiter à envisager l’utilisation de substances que l’industrie française pouvait produire. Les possibilités de synthèse en matière de composants chlorés liquides semblait improbables, si bien que les chimistes français décidèrent de se tourner vers d’autres composés.

 

Effervescence et urgence pour les offensives de Champagne :

 

Nous avons expliqué comment les organes de recherches furent mis en place dans les premiers mois suivant le 22 avril 1915 (Voir la page de généralités). 

 

De nombreux corps furent testés dès le début du mois de juin. Le peroxyde d’azote fut écartés dès le 5 juin après une première série d’essais. Le professeur Lebeau envisagea l’utilisation de dérivés arséniés, proposés déjà avant-guerre avec le cacodyle, projet qu’il finit par abandonner à Job pour se consacrer à l’étude de l’acide cyanhydrique. Les produits envisagés étaient tous extrêmement toxiques et les munitions dont l’emploi était envisagé devaient avoir un pouvoir létal élevé, bien supérieur à celui des munitions utilisées par l’Allemagne. Au mois de juin, trois voies de recherche différentes furent définies : les corps incendiaires, les corps suffocants (avec le phosgène) et les corps toxiques (produits cyanogénés). Les essais entrepris au cours du mois de juin montrèrent que seul les corps alourdis donnaient des atmosphères denses permettant d’envisager leur usage sous forme de projectiles. Le professeur Lebeau fixa ses recherches principalement vers deux composés, qui semblaient être les plus prometteurs : le phosgène et l’acide cyanhydrique.

 

Arrivé à la fin du mois de juin 1915, devant la difficulté à se procurer du chlore liquide, il fut décidé de différer l’émission de vague gazeuse pour porter tous les efforts sur le chargement d’obus et de bombes en substances agressives. La priorité fut donné au chargement de munitions qui devaient appuyer les offensives en Champagne prévues pour le mois de septembre 1915. Ainsi, au courant du mois de juillet, la production d’obus toxique fut planifiée de façon à disposer de stocks dès le début du mois de septembre (300 000 au minimum). Mais nous verrons que le programme du être repoussé et finalement, on ne disposa que d’un type de chargement à la fin de l’été. Il faut dire que les premiers mois de recherches furent marqués par une certaine effervescence et un manque cruel d'organisation. De nombreux marchés furent passés auprès de petites sociétés chimiques, mais à quelques exceptions près, aucune ne put tenir ses engagements.

 

 

 Juillet 1915 : premiers tirs d'obus chimiques français.

 

Les premiers tirs d’obus chimiques français sont généralement datés de septembre 1915 par de nombreux historiens ; les premiers tirs de substances suffocantes étant souvent rapportés au début de l’année 1916. Ces deux notions sont absolument erronées.

Les premiers tirs d’artillerie chimique furent expérimentés dès le mois de juillet 1915 et ce furent des munitions aux capacités jugées alors comme suffocantes et létales qui furent employées sur les troupes allemandes, par les artilleurs français.

Le sulfure de carbone fut la première substance chargée en projectile de 75mm. Il fut mélangé à du phosphore et la production de ces munitions fut lancée très rapidement, probablement au début du mois de juillet 1915. Une note datée du 15 juillet précise que 5000 projectiles de 75mm pouvaient être produits par jour avec la production du moment.

 

L’activité du chlorosulfure de carbone fut mis en évidence dès la deuxième partie du mois de juin 1915. Le 24 juin, des essais furent réalisés dans le puit d’éclatement de Vincennes, à l’aide d’obus de 75 mm, chargés par une gaine de mélinite de 25g et placé à l’entrée du puit d’éclatement. Les munitions étaient emplie de 400cc de chlorosulfure de carbone (teneur en chlore=57%). Immédiatement après l’explosion de la munition, les vapeurs nocives descendaient au fond du puit et les lapin placés en observation furent pris de convulsions, torturés par de violentes secousses, et présentant une respiration très irrégulière et très ralentie. Tous décèderont dans les heures suivantes par asphyxie et l’autopsie décèlera une intense congestion pulmonaire, responsable de la mort. Les conclusions de ces expériences permettront de classer la substance comme très toxique, suffocante et létale.

 

La volonté des Autorités françaises était alors de prendre le dessus sur les armées allemandes en utilisant dès que possible des munitions chimiques aux capacités suffocantes et létales. Ainsi, toutes les quantités disponibles de chlorosulfure furent immédiatement mises à la disposition du Service de l’Artillerie ; un nombre indéterminé de munitions chargées en sulfure de carbone était disponible dès le début du mois de juillet 1915, et il fut décidé de les introduire sur le champ de bataille dès que possible. On attendait des effets létaux de ces substances, sous réserve de certaines précautions rappelées dans une note du 15 juillet 1915 :

« Il est rappelé que ces projectiles, comme tous les projectiles suffocants et asphyxiants doivent être tirés par temps calme, avec une densité suffisante et principalement sur les bas fonds. Un tir par vent fort sur un terrain exposé ou avec un nombre relativement faible d’obus est forcément inefficace ».

 

Plusieurs opérations ont été menées dans les deux premières semaines du mois de juillet 1915 à l’aide d’obus spéciaux chimiques, comme le confirme l’évocation de différentes notes et compte-rendu d’interrogatoires de prisonniers allemands ayant subis les tirs chimiques sur divers points du front. Ces rapports, basés sur les témoignages des prisonniers, semblaient établir l’efficacités des tirs de ces munitions chimiques (notes évoquées dans le JMO de la 151e DI, transmises par le 11e C.A. le 10 juillet 1915). A ce jour, nous n’avons pu retracer  avec précisions qu’une seule de ces opérations.

 

Opération d’assainissement à la IIe armée.

Le 10 juillet 1915, une note du général en chef fut transmise aux armées, avisant celles-ci qu’un certains nombre de projectiles spéciaux de 75mm, pouvait être distribué aux armées et employé contre les villages et organisations complexes. Ce même jour, un ordre prescrivait au général commandant la 151e D.I. de rechercher les points du front de son secteur sur lesquels, après un tir de ces obus spéciaux, pouvait être tenté un coup de main ayant pour but de vérifier l’effet de ces projectiles et de faire des prisonniers.

Le 13 juillet 1915, le GQG envoyait 5000 obus asphyxiants pour être expérimentés à la IIe armée, dont le commandement venait d’être pris par le général Pétain.

Une opération locale s’était déroulée le 10 juillet dans le secteur du 11e C.A. au Bois Allemand. Dans ce secteur, la guerre des mines était continuelle et le combat de grenades incessant, en raison de la proximité immédiate de l’ennemi (moins de 50 mètres).

Le 14 juillet, le général commandant le 11e CA prescrivait qu’un coup de main avec appui de munitions chimiques devait être exécuté au plus vite dans le secteur de la 151e  DI sur la région du Bois Allemand.

L’opération fut planifiée pour le 19 juillet.

 

A 9h00, l’artillerie lourde entrait en jeux et ouvrait le feu sur les positions du Bois Allemand. Elle était suivie par les 75mm et les bombes de 58T à partir de 10h00. Puis de 15h00 à 17h00, les obus spéciaux furent tirés sur la zone définie. Un nuage de fumée dense et blanche recouvra alors le terrain. Il fut dispersé par un tir dit de ventilation entre 17h00 et 17h30, à l’aide d’obus explosifs conventionnels.

A 18h00, deux compagnies du  2e bataillon du 403e RI s’élançaient à l’assaut ; la 6e commandée par le capitaine Page et la 7e par le capitaine Chausson. La première avait pour mission de s’élancer jusqu’aux deuxièmes lignes, tandis que la première devait nettoyer la première ligne et y faire des prisonniers. Immédiatement, dès que les hommes franchirent le parapet, un violent tir de barrage fut déclenché par l’artillerie allemande et plusieurs mitrailleuses réglaient leur tir sur les assaillants. Seul quelques hommes atteignirent les deuxièmes lignes tandis que la 7e Cie faisait cinq prisonniers en première ligne.

Le capitaine Page fut fauché par le tir des mitrailleuses ; le médecin auxiliaire Jean Nicolle, qui avait pour mission d’observer les effets des tirs suffocants disparu dans le corps à corps engagé en première ligne. Les pertes s’élevèrent à 179 hommes, dont 45 tués, 116 blessés et 18 disparus. Les précieux prisonniers qui furent capturés ne s’étaient pas aperçu qu’ils étaient soumis aux tirs d’obus suffocant et déclarèrent avoir été nullement incommodés. Ils furent simplement impressionnés par l’obscurité presque complète dans laquelle ils s’étaient trouvé.

