Vague allemande du 23 avril 1917 - secteur de Nieuport
Opérations
Feldpost sur le front de l’Yser
Les opérations
chimiques par vagues gazeuses et leur incroyable déploiement technique sont des
« parents pauvres » de l’Histoire de la Première Guerre. Elles caractérisent
pourtant si bien ce conflit, dans toutes ses dimensions, dans sa brutalité, son
horreur, son aspect technique, industriel, son aspect de guerre totale et de
masse, dans les traumatismes qu’elle a léguée, dans le paradoxe des progrès
techniques qui ont été réalisés et j’en passe… En dehors de
l’attaque du 22 avril 1915 sur le saillant d’Ypres, il est en effet bien
rare d’évoquer ces opérations qui restent finalement totalement ignorées de
la plupart. C’est dommage et
c’est surtout une injustice pour ces dizaines de milliers d’hommes qui ont
combattu autour de ces gigantesques opérations tellement à part, pour ceux qui
y ont laissé leur vie ou qui y ont été meurtri dans leur âme et dans leur
chair. Il n’est évidement
pas question de faire le tour de ces attaques ici, mais j’aimerai simplement
évoquer quelques opérations autour des premiers mois de 1917 dans le secteur
de Nieuport. Probablement par
hasard, deux Compagnies Z du Génie et des pionniers des Compagnies chimiques
allemandes vont se retrouver en face, dans le cadre de préparations et d’opérations
chimiques proprement dites. Nous ignorons
presque tout des préparatifs allemands en vue de ces attaques. Elles furent menées
conjointement avec des troupes du Corps de Marine des Flandres, son détachement
d’assaut et des pionniers des compagnies chimiques. Le détachement
d’assaut du Corps de Marine des Flandres, ou Sturm-Abteilung du Marine-Korps,
fut créé par ordre du jour du 15 juillet 1916. 300 hommes furent prélevés
sur les 3 régiments d’Infanterie de Marine, les 5 régiments de fusilliers
Marins ainsi que des compagnies du Génie du Marine-Korps. Stationnés à De
Haan, ces hommes reçurent une formation de six semaines en vue de former une
troupe d’élite. A l’issue de cette formation, les 100 meilleurs soldats
furent sélectionnés et constituèrent un Sturm-Abteilung. Ils reçurent leur
baptême du feu à compter du 20 octobre 1916. La création du Sturm-Abteilung
fut officialisée par ordonnance le 11 février 1917. Ces hommes furent
ainsi engagée dans l’opération « Feldpost » à partir du mois de
mars 1917. Les troupes françaises
du Génie destinées à mettre en œuvre une opération chimiques sont appelées
les compagnies Z ; elles ont au nombre de 9 à cette date. En général, les
opérations chimiques sont préparées un à deux mois à l’avance sur le
terrain. On lâchait le gaz à partir de cylindres d’acier disposés en première
ligne. Les cylindre étaient soit de petit modèle (25 à 30 kg) et portés en
ligne avant l’attaque à partir d’abris préalablement préparés et disposés
sur des positions également aménagées auparavant. Soit de grand modèle (70
kg), disposés dans des abris profonds de plusieurs mètres et creusés environ
tous les vingt mètres sur plusieurs km de long. La préparation du
terrain exigeait des semaines de travail dans des conditions parfois inouïes,
sous les bombardement, en première ligne, dans la discrétion la plus poussée.
Les bouteilles étaient amenées de nuit dans les abris, de façon à ne pas être
repérées par l’ennemi. Elles étaient regroupées par groupe de 6 à un
collecteur et reliées à un seul tuyau d’émission. Ces dispositions
permettaient ainsi d’obtenir des concentrations de gaz bien plus importantes
que la technique allemande, notamment en regroupant les bouteilles sur des
nourrices. Les pionniers
allemands se contentaient de placer leurs bouteilles par groupe dans des niches
creusées au fond des tranchées. Seule l’extrémité des cylindre dépassait
et chacune était relié à une tubulure souple.
