Le 27 novembre 1918, le Maréchal Pétain, dans une lettre adressée au ministre de l’Armement déclarait : « Vos services ont réalisé sous la direction de M. le général Ozil, un effort immense, d’autant plus remarquable que les ressources industrielles faisaient presque complètement défaut. Cet effort à permis d’égaler et parfois de dépasser un adversaire supérieurement outillé. Je vous exprime la reconnaissance de l’armée, que je vous prie de transmettre à M. le général Ozil et à ses services ».
Il est vrai que le travail des services chimiques de guerre fut considérable et digne d’éloges. Les chefs de laboratoire et leurs collaborateurs, issus pour la plupart des Facultés des Sciences, de Médecine et des Ecoles de Pharmacie étaient en tout 110. Le résumé de leur travail à nécessité 984 rapports pour la Section d’agression et 979 pour la Section de protection. Avec l’ensemble du personnel des armées attaché aux Services chimiques, mais appartenant au Service de santé, ils ont su faire face à l’industrie et à la recherche chimique allemande.
La signature du traité de Versailles en 1919, interdisait à l'Allemagne de poursuivre tout programme de guerre chimique. Seulement, devant l'absence de procédés de contrôle de cette interdiction, il fallait bien reconnaître la nécessité de relancer les recherches dans ce domaine pour pouvoir répondre à une éventuelle nouvelle violation des accords internationaux.
En France, dès la fin de l'année 1919, la décision fut prise de poursuivre les recherches en agression, en protection et de maintenir le stock d'armes chimiques existant le plus longtemps possible opérationnel.
En 1925, l’arme chimique allait à nouveau être condamnée par la Convention de Genève sur le commerce des armes. Ratifiée par la plupart des grandes puissances, en dehors des Etats-Unis et du Japon, elle n'engageait cependant les différentes parties que moralement, sans moyen de contrôle et sans aucune sanction. D’ailleurs, le protocole ne faisait qu’interdire l’utilisation de gaz toxiques et d’autres armes chimiques, mais pas leur fabrication et leur stockage.
Au fil des années, la tension internationale s'intensifiant en même temps que l'Allemagne se réarmait, le programme chimique français ne cessât de prendre de l'ampleur.
Les recherches en agression et en protection seront donc poursuivies par l’IEEC dès la sortie du Premier conflit mondial. Le 15 avril 1919, les Services chimiques de guerre seront réorganisés pour répondre à un fonctionnement de temps de paix, mais en réalité, la structure et les attributions resteront inchangés. La présidence changeait, mais l’ensemble des membres des deux sections de la Commission restait en place ; leurs laboratoires également. Seul Desgrez et son laboratoire cesseront leurs activités en février 1921, sinon tous les autres continueront à travailler activement, comme nous allons le voir.
A gauche, lettre du Général PERRET (Inspecteur des Etudes et Expériences Chimiques) datée du 6 février 1919 définissant les règles de publication des recherches dans le domaine de la guerre chimique et en prévision d'un tempsq de paix retrouvé.
"J'ai l'honneur de vous faire conaître que (...) le Ministre de la Guerre a approuvé (...) l'avis émis par la section des produits agressifs dans la scéance du 9 décembre 1918 sur la publicité pouvant être donnée après la conclusion de la paix aux recherches faites par les laboratoires de la section d'agression de l'IEEC.
Je vous rappele que l'avis émis part la section était le suivant :
Il n'y a aucun inconvénient à laisser publier toutes les recherches chimiques et physiologiques purement scientifiques. Toutes les recherches relatives à la réalisation industrielle ainsi qu'à l'emploi militaire et en particulier au chargement en projectiles devront rester secrètes sauf autorisation du Ministre, C.E.M. de l'Armée et Direction de l'artillerie".
Très rapidement, tous les échanges coopératifs avec les alliés concernant la Guerre chimique céssèrent. La confidentialité des documents sur les recherches allait rapidement être portée aux degrées les plus élevés.
Paradoxalement, aujourd'hui encore et malgrè la loi d'accès aux archives, ces documents sont pour l'essentiel inaccéssibles (collection privée).
Ci-dessus, les munitions chimiques allemandes mixtes. La charge puissante d’explosif logée dans l’ogive et sa disposition dans le corps de l’obus permettait de projeter le chargement vers l’arrière de l’obus, donc vers le ciel, en faisant sauter le culot de la munition. A la détonation, le toxique était ainsi dispersé sous forme d’un aérosol de très fines gouttelettes, projeté en l’air pour retomber au sol, sans qu’une partie du liquide se disperse dans les parois du cratère d’explosion. La dispersion et la concentration était alors maximale. De plus, la détonation devenait aussi puissante qu’un obus classique et ne prévenait plus les combattants de l’arrivée d’obus toxiques. Ces munitions étaient destinées a un usage d'obus chimiques en grande proportions dans des pilonnages où les obus conventionnels n'étaient présents qu'à hauteur de 10 à 20%.
Dans l'immédiat après-guerre, les études menées par les Services chimiques sont la poursuite de celles des dernières années du conflit. Vient s'y ajouter toutes les substances et les techniques ennemies connus depuis l'Armistice que les Commissions dites interalliées, qui vont sillonner l'Allemagne vaincue et ses différents centres de recherche, vont s'efforcer de récupérer. Assez rapidement, les échanges d'information entre la France et la Grande-Bretagne vont d'ailleurs cesser au cours de l'année 1919. Il faut d'ailleurs noter que ces échanges n'ont jamais été complets ; certains domaines de recherche en France en 1918 ont été portés à des degrés de confidentialité très élevés. Comme l'illustre le rapport suivant, certains résultats de recherches ne seront communiqués que sous forme verbale pour éviter tout risque de fuites.
A gauche, lettre du Général PERRET (Inspecteur des Etudes et Expériences Chimiques) datée du 7 septembre 1918 à Monsieur KLING, Directeur du Laboratoire Municipal, définissant les travaux de recherches à réaliser pour le chargement de chlorure de diphénylarsine (diphénylchlorarsine) dans des obus mixtes sternutatoires.
"J'appelle votre attention sur le caratère particullièrement secret de ces recherches dont vous voudrez bien me rendre compte uniquement, jusqu'à nouvelles indications par communications verbales".
Ce type de confidentialité n'est pas habituel dans le cadre des travaux français de 1915 jusque fin 1918. Même si tous les échanges coopératifs avec les alliés concernant la Guerre chimique devaient s'arréter après guerre, la confidentialité des documents sur certains domaines de recherche, surtout quand l'avance des travaux français était jugée significative, allait rapidement être portée aux degrées les plus élevés.
En 1921, les Services chimiques furent rattachés à la Direction de l'artillerie et la Commission des Etudes et Expériences Chimiques obtint de centraliser l'ensemble ses laboratoires dans un lieu unique ; l'Atelier de pyrotechnie du Bouchet, à Vert-Le-Petit dans l'Essonne.
A l'effectif des membres de la Commission des Etudes et Expériences Chimique, vint progressivement s'ajouter des ingénieurs et des techniciens militaires et civils de différentes spécialités. En 1934, on dénombre un effectif de plus de 120 personnes dont 44 ingénieurs (source SHD) ; cet effectif atteignit 250 personnes et 75 ingénieurs avant la déclaration de guerre (source : ingénieur général Kovache). Au 1er septembre 1939, 290 personnes travaillent aux laboratoires de recherche. Enfin, en 1940, le centre du Bouchet passait de 760 personnes à 1980 au 1er juin 1940, dont 465 affectés spéciaux (source SHD).
A partir de 1922, des recherches furent entreprises pour élaborer des nouveaux composés agressifs, et réaliser la synthèse de certains produits qui étaient apparus à la fin de la guerre, chez nos ennemis et chez nos alliés. Depuis les années 1919, la coopération interalliée avait complètement cessé, et les recherches étaient tombées dans un secret complet.