 

Le 25 juillet, une note du GQG précisait : « Le mélange sulfure de carbone et phosphore qui était utilisé jusqu’à cette date n’a pas donné satisfaction. Il est abandonné ».

 

 

 

 

 

Au 15 juillet, les prévisions étaient de 7500 projectiles de Vincennite (classé dans la catégorie projectiles toxiques) par jour à partir de début août, donnant 100 000 coups disponibles dès le 15 août. Dans la catégorie des substances lacrymoyantes (sic), on tablait sur une production de chlorosulfure de carbone de 40 tonnes par mois d'ici un mois et un minimum de 20 000 projectiles d'ici août. Dans la catégorie des suffocants, on chargeait des bombes de 58T avec un mélange de chlorosulfure et de chlorure d'étain, produit à raison de 1500 kg par jour.

 

Des marchés purent être passés avec l'Amérique, assurant une livraison de chlore espérée à hauteur de 25 tonnes par jour, jusqu'au mois d'octobre 1915. La production française devait assurer une production de l'ordre de 5 tonnes par jour à compter de cette date. Enfin, un capital de 25 millions avait été débloqué pour la création de la l'industrie du chlore en France ; il était espéré qu'elle pourrait débuter sa production dès janvier 1916.

 

Pour le phosgène, le gouvernement négocia avec la maison Descollonges de Lyon, pour obtenir 500 kg par jour par synthèse catalytique. La société Poulenc s'etait engagé à en fournir 300 kg par jour, obtenues à partir de l'oléum. 

 

Le 18 juillet, le général commandant en chef Joffre s'adressa au Ministre de la Guerre en lui demandant de tout mettre en oeuvre pour la production et le chargement en obus de substances les plus actives possibles ; substances suffocantes (phosgène et chlorosulfure de carbone), toxiques (Vincennite) et lacrymoyantes (sic). Il lui signalait également que l'emploi de ces substances pourrait représenter un certain danger tant qu'aucun moyen de protection efficace contre ces substances ne serait distribué aux troupes (risque de représailles allemandes à l'aide des mêmes chargements). Ainsi, le 25 juillet, seul trois composés furent retenus pour les chargements de façon à obtenir une production au plus tôt ; il s'agissait du phosgène, de la Vincennite et du chlorosulfure de carbone. 

 

 

 

Les premiers essais de tir en polygone viendront confirmer la nocivité de la Vincennite, mais en l'absence de production d'acide cyanhydrique, aucun chargement ne pourra être réalisé pour la fin de l'été. Il fut donc décidé de développer au maximum tous les moyens de production de ce toxique avec l'agrandissement de la productivité des usines dont la construction était déjà prévue et de prévoir l'ouverture de nouvelles usines. Tout fut planifié pour l'utilisation des obus chargés en Vincennite au plus tôt ; finalement, la stabilisation du mélange se révèlera plus compliquée que prévu et diffèrera encore la mise en service de ce toxique.

 

La nocivité du phosgène était déjà établie au mois de juillet, même si aucun tir avec des obus emplis de cette substance n'avaient encore été réalisé. En cette fin de mois de juillet 1915, il était quasiment admis que les Allemands utilisaient cette substance depuis peu (obus de 170 mm tiré le 18 juin 1915 devant Neuville-Saint-Vaast, récupéré et analysé au Laboratoire Municipal. Il était en réalité chargé de Palite, chloroformiate de méthyle chloré, un dérivé du phosgène, mais cela ne fut connu qu'après le 2 août 1915 et le rapport d'André Kling). L'adoption de cette substance fut donc validée à ce moment pour la constitution de stocks d'obus chimiques de plus de 100 000 coups, censés être disponibles pour les offensives de Champagne (chargement de 3000 obus par jour, avec une production planifiée de l'ordre de 2 tonnes par jour. Il fut convenu d'y ajouter du chlorure d'étain ou de la chloracétone, en fonction des disponibilités, pour rendre ces munitions lacrymogènes en plus de leur pouvoir toxique). A ce stade, il était prévu que le Service des poudres cèderait une tonne d'oléum par jour pendant 40 jours à la société Poulenc à Lyon, pour la production d'une tonne de phosgène par jour. Ce procédé de synthèse était reconnu comme peu avantageux et un vaste programme de construction d'usines fonctionnant par catalyse fut lancé (les usines de Laire à Pont-de-Claix et à Calais), pour une production massive de phosgène au plus tôt. Ce programme fut également retardé et très peu d'obus chargés en phosgène ne purent être fabriqués avant septembre 1915. Le procédé à l'oléum fut amélioré grâce aux travaux de Grignard avant d'être supplanté par la synthèse par catalyse, qui fonctionna à plein seulement à partir de 1917.

 

Enfin, la dernière substance dont on été à peu près certain de pouvoir disposer, était le chlorosulfure. Déjà, 2,6 tonnes avaient été envoyées aux ateliers de chargement, malgré le fait que la production de ce composé n'était pas encore assurée. L'usine Weyler s'était engagée sur la livraison de 1 tonne par jour portée à 2 dès le 3 août, mais cela était bien loin d'être réalisé. Il fallut suspendre la fabrication de fumigérite (chlorure de titane) destinée à la stabilisation des atmosphères toxiques des projectiles, et produite par les usines de la Société de Penarroya, pour lancer la production de chlorosulfure dans ces mêmes usines. La fumigérite fut ainsi remplacée par le chlorure d'étain dont on pouvait disposer plus facilement.

 

 

Un dernier élément vint encore relancer l'urgence pour la production des obus n°1 chargés en chlorosulfure, malgré leur manque d'efficacité mesuré dès le mois d'août par des essais de tir réels. Le 3 août, le rapport du laboratoire Municipale sur l'obus tiré fin juin dans la région de Souchez fut connu du Général commandant en chef : "Les résultats complets de cette analyse ont démontré qu'il ne pouvait pas être conclu à l'emploi de phosgène. Les gaz asphyxiants tirés par l'ennemi sont des gaz suffocants et lacrymants, généralement à base de brome, mais non des produits toxiques". "Il résulte des renseignements fournis par les chimistes compétents que les Allemands avaient, dès le temps de paix, des ressources considérables en phosgène (...), de 50 contre 1". "On doit, dans ces conditions, se demander s'il n'y a pas lieu de différer l'emploi du phosgène jusqu'au moment ou l'ennemi en aurait fait lui-même usage, puisque (...) les Allemands ont sur nous un avantage écrasant et irrémédiable"

 

Devant ce danger, il fut convenu que les obus chargés de phosgène devaient rester en magasin jusqu'au moment où l'on en aurait des quantités considérables avec un courant de production assuré, ou que les Allemands aient fait usage de composés analogues. Même si l'analyse des obus tombés devant Souchez permit d'en connaître le contenu, la confusion complète dans les effets des substances chimiques, l'absence de références à des essais toxicologiques, conduit à reporter l'usage de produits dont l'efficacité était finalement similaire à celles des substances utilisées par l'ennemi. La palite était en effet un dérivé direct du phosgène, aux propriétés toxiques et suffocantes similaires, des effets lacrymogènes en plus.

 

L'épisode d'Avocourt du 26 octobre 1915 décida les autorités françaises a introduire les obus emplis de phosgène (voir chapitre V). Selon le rapport émis par le docteur Flandin à l'égard du Ministre de la Guerre, les Allemands utilisèrent dans la région de Verdun des obus chargés d'une nouvelle substance agressive. Les conclusions de Flandin sont claires : il s’agirait d’une attaque au moyen d'obus dont les effets toxiques sont de l’ordre de ceux produits par l’oxychlorure de carbone. On dénombra 5 décès sur place et 6 dans les formations sanitaires dans les deux jours suivant, sur à peine une centaine d'hommes touchés par les effets de ces quelques 300 obus chimiques. 

 

 

 

 

Numéro

Code

Composition

Première utilisation 

Remarques

1

Clairsite

Tetrachlorosulfure de carbone

Septembre 1915

2

Urbain

Solution sulfocarbonique de phosphore

Obus incendiaires et suffocants

3

Job

Phosphore blanc

Obus incendiaires

4

Vincennite

quaternaire 4V4

Acide cyanhydrique 50%

Tétrachlorure d'étain  (Opacite) 15%

Trichlorure d'arsenic ou Marsite 15%

Chloroforme 5%

En mélange

Juillet 1916

4B

Vitrite

Chlorure de cyanogène 70%

Trichlorure d'arsenic 30%

En mélange

Etudiée en 1916 et 1917 ; obus fabriqués en 1917 mais très peu utilisés.