La préparation était plus simple mais les concentrations de gaz
obtenues plus faibles. Le 31 bataillon
Z du Génie rejoint le secteur de Nieuport. Le 15 avril 1917,
le 31e Bataillon du Génie constitué des Cies 31/1 et 31/2 est désigné pour
une opération chimique dans le secteur de Nieuport occupé par la 79e D.I.. Le
bataillon débarque le 17 avril en gare de Furnes en Belgique et part cantonner
au camps de Champérimont à l’ouest de Dunkerque. Le 19 avril, le
piquetage des abris commence. Le secteur
de la 31/1 est situé entre le centre Albert et la mer du Nord, représentant
131 abris (d'un point situé à 50m à droite du boyau Verrières à un point
situé 60m à gauche du boyau Michel). La configuration du terrain étant
particulière, il s'agit de dunes de sable, la construction d'abris classiques
s'avère impossible. On envisage donc la construction de caisses abris et de
postes d'émission constitués de sacs de sable. Chaque poste comprend 12
bouteilles, 6 de chlore et 6 de mélange chlore et phosgène. La 31/2 prend le
secteur : Mammelont vert-point G. 1536 bouteilles doivent ainsi être disposées,
soit 61 tonnes de gaz sur un front total pour les deux Cies, de 2650 m. Alerte ! Gaz !
Le 23 avril, en fin d’après midi, les
sapeurs sont en ligne, travaillant à la construction des abris d’émission.
Vers 16h00, tout le secteur retenti des klaxons d’alerte. Aucun doute
possible, les hommes réalisent en quelques secondes qu’ils sont pris dans une
attaque au gaz. Chacun se précipite sur son masque M2 et sous les ordres des
sous-officiers, s’équipent et saisissent leurs armes pour se précipiter aux
parapets des tranchées de première ligne. Dans le secteur de la 31/1, la vitesse du
vent est élevée. Les hommes ne ressentent aucune odeur et on ne déplore
aucune perte. La 31/2 n’a pas cette chance. Elle est
prise directement sous le vent qui porte la vague de gaz. Un bombardement
d’artillerie est déclenché sur la ligne et rend la position extrêmement
difficile à tenir. La vague dure une vingtaine de minutes pendant lesquelles
les sapeurs et les fantassins restent en première ligne. Puis, elle
s’interrompt pendant une dizaine de minutes et reprend à nouveau pour
quinze à vingt minutes. Sur ordre, les 2e et 3e sections
se replient sur la position L2, tandis que la 1er reste en ligne avec
les fusiliers marins. Par intermittence selon les secteurs, la
vague est accompagnée d’émission de fumigènes qui obscurcissent le paysage
et plonge les hommes dans une atmosphère d’apocalypse. Tous sont aux aguets
et tentent de distinguer ce qui se passe du côté des tranchées allemandes. Puis tout s’interrompt de nouveau. Le vent
balaye rapidement les panaches de fumée qui entouraient encore les hommes
quelques minutes auparavant. Les sapeurs conservent leur masque au visage et
scrutent les tranchées allemandes, au travers de leurs oculaires embués. Au
fur et à mesure que le calme revient, la tension augmente chez les hommes. 5h00, subitement, l’azur semble déchiré
par un nouveau vacarme assourdissant ; le bombardement d’artillerie
redouble de violence et s’étend sur tout l’arrière du secteur, finissant
d’isoler les hommes des premières lignes du reste du monde. Simultanément, des groupes de fantassins
allemands sortent de leurs lignes et par petits groupes compacts et résolus,
s’approchent des lignes françaises et tentent de s’en emparer. Les sapeurs
tirent, un combat se déclenche, violent dans certains secteurs où les groupent
allemands débouchent dans les tranchées et tentent de faire des prisonniers.