Un grand nombre de voies furent explorées, de manière à effectuer un travail de déblaiement qui permit de clore certaines voies apparaissant infructueuses, et de limiter le champ des recherches aux produits efficaces : composés organo-métalliques à base de plomb, d'étain, de sélénium, antimoine, mercure, silicium, magnésium, des substances pruriantes et vésicantes, des composés phosphorés, des Yperites complexes, des dérivés de l'oxyde de carbone, de nombreuses et diverses arsines.
Jusqu'au milieu des années 1935, plus de 600 corps nouveaux furent préparés , synthétisés, étudiés, et certains présentaient des propriétés agressives remarquables. Une documentation importante fut réunie et confiée à un officier chimiste au laboratoire de synthèse du Bouchet. Un dépouillement systématique des publications françaises et étrangères fut entrepris, comme un suivit des études étrangères et le répertoriage méthodique des travaux concernant les toxiques à l'étranger, ainsi que le suivit des brevets déposés.
En juin 1940, les laboratoires du Bouchet avaient préparés et étudiés plus de 1500 corps.
Les produits peuvent être classés en toxiques, irritants (ou lacrymogènes) et vésicants. Les propriétés toxiques et vésicantes d'une part, ou irritantes et lacrymogènes d'autre part, peuvent coexister ou être séparées.
Les toxiques agissent soit comme suffocants, soit comme toxiques généraux.
Comme suffocants, les études portèrent essentiellement sur la série des arsines, comme la Lewisite (V.201), la phénylarsine (I.102), l'oxyde de phénylarsine I.103, la dichlorophénylarsine (corps n°6) et en dehors des arsines sur la trichloroéthylamine (corps 886). Comparés aux toxiques suffocants les plus employés pendant la Première Guerre, ces corps étaient considérés comme 10 à 20 fois plus actifs.
La dispersion du phosgène fut également très étudiée, en augmentant considérablement ses propriétés agressives en le mélangeant à d'autres corps.
Les études physiologiques des toxiques généraux furent porté principalement sur les composés organo-métalliques, tels l'iodure d'étain tributyle, l'étain triméthyle propyle, le bromure de mercure isobutyle. C'est surtout sur les effets de l'éther carbamique de la choline, ou B31, que les études furent le plus poussé.
Les vésicants les plus étudiés appartenaient à la série du soufre, type Yperite, à celle de l'arsenic type Lewisite, à celle de l'azote type 886 et à celle des oxyphénols type B13, dont la particularité de n'agir que sur la peau de l'homme et pas sur celle des animaux, nécessita de conduire des études sur la peau de volontaires...
Les propriétés importantes de l’ypérite amèneront les chercheurs à s’intéresser aux composés de la même famille, les sulfures aliphatiques halogénés. Des vésicants plus puissants et moins volatils qu’elle seront synthétisés, tel la sesqui-Ypérite, signalée comme ayant spécialement intéressé le Chemical Warfare. La préparation d’une série inédite de polysulfures de la même famille, permettra de constater la relation entre la longueur de la chaîne moléculaire et le seuil de vésication.
Les travaux du Bouchet permirent la mise au point d'une méthode de synthèse de l'Ypérite inédite 'Ypérite au protochlorure de soufre), étudiée au Bouchet, puis produite en quantité semi-industrielle sur un site délocalisé, la poudrerie spéciale de Boussens. Elle fut dénommée Ypérite 1012 (nom de code Y) et sa production et son chargement fut planifié avec une production effective à la poudrerie d'Angoulême après 1939. Cette Ypérite présentait l'avantage d'une production considérable et bien plus simple. Elle présentait en outre des caractères physiques permettant de l'épandre très facilement et elle se conservait bien plus longtemps.
Des Ypérite visqueuse, additionnées de solutions de caoutchouc chloré ou de résines synthétiques, de façon à adhérer aux matériaux et à devenir extrêmement difficile à attaquer par les agents de décontamination, furent également mises au point. Les derniers perfectionnements dans ce domaine devaient donner naissance à l'Ypérite épaissie (nom de code Yp) au Rhodopas (acétate de vinyle polymérisé).
La recherche de vésicants dans d’autres séries conduira à l’étude des amines aliphatiques halogénées, principalement la trichloréthylamine (dénommée produit n°886) dans les années 30. Il s’agit d’un toxique suffocant et vésicant, présentant une action sournoise de par sa complète insidiosité, et se démarquant de l’ypérite par la persistance des vésications oculaires qu’il provoque. De très nombreuses personnes en feront la douloureuse expérience lors de la fabrication semi-industrielle dans les laboratoires du Bouchet. Son efficacité sera jugée jusqu'à dix fois plus suffocante que celle des toxiques les plus agressifs utilisés durant la première guerre. La synthèse en gros de ce corps sera entreprise dès 1932, et les essais en tir réel débutèrent pendant l’hiver 1932-1933, en Algérie, sur le polygone de la base secrète de Béni-Ounif. Les expériences continueront les années suivantes, et elles semblaient être des plus prometteuses.
On réalisa également des produits irritants dénués de toxicité, dont l’emploi sera envisagé par les forces de police : la cotoïne et la benzo-phloroglucine. La chloracétophenone (produit 1031) fut adoptée pour le chargement en projectile.
Une place spéciale sera faite dans les recherches au fer carbonyle, un produit connu depuis longtemps, mais dont la réalisation industrielle nécessitait un appareillage particulier. L’étude de sa dispersion pourra être entreprise dès 1931, avec des échantillons de provenance allemande… Ce corps présentait la particularité de se décomposer au contact du charbon actif du masque, avec production d’oxyde de carbone et de chaleur. Malheureusement (ou heureusement), ce corps se décomposait à l’air, et sa stabilisation se heurtait à de nombreux problèmes.
On s’intéressa également de près aux dérivés organiques de l’arsenic, les arsines, dont plusieurs centaines ont été préparés au Bouchet. Trois groupes très différents seront explorés :
Des études furent entreprises sur le B.13 ou isooctylpyrogallol, composé aux propriétés pruriantes rappelant celles du laccol naturel.
Mais les recherches les plus intéressantes et les plus prometteuses concernaient un corps n’appartenant à aucune classe connue alors, un éther carbamique de la choline, le B.31, qui semblait ouvrir la voie des recherches vers les neurotoxiques[1]. Rappelons que les neurotoxiques sont des composés organo-phosphorés, inhibiteurs des cholinestérases tissulaires par phosphorylation irréversible, conduisant à l’accumulation d’acétylcholine au niveau des synapses nerveuses et neuro-musculaires. Le B 31 serait quant à lui, un produit proche du carbamate de choline, une substance aux propriétés voisines de l’acétylcholine, remarquable par son activité considérable et par sa grande stabilité. En outre, le carbamate de choline n’est pas hydrolysé par les cholinestérases, et semblerait les bloquer par carbamylation lentement réversible. Ces substances constituent les dérivés synthétiques les plus puissants et les plus toxiques des dérivés de la choline, à rapprocher de la physostigmine, et donc identiques aux substances organophosphorées. Leur fonction phosphore en moins, ils sont très proche de la famille des esters de Tammelin, qui ne sont autre que les agents V (le plus puissant étant l'agent VX, synthétisé par la Grande Bretagne dans les années 50).
Ces recherches furent menées par le professeur Pierre Baranger, Ingénieur Militaire Principal au Bouchet de 1931 à1936, dirigeant également un laboratoire à l'Ecole Polytechnique. Ses compétences l'amèneront à intégrer un laboratoire de chimiothérapie à l'Institut Pasteur, mutation qui fut loin d'être anodine, l'amenant ainsi à collaborer avec d'autres chimistes dans un domaine de recherche intéressant la Défense Nationale. C'est au sein de ce laboratoire qu'il travailla ainsi avec deux autres personnalités imminentes, spécialistes notamment en chimie thérapeutiques des systèmes acétylcholinergiques, sympathiques, adrénergiques et muscariniques et de la synthèse des drogues agissant au niveau des neurotransmetteurs. Il s'agissait du professeur Ernest Fourneau et du chimiste Daniel Bovet. Ernest Fourneau fut un chimiste brillant considéré comme l'un des grands scientifiques de la première moitié du XXe siècle, fondateur de la chimie thérapeutique. Ses travaux révolutionnèrent le traitement des maladies nerveuses en jetant les bases de l’arsenal médicamenteux dont on dispose aujourd’hui, concernant les anesthésiques locaux, les bêtabloquants, les bronchodilatateurs, les premiers antibiotiques, les antihypertenseurs, les relaxants musculaires et les tranquillisants.