5

Collongite

Phosgène

Tétrachlorure d'étain (Opacite) en mélange 

 

Fin 1915

6

Palite ou Cipalite

Chloroformiate de méthyle monochloré

Tétrachlorure de titane (Fumigérite)

ou tétrachlorure d'étain (Opacite) en tube central

 

 

Essayé mais abandonné au profit du phosgène

7

Aquinite

Chloropicrine 75%

Tétrachlorure d'étain 25%

En mélange

Prête fin 1916, mais utilisation retardée faute de matière première.

8

Papite

Acroleine (2/3) et

Tétrachlorure d'étain ou de titane en tube central

Fin 1916

Composé instable qui sera peu utilisé.

9

Martonite

Bromacétone et 

Chloracétone résiduelle

Tétrachlorure d'étain en tube central 15%

retenue en 1916, mais nécessitait l'utilisation d'obus verré et d'une gaine émaillée.

9B

Homomartonite

Bromométhyléthylcétone

Chlorométhyléthylcétone

Chlorure d'étain

10

Bretonite

Iodacétone

Tétrachhlorure d'étain en récipient de plomb double

Nécessitait un récipient interne en plomb. Les munitions, d'un coût de production trop élevé; furent très peu produites.

11

Cedenite

Chlorure ou bromure de nitrobenzyle dans du chlorure de benzyl

Chlorure d'étain

Récipient en plomb double

Nécessitait un récipient interne en plomb. Les munitions, d'un coût de production trop élevé; furent très peu produites

12

Fraissite

Iodure de benzyle 50%

Chlorure de benzyle 12,5%

White spirit 37%

Tétrachlorure d'étain

Récipient en plomb double

Pour son utilisation, on préféra attendre la réalisation d'obus verrés. En définitive, on la substitua à la bromocétone.

13

Sulvinite

Chlorosulfate d'éthyle

Chlorure d'étain

Fin 1916

Utilisée dans le remplissage de bombes de mortier.

14

Cyclite

Bromure de benzyle

Tétrachlorure de titane en tube central

Fin 1915

Utilisée en petite quantité

15

Lacrymite ou Vaillantite

Thiophosgène ou

Chlorosulfate de méthyle

tétrachlorure d'étain

En mélange

16

Rationite

Sulfate de diméthyle 80%

Chloridrine sulfurique 20%, faisant fonction de fumigène

Etudiée en 1915 et adoptée en 1917 ; envoyée aux armées en septembre 1918. sera très peu utilisée.

20

Ypérite

Sulfure d'éthyl dichloré 80%

Tétrachlorure de carbone ou dichlorobenzène 20%, solvant

Absence de fumigène

Mai 1918

21

Camite

Nitrile phénylacétique alpha bromé 87%

Bromure de benzyl 13%

Absence de fumigène

Adoptée en 1916, mais son chargement posa de très nombreux problèmes si bien qu'elle ne fut pas introduite.

22

Sternite

Diphénylchloroarsine et Dichlorophénylarsine

80/20 ou 60/40

En projet au moment de l'Armistice.

   

Ainsi, dès le mois d'août 1915, le programme de chargement des obus chimique français était défini. A la fin de l'année 1915, quasiment tous les chargements qui seront effectués durant le conflit (à l'exception du sulfure d'éthyl dichloré) étaient en cours d'étude. La Commission d'agression, une fois ce travail effectué, pu diversifier le champ de ses recherches en travaillant par exemple, sur les conditions tactiques d'utilisation des munitions chimiques, sur les propriétés physico-chimiques et physiologiques de différentes substances.

Nous passons en revue l'ensemble des substances chargées en projectiles dont la synthèse fut réalisée : 

Substance n°1 : Tétrachlorosulfure de carbone - Clairsite.

Le professeur Urbain proposa l’utilisation du tétrachlorosulfure de carbone, qui ne nécessitait comme matière première que du chlore et du sulfure de carbone, matières que l’on possédait. Cet agressif fut étudié par Bertrand et Delépine à partir du mois de juin 1915 ; les projectiles furent baptisés des initiales des deux chercheurs : BD1. A la fin du mois de juin, débutèrent les premiers essais en puit d’éclatement à Vincennes, puis en champ de tir à Satory dès début juillet. A la fin du mois, des essais réels pratiqués sur des animaux et des hommes munis de tampons protecteurs donnèrent des résultats concluants. Un seul bémol, la substance était très volatil et l'emploi de projectiles chargés de ce toxique ne pouvait s'envisager que pour obliger l'ennemi à quitter les tranchées et les abris. Son action disparaissait assez rapidement ; il était impensable de s'en servir pour faire des tirs de barrage (note confidentiel n°27 de la Commission du 3 août 1915).

 

Le tétrachlorure de carbone est un agent incapacitant, irritant pour les yeux à un seuil d'action de 10mg/m3 et une limite supportable de l'ordre de 70mg/m3. Ses effets sont également toxiques et mortels, essentiellement dans des lieux mal ventilés.

 

Expérience du 24 juin 1915 avec le chlorosulfure de carbone : 

On fait détonner un obus de 75mm chargé d'une gaine de 25g de mélinite et de 400cc de chlorosulfure de carbone, à l'entrée du puit d'essai (concentration de 1/1000). Dans le puit, immédiatement après l'explosion, un placé lapin au fond du puit convulse pendant près d'une minute, puis sa respiration devient très superficielle. Il reste dans cet état pendant 17 minutes. quand on le sort du puit, sa respiration redevient presque normale, plus lente qu'à la normale, mais les muqueuses du nez et des yeux sont fortement congestionnées. Le lendemain, le lapin est trouvé mort. Les essais sur d'autres lapins donnent les mêmes résultats ; les lapins décèdent dans les 24 ou 48 heures maximum, après être resté dans des atmosphères toxiques de 9 à 17 minutes.

Expérience du 28 juin 1915 avec le chlorosulfure de carbone et le phosgène : 

Les expériences sont effectuées avec l'aide du four Verdier et chauffage au coke. Les lapins placés sur le trajet du gaz décèdent en environ 15 minutes. Un lapin placé au fond d'une tranchée près duquel une ampoule de 90 g de phosgène explose ne semble éprouver aucun malaise. 

Expérience du 28 juin 1915 avec le chlorosulfure de carbone  : 

On dispose 200 obus de 75mm chargés de 400cc de chlorosulfure de carbone dans un rectangle de 20mx60m (1200 m2). Une tranchée creusée dans ce terrain se trouve sous le vent des obus. On fait détonner simultanément les obus. Tous les hommes placés entre 50 et 100m de distance des points d'explosions sont obligés de fuir, même ceux munis d'appareils de protection. Le nuage dense roule avec le vent et sur son passage indispose tous les expérimentateurs sur au moins 100m. Seul ceux placés derrière un mur au dessus duquel le nuage est passé ont pu stationner sur place. Tous les lapins placés sur le terrain et dans la tranchée sont retrouvés dans un état d'asphyxie et plusieurs sont décédés ou vont décéder.

 

 

Les autorités françaises nourrissaient beaucoup d’espoir à l’égard des perspectives militaires que semblait offrir l’artillerie chimique. Au mois d’août, Joffre donna son accord pour la production de 50 000 obus spéciaux chargés de tetrachlorosulfure de carbone et de chlorure de titane, baptisé clairsite. Malgré les efforts de Delépine et de Grignard, tous les mélanges essayés étaient peu stables dans le temps. Les obus étaient préparés à l'aide d'un vernissage obtenu à l'aide d'essence de térébenthine et de braie liquide. L’utilisation des obus spéciaux BD1 avait cependant été programmée pour l’offensive de Champagne, prévue le mois suivant, pour laquelle fut décidé la production d’un grand nombre d’obus spéciaux (427 000), appelés désormais obus n°1. Dans l’urgence, un mélange de tétrachlorosulfure de carbone et de chlorure de soufre, baptisé Lacrymite, fut également adopté et également chargé dans des munitions de 75 mm, malgré les protestations de Bertrand qui ne prêtait aucune agressivité au mélange, en regard de sa volatilité. Ces obus furent tirés lors de la phase préparatoire de l’offensive de Champagne, les 23, 24 et 25 septembre 1915 et dans les jours suivants. Les munitions se révélèrent effectivement inefficaces et la Lacrymite fut définitivement abandonnée.