Ces hommes appartiennent au détachement d’assaut du Corps de Marine des Flandres ;
ils sont particulièrement entraînés à ce type de combat et sont là pour en
découdre avec les français. A plusieurs endroits, ils gagnent les lignes françaises
et affrontent directement leurs occupants. Ils parviennent à faire des
prisonniers mais laissent de nombreuses victimes dans les tranchées et devant
la pugnacité des défenseurs, finissent par abandonner le combat et reviennent
dans leurs lignes en emportant avec eux nombre des corps de leurs camarades. Au soir du 23 avril, les pertes sont lourdes :
la Cie perd 5 blessés, 5 tués et 66 intoxiqués.
Au niveau de la 29e Division, on
compte 64 tués, 138 blessés, 15 disparus et 191 intoxiqués. Le nombre d’intoxiqués va sans cesse
augmenter les jours suivants (Les chiffres de la 57e Brigade sont inconnus. La
58e Brigade (3e RI et 351e RI), 126 asphyxiés au soir du 23). La vague
contenait en effet du phosgène, un gaz inodore très insidieux qui a la
particularité de provoquer des intoxications retardées plusieurs jours après
avoir été inhalé. Ainsi les évacuations vont se poursuivent
les jours suivants au sein de la Compagnie 31/2 : le 25 avril, 17 sapeurs ayant
pris part aux combats du 23 avril, sont évacués vers l'arrière en raison de
symptômes d'intoxication retardée. Puis, le lendemain 26 avril, 5 autres
sapeurs et le 27 avril, 5 autres sont évacués pour les mêmes raisons. 7
sapeurs le 29 avril, 4 le 1er mai, 9 le 2 mai, 5 le 3 mai, 3 le 6 mai, 2 le 9
mai, portant le total à près de 150 intoxiqués évacués, plus du tiers de
l’effectif. En raison de ces intoxications retardées et
de la difficulté à déterminer l’ensemble des unités en ligne à ce moment,
il reste difficile de préciser le nombre total de victimes. A minima, on déplore
553 intoxications graves dont 58 mortelles sur les troupes en présence, mais en
réalité probablement plus. Et pourtant, la vitesse du vent était
bien trop élevée pour ce type d'opération (5 à 6 m/s) ; la vague n'a eu
d'effets toxiques que sur une profondeur de 3 à 400 mètres et aucune
intoxication ne fut à déplorer au delà de l'Yser. Rapport
de la 29e DI : Il s'agit d'une attaque
allemande précédée d'une émission de gaz. Elle a été particulièrement énergique
sur les dunes, et aussi dirigée aussi sur les PA de l'Avenue et de l'Eclusette,
sur le Mamelon vert et le Boterdijk. La durée de la première vague a été de
10 à 15 minutes sur le sous secteur de l'Yser, et de 20 minutes partout
ailleurs. Partout, sauf à St Georges, elle a été suivie d'un intense
bombardement d'artillerie (commencé à 5h00) a la suite duquel l'infanterie a débouché.