Sa formation passa par des travaux au sein des laboratoires allemands les plus prestigieux d'avant-guerre, avec Emil Fischer et Richard Willstätter ; il garda d'ailleurs une amitié indéfectible pour ses collègues d'outre-Rhin. Pendant la Première Guerre mondiale, il participa aux recherches sur les agressifs chimiques au sein de l'IEEC. A la mobilisation de 1939, son laboratoire intégra à nouveau la Commission des Etudes et Expériences Chimiques pour des travaux intéressant la Défense Nationale, dans le cadre de la Guerre chimique et sur ordre du Ministre de la Guerre. Le rôle du professeur Ernest Fourneau dans ces travaux reste difficile à cerner. A ce jour, nous ne connaissons pas le domaine des recherches qui furent menées par cette équipe, mais tout porte à croire qu'il portait sur des agressifs chimiques attaquant le système de neurotransmission des organismes vivants.
Imminent chercheur, fondateur de la chimie thérapeutique, chef de service du laboratoire de chimie thérapeutique de l'Institut Pasteur de 1911 à 1944. Il rejoint l'Inspection des Etudes et Expériences Chimiques dès 1915. Son laboratoire de l'Institut Pasteur sera attaché aux services chimiques en 1939.
Il travaille au laboratoire de chimie thérapeutique de l'Institut Pasteur, dirigé par Ernest Fourneau, de 1929 à 1947.
Prix Nobel de Physiologie et médecine en 1957 pour ses travaux sur les médicaments bloquant l’action de certains neurotransmetteurs. Grand spécialiste de chimie thérapeutique, de neuropharmacologie et de pharmacologie du curare. Le laboratoire dans lequel il travaille est rattaché à l’IEEC en 1939, pour des travaux intéressant la Défense Nationale.
Il faut encore noter que le professeur Pierre Baranger s'exila auprès du général de Gaulle en Angleterre en 1940 après l'Armistice et qu'il sembla rejoindre le centre de recherche secret de Porton Down, pour une collaboration avec les chimistes anglais, dont nous ignorons l'aboutissement. Certains prétendent qu'à cette occasion il y eu transfert de connaissance autour des substances neurotoxiques ; nous ne sommes pas arrivé à le démontrer. Il est cependant tentant de relier les travaux de Barranger aux progrès anglais réalisés sur les inhibiteurs de la cholinesterase, comme le D.F.P. (fluorophosphate de di-isopropyle), utilisés comme agressifs chimiques militaires puis comme agents thérapeutiques de certains affections.
L'exhumation des archives françaises de ces travaux est particulièrement intéressante, même si à ce jour, nous ignorons presque tout de ses aboutissements. En effet, la découverte des agents chimiques de guerre de la famille des neurotoxiques est attribué au docteur Gerhard Schrader, de la firme allemande I.G. Farben, en 1936. La substance découverte par Schrader fut militarisée par l'armée allemande dès 1939 et baptisée Tabun, le premier neurotoxique militarisé par l'Allemagne nazi. La production fut débutée en avril 1942 pour atteindre un stock de près de 12 000 tonnes en 1945. En 1939, une substance neurotoxique encore plus puissante fut découverte, toujours par la même équipe, le Sarin, puis le Soman en 1944.
Les historiens qualifient aujourd'hui l'avance que possédaient les force armée allemandes dans ce domaine comme considérable. Au regard de ces quelques données parcellaires concernant les recherches françaises, devant la toxicité du produit 886 (toxicité, action suffocante et vésicante jugée comme dix fois supérieure aux substances les plus toxiques alors connues, en regard au Tabun allemand, jugée comme 25% plus efficace que l'ypérite), sur les progrès réalisés dans la dispersion des arsines et devant les recherches entreprises sur le B.31, il semble que l'avancée allemande dans le domaine de la Guerre chimique soit tout de même à nuancer. De plus, au début de la Deuxième guerre mondiale, les capacités de synthèse du Tabun et sa militarisation étaient loin d'être établies par les chimistes du régime nazi.
Fabrication semi-industrielle
Ces recherches de laboratoire furent poussées pour les produits les plus intéressants, sur le plan semi-industriel. Jusqu'en 1929, les essais de fabrication étaient effectués avec des moyens de fortune dans un atelier qui n'était qu'un hangar et avec un matériel rudimentaire; a partir de 1929, un dotation de 175.000 Francs permit de faire à l'atelier les premiers aménagements indispensables. Il fut également mis au point les méthodes de travail très strictes pour mener à bien la fabrication de ces substances excessivement dangereuses. A cet effet, il fut défini un système d'isolement de toutes les parties de l'appareillage utilisé, dans des cellules individuelle ventilées, permettant d'éviter l'infection générale des ateliers, comme cela fut le cas en 1932 et 1933 avec le chloréthylamine (886). La nature des matériaux pour l'appareillage fut également particulièrement étudié pour être utilisé dans la modernisation des ateliers à partir de 1933.
A partir de 1933, d’importants travaux réalisés aux ateliers du Bouchet permirent de débuter des synthèses en quantités importantes des produits les plus intéressants, soit plus de 5 tonnes en quatre ans.
Puis, des études de dispersion de ces substances seront menées. On avait réussi rapidement, dès 1925, la mise au point de chandelles de 1 kg, puis on poursuivit les études de vaporisation par mélange chauffant. En 1932, on créa au Bouchet un laboratoire de dispersion pour ce domaine de recherche, et en 1935, on finissait la mise au point de chandelles de 100 kg. Cinq de celles-ci permettaient de créer une infection de terrain profonde de 30 km. Pour la dispersion par obus, on étudia un obus à culot vissé et un obus à chandelle, dit à dépotage, qui donnaient de bons résultats. On augmenta également l’agressivité du phosgène dispersé en obus grâce à des solutions concentrées d’acétate de vinyle. En 1935, une nouvelle chambre blindée de 64 m3 était en construction, avec un appareillage optique spécial devant permettre de photographier les explosions,. Un modèle de grenade chargé en ypérite et destiné à être lancé par avion avait été mis au point, ainsi qu’un lance-grenade. Enfin, des essais très prometteurs sur la dispersion du B. 31 étaient menés.
En 1934, l'établissement fut rattaché au Service des poudres et son activité devait encore fortement s'accroître. En avril 1934, l'Allemagne quitta la Conférence du désarmement et la France, refusant de cautionner le réarmement allemand, signifia qu'elle assurerait désormais seule sa propre sécurité. Le programme de recherche français fut ainsi encore fortement renforcé. L'effectif des équipes travaillant au Bouchet fut doublé en quelques années. De 1934 à 1940, 600 nouveaux produits furent étudiés et préparés. Les études de dispersion furent réalisées dans les chambres d'explosion au Bouchet, puis poursuivis sur le champ de tir de Bourges et en Algérie.
Enfin, en 1938, fut réalisé la construction d'un site entièrement dédié aux études et à la production semi-industrielle au sein de la poudrerie de Boussens. Plus de 20 tonnes de substances diverses y furent synthétisées, dans le but d'étudier les conditions de leur dispersion et donc de leur militarisation. De nouveaux crédit furent alloués au Centre d'Etude en 1939 et 1940. A l'Armistice de juin 1940, la poudrerie de Boussens était effective dans la synthèse de l'Ypérite 1012 en quantité industrielle, dans celle de la Marsite, de la Lewisite ou V201, du 886 (trichloroéthylamine), de l'arseniure d'aluminium (nécessaire dans la réalisation des engins Z5)
En effet, les études physiologiques menées sur un produit toxique sortant du laboratoire de synthèse ne sont que des études préliminaires. Il faut ensuite s'assurer qu'il conserve son pouvoir agressif lorsqu'il a été dispersé. L'agressivité dépend en effet du mode de dispersion (explosion, combustion...) et d'autres facteurs tels la charge d'explosif, le système chauffant et ses dimensions, etc. Ces études de dispersion se faisaient d'abord au Bouchet, dans l'une des trois chambres d'explosion aménagées. Elles étaient ensuite suivies au champ de tir de la Commission d'expérience de Bourges, dans des conditions proches du combat. Venait ensuite les essais en grand.