Les munitions chimiques chargées de tétrachlorosulfure de carbone, utilisées lors des offensives de Champagne, ne donnèrent pas les résultats escomptés, pour de nombreuses raisons. La forte volatilité du produit, malgré sa stabilisation par le chlorure de titane, le rendait impropre à un usage en munitions. L'absence de tactique d'utilisation cohérente diffusée au sein des artilleurs et des états-majors, fit que son usage fut irrationnel et nombre de munitions chargées en chlorosulfure furent tirées "au petit bonheur la chance" sans considérations stratégiques. Enfin, une partie du toxique se décomposa au contact de l'acier de l'obus avant le tir des munitions, si bien que son efficacité réelle fut encore fortement obéré. 

 

Substances n°2 et n°3 :

La Commission des gaz asphyxiant poursuivie la voie tracée en juin 1915, en menant des recherches sur les obus incendiaires et suffocant.

L’obus n°2, appelé obus Urbain, du nom de son concepteur (Urbain travaillait déjà au sein de la Section Technique de l'Artillerie à la réalisation d'un obus fumigène depuis octobre 1914), était chargé avec une solution sulfocarbonique de phosphore contenu dans un cylindre de Celluloïd (solution de phosphore blanc avec du sulfure de carbone). A l'éclatement, l'obus incendiaire n°2 dégageait également des vapeurs de dioxyde de soufre.

L’obus n°3, mis au point par Job et simplement incendiaire, était chargé de bâtons de phosphore. Ces munitions ne furent produites qu’en nombre limités et furent finalement définitivement écartés en raison de leur inefficacité.

Substances n°4-Vincennite et n°5-Collongite :

Les essais menés en vu d’alourdir les atmosphères obtenue avec le phosgène et l’acide cyanhydrique se poursuivirent et les premiers chargements furent réalisés dès août 1915. Lebeau et Urbain durent se résoudre à utiliser le chlorure d’étain et d’arsenic comme stabilisateur, seuls produits dont on pouvait disposer. Le phosgène fut nommé collongite, du nom de l’usine de Collonges de Lyon qui le produisait. Le mélange d’acide cyanhydrique et de chlorure d’arsenic fut nommé Vincennite, au regard  des premiers essais menés avec ce produit à Vincennes en juin 1915. En septembre 1915, les essais de tir réalisés au polygone de Bourges, se révélèrent prometteurs mais démontraient encore une fois la nécessité d’alourdir les atmosphères obtenues. Le GQG souhaitait disposer de munitions toxiques au plus tôt ; en octobre 1915, Joffre écrivait à Albert Thomas : «  J’insiste sur la nécessité à ce que les obus toxiques soient mis au point de la façon la plus complète dans les plus bref délai ». Lebeau travaillait toujours à la mise au point délicate des obus emplis de Collongite et de Vincennite. Il ajouta à cette dernière du chlorure d’étain pour donner un mélange appelé Vincennite binaire. Les résultats étaient toujours décevant et en décembre 15 de nouveau espoirs apparaissaient suite à la mise au point de la Vincennite ternaire, dans laquelle du chloroforme avait été ajouté. Les essais menés en décembre au camps de Mailly se révélèrent encore une fois décevant. Joffre, qui finissait par admettre que l’introduction des obus chimique était encore prématurée, écrivit à Albert Thomas « les gaz représentent une arme nouvelle dans l’emploi de laquelle il est essentiel que nous prenions la première place dès le printemps 1916 ».

 

Phosgène : 

Le mélange, proposé par Lebeau et Urbain en juin 1915 fut le bon. Des essais en grand, pour apprécier l’efficacité du toxique, en fonction des conditions que l’on pouvait rencontrer sur le champ de bataille, eurent lieu les mois suivant. L’étude de ces tirs, tout comme celle de ceux qui auront lieu sur le terrain, permit de définir une tactique d’utilisation en une technique de tir en fonction des résultats obtenus, et non arbitrairement à partir d’un concept théorique, comme les Allemands procédaient alors. Les premiers tirs des obus n°5 sont souvent fixés au 21 février 1916. En réalité, ils ont été réalisés plus tôt, une vaste opération à l'aide d'au moins 6000 coups d'obus au phosgène tirés le 21 décembre 1915, va permettre la reprise de l'Hartmannswillerkopf. L’introduction en quantité importante se fit progressivement tout au long de l’année 1916. Les objectifs attaqués étaient souvent les batteries adverses, qui furent neutralisées dans de nombreux cas. Les calibres de 120 et 155 mm furent certainement introduits après le mois d’août 1916. Le chargement n°5 fut celui le plus utilisé par l’artillerie française durent la Première Guerre mondiale. La production totale de phosgène, dont une partie fut utilisée dans les vagues gazeuses dérivantes, fut de 15.800 tonnes. Un premier procédé, étudié par Grignard et utilisant la réaction de l’oléum sur le tétrachlorure de carbone, fut utilisé jusqu’en 1917. D’autres procédés, catalytiques, utilisés principalement dans les usines de Laire à Pont-de-Claix et à Calais, produisirent l’essentiel du phosgène pour les besoins de l’armée.

Les premiers tirs d'obus français au phosgène.


Les premiers tirs français d'obus chargés en phosgène sont particulièrement difficiles à dater. Jusqu'à aujourd'hui, personne n'avait réussi à déterminer précisément à quel moment du conflit ils avaient été effectués. A défaut, la majorité des historiens s'alignaient sur la position de Rudolf Hanslian (Der Chemische Krieg, 1927) qui, sans aucune précision sur ses sources, prétend qu'ils avaient eu lieu dans la nuit du 21 février 1916, sur le front de Verdun. Cette date erronée dans la chronologie de Hanslian, semble trouver pour origine les rapports des années 1920 des Commissions d'Enquêtes sur l'industrie chimique allemande, en exécution de l'article 172 du traité de Versailles. Des détails évoqués uniquement dans ces documents sont en effet repris par Hanslian, jusqu'à cet anachronisme. Malheureusement, il manque l'essentiel de ces rapports dans les archives françaises et précisément ceux qui font part de la découverte par les militaires allemands des tirs français aux obus n°5 emplis de phosgène. Les parties manquantes peuvent cependant être complétées par des traductions étrangères, conservées dans les archives nationales en Angleterre (documents d'origine anglaise, italienne et française). Bien évidemment, il faut procéder à de nombreux recoupages pour exploiter ces informations, mais ce sont des sources uniques et souvent irremplaçables. Comme précisé plus haut, un rapport français fixe ainsi ces tirs au cours du premier jour de la bataille de Verdun, le 21 février 1916.


Pourtant, cela est très peu vraisemblable, et pour plusieurs raisons.


Premièrement, le chaos dans lequel les troupes du secteur de Verdun sont plongées, lors des premières semaines de l'assaut allemand du 21 février, ne laisse aucune place à un tir d'essai d'obus chimiques. Ce genre de tir s'exécute suite à une minutieuse préparation et un suivi précis des conditions météorologiques, sur des positions ennemies parfaitement identifiées et repérées. Dans l'enfer de Verdun et la confusion des premières semaines de combat, les troupes étaient au contraire jetées quasiment au hasard pour combler les trous de la défense,  dans l'immensité du champ de bataille, où personne ne savait situer précisément l'adversaire, pas plus que les troupes amis. Cela ne laisse guerre de place à un tir d'essai d'obus toxiques, à part peut-être quelques tirs de contre-batterie.


Deuxièmement, les chargements en phosgène semblent débuter à la fin de l'été 1915 et après quelques tergiversations, les autorités françaises s'accordent pour les utiliser le plus tôt possible et dès que la production sera suffisante et qu'un stock conséquent aura été constitué. Cette décision est finalement prise suite à l'attaque d'Avocourt du 26 novembre 1915 où les rapports de l'IEEC, principalement suite aux enquêtes menées par le Docteur Flandin, concluent à l'utilisation d'obus par les allemands, dont les effets toxiques sont de l'ordre de ceux produits par le phosgène. Il faut noter que la doctrine d'utilisation de ces projectiles a été constituée suite à de nombreux tirs d'essais exécutés au camps de Mailly depuis novembre 1915, par ordre du Général en Chef et sous la direction du Grand Quartier Général. L'ensemble de ces conclusions provisoires est d'ailleurs discuté dans la séance du 8 janvier 1916 de la Commission d'Aression. Ainsi, l'artillerie française est dans la capacité d'utiliser les munitions au phosgène avant la fin de l'année 1915 ; il en existe des stocks et les fondements de leur doctrine d'utilisation sont élaborés. Pourquoi attendre encore plusieurs mois supplémentaires quand le GQG ne cessait, depuis octobre 1915, de presser les essais pour pouvoir introduire au front dès que possible les obus toxiques au phosgène ?