A Mieuwendamme, une deuxième vague a suivie à 5h00 puis 5h30, sans aucune
attaque d'infanterie. Dans les autres secteurs, nos 1er lignes renforcées au
moment de l'alerte, ont toutes été évacuées au moment du tir d'artillerie,
à 5h00. Dans tous les secteurs, des troupes d'assaut du Sturm Abteilung du
Corps des Marines des Flandres ont débouchées par petits groupes, et ont tenté
de prendre nos lignes ; ils y ont parfois pris pied mais ont été repoussés
par la suite. Dans plusieurs secteurs, ils ont fait quelques prisonniers. Les
troupes d'assaut allemandes laissent sur le terrain plusieurs morts, et
parviennent à ramener les corps de nombre d'entre-eux dans leurs lignes. On
compte approximativement au soir du 23 avril, 64 tués, 138 blessés, 15
disparus et 191 intoxiqués. Le nombre de ces derniers va sans cesse augmenter
les jours suivants (Les chiffres de la 57e Brigade sont inconnus. La 58e Brigade
(3e RI et 351e RI), 126 asphyxiés au soir du 23). Trois sapeurs seront cités à l’ordre de
l’armée pour faits héroïques ; Yésou Yvon (qui trouva la mort ce 23
avril), Roblin Toussaint et Pelleter Jean, tous deux grièvement blessés. Deux
hommes seront décorés de la croix de Guerre avec palme, Chevalier Jean-Théodore
et Gilet Emile. Les travaux de préparation de l’attaque se
poursuivent malgré tout les jours suivant. Il est convenu que l’opération
sera renforcée par une émission par matériel léger si les conditions le
permettent. Le 19 mai, les chefs de section procèdent au piquetage pour cette
émission. Le portage des bouteilles en ligne débute le 27 et s’achève le 31
mai. Un poste de douze bouteilles est placé tous les dix mètres, de façon à
obtenir une concentration maximale de gaz. Certains postes ne seront pas équipés
de bouteilles, le service météorologique constatant des remous dans certains
secteurs. Alerte et attaque sur les lignes
allemandes Le 31 mai, alors que les hommes sont
redescendu des tranchées, les compagnies sont mises en alerte, les conditions
atmosphériques étant favorables. Les hommes s’équipent à nouveau et
montent en ligne en emportant les bouteilles de petit modèle. Les sapeurs
gagnent les abris et mettent en place la tuyauterie sur les bouteilles dans le
silence le plus complet ; le matériel est vérifié et chacun se tiens prêt.
Le chef de bataillon à son PC est en liaison constante avec chaque section où
un météorologiste le tiens informé en permanence de la vitesse et de la
direction du vent. L’opération n’est décidée que si les conditions
favorables se maintiennent. En début de soirée, l’émission par matériel
léger est annulée, mais l’opération est maintenue et fixée à 22h30. Les
hommes sont prévenus, chacun ajuste sa montre et vérifie à nouveau son matériel.
Les masques Tissot sont vérifiés à nouveau, la vie des sapeurs en dépend.
Comme toujours, l’attente est interminable dans les 263 postes, tous séparés
de seulement dix mètres. 22h30, le signal est donné et un bombardement
d’artillerie est déclenché sur les premières lignes allemandes. Il doit
couvrir par ses détonations le bruit d’échappement du gaz des bouteilles,
puis s’interrompre brutalement au moment où la vague aborde la tranchée
allemande. Croyant à une attaque d’infanterie, les allemands devraient bondir
de leur tranchée et sauter sur leur parapet et ainsi se faire surprendre par le
gaz arrivant sur eux. Près de 1600 bouteilles sont ouvertes
simultanément. Elles libèrent un mélange de chlore et de phosgène qui gagne
doucement les lignes allemandes. Le vent est favorable, sa vitesse est parfaite
1,6 à 1,2 mètres/seconde dans le secteur de la Cie 31/2, jusque 2,4 m/s dans
celle de la 31/1. Quelques postes doivent fermer leurs bouteilles, le vent étant
si faible que quelques retours de gaz se produisent. Dans ces conditions, la
concentration en toxique est maximale ; la vague reste collée au sol, ne
se disloque pas et ne se dilue pas. Le risque de retour de gaz est également très
grand et la vigilance est extrême. L’étude des vents du secteur réalisée
avant les opérations et le suivi en continu de l’évolution de sa vitesse, sa
force et sa direction doit permettre de suspendre l’émission dans les postes
qui deviendraient exposés en cas de changement. La vague aborde les premières tranchées
allemandes en quelques minutes. Tout semble calme, seul le sifflement de vidange
des bouteilles est audible au travers des explosions d’artillerie et la nuit
enveloppe tout le champs de bataille sans que l’on puisse distinguer les
lignes adverses. 22h35, première réaction ennemie, des sirènes, des klaxons,
des cris. Nombre de fusées éclairantes sont tirées et illuminent le terrain
entièrement recouvert au-delà des lignes françaises par un brouillard très
épais, restant collé au sol et progressant doucement sur le secteur allemand. Les feux de mousqueterie débutent dans les
dix premières minutes et s'éteignent tous pendant le reste de l'émission. A
la fin de l'émission, seul les tirs d'artillerie lourde persistent. Pour la
première fois, l'infanterie et l'artillerie de tranchée (en dehors de
l'artillerie lourde située à plusieurs kilomètres en arrière) sont complètement
anhilées dès les premières minutes de l'opération. Mais les canons placés
plus en arrière réagissent considérablement et exécutent des tirs très
puissants sur la première ligne et les boyaux adjacents. Le bombardement
devient excessivement violent à partir de 23h00 et sous les explosions, les six
dernières bouteilles sont ouvertes à 23h10. L’opération s’achève à
23h30. Sur tout le front d'opération, des
reconnaissances dans les lignes adverses sont prévus pour vérifier les résultats ;
c’est une pratique courante après les attaques par vague. Les hommes qui y
participent sont volontaires et savent que l’entreprise est extrêmement périlleuse.