Les premiers essais de dispersion en grand furent réalisés en Algérie dans la région de Touggourt et dans la région de Chegga, dès 1930.
Pour mener ces essais de dispersion et des essais de tirs réels en terrain découvert, le centre d'essais de tir de Chegga en Algérie fut rapidement délaissé au profit de ce qui allait devenir l'un des plus grand centre d'expérimentation d'armes chimiques au monde (le plus grand, excepté la Russie), le centre Béni-Wénif (ou Béni-Ounif, tel qu'il est nommé dans les archives militaires des années 1930). Au milieu de nul-part, situé sur un plateau calcaire su Sahara algérien, il offrait toutes les garanties de sécurité et de discrétion.
Ce centre, resté en activité jusqu'en 1978, est demeuré un secret d'État jusqu'en 1997. Sa superficie représentait plusieurs milliers de kilomètres carrés, 100 km de long sur 60 de large. Nous ne disposons que de très peu d'informations sur sa création. Les premiers essais que nous avons recensé datent de la campagne de 1931-1932. Ainsi, il est entré en fonction avant la date de création fréquemment avancée de 1935. Des essais en grand y sont effectués en avril 1932 et dans l'hivers 1932-1933. Dès lors, des mesures furent envisagées pour en faire un centre d'essai et un champ de tir gigantesque et semi-permanent.
Après la Première Guerre mondiale, l'ECMCG (Établissement central du Matériel Chimique de Guerre), avait été transformé en ERG (Établissement de Réserve Générale) qui disposait d'une compagnie Chimiste appartenant au Bataillon d'Ouvriers d'Artillerie d'Aubervilliers (104e Cie chimiste du 22e BOA). Cet ERG disposait d'un centre de recherche et d'essais chimiques, situé dans le Sud Oranais, à Béni-Ounif. En 1935, ce centre devint le Centre d'Expérimentation semi-permanent de Béni-Ounif, alias CESP de Béni-Wénif. Il était alors composé de trois sites, nommés B1, B2 et B3. Par la suite, probablement dans les années 1950, le centre B2, connu sous le nom de B2-Namous, fut spécialisé dans les essais sur les armes chimiques.
Comme expliqué plus haut, il entra en service dès 1931 et reçu son appellation officielle en 1935. Jusqu'en 1940, de nombreuses expérimentations sur les armes et les munitions chimiques y ont eu lieu. Après l’Armistice de juin 1940, le CESP fut camouflé sous l’appellation d’Annexe-magasin de Revoil Beni-Ounif pour échapper aux investigations des Commissions d’Armistice ; il était par ailleurs une annexe de l'ERG d'Aubervilliers.
Dans les années 1950, dans un contexte de guerre froide, les activités reprirent à B2-Namous, essentiellement sous forme de manoeuvres offensives de l'Otan avec des armes chimiques. Puis, en 1962 et à la veille de l'indépendance de l'Algérie, le centre ultra-secret fit l'objet de négociations secrète aux accords d'Evian, comme d'autres bases du Sahara. Le maintient de la base fut accepté pour 5 années ; mais en 1967, alors que tous les autres centres fermaient, B2-Namous fut conservé. Les militaires français furent contraint à travailler sous couverture civile ; une filiale de Thomson, la Sodeteg, étant leur employeur "officiel". Le centre fut fermé et démantelé en 1978. Plusieurs sources laissent à supposer que les recherches furent stoppées à la fin des années 80.
Le secret fut révélé au grand jour par le Nouvel Observateur en octobre 1997, dans un article publié sous la plume, de Vincent Jauvert.
Rappelons que la France a signée à Paris en 1993 la Convention Internationale sur l'Interdiction des Armes Chimiques. En 1989, le président de la république François Mitterrand affirmait à la tribune de l'ONU que la France n'avait jamais disposé de stocks d'armes chimiques. En 1997, le rapport remis aux inspecteurs de la Convention Internationale sur l'Interdiction des Armes Chimiques suivait le chemin tracé jusque là ; aucun stocks d'armes chimiques n'a jamais été constitué en France.
D'autres études furent menées, notamment sur la dispersion de l'Ypérite par épandage aérien, l'épandage par voitures arroseuses, la dispersion par bombes d'aviations, la dispersion par génératrice d'aérosols.
Études de dispersion en chandelle
A la fin de la Première Guerre, la France n'avait utilisé aucune substance irritante à type d'arsine. Il fut envisagé d'étudier la vaporisation de arsines en commençant par le produit utilisé par les Anglais, la DM ou Diphénylaminochlorarsine. L'atelier de Pyrotechnie du Bouchet étudia un engin analogue aux chandelles anglaises et mis au point en 1923 une chandelle de 1 kg en mélange comprimé. L'amorçage fut mis au point en 1925 en liaison avec l'École centrale de Pyrotechnie de Bourges.
Des procédés de dosage pour de très petites quantités de produits furent mis au point, des appareils de prélèvement d'atmosphère pouvant fonctionner à distance furent réalisés.
L'étude de la vaporisation par mélange chauffant fut appliqué à un grand nombre de substances. Seuls des engins comprimés furent alors étudiés, avant que l'on s'aperçoive des inconvénients que cela représentait. On s'orienta alors vers la fabrication d'engins coulé qui permettaient la fabrications et la dispersion de grandes quantités de toxiques. Ces engins furent essayés dès 1930 en Algérie mais se révélèrent décevant.
La laboratoire de dispersion fut créé en janvier 1932 et du reprendre l'intégralité de ces études. Un nouvel appareillage permit d'étudier au microscope la dimension des particules et leur aptitude à floculer dans les conditions variées de formation du nuage. Puis, des méthodes de prélèvement de nuage, par précipitation électrique sur des plaques de verre et de dosage des produits obtenus par spectrographie ou par colorimétrie, seront mises au point. Les essais à Béni-Ounif permirent de préciser dès 1932 le taux de compression à faire subir à la substance, puis le taux de remplissage. Le degré de tamisage des poudres fut déterminé avec le même soin, puis l'influence des impuretés sur la dispersion du produit agressif défini. On testa des chandelles obtenues par compression, puis par coulage à chaud et enfin à coulage à froid à l'aide de résines synthétiques.
La densité d'engins à mettre en oeuvre fut ensuite étudiée à Béni-Ounif.
L'ensemble de ces quinze années d'études permit la mise au point des engins Z5
Études de dispersion par explosion
Les premiers travaux furent de fixer l'évolution dans le temps des projectiles issus des reliquats stockés depuis la fin de la Première Guerre. Des méthodes d'analyses furent ainsi définies.
De nombreux essais ont ensuite cherchés à améliorer le rendement dispersif des munitions chimiques. On mis au point un obus à culot vissé à cet effet. La dispersion des nouveaux produits fut également une préoccupation constante des services chimiques.
L'augmentation de l'agressivité du phosgène a été déterminée, notamment en le mélangeant à différents corps. Après de nombreux déboires, on s'orienta vers des solutions concentrées à l'aide d'acétate de vinyle qui donnèrent d'excellents résultats.
Le chargement des arsines en obus donna lieu à la mise au point d'obus de 75 à chandelle ou a dépotage.
Enfin, un modèle de grenade destinée à être lancé par avion fut mis au point, propulsé par un dispositif lance-grenade étudié à Bourges.