Troisièmement, les chimistes allemands,  dans ces fameux  documents recueillis par la Commission d'Enquête du Traité de Versailles, précisent avoir relancé la production de surpalite (ou chloroformiate de méthyle trichloré) en réponse à l'introduction  des obus français chargés en phosgène, dans les usines de Bayer à Leverküsen et Hoechst (Farbwerke Meister Lucius et Brüning à Hochst am Main), à la fin de l'année 1915 (les installations et les chaines de production ont été débutées en juin 1915).
Extrait (traduction)  : "Au début de 1916, les services chimiques de guerre allemands avaient en préparation les obus à Surpalite (depuis plus de six mois, note de l'auteur), quand lors de la bataille de Verdun apparu les obus français de 75mm au phosgène et leurs terribles effets létaux, qui firent grand effet dans les rangs des armées allemandes. (...) L'introduction  des obus à croix verte chargés en Surpalite et en tous calibres, fut la réplique immédiate".
Les premiers tirs des munitions allemandes à la surpalite, nommées K2 puis croix verte, furent ensuite réalisés le 9 mars 1916. Il est peu probable que la décision de relancer la production puis celle de réaliser les chargements aient pu aboutir en quelques jours pour enfin planifier une offensive à l'aide de ce toxique immédiatement après.


Enfin, à la fin de l'année 1915, nous savons qu'il n'existe aucune autre munition chimique d'artillerie disponible en dehors de celles chargées en phosgène, mises en réserve depuis le début de leur chargement à la fin de l'été 1915. Plusieurs rapports des archives françaises évoquent des tirs expérimentaux d'obus spéciaux à cette époque. Il est ainsi fort probable que des tirs d'obus au phosgène aient été pratiqués en novembre et décembre 1915, si l'on se réfère à ces documents qui évoquent l'efficacité de tirs chimiques de contre-batterie. On retrouve également des documents du Général en Chef prescrivant, en janvier 1916, de continuer les essais d'obus toxiques "à l'intérieur" (c'est à dire essentiellement sur les polygones de tir), en opposition à ceux qui ne sont pas cités, à priori "au front". Pourquoi préciser dans ces ordres de continuer ceux là, si d'autres pratiqués sur le front n'avaient pas eu lieu ?
Prudemment, dans l'ensemble des rapports évoquant ces tirs conservés dans les archives françaises, aucun n'est clairement daté ni circonstancié ; le secteur n'est pas défini et bien évidemment les unités concernées ne sont que très rarement citées. Par exemple, une publication du Ministère de l'Armement datée de 1917, "Conférence sur les obus spéciaux",  évoque précisément un tir d'obus chimiques les 22, 28 et 29 novembre 1915, réalisé par l'Artillerie Divisionnaire de la 66e Division d'Infanterie. Aucun des Journaux de Marche des unités engagées dans cette division ne permet de recouper ces informations autour de ces dates. A l'évidence, les pistes ont été brouillées.
Pour toutes ces raisons, nous avions évalué l'introduction des obus chargés en phosgène à la fin de l'année 1915, sans pour autant avoir de preuves concrètes...

Il faut bien comprendre que cette première utilisation de munitions chimiques, dont la seule fonction est de tuer l'adversaire, est une date marquante et symbolique de la guerre chimique. Elle marque en effet la première violation indiscutable des Conventions Internationales de La Haye de 1899 et 1907 qui prohibent l'utilisation "de projectiles dont le seul objectif est de diffuser des gaz asphyxiants ou délétères".
La volonté des autorités militaires était de disposer au plus tôt de projectiles aux capacités foudroyantes, dès l'été 1915. Cela signifiait de mettre en œuvre des munitions les plus nocives possibles - c'est à dire létales - au mépris de toutes les Conventions Internationales existantes. Les militaires français avaient parfaitement conscience que le chlore employé par les Allemands à Ypres n'avait qu'une faible toxicité et que les projectiles chimiques qu'ils utilisaient avaient des propriétés lacrymogènes en plus de leurs propriétés toxiques (rapport de la Commission d'Agression du 17 août 1915, sur l'objection morale d'utiliser des substances létales et sur l'objectif recherché). Aucune convention n'interdisait l'emploi d'un projectile d'artillerie qui, en plus d'effets brisants, avait des propriétés irritantes et toxiques. En revanche, les accords internationaux interdisaient l'usage d'un projectile aux seules capacités toxiques, dont les effets ne seraient prévenus par aucun autre symptôme.


En somme, les discussions transcrites au travers des documents français sont unanimes : la doctrine française ne devait pas se laisser guider par des considérations de "sentimentalité" ou de respect de conventions, mais uniquement par les résultats attendus s'ils s'avéraient possibles. En réalité, il n'y eu aucune objection à utiliser des substances létales et à violer la Convention de La Haye. Les autorités prirent cependant la précaution de n'utiliser ces substances dans des munitions d'artillerie que quand la capacité de production française fut jugée suffisante pour ne pas avoir à souffrir de représailles allemandes plus importantes ; "la question légitimité d'emploi ne se pose pas, la seule question qui se pose est une question industrielle. Du jour où on aura répondu à cette question par l'affirmative, l'emploi s'en suivra naturellement". Cet avis tranché et glaçant, est motivé dans un courrier de la commission du 2 août 1915, approuvé par le Général Commandant en Chef.

 

Opération chimique au 'Hartmannswillerkopf


Finalement, ce sont des documents d'origine privée qui vont permettre de connaître une des premières (ou la première ?) opération au front à l'aide des obus au phosgène. Très aimablement confiée par son propriétaire, elles permettent en s'appuyant sur les JMO des unités engagées, de faire le jour sur ces tirs.  Il n'existe malheureusement aucun document dans les archives françaises des services chimiques, évoquant cette opération. C'est par ailleurs une généralité, les archives françaises se démarquent par leur extrême pauvreté sur l'aspect offensif de l'utilisation de l'arme chimique.


En effet, selon les archives privées du général Verguin (alors chef d'escadron et commandant d'un groupement d'artillerie), un ordre du général Serret (alors chef de brigade, commandant par intérim la 66e D.I, qui se bat à l'Hartmannswillerkopf dans les Vosges) en date du 12 décembre 1915 fait mention d'une mission spéciale au Hartmannswillerkopf, dans le cadre de l'offensive en préparation qui vise la reprise du sommet du col qui domaine la plaine d'Alsace. Le 18 décembre, le général évoque alors un tir d'obus spéciaux et les ordres d'opération sont diffusés le 19. Les tirs doivent être effectués en majorité avec des obus n°5 chargés en phosgène, complétés par des obus n°2 et 3, des obus incendiaires et suffocants au phosphore blanc qui ont la particularité de créer un épais nuage fumigène qui doit stabiliser et clouer au sol le nuage de phosgène. En ligne du côté allemand, ce sont les 14. Jäger, le R.I.R. 78 et le Ldw. Inf. Rgt. 99 qui tiennent le front. L'offensive est prévue le 21 décembre, le tir de préparation d'artillerie commencera à 9h15 et les troupes d'assaut s'élanceront sur le terrain à 14h15.


- Deux batteries de 75mm du groupement Verguin sont chargées d'un tir d'obus spéciaux pour préparer le terrain avant l'assaut des troupes, dans le secteur de la cuisse gauche dit "le nid à boches". La 25e batterie débute son tir à 9h15 et le poursuit jusqu'à 11h45, soit pendant 2h30. 2000 obus spéciaux sont envoyés sur le terrain. Le tir débute à cadence maximale, toutes les pièces tirant simultanément à la cadence de 10 coups/minute pendant 5 minutes. Le nuage de gaz est formé dès la troisième minute, dans un carré de 200 mètres de côté. Il est ensuite entretenu par un tir continu de deux pièces par alternance, toujours à la cadence de 10 coups/minute et par pièce. En réalité, la cadence moyenne selon le rapport du chef d'escadron Langlois se porte à 8 coups/minute, ce qui laisse supposer par ailleurs que des pauses ont été ménagées pendant les 2h30 du tir. La cadence a en effet été ajustée de façon à entretenir la densité du nuage, qui se fixe dans sa partie la plus dense à environ dix mètres au dessus du sol. Les JMO des batteries précisent : "Les nuages des obus spéciaux des batteries Hubert et Zimberlin se forment bien. Le vent NO les ramènent sur les lignes allemandes".
Le tir s'interrompt de 11h45 à 12h45 où il est repris par la 26e batterie à la cadence de 10 coups/minute, les pièces se relayant de façon à ce que deux d'entre-elles soient constamment en action. 1500 obus spéciaux sont envoyés sur la même bande de terrain, tandis que les autres pièces opèrent un tir de destruction sur les réseaux de barbelés à raison de 3 obus explosifs par mètre courant. Les tirs chimiques s'arrêtent à 14h00, laissant le temps au nuage de se dissiper avant l'arrivée des troupes d'assaut qui s'élancent à 14h15.