En général, les tranchées allemandes sont en partie évacuées pendant l’émission
de la vague, mais les hommes restent sur le qui-vive et réinvestissent la première
ligne à la moindre alerte, les mitrailleuses tirent alors sans cesse,
l’artillerie balaie le terrain et les grenades pleuvent à l’approche des
lignes allemandes. Les reconnaissances du 165e RI et du 3e RI.
restent bloqués dans leur tranchées par des tirs de mitrailleuses très
nourris qui bloquent sur place les troupes qui franchisent le parapet.
Impossible d’exécuter la mission. Seul le groupe de reconnaissance du 141e RI réussit
à sortir des tranchées et revient au bout de 20 minutes ; selon ses rapports,
l'opération a donnée d'excellents résultats. Les hommes se sont dirigés vers
un petit poste allemand situé en avant des lignes ennemies. Ils ont pu
l’investir sans problème et sur place ils ne trouvent que des cadavres
allemands (trois), manifestement intoxiqués. Les archives du marine Korps (composé de
deux divisions de Marine, trois Marine-Infanterie Rgts, cinq Matrosen Rgts
et deux Matrosen Artillerie Rgts) ont aujourd'hui disparues. Les historiques édités
après guerre et relativement peu précis des 3 Marine-Infanterie Rgts et
du 2 Matrosen Rgt, font état de plusieurs dizaines de décès dans la période
(près d'une quarantaine), alors que ces régiments n’étaient
vraisemblablement pas en ligne à ce moment, mais dans des positions de repos en
arrière. On dénombrera 39 intoxications au sein de la
Cie 31/1, essentiellement par déplacement des appareils de protection
consécutif aux souffles des explosions de munitions allemandes pendant
le bombardement, cinq morts, 12 blessés, deux brûlés. Au total, c'est 5
tués, 31 blessés, deux brûlés (par des fuites de gaz liquide au niveau des
bouteilles) et 43 intoxiqués que le 31e Bataillon du Génie compte. La 29e DI déplore
également 18 intoxiqués dans ses rangs. Emission par matériel léger Le 1er juin, le bataillon est alerté pour
effectuer une deuxième émission avec le matériel du type léger entreposé
dans les caves de Nieuport-bain aux environs de l’église. Les Compagnies
quittent le camps de Champermont à 20h00 en camion et gagnent les caves de
Nieuport. Elles montent en ligne sur le même front que la veille et sont prêtent
à opérer à 22h50. Mais l'émission est remise en raison de la mauvaise
orientation du vent. Le 3 juin, nouvelle alerte à 18h00, le vent
semblant une fois de plus favorable. Il faut porter en ligne 160 bouteilles par
section, 480 par compagnie soit 960 pour le bataillon. Les tuyaus d’éjection
en plomb avaient été roulés autour de la partie supérieure de la bouteille
et des tringles en bois de 1 mètre de long disposées par paquet de 16. Ces
tringles servaient à assurer la rigidité du tuyau placé sur le parapet. A
20h, les hommes se rendent en camion aux abris d’attente ; ils seront
renforcés par 600 hommes de l’infanterie qui aideront au portage. Les hommes sont chargés des bouteilles dans
l'ordre de leur numéro de poste, et dirigés sous le commandement de leurs