Il est impossible de clore ce paragraphe sans mentionner la création, en décembre 1922, d’une Commission de bactériologie, dans le but de mener les études nécessaires à la guerre bactériologique. La présidence sera assurée par le général de division Maurice. La Commission était composée de membres civils : Roux, Achard, Bertrand, Mayer, Lebeau, Borrel (professeur à l’université de Strasbourg), Vallée (directeur du laboratoire de recherche du Ministère de l’Agriculture) et de membres militaires dont le médecin général inspecteur Vincent et le médecin principal Dopter.
L’ensemble des personnels des deux sections de la Commission, ainsi que ceux des différents laboratoires de l’IEEC et de la Commission d’expérience de Bourges, avaient mené ces études.
Tableau récapitulatif des principaux corps étudiés - 1920-1935
Essayé en 1930 à Chegga en obus, puis ultérieurement à Béni-Ounif (Béni-Wénif).
Essais à poursuivre dans la campagne 1934-35
A fait l'objet d'essais en Algérie à Chegga en 1930 et à Béni-Ounif (Béni-Wénif) en 31-32 et 32-33. Essais poursuivis en 34-35
Sera expérimenté en obus.
L'étude de sa dispersion a été entreprise au Bouchet en 1931 avec des échantillons de provenance allemande.
La trichloroéthylamine est une substance dite de première génération, dont la toxicité est proche des produits dits de deuxième génération que sont les neurotoxiques. Sa toxicité par inhalation est inférieure aux neurotoxiques produits par l'Allemagne nazie pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais sa létalité par voie percutanée est supérieure (20mg/kg pour la trichloroéthylamine, 50 à 70 pour le Tabun).
Il en est de même pour le B-31, une substance proche des neurotoxiques. Nous ignorons tout aujourd'hui de son développement, si développement il y a eu...
A partir de 1935, le programme de recherche chimique connut encore un essor supplémentaire appuyé par des crédits conséquents. L'élaboration d'un capacité de riposte chimique fut effective à l'issue de ce nouvel effort. Le programme industriel nécessaire à la réalisation de la synthèse de milliers de tonnes de toxiques fut mis sur pied.
Les recherches en matière de protection seront reprises dès 1920. Le premier point sur lequel on allait travailler était la filtration des arsines. Au cours de l’année 1918, on avait remarqué l’inefficacité des cartouches filtrantes à ces poussières. On trouvait fréquemment des intoxiqués qui n’avaient pas quitté leur masque dans les zones contaminées lors d’attaque par obus à croix bleue. Les arsines utilisées étaient composées de particules solides dont le diamètre était inférieur au millième de millimètre. Dans le filtre à charbon activé, les gaz était absorbés par les pores du charbon. Les poussières, par contre, ne pouvaient être retenues que par le faible diamètre des pores constituant le filtre. Hors, un filtre aux pores très serrés permettait difficilement d’obtenir une respiration aisée. De plus, les poussières se chargeaient électriquement et, en se déposant sur les parois du filtre, elles les chargeaient également. Les particules suivantes étaient alors électrostatiquement repoussées par les autres et elles arrivaient à se frayer ainsi un chemin au travers du filtre. On tenta la filtration des arsines au travers de couches superposées de feutre, de papier, de coton et de fibres végétales, en les plaçant à l’intérieur des bonnettes, mais sans résultats efficaces. On souhaitait également augmenter la durée de protection des cartouches, pour éviter le port de l’une d’entre elles en supplément, et on s’attendait à devoir augmenter considérablement la proportion dans la boîte filtrante. De là naquit le projet d’un nouveau masque respiratoire, relié par un tuyau souple à une cartouche filtrante portée en bandoulière au niveau de la taille. Il fallait cependant résoudre plusieurs problèmes avant l’adoption de ce nouvel appareil.
Le premier concernait l’emploi du caoutchouc. On avait remarqué qu’il vieillissait mal, mais surtout qu’il n’était pas imperméable à plusieurs agressifs, et notamment à l’ypérite. Des études avaient déjà été menées pour éviter son emploi. On avait doublé le tissu caoutchouté par un tissu huilé pour confectionner les premiers ARS. Les soupapes en caoutchouc seront également remplacées par d’autres en mica et en aluminium. On choisira dans les années 20 de substituer les rubans élastiques des masques par des tendeurs à ressort, et on finit par remplacer la deuxième couche de tissu huilé du masque par un tissu cellophané, l’huile dégradant le caoutchouc à la longue. Avec le concours de plusieurs industriels, un caoutchouc de meilleure qualité, plus résistant au vieillissement et pratiquement imperméable à l’ypérite allait être mis au point.
Le deuxième point sur lequel on travailla, fut la réalisation d’un charbon filtrant plus performant. Lebeau, aidé de trois employés militaires, et avec la collaboration de plusieurs industriels, réalisa sa mise au point et en testa de plus efficaces : le cuprène, le charbon sulfurisé, l’agglomération de poussière de charbon, l’addition de tétrachlorure de silicium… En 1925, un nouveau charbon présentant une efficacité jusqu’à 10 fois supérieure aux autres était adopté. Ce charbon sulfurisé, appelé S1925, ne rentra qu’en 1929 dans les approvisionnements. Les laboratoires du Bouchet s’apercevront rapidement que celui-ci absorbait l’humidité de l’air et que cela diminuait son efficacité. Entre temps, le marché des masques destinés aux populations civiles était né avec la ’’Défense passive’’, et les fabricants civils faisaient des progrès marqués. Ainsi, ils étaient parvenus à une excellente qualité de charbon, grâce à une collaboration étroite avec les laboratoires de l’IEEC, et on décida de les utiliser. Un cahier des charges sera mis en œuvre pour leur réception. Ainsi, dès 1930, les cartouches des masques seront chargées avec des charbons mis au point par des marchands civils, conférant une protection 6 à 7 fois supérieure à ceux des années 20.
La collaboration avec des établissements privés sera particulièrement étroite pour mettre au point un papier particulier, dénommé alfa, qui possédait des pores assez fins pour arrêter les arsines, sans augmenter la gêne respiratoire au travers de la cartouche. L’IEEC réalisera ce travail avec la maison Fernez, ce qui nécessita une collaboration très suivie des ingénieurs des laboratoires, notamment celui de Lebeau, et du fournisseur. La réalisation industrielle sera au point dès 1927. Lebeau élabora un procédé de colmatage du papier, nécessaire à son efficacité immédiate, à l’aide de tétrachlorure de silicium. Restait à créer le dispositif qui devait le mettre en œuvre. Deux voies seront explorées.
La première visait à tirer parti des importantes quantités de cartouches d’ARS existantes, et à réaliser un dispositif s’adaptant sur celles-ci. On fabriqua ainsi un système s’adaptant en dessous de la cartouche, et renfermant une galette de papier alfa, constituée de 15 disques de papier séparés par des couronnes de carton et assemblés par des œillets métalliques. Les premiers exemplaires sortiront des chaînes de fabrication en 1930, mais on s’aperçut rapidement que 50 % des exemplaires, une fois montés sur la cartouche, ne présentaient pas l’efficacité souhaitée par manque d’étanchéité. On détermina que ce n’était pas le système qui était en cause, mais le fournisseur. En 1932, la fabrication était relancée et les exemplaires seront livrés en 1933, en étant nommés ‘’galette d’addition modèle 1933’’. Ils devaient alors équiper les masques dits ‘’appareils momentanés’’, devant doter les formations mobilisées du territoire.
Entre temps, l’établissement Fernez avait réussi à produire une cartouche monobloc, renfermant un filtre en papier alfa plié en accordéon. Au mois d’octobre 1932, la Commission ayant essayé le dispositif, le trouva si efficace, qu’elle décida de remplacer le dispositif à galette, dont la fabrication était en cours, par la cartouche Fernez. En 1934, sera créé un cahier des charges pour agréer ces cartouches de l’industrie civile. Deux établissements seront primitivement retenus : Fernez et la S.E.F.M.P. (Section d’études et de fabrication des masques de protection). Les crédits débloqués en 1935 permettront l’achat de ce genre de cartouches, appelées modèle 35M. Ces établissements fabriquants également des masques en tout point identiques à l’ANP 31 dont nous allons parler, l’armée allait également se fournir en masques auprès d’eux.