- Deux batteries du groupement Roche effectuent un tir en contrebas vers la vallée, dans le secteur des tranchées de la Vigne et de la Haie, au nord de Wattwiller. Une rafale de 2500 obus spéciaux est envoyée à 12h45.


- L'artillerie du secteur Nord de la R.F.B. intervient en soutien aux opérations de la 66e D.I. avec notamment 6 canons de 75mm destinés à faire des tirs d'obus spéciaux, sur des batteries adverses.


Nous reviendrons ultérieurement en détails sur cette opération. Les résultats recueillis par les officiers des troupes d'assaut et les différents observateurs sont consignés dans un rapport d'opération du commandant Langlois : "(...) les troupes d'attaque ont déclarées n'avoir jamais vu l'artillerie faire un si beau travail ; (elles) se sont portées sur les points à elles assignés de la ligne ennemie, l'arme à la bretelle". Tous les occupants des tranchées et des abris allemands qui n'ont pas évacué immédiatement le secteur, sont retrouvés morts asphyxiés. Les objectifs noyés sous les nuages de phosgène sont pris sans résistance. Parmi ceux qui sont faits prisonniers dans les lignes plus en arrière, certains meurent en étant amenés vers les lignes françaises. Sur le sommet noyé par la nappe de phosgène, le succès est total. Les français pénètrent profondément dans le dispositif allemand.


Dès le lendemain, le 22 décembre, les Allemands contre-attaquent et parviennent à reprendre presque toutes les positions perdues la veille. Les français sont surpris par la rapidité de la réaction allemande, le 152e  RI est encerclé au sommet et presque entièrement anéanti. Environ 600 Français sont tués et 1 500 sont faits prisonniers après une résistance héroïque et acharnée. Les troupes allemandes occupent à nouveau une grande partie de leurs positions de la veille. Le sommet du Hartmannswillerkopf, après avoir été noyé dans un nuage épais de phosgène et de vapeurs de phosphore, est recouvert de cadavres français…

 

 

Vincennite :

Les projectiles chargés en Vincennite furent long et délicats à mettre au point. Une fois la stabilisation des atmosphères réalisée, il fut nécessaire de réaliser de nombreux essais de tir pour définir une technique d’utilisation adéquate. En effet, l’acide cyanhydrique possédait des propriétés toxiques redoutables, tuant immédiatement, sous réserve qu’une concentration suffisamment importante soit obtenue. En dessous de cette valeur, les résultats étaient nuls.

Des essais comparatifs furent réalisés à partir de septembre 1915, avec des chargement de phosgène, de clairsite et de Vincennite, sur des zones reproduisant les conditions du front (sous bois, en tranchée, en abris, à l'air libre). Différents animaux étaient placés dans différentes parties de la zone bombardé. Le phosgène fut à chaque fois reconnu comme largement supérieur à la Clairsite, mais les résultats de la Vincennite furent décevants. 

 

 

Rapidement, Lebeau tenta d'alourdir les vapeurs de Vincennite en chargeant un mélange composé pour moitié d'acide cyanhydrique et de trichlorure d'arsenic. Le mélange fut nommé Vincennite binaire et fut rapidement remplacé par une Vincennite ternaire en remplaçant une partie du trichlorure d'arsenic par du tétrachlorure d'étain.

Enfin, le mélange final baptisé 4V4 ou Vincennite quaternaire renfermait 50% d'acide cyanhydrique(Forestite), 30% de trichlorure d'arsenic (Marsite), 15% de tétrachlorure d'étain (Opacite) et 5% de chloroforme.

De fait, l’introduction de ces projectiles fut retardée au 1er juillet 1916, lors de l’offensive de la Somme. En octobre 1916, dans un ordre émanant d’un général commandant allemand et intercepté par les services français, on pouvait lire : « L’ennemi à employé des obus asphyxiants à effets très rapides et mortels. Il a été presque impossible de mettre les masques à temps ». Il fut produit 4.160 tonnes de Vincennite, chargé 3 700 000 obus de 75mm et 1 080 000 de calibres supérieurs.

 

 

 

Les substances lacrymogènes

 

Curieusement, les autorités françaises repousseront l’utilisation des obus n°4 et n°5, en raison de leur trop forte toxicité, rejetant leur introduction jusqu’au moment ou l’ennemi ferait usage des mêmes substances ou de substances de toxicité similaire. Les obus chargés de palite, qui étaient utilisés par les Allemands depuis le 18 juin 1915, avaient pourtant une toxicité assez proche de celle du phosgène, seulement, les chimistes français en prendront conscience bien plus tard (voir plus haut). La Commission se pencha donc sur l’utilisation de substances moins toxiques. Paradoxalement, la France qui, la première, a introduit l’usage de substances lacrymogènes, n’envisagea pas immédiatement l’emploi de cette catégorie de toxiques. Il est vrai que la notion de classement des agressifs en fonction de leurs propriétés physiologiques, n’existait pas, et les lacrymogènes ne paraissaient pas retenir l’attention des chercheurs, étant souvent considérés comme des substances non toxiques, donc inintéressantes.

De nombreux produits, très efficaces, avaient pourtant été proposés avant le 22 avril 1915. Par exemple, au début de la guerre, monsieur Blanc, directeur des laboratoires d’analyses des conserves à l’intendance, avait proposé d’utiliser les dérivés nitrés du chlorure de benzyle. La chloropicrine, une substance suffocante et lacrymogène, avait été étudiée pour le compte de l’armée, de 1906 à 1911, puis ces études avaient été reprises par Bertrand en février 1915. Seulement, l’efficacité de ces produits était alors jugée de façon subjective, en s’attachant essentiellement aux propriétés irritantes qu’ils produisaient. Cette situation connut alors un net revirement à la fin du mois de juin 1915, lorsque les Allemands utilisèrent massivement ce genre de produits. Les généraux demandèrent alors l’envoi d’obus ‘’suffocants’’ chargés de corps aux propriétés voisines de l’éther bromacétique. On envisagea donc le chargement d’obus avec les deux produits lacrymogènes que l’on utilisait dans les grenades suffocantes : le bromacétate d’éthyle (ou éther bromacétique) et la chloracétone. Seulement, les quantités de ces substances, nécessaires à la production d’un nombre d’obus spéciaux conséquent, étaient bien plus importantes que celles que l’on pouvait fabriquer. Malgré tout, la décision fut prise, fin juillet 1915, d’augmenter la production de ces substances. La France ne disposant pas encore d’approvisionnement en brome et en chlore, il fallut trouver autre chose.

Les Anglais semblaient obtenir des résultats intéressants avec des dérivés iodés, une alternative aussitôt envisagée du côté français. A la fin du mois d’août, Moureu, secondé par le pharmacien Dufraisse, débutèrent des recherches sur l’iodure de benzyle. Dufraisse fut grièvement intoxiqué lors de ces recherches, et ce corps fut baptisé fraissite (substance n°12).

L’iodacétone (substance n°10 ou Bretonite) fut également étudiée par Kling, Grignard et Bertrand. Ces produits, aux propriétés lacrymogènes puissantes, furent chargés dans des projectiles de tranchée, puis, la fraissite, en obus, seulement à la fin de l’année 1916 (avec tube centrale chargé de fumigène, dans 125 000 projectiles de 75mm). En effet, il fut nécessaire d’attendre la fabrication d’obus verré intérieurement, le toxique n’étant pas compatible avec le contact direct de l’acier . En raison du prix élevé des dérivés iodés, utilisés également en masse par le Service de santé, leur usage resta relativement restreint. La Bretonite fut cependant chargée dans 35 000 projectiles de 75mm, à double vase de plomb (en quantité égale avec de l'Opacite). Mais le prix élevé de la fabrication de ces projectiles stoppa leur production.