caporaux ou sous officier vers les premières lignes, masque au cou. Les
caporaux portent l’appareil Vermorel chargé au sel Solvay. Les bouteilles
sont montées sur la banquette de tir ; accolées par 4 et revêtues de 18 sacs
de sable. Les 4 tuyaux d'éjection sont maintenus sur le parapet par des sacs de
sable et le système de perche. Cette installation nécessite 15 à 20 minutes
et surtout le silence absolu. Si les conditions météorologiques
deviennent optimales, l’opération sera déclenchée. Le vent ne doit pas dépasser
les 2 m/s, sous peine de diluer la vague et de la rendre moins efficace. Sa
direction et sa force doit rester constante. Les sapeurs sont maintenant
aguerris pour ces opérations, mais l’attente reste affreusement longue. Les
conditions propices se maintiennent, les ordres sont donnés, l’heure est fixée
à 1h00. Puis, un premier contre-ordre avance l’opération à 0h30 et un
second à 0h45. Le 4 juin à 0h45 du matin et sous un vent
favorable de 1,2 à 1,65 m/s, l'opération est enfin déclenchée. Les sapeurs
ouvrent le robinet de toutes les bouteilles et la nappe se forme juste devant la
tranchée et roule vers les lignes ennemies ; en quelques secondes, elle
l’aborde et l’envahie. La vague continue de progresser dans
d'excellentes conditions et aucun signe d'alerte n'est perçu chez l'ennemi
avant 0h53, soit 8 minutes après le début de l'émission ; l'ennemi semble
complètement surpris. L'artillerie adverse réagit alors en étendant son
tir sur le secteur de la Briquetterie et sur le saillant de Boterdijk, puis les
mitrailleuses entrent en action ; le vacarme devient assourdissant. A 0h58, au nord ouest du Mamelon vert, dans
le Polder, on remarque des lueurs provenant de la combustion de feux de bois.
Les Allemands tentent par ces moyens de briser la vague et de la disperser hors
des tranchées. Le tir d'artillerie s'étend alors sur ce secteur et atteint une
extrême violence, en s'attachant à la destruction de la ligne L1. Sur place,
c’est l’enfer et les obus bousculent tout. Finalement, le calme se rétablit
dans le secteur après 1h45. Au début de l'émission, à 0h47, un
Allemand sans masque se présente dans la tranchée française à l'ouest de la
Maison du Cèdre. Il faisait partie d'une section de pionniers de corvée en
première ligne. Surpris par l’émission, il s'est rendu rapidement plutôt
que de revenir 300m en arrière où il avait laissé son masque. Il parcourt
ainsi les premiers mètres en direction des lignes françaises en gardant sa
respiration mais doit se résoudre à inhaler sur la fin de son parcourt,
pendant quelques dizaines de secondes, l’air vicié. Il étouffe, tousse et
arrive à bout de souffle dans la ligne française où il se rend. La reconnaissance prévue par le 141e RI part
à l'heure comme convenu. Elle doit gagner les tranchées ennemies et observer
les effets de la vague. A peine sortie de la tranchée, les hommes aveuglés par
la fumée et la poussière et incommodés par les effluves de gaz, dévient de
la route prévue et passent à côté de la brèche pratiqué dans le réseau.