La seconde voie visant à mettre en œuvre le dispositif contre arsine avait été formulée en 1924, où l’on souhaitait remplacer la cartouche du masque par un bidon filtrant de plus grande capacité. Le logement contre arsines ayant pu être prévu dès la conception, il ne présenta pas de difficultés particulières et sera adopté en 1932 sous le nom de ‘’bidon ovale modèle 32’’.
En 1930, les prototypes du nouveau masque étaient au point. Un tuyau souple reliait le bidon filtrant, contenu dans un sac porté en bandoulière, au masque. Celui-ci était très proche de l’ARS, mis à part son embase qui différait par quelques points. Pour utiliser le stock d’appareils ARS existant, et en attendant la fabrication du nouvel ANP 31, on proposa en 1931 de modifier les anciens ARS, en intercalant simplement un tuyau entre la cartouche et le masque. L’appareil ainsi transformé s’appellera ‘’appareil transitoire’’. Pour que le tuyau fixé à l’embase du masque trouve une inclinaison sensiblement verticale, il suffisait d’intercaler un dispositif spécial coudé. Le tuyau contenant également la soupape d’inspiration, il fallait supprimer celle faisant double usage sur le masque.
Cette solution devait permettre d’attendre la fabrication du nouvel appareil ANP. Seulement, en 1933, celle-ci n’avait toujours pas débuté, et la fabrication des masques ARS était stoppée. L’IEEC n’avait pu suivre le calendrier fixé car la conception, les très longs délais de réalisation et d’essais dans la troupe retardaient le programme. Mais surtout, simultanément à la mise au point de la réalisation industrielle de l’ANP 31, on cherchait à produire un autre type de masque dont la maquette avait été présentée au Bouchet en 1928, en même temps que l’ANP. Ce masque devait être plus performant que l’ANP. On l’appelait ‘’semi-rigide’’, car il comportait une pièce de la face en cuir, sur laquelle étaient montées les vitres et les soupapes. Entre-temps, pour permettre la fabrication rapide de l’ANP et rattraper le retard pris, on décida de ne fabriquer que les pièces qui différaient entre celui-ci et l’ARS, c’est-à-dire l’embase, le tuyau souple et sa soupape, ainsi que le bidon filtreur. On transformait un ARS en ANP en démontant son embase, et en changeant la cuvette avant (l’embase comporte deux cuvettes, une avant et une arrière). Le tuyau fileté de la nouvelle embase assurait au raccord en caoutchouc une inclinaison sensiblement verticale.
Pour résumer, la situation en 1934 était la suivante :
Les fabrications massives d’ANP et de bidons modèle 32 ne débutèrent vraisemblablement qu’au courant de 1936. Durant cette même année, on adopta enfin le masque ‘’semi-rigide’’, qui sera dénommé ‘’masque 36 T’’. Il semble que l’on souhaitait en munir toutes les formations combattantes ; son coût de fabrication et le retard pris dans les commandes mettront un terme à ce projet.
L’appareil filtrant LD, mis au point par Desgrez et Labat en 1917 et 1918, avait montré plusieurs faiblesses. Cet appareil, encore appelé ‘’Tissot pour char de combat’’, ne semble pas avoir été étudié à nouveau après guerre. La protection contre le monoxyde de carbone allait pourtant devenir un point sensible. Elle intéressait particulièrement les servants des pièces d’artillerie sous casemate. Dès 1929, la Marine avait demandé la reprise des recherches en ce domaine. On arrêta la composition de la substance neutralisante, l’hopcalite, formée d’un mélange de bioxyde de manganèse et d’oxyde de cuivre. On la plaçait entre deux couches de corps desséchant, et on assurait une fermeture aussi hermétique que possible du bidon filtrant. Les études aboutiront à l’adoption, en 1933, du bidon polyvalent CO modèle 33. La cartouche avait la forme d’un bidon ovale modèle 32, aux dimensions agrandies. On avait conservé le chargement en charbon actif et la galette contre arsine pour assurer la polyvalence ; le bidon mesurait 19,5x15,7x7,8 cm, pour un poids moyen de 1,8 kg.
Le bidon allait présenter un inconvénient lorsqu’on souhaita en doter les troupes de forteresse, et particulièrement les servants des armes sous casemate et sous tourelle des ouvrages de la Ligne Maginot. L’utilisation du masque pouvait être assez fréquente dans les conditions de combat des ouvrages, et la forte humidité qui y régnait dégradait rapidement le contenu absorbant le monoxyde de la cartouche. On souhaita alors mettre au point un dispositif de complément, qui pourrait à volonté s’intercaler entre le masque et le bidon classique. Il fut réalisé et adopté en 1939, sous le nom de cartouche de complément CO modèle 39. La production débutait à la mobilisation, et seulement 200 000 exemplaires seront en dotation aux armées en mai 1940.
On souhaitait en premier lieu perfectionner les appareils Draeger, jugés trop rudimentaires. Plusieurs voies seront explorées qui méneront à différentes solutions, sans qu’aucune ne soit réellement adoptée et poussée plus en avant. On expérimenta un appareil continu, à deux cartouches, l’une chargée en air comprimé, et l’autre en oxygène. On adopta en 1939 un appareil isolant proposé par l’établissement Mandet, le MC 39, mais à peine quelques milliers d’exemplaires seront produits. Un autre appareil, d’un modèle inconnu de nous, sera fabriqué en deux versions ; il s’agissait des Granger légers et des Granger petit modèle, produits respectivement à 10 et 700 exemplaires.
Enfin, on réalisa une amélioration de l’appareil Fenzy grand modèle, décrété beaucoup trop lourd. Un granulé analogue à l’oxylithe, ne présentant pas de danger d’inflammation et susceptible de ‘’démarrer’’ à froid sera fabriqué. L’appareil sera adopté en 1936 dans sa version définitive : le Fenzy modèle 36 sera fabriqué à 78 000 exemplaires.
Fin 1919, le Ministre de la Guerre appuyé par l'état major de l'armée, fixa les grands traits de la politique chimique militaire de l'après guerre :
"Les approvisionnements d'obus toxiques et lacrymogènes, d'engins pour l'émission de gaz asphyxiants, de produits toxiques, seront conservés dans les limites où les possibilités techniques le permettront (...) ; les services chimiques poursuivront d'une façon continue les études sur les produits chimiques agressifs (...) de façon à être toujours en mesure d'entreprendre les fabrications de munitions, d'engins toxiques dans le cas où l'ennemi prendrait l'initiative de ce genre d'agression".
Dès la signature de l’Armistice, le travail de l’ensemble des usines de production de toxiques fut ainsi stoppé. Les stocks restant de la production de guerre semblaient largement suffisants, voire même trop importants. L’étude de ces approvisionnements s’imposa rapidement, pour étudier leur état de conservation dans le temps. On mit ainsi au point plusieurs méthodes d’analyses qui permirent d’éliminer certaines catégories d’obus spéciaux. Ces importants stocks seront conservés à l’entrepôt de réserve générale de la Ferté Hauterive. Pour des raisons tactiques, 90 % des stocks seront constitués avec du phosgène et de l’ypérite. Les autres seront probablement détruits par noyade en mer.
Utilisation de l'arme chimique dans la guerre du Rif, 1921-1926.
La guerre du Rif fut une guerre coloniale qui opposa, entre 1921 et 1926, les tribus rifaines aux armées espagnoles et françaises (à partir de décembre 1924), dans la région géographique du Rif, au nord du Maroc. Les deux armées européennes agirent de manière officielle, en vertu des accords du protectorat passés par le sultan du Maroc, avec la France et avec l'Espagne.