Le chlorure de benzyl orthonitré- Cédénite, substance n°11, en mélange avec du chlorure de benzyl, fut également chargé dans 40 000 projectiles de 75mm à double vase de plomb avec de l'Opacite. Pour les mêmes raisons que l'iodacétone, son usage fut abandonné.

 

En juillet 1915, toujours à la suite de travaux anglais, l’usage de l’acroléine-Papite (substance n°8), baptisée papite en regard des études menées par Lepape pour son usage, fut envisagé et étudié par Lepape et Moureu. C’est un lacrymogène très puissant, possédant des propriétés également suffocantes et toxiques. Une forte concentration de ce produit était susceptible de provoquer la mort en une minute. Son action assez fugace permit son chargement dans toutes les grenades suffocantes françaises à partir de 1916, leur conférant ainsi une redoutable efficacité dans les espaces clos. Son utilisation en obus fut retardé jusqu’à la réalisation d’obus verrés, mais son usage fut restreint en raison de son instabilité, malgré les efforts de Dufraisse, Robin et Pougnet. L'acroléine nécessitait en effet d'être séparée de la paroi d'acier de l'obus et également du fumigène, enfermé dans un tube centrale (25% d'Opacite ou trichlorure d'arsenic). Au départ du coup, le tube se rompait parfois et faisait exploser l'obus sur sa trajectoire.

 

 

En raisons des difficultés liées à l’approvisionnement en matières premières et à la réalisation d’enveloppes de munitions compatibles aux substances lacrymogènes, les approvisionnements en projectiles lacrymogènes ne seront conséquent qu’à partir de 1917. Au début de 1917, ils n’étaient constitués que des munitions n°10,11,12 et 13 (ces dernières n’existant que pour les bombes de tranchée de 58 T). Dans des conditions favorables, la durée de leurs effets était d’une heure pour les obus n°10 et 13 (Iodacétone et Chlorosulfonat d’éthyle), de trois heures pour les n°11 (chlorure ou bromure de nitrobenzyle) et de plus de vingt-quatre heures pour les n°12 (iodure et chlorure de benzyle). Il fallut attendre que la production en brome soit suffisante pour que ces substances soient avantageusement remplacées par la bromacétone dans les obus n°9 au courant de l’année 1917. Les quantités devinrent alors beaucoup plus importantes et l’usage des munitions lacrymogènes, dont l’une des caractéristiques était la persistance de leurs effets sur le terrain, devint bien plus fréquent.

 

Les substances fabriquées par l’Allemagne

En octobre 1915, grâce aux études de Lebeau, on réalisa que le nouveau masque allemand ne protégeait pas contre les substances lacrymogènes, tel que la bromacétone, la bromométhyléthylcétone, le bromure de benzyle, et que la palite traversait également son filtre. La production de ces substances fut donc rapidement envisagée. Les substances lacrymogènes furent étudiées au laboratoire de Moureu. La fabrication de bromure de benzyle et de bromacétone fut au point au début de 1916, mais il faudra attendre que la production de brome soit suffisante pour produire de grandes quantités de ces produits. Le bromure de benzyl (substance n°14 ou Cyclite), dont la synthèse put être réalisée dès janvier 1916,  étant jugé peu toxique, fut finalement réservé à la production d’atmosphères toxiques pour l’entraînement des troupes.

La bromacétone (substance n°9 ou Martonite), fut utilisée chargée en obus à la fin de 1916 ; 481 tonnes furent produites pour un chargement de 110 000 obus de 75mm et de 105 000 de calibre supérieur. Le fumigène était enfermé dans un centrale (15% d'Opacite ou tétrachlorure d'étain) émaillé, la bromacétone réagissant avec les métaux et devenant moins active ; elle réagissait violemment avec les fumigènes. Elle était ainsi chargée dans un obus verré intérieurement.

 

La bromométhyléthylcétone (substance n°9B ou Homomartonite), ne put être synthétisée avant le mois d’avril 1918.

La palite ou Cipalite (substance n°6) et ses dérivés plus chlorés furent étudiées au laboratoire municipal de Kling, mais on préféra finalement l’usage du phosgène, qui présentait plusieurs avantages. Malgré cela, 79 tonnes furent produites, 120 000 projectiles de 75mm et 6 600 de calibres supérieurs furent chargés. Contrairement à la palite, qui nécessitait d’être isolée par une chemise en plomb dans le corps de l’obus, le phosgène pouvait être chargé directement en contact avec l’acier du projectile, et ne nécessitait donc pas la fabrication d’un obus particulier. Le phosgène ayant en plus des propriétés particulièrement insidieuses, il avait l’avantage, avec une toxicité légèrement supérieure à celle de la palite, d’être une substance capable d’intoxiquer un individu sans qu’il s’en aperçoive.

Le chlorosulfonate d’éthyle (substance n°13 ou Sulvinite), qui fut étudié par Grignard, ne put être utilisé que dans des obus verrés et on du attendre la fin de l’année 1916 pour son chargement. A la fin de l’année 1915, Levaillant, au laboratoire de Simon, travailla à la réalisation du chlorosulfonate de méthyle (nommée Vaillantite), plus puissant. Son usage fut dès lors envisagé, puis finalement écarté par la suite, lorsqu’on disposa de substances plus agressives. Simon repris les recherches sur un mélange de sulfate de méthyle et de chlorhydrine sulfurique (substance n°16 ou Rationite) qui fut adopté en 1917 et expédié aux armées en septembre 1918. Au total, 40 tonnes de ce mélange furent produites, 31 000 projectiles de 75mm chargés et 1200 de gros calibres.

Enfin, à la fin de 1915, on envisagea de nouveau l’utilisation d’un corps connu et étudié depuis longtemps, la chloropicrine (substance n°7 ou Aquinite). Elle fut proposée et étudiée dès 1905, au sein d’une Commission secrète dite « des matières puantes », réunie en vue d’étudier l’usage militaire d’agressifs chimiques. Des essais avaient été réalisé à Satory, ainsi que des tests de conservation dans les métaux. Gabriel Bertrand l’avait également proposé en février 1915, mais sa toxicité jugée alors comme moitié moindre que la chloracétone, c’est cette dernière qui fut alors préférée. Haller l'avait à nouveau proposé le 17 août 1915. Seul problème, l'acide picrique nécessaire à sa préparation était alors réservé au Service des Poudres. Des essais et l'étude de cette substance commencèrent alors. En octobre 1915, le capitaine Nicolardot, ancien membre de la Commission des substances puantes, repris son travail au laboratoire de Haller et Bertrand le sien. Les recherchent aboutirent rapidement mais en raison d’un manque de matières premières, elle fut chargée en obus seulement à la fin de 1916. Il fut produit 493 tonnes de chloropicrine pendant le conflit, 25 000 obus de 75mm et 143000 de groscalibres furent chargés. Elle fut utilisée dans une opération par vague gazeuse au début de 1918. Le mélange utilisé en projectile était composé de 75% de chloropicrine et de 25% de tétrachlorure d'étain, chargé directement dans le corps de l'obus.

 

Les vésicants.

L’apparition de l’Ypérite, en juillet 1917, devait bouleverser les certitudes acquises depuis le début des hostilités chimiques. L’ypérite représentait une innovation majeure dans la guerre chimique, alors que qu’il ne s’agissait pas d’un produit inconnu auparavant. Le chimiste allemand Victor Meyer l’avait décrit en 1884 et ses publications étaient connues. Au début de 1916, le médecin aide-major Chevalier l’avait proposé aux services chimiques français. Ses effets physiologiques avaient été étudiés au laboratoire de Mayer et son étude chimique réalisée dans celui du professeur Moureu. Les chercheurs mirent en évidence ses propriétés vésicantes mais, extraordinairement, ne la retinrent pas, étant moins toxique que le phosgène et l’acide cyanhydrique.

Si les chercheurs s’étaient privé d’une occasion sans égal de prendre l’ascendant sur l’Armée allemande, ils réussirent cependant à identifier le produit disséminé par l’artillerie adverse en quelques jours. Dès lors, les chercheurs se mobilisèrent pour trouver une méthode de synthèse rapide. Il y eut de nombreux blessés lors de ces études, réalisées au laboratoire du professeur Moureu et dans celui de Bertrand. A la fin de 1917, Job et Bertrand orientèrent leurs recherches vers une méthode de synthèse inédite qui s’avéra être la bonne. Le procédé était trente fois plus rapide que celui utilisé par l’Allemagne.