Ils se heurtent alors à un réseau de fils intacts, qu'ils essaient de
cisailler. Mais les hommes se font repérer ; une mitrailleuse ennemie
entre en action et tue un sergent dont le corps reste entre les lignes. Le groupe de reconnaissance du 3e RI ne peut
sortir des tranchées en raison d'un tir de barrage de l'artillerie et des tirs
des mitrailleuses, ainsi que d'une fusillade nourrie partant de la tranchée de
Lombartzyde, fortement garnie. Le groupe du 165e RI avait reçu l'ordre de ne
pas marcher, le gaz ne pouvant pas atteindre la grande dune comme il avait été
convenu d'abord, en raison de l’orientation du vent pendant l’émission. Le
lieutenant Babillotte demanda tout de même l'autorisation de tenter le coup de
main, mais sa demande fut faite trop tard. Quant au pionnier allemand qui
travaillait sur son réseau et qui fut surpris par la vague, il a été interrogé
par le sapeur Biard, qui a pu recueillir de nombreuses informations.
Malheureusement, intoxiqué par la nappe pendant quelques dizaines de secondes,
il devait décéder dans la nuit. Les pertes françaises comptabilisées pour
la 29e DI, suite à cette opération, sont de
22 intoxiqués, 20 blessés et 5 tués ; le 31e Bataillon du Génie 3 tués
et 8 blessés. Représailles allemandes
La nuit du 5 au 6 juin, le vent étant
nettement favorable aux Allemands, les hommes de la Cie montent en ligne pour la
corvée de portage destinée à ramener à l’arrière le matériel d’émission
de la veille, munis de deux masques M2 et en armes. Une attaque allemande par
vague est à craindre et tous s’y sont préparé. Les hommes font leur maximum
pour récupérer le matériel dans un secteur bouleversé par l’artillerie,
mais ils se font repérer. En effet, la corvée est sur le point de
s'achever lorsque le 6 juin, à 0h35, tout le secteur sonne l'alerte ; l'émission
de gaz allemande attendue est déclenchée. Un violent tir d'artillerie se déchaîne
ensuite et s'étend à tout le secteur, avec des obus de tous calibre et des
obus lacrymogènes. La première émission est émise à 0h30 et
touche plus particulièrement le Polder et tout le sous secteur de Nieuport
ville. Une deuxième émission se produit à 1h15 et touche plus particulièrement
Nieuport bains. Le calme ne revient qu'à 1h45. La compagnie
31/2 éprouve les pertes suivantes
durant l'opération : 2 blessés et 15 intoxiqués. La 31/1 n’en déplore
aucune alors que les pertes de la 29e DI sont élevées : 255 intoxiqués, 39
blessés et 19 tués. Le soir, un coup de main ennemi est tenté
sur Boterdijk entre 21h00 et 21h30. Les hommes trouvent L1 vide et y subissent
des pertes. Ils abandonnent le cadavre d'un des leurs, appartenant au 3e
Marine-Infanterie Rgt. Le 13 juin, après avoir replié son matériel, le bataillon quitte le secteur pour être mis au repos. Le 20 juin, la Cie 31/2 est citée à l'Ordre
de l'armée pour le motif suivant : "Compagnie 31/2 du 31 Bataillon du Génie
sous le commandement du capitaine Bertraud, du lieutenant Roby et des
sous-lieutenants Rault et Ferraud, surprise par une émission de gaz suivie
d'attaque au moment où elle exécutait des travaux d'installation en première
ligne, a immédiatement et spontanément pris une part active à la défense des
tranchées, a énergiquement contribué à rejeter les éléments ennemis qui y
avaient pénétré et à fait preuve de la plus belle attitude sous un
bombardement très violent. A par la suite participé avec beaucoup de dévouement
à l'évacuation des blessés. " Le 10 juillet, un détachement de la Cie
composé d'un officier, de 3 adjudants, 3 sergents, 3 caporaux et 4 sapeurs part
en mission spéciale, défiler le 14 juillet devant le Président de la République. Le 16 juillet, le bataillon embarque pour
gagner la région de Saint Quentin préparer une nouvelle émission.
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