L'Espagne utilisa des gaz de combat contre des tribus berbères qui refusaient l'autorité de Madrid. Elle utilisa l’arme chimique de façon certaine à partir de l’été 1924, mais des témoignages, des articles de presse et de nombreux documents font état d’utilisation antérieure, dès 1921, grâce au soutien de la France. En 1921, l’Espagne demanda à l’Allemagne, de lui livrer des gaz de combat. Le 10 juin 1922, un accord fut signé entre l'Allemagne et l'Espagne pour la construction d'une usine chimique et la livraison de toxiques dans l'attente de la production de cette usine, ou de précurseurs de la synthèse de l'Ypérite comme le thiodiglycol. Avec l’aide d’un chimiste allemand, Hugo Stoltzenberg, elle monta une usine de production près de Madrid, la Fabrique nationale de produits chimiques. Hugo Stoltzenberg participa à l'élaboration de bombes d'aviation destinées à l'épandage d'Ypérite. L’Allemagne, bien que le traité de Versailles le lui interdisait, livra très probablement des substances toxiques à partir de 1923 ; 500 à 600 tonnes de phosgène provenant des stocks résiduels de 1918. L’Espagne aurait utilisée de l’Ypérite, du phosgène, du di-phosgène, de la chloropicrine.
Les armées françaises sont fortement suspectées d’avoir utilisé de l’Ypérite et du phosgène. Selon les travaux de Rudibert Kunz et Rolf-Dieter Müller, journalistes allemands, l'Espagne disposait de munitions chimiques dès l'été 1921, grâce au soutien de la France qui les lui fournissait.
Le 24 juillet 1922, le Caïd Haddou Ben Hamou, dans une correspondance destinée à Abdelkrim, écrit : "Je t'informe qu'un bateau français a transporté 99 quintaux de gaz asphyxiant pour le compte des espagnols. Le dit chargement est arrivé à Melilla le 16 juin du courant mois (...). Les Espagnols ont adopté cette mesure, alors que les Français ont refusé de l‟employer eux-mêmes". De nombreux documents attestent de la livraison de projectiles chimiques de la France à l'Espagne, en 1921 et 1922 .
Les allégations d'utilisation d'armes chimiques par les armées françaises concernent la région de Fès en 1925. Selon l'auteur Espagnol Maria Rosa de Madariaga (Abdelkrim El-Khattabi, La lutte pour l’indépendance, Éd. Alianza Editorial, Madrid, 2009), en 1925, Lyautey aurait demandé au Président du Conseil Paul Painlevé, l'envoi d'obus à Ypérite.
Les archives françaises conservent la trace de l'envoi de munitions chimiques à Casablanca, à la suite de cette demande. Un document du 23 mai 1925, émanant de Paul Painlevé, alors Président du Conseil et Ministre de la guerre, adressé au commandant d l'ERG de la Ferté Hauterive, demande l'expédition de 2000 obus de 75mm chargés en phosgène et de 2000 obus chargés en Ypérite à destination du Parc d'Artillerie régional de Casablanca. Un deuxième document demande l'expédition urgente de 40 000 masques ARS, 500 paires de moufles et 600 bourgerons, destinés à la protection contre l'Ypérite.
Lien externe : Guerre chimique contre le Rif
Ministère de la Guerre, Direction de l’Artillerie, 2ème Bureau, Matériel, 9ème Section.
Le Président du Conseil, Ministre de la Guerre à Monsieur le Commandant de l’ERG de la Ferté-Hauterive.
Je vous prie de faire expédier au Parc d’Artillerie régional de Casablanca, à destination du Port de Kenitra après entente avec le parc d’artillerie régional de Marseille (Service du transit) en ce qui concerne la date d’expédition.
1°) 2 000 cartouches de 75 à obus spéciaux N°5 et 2 000 cartouches de 75 à obus spéciaux N°20 avec fusées correspondantes…/
Pour le Ministre et par son ordre, Le Général Directeur de l’artillerie. P.P. le Colonel Chef du Bureau.
Signé De Sablet
Ministère de la Guerre, Direction de l’Artillerie.
Le Président du Conseil, Ministre de la Guerre à M. le Commandant de l’Entrepôt de Réserve Générale de matériel d’Aubervilliers.
NB : document aimablement communiqués par Mr XXX ; source : SHD
1925 - Le protocole de Genève
En 1920, la Société des Nations, sous l'égide de la Commission pour la réduction des armements, engageait une réflexion devant aboutir à la prohibition internationale des gaz de combat. Une conférence consacrée au commerce internationale des armes s'ouvrit à Genève en 1925. Après d'âpres négociations, un texte concernant la guerre chimique fut adopté sous le terme de Protocole de Genève :
Considérant que l'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de
Le gouvernement français en est le dépositaire. La France ratifia le Protocole le 26 mai 1926 avec ces réserves :
Le protocole fut signé par près de 40 pays, dont la France et l'Allemagne. Il ne comprenait malheureusement aucune procédure de vérification, ni aucune sanctions en cas de violations. De plus, la France se réserva le droit de conserver des moyens de représailles à l'égard de tout ennemi en cas de violations du protocole ; ce qui impliquait de conserver des capacités de réplique immédiates. Au moment de leur adhésion, de nombreux États firent, comme la France, des réserves par lesquelles ils se réservaient le droit de riposter avec des armes chimiques contre toute attaque chimique lancée contre eux ou contre des pays non membres du Protocole. Nombre de ces réserves furent toutefois retirées par la suite.
Ainsi, de nombreux états, dont la France, poursuivirent leurs activités de recherches tandis que la confidentialité entourant le domaine de la guerre chimique était portée à un degré absolu. En effet, même si le protocole ne condamnait que l'emploi de l'arme chimique, il eut été particulièrement délicat pour un état signataire de révéler ou même d'être soupçonné de continuer des recherches dans le domaine offensif.
En février 1932, une Conférence du désarmement se réunit à Genève, où se dessina l'objectif de trouver des modalités à la prohibition de l'arme chimique. De profondes divergences devaient naître sur les modalités d'application et de vérification. Certains Etats, comme la France, souhaitaient un régime d'inspection internationale ayant la capacité de surveiller les industries chimiques dans tous les pays signataires, d'autres y étaient farouchement opposés.
Le 14 octobre 1933, l'Allemagne quitta la conférence du désarmement et la Société des Nations dans la foulée. Six mois plus tard, refusant de cautionner le réarmement de l'Allemagne, la France déclarait assurer sa sécurité par ses propres moyens :
Respectueux des engagements internationaux auxquels la France a souscrit, le gouvernement français s'efforcera au début d'une guerre et d'accord avec ses alliés, d'obtenir des gouvernements ennemis l'engagement de ne pas user des gaz de combat comme arme de guerre. Si cet engagement n'était pas tenu, il se réserve d'agir suivant les circonstances.
Étrange paradoxe, quand le concept de dissuasion était encore une notion floue... La signature du protocole et la position française défendue à la Conférence de 1932 sur le désarmement, interdisait à la France d'être soupçonnée de mener un programme de recherche offensif, alors que la détérioration des relations franco-allemandes et les insuffisances du Protocole de Genève imposait la mise sur pied d'un arsenal chimique visant à assurer sa sécurité en cas de violation des accords internationaux.
En 1936, le protocole devait montrer ses limites et prouver qu'il ne constituait à lui seul aucune garantie suffisante permettant de faire l'économie d'une force de représailles. L'Italie avait ratifié le protocole en 1928 ; mais en 1935, les forces armées de Mussolini sous le commandement du général Badoglio, n'hésitèrent pas à larguer 700 tonnes d'Yperite sur les forces éthiopiennes, qui ne possédaient aucun moyen de défense et de riposte. L'Éthiopie protesta, apporta des preuves irréfutables auprès de la Société des Nations et du Protocole. La communauté internationale s'indigna et décréta, par la voix de la Société des Nations, un embargo. Cette mesure fut sans effet et quelques mois plus tard, l'Italie annexa l'Abyssinie, consacrant la déchéance et l'impuissance des institutions internationales. Dès lors, le Protocole et les conventions discréditées, et face à la menace du réarmement de l'Allemagne, la constitution d'un arsenal de sanction immédiat s'imposait pour les autorités militaire françaises.