Le développement de la fabrication put être réalisé grâce au laboratoire de recherche de la Société chimique des Usines du Rhône, qui arriva le premier à la solution du problème industriel. L’organisation de la production fut alors confiée au lieutenant Frossard du Cabinet du Ministre de l’armement et au lieutenant Kap-Herr de la Section technique et industrielle. Le laboratoire de la Société chimique des Usines du Rhône mit au point un procédé permettant la fixation de l’éthylène sur le bichlorure de soufre au sein du tétrachlorure de carbone. Ainsi, 1509 tonnes d’ypérite furent produites, de mars 1918 jusqu’à l’Armistice. Le procédé fut également monté à la poudrerie d’Angoulême qui produisit 77 tonnes jusqu’à l’Armistice. Un second procédé, au protochlorure de soufre fut monté dans deux usines ; à la Société de Chlore liquide à Pont-de-Claix et à l’usine de la Société de Savonnerie et de Stéarinerie de Lyon. La riposte française par des tirs à obus chargés d’yperite (substance n°20) fut effective dès le 9 juin 1918. Les premiers bombardements français infligèrent des pertes très sérieuses aux armées allemandes, qui ne s'attendaient pas à cette réplique avant des années. Au total, 1968 tonnes du produit furent synthétisées et une partie put être cédée aux armées anglaises et américaines.

Les premiers obus chargés en Ypérite portaient le numéro 17, mais fut changé pour le numéro 20 pour éviter toute confusion dans les marquages avec les obus de 75mm modèle 1917. Les premiers chargements débutèrent en avril 1918 malgré de nombreuses difficultés rencontrées. En mai 1918, 100 000 coups étaient disponibles et les capacités de production ne cessèrent d'augmenter. A la fin du conflit, la production journalière s'élevait à 40 000 obus de 75mm chargés en Ypérite. 

La production fut lancée dans plusieurs sites : Société chimique des Usines du Rhône à Saint Fons, poudrerie d'Angoulême, Société du Chlore liquide à Pont-de-Claix, Stéarinerie de Lyon, Usine du Rhône à Roussillon, Poulenc à Vitry, Usine Descollonges à Lyon.

Les chargements débutèrent dans les ateliers de Vincennes le 8 avril 1918 et à Pont de Claix le 19 avril 1918 et à Salaise le 20 avril. Après quelques jours de chargements, on déplorait déjà plus de 150 accidents aux ateliers de Vincennes. Ce dernier atelier cessa le chargement d'Ypérite en juin 1918. Aubervilliers fut également en charge de ce travail de mai 1918 à septembre 1918. Puis, le relais fut pris à partir de l'été 1918 par Pont-de-Claix et Salaise qui s'étaient fortement développés depuis leur formation.

 

Obus de 75mm modèle 1915 chargé en Ypérite dans du Tétrachlorure de Carbone.

Chargement à Aubervilliers le 6 mai 1918.

 

D'autres composés vésicants furent étudié dans différents laboratoires de l'IEEC, notamment l'Ypérite bromé (Sulfure d'éthyle dibromé) au laboratoire de Moureu et une étude systématique sur les composés pruriant et vésicants fut débutée.

 

 

Les recherches sur d'autres classes d'agressifs.

Nous n'avons évoqué ici que les substances dont l'étude déboucha sur le chargement de munitions chimiques. De nombreuses substances furent étudiée dans cette objectif, mais ne débouchèrent pas nécessairement sur un chargement pendant le conflit. 

De nombreux corps dont la toxicité était connu depuis longtemps furent envisagés en 1915 ; leur étude s'étala souvent sur plusieurs années. L'ensemble des recherches sur les produits agressifs alla de façon croissante durant la Guerre, mais c'est surtout vers la fin de 1917 qu'elles prirent une grande ampleur. En effet, la pénurie de matières premières nécessaires à la production des agressifs connus incitât le commandement à diriger les recherches vers des composés différents de ceux alors utilisés. 

Substance n°4B-Vitryte

Les essais menés sur l'acide cyanhydrique débouchèrent dès 1916 sur l'étude d'un composé très proche et se synthétisant de façon analogue, le chlorure de cyanogène (Mauginite). Il fut étudié par le sous lieutenant Mauguin (d'où le nom donné à la Mauguinite, alias chlorure de cyanogène utilisé dans les munitions 4B chargée en Vitryte) sous la direction du professeur Simon.  Il est un gaz extrêmement toxique (point d'ébullition, 13,8°C), tout comme l'acide cyanhydrique, et présente en outre la propriété de n'être que peu retenu par les cartouches filtrantes de masques respiratoires. On détermina un mélange composé de 70% de chlorure de cyanogène (Mauguinite) et de 30% de trichlorure d'arsenic (Marsite) baptisé Vitryte, possédant un point d'ébullition de 15°C. La fabrication industrielle démarra dans les usines Poulenc en mai 1917. La Vitryte nécessitait d'être réfrigérée pour son chargement, aussi celui-ci fut-il effectué à l'atelier du fort d'Aubervilliers, dans les même installations que celles destinées au phosgène. Son chargement intervint à partir de 1918.

240 tonnes de Vitryte furent produites, 115 000 obus de 75mm et 28 000 obus de 155 mm furent chargée en Vitryte et furent réservés pour un usage massif fin 1918. L'Armistice intervint avant qu'elle puisse être introduite massivement. 

 

D'autres composés appartenant à la famille des dérivés cyanés furent étudiés, essentiellement par Delépine. Les plus intéressants furent les sulfocyanates d'éthylène et de méthylène (sternutatoires) et surtout le chlorosulfocyanate de méthyle, un puissant toxique avec des propriétés à la fois irritante, suffocante, sternutatoire et vésicant.

 

Moureu envisagea l'emploi en 1916 du chlorure de phénylcarbylamine, qui ne fut pas retenu car jugé insuffisamment toxique ; l'Allemagne l'utilisa dans ses chargements à partir de mai 1917.

Les dérivés arséniés furent l'objet d'études approfondies. Proposé par un imminent chercheur pharmacien, Ernest Fourneau, en décembre 1915, la dichlorométhylarsine, un sternutatoire et vésicant utilisé par les Allemands près de deux années plus tard. Malheureusement, Fourneau fut blessé lors d'une manipulation de produits dangereux et ses travaux ne reprirent qu'en 1917.

Le laboratoire du professeur Tiffeneau proposa en août 1918 un procédé de synthèse de la dichlorophénylarsine extrêmement simple et peu coûteux. 

Le professeur Bougault secondé par le pharmacien aide-major Robin découvrirent et étudièrent de nombreux composés arséniés, comme la dichlorophénylarsine dont ils avaient décrits un procédé de synthèse extrêmement performant, ainsi que la diphénylchloroarsine. Le mélange de ces deux substances devait donner les chargements en obus n°22 et appelé Sternite (diphénylchloroarsine solide dissoute dans une solution de dichlorophénylarsine). Ces munitions ne furent jamais produites, leur chargement dans un obus spécifique etant encore à l'étude à l'Armistice.

 

 

 

 

 

Tonnage des agents chimiques utilisés chargés en munitions d’artillerie par la France

 

Phosgène ou collongite, obus n°5

 

15 800 tonnes

Acide cyanhydrique ou Vincennite, obus n°4

 

4 160 tonnes

Sulfure d’éthyl dichloré ou ypérite, obus n°20

 

1 968 tonnes

Chloropicrine ou Aquinite, obus n°7

 

493 tonnes

Bromacétone ou Martonite, obus n°9

 

481 tonnes

Chloroformiate de méthyl chloré ou palite, obus n°6

 

79 tonnes

Sulfate de diméthyle ou rationite, obus n°16

 

40 tonnes

Iodacétone ou Bretonite, obus n° 10

36 tonnes

 

Du 1er juillet 1915 au 11 novembre 1918, les quantités de projectiles chargés s’élevèrent à : 13.193.000 obus de 75 mm et 3.930.000 obus de 105 mm à 155 mm  et de bombes.

 

 

Réalisation industrielle

Fabrication des obus spéciaux durant le conflit :

 

  Obus de 75mm Obus Lourds (essentiellement du calibre 105 acier et 155 F.A.) Total
Obus n°4

Obus n°5

Obus n°7

Obus n°9

Obus n°20

Autres

3.700.000

5.400.000

25.000

110.000

2.200.000

1.265.000

1.000.000

2.200.000

150.000

100.000

240.000

110.000

4.700.000

7.600.000

175.000

210.000

2.240.000

1.375.000

Total  12.500.000

Dont 10.000.000 de toxiques et 500.000 lacrymogènes

3.800.000

Dont 3.300.000 toxiques et 260.000 lacrymogènes

16.300.000

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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