A l'Armistice de 1918, les stocks de munitions chimiques, tant dans différents parcs d'artillerie qu'à l'ERG de la Ferté-Hauterive, étaient les suivant :
Stocks de munitions chimiques à l'Armistice
Ces munitions chimiques furent l'objet de nombreuses attentions. Le phosgène se conservait très bien, mais l’ypérite avait tendance à s’épaissir ; on détermina qu’elle ne conservait que 50 % de ses propriétés lors des tirs d'essais effectués annuellement. Delépine réussit à mettre au point, par un procédé de distillation, une méthode permettant de la stabiliser et de traiter l’importante quantité non chargée en obus. Ce problème de conservation de l'Ypérite devait devenir de plus en plus préoccupant ; il fut imputé au mode de synthèse de l'Ypérite au bichlorure de soufre, qui attaque le métal des obus pour donner naissance à des produits goudronneux.
Situation des approvisionnements en projectiles toxiques à l'ERG de la Ferté-Hauterive - 1925
A cette date, il restait encore dans différents parcs d'artillerie, un total de 13 850 tonnes de munitions chimiques diverses, ainsi réparties :
1 000 tonnes au PA de Langres, 1 000 tonnes au PA de la Fère, 11 000 tonnes au PA de Toul, 300 tonnes au PA de Strasbourg et 350 tonnes au PA d'Epinal.
Les différents chargement conservés étaient les suivants :
Chargement toxiques réglementaires 1919-1938
30% de trichlorure d'arsenic
CM : phosgène et trichlorure d'arsenic (Collongite Marsite)
En 1930, les reliquats des stocks du Premier conflit mondial, représentaient encore : 2 500 000 coups de 75 mm, 27 000 de 105, 106 000 de 120, 76 000 de 145 et enfin 580 000 de 155. A cette époque, on avait d’ailleurs conservé un potentiel de production de toxiques permettant la fabrication et le chargement de 472 000 obus par mois. La production de toxiques pouvait être assurée soit par la poudrerie d’Angoulême (notamment pour l’ypérite), soit par des établissements privés comme Poulenc. La fabrication de chloropicrine, de rationite et de bromure de benzyle pouvait être immédiatement démarrée.
Le chargement de ces obus se répartissait, alors pour 50% en phosgène, 40% en Yperite et 10% en chargements divers. Il ne s'agissait que de munitions issues des fabrications de guerre. Tous les lots jugés comme "périmés" ou sujet à des fuites furent progressivement écartés. Puis, tous les stocks disponibles sur le territoire furent regroupés à La Ferté-Hauterive.
Situation des approvisionnements en projectiles toxiques à l'ERG de la Ferté-Hauterive - 1930
Environ 41 000 tonnes
Une grande inquiétude s'installât, relative à la conservation des propriétés agressives de ces obus. A cet effet, des tirs de contrôle annuels étaient réalisés ainsi que des inspections soignées des projectiles. Cette même année, en 1930, 74 407 obus de 75mm et 27 304 obus de 155 furent détruis par noyage en mer. Dans les années suivantes, il fut décidé de ne conserver que les chargements en Yperite et phosgène, mais l'Yperite perdait irrémédiablement une partie de ses propriétés.
Probablement à partir de 1935, on décida de relancer le chargement de munitions en Ypérite, dans le but de pallier à cette perte de propriétés agressives. L'ateliers de chargement existant du fort d'Aubervilliers fut remis en état, et deux nouveau ateliers furent organisés, à Pont-de-Claix et Angoulême. La capacité théorique de ces ateliers était alors de 472 000 obus chimiques par mois ; la capacité de l'atelier de chargement de Pont-de-Claix devait atteindre plus de 350 000 projectiles par mois en cas de mobilisation. Il devait également produire 1 000 000 grenades d'aviation par mois, chargées en Yperite, près de 5 000 bombes chargées en phosgène par mois. Ces chargements restèrent probablement peu important et largement en dessous des capacités de productions, jusqu'en 1938. Ils devaient fortement s'intensifier par la suite.
Marquage des obus spéciaux :
A partir de 1921, une instruction précise les modalités de marquage à froid sur les obus chimiques, à porter à un cm en dessous du joint de la gaine. Cette marque comporte en caractère de 1cm de hauteur, une croix suivie des indications relatives au numéro de classification du produit de chargement.
Le réarmement chimique à travers le monde, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale
L'Allemagne entreprit des essais sur l'arme chimique dès 1922. En 1926, un laboratoire de recherche sur la guerre chimique fut créé à Berlin et dès la fin de cette même année, un programme offensif était lancé. En 1926, un accord secret fut trouvé avec l'union soviétique pour un centre commun de fabrication, d'essais et d'expérimentation d'armes chimiques à Shikhani, près de Volsk ; le projet portait le nom de Tomka. Les nazis, dans le cadre du réarmement de l'Allemagne, s'intéressèrent de plus près à l'arme chimique à partir de 1934. Un nouveau centre d'essais fut créé sur un site déjà marqué par l'arme chimique, le centre d'essais de Breloh situé à Lüneburg en Saxe. En 1937, les chercheurs de l'I.G.Farben découvraient le premier neurotoxique, le tabun. En 1939, 10 000 à 12 000 tonnes d'agents chimiques, dont 80% d'Yperite, constituaient l'arsenal allemand, essentiellement constitué de stocks non chargés en projectiles. Le Sarin puis le soman furent découvert pendant le conflit. Ils produisirent à partir de 1942 et jusqu'en 1945, 30 000 tonnes de tabun, et probablement 7000 tonnes de sarin. Au début de 1945, le stock de gaz de combat était évalué à 65 000 tonnes.
La Grande-Bretagne lança un programme de réarmement chimique qu'à partir de 1936, mais devait rencontrer de grosses difficultés dans sa réalisation. En 1939, ses stocks ne dépassaient pas 500 tonnes de toxiques constitués presque exclusivement d'Yperite. Elle ne réussit à constituer que 2 000 tonnes de stocks, près de deux années plus tard, en janvier 1941.
L'Italie révéla la capacité et la force de son programme chimique lors de la guerre d'Abyssinie où les forces armées italiennes larguèrent par épandage aérien 700 tonnes d'Yperite sur les troupes éthiopiennes (15 000 victimes).
Le Japon était particulièrement bien préparé et possédait un arsenal chimique développé, et de nombreux vecteurs de dissémination. Son programme chimique semble avoir débuté au début des années 1920 pour s'accroître jusqu'à la veille du conflit.
Les soviétiques développèrent un programme conséquent dès 1920, en collaboration avec l'Allemagne dans un premier temps. Ils disposaient depuis le début des années 1930 de tous les agents modernes (Yperite, Lewisite, chloropicrine, phosgène) et de nombreux vecteurs de dissémination.
En France, un vaste programme industriel fut activé à partir de 1936, montant en puissance d'années en années. Plusieurs sites datant de la Première Guerre furent réactivés, mais surtout, deux nouvelles poudreries devaient être entièrement dévolues à la fabrication de gaz de combat avec des capacités de production jamais atteintes jusque là, Boussens et Mauzac.
A l'aube de la Deuxième Guerre Mondiale, le plan de mobilisation de 1939 prévoyait alors, en moins d'une année, d'arriver sur le territoire français à une capacité de production permettant de fabriquer et de charger en projectiles plus de 50 000 tonnes de gaz de combat par an, 4 200 tonnes par mois. L'équivalent de plus du double de la totalité des agressifs utilisés par les armées françaises durant la Première Guerre mondiale, plus de la totalité de ceux produits par l'Allemagne durant la même période.
En 1939, la France était probablement le seul état à se doter d'un arsenal chimique permettant de mener une guerre chimique extensive à court terme. Paradoxalement, la découverte de l'ampleur de ce réarmement par les forces allemandes en 1940, participa très probablement à écarter la perspective de l'utilisation des gaz de combat sur le théâtre des opérations en Europe jusqu'en 1945, en donnant une vision erronée aux Allemands des capacités chimiques de ses adversaires.
Devant l'échec des négociations sur le désarmement chimique internationale, la constitution de stocks chimiques nécessaires pour mener une guerre chimique extensive, était en cours au début des hostilités de la Deuxième Guerre mondiale.
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