Le 11 novembre 1918, à onze heures du matin, le clairon sonne le cessez-le-feu, mettant fin à la Première Guerre. Une liesse générale envahit l’Europe, et les rues de Paris, New-York, Londres, Bruxelles et Rome se remplissent d’une foule portant en triomphe les soldats alliés. La joie de la victoire sera de courte durée car l’heure des comptes était venue. Désormais, la réalité s’imposait à tous : l’Europe était ravagée, sa jeunesse massacrée. Les pertes militaires pour l’Europe s’élèvent à 8 500 000 morts. La France à perdu 1 300 000 des siens, appartenant pour la plupart à la génération des 20-30 ans. En France, on dénombre 3 600 000 blessés, 600 000 veuves de guerre et 750 000 orphelins. Il faut y ajouter les disparus, tous les mutilés, et aussi toutes les régions de l’Est et du Nord de la France transformées en amas de ruines. Des villes entières sont rayées de la carte. Les rescapés de la génération de feu resteront traumatisés à jamais, marqués au plus profond de leur chair et ils influenceront lourdement le cours de l’histoire à venir par des décisions qui resteront viscérales plutôt que réfléchies, concernant les notions de pacifisme, de fascisme, et de désarmement. Pour les survivants, cette guerre ne pouvait avoir qu’une seule justification : elle serait la dernière, la «der des der ».
Le sort de l’Allemagne sera en partie, et en partie seulement, réglé par le traité de Versailles du 28 juin 1919. Alors que les combattants étaient uniquement animés par un esprit de justice, un sentiment de haine envers l’Allemagne et une volonté de revanche se solderont par une paix ratée. Les politiques alliés seront incapables de donner un sens au sacrifice de leur jeunesse, et transformeront le traité ‘’en un Armistice ne pouvant durer plus de vingt ans’’, comme le prétendait déjà le général Foch en 1919. La paix inachevée devait emporter à nouveau, à peine une génération plus tard, l’Europe entière dans une nouvelle folie meurtrière.
Le bilan de la guerre des gaz reste assez contrasté : les statisques établies attribuant moins de 50 000 décès à l’arme chimique. Il reste cependant extrêmement difficile à fixer une valeur précise des pertes relatives au conflit chimique, les statistiques militaires du premier conflit restant pour le moins difficiles à percer. Les seules sources françaises crédibles paraissent être celles relatives aux pertes des principales émissions par les vagues allemandes. Pour citer un chiffre, les 8 plus grosses opérations d’émissions, du 19 octobre 1915 au 1er juillet 1917, feront près de 4500 morts et 15500 intoxiqués dans les rangs français. A elle seule, l’attaque des positions près de Reims des 19 et 20 octobre 1915, est responsable de 750 tués. Le nombre d’intoxications imputables aux toxiques souffre de la même imprécision.
Une seule certitude : il sera nettement plus élevé à partir de l’introduction de l’ypérite sur le champ de bataille, à l’été 1917. Le nombre d’intoxications incapacitantes, toutes nations confondues, serait proche d’un million selon les sources les plus crédibles. Ces chiffres confirment la nature de la guerre des gaz du Premier Conflit mondial : les toxiques blessent et sont plus incapacitants que mortels. Seulement, n’oublions pas un point essentiel que ces chiffres ne font pas ressortir : combien d’hommes ont perdu la vie par ce qu’ils étaient aveuglés par l’action d’un agressif, parce qu’ils perdaient leur sang-froid au moment où ils en auraient eu le plus besoin, tétanisés par la peur que pouvait engendrer un bombardement d’obus toxiques ?
Le poids moral que représentait le ‘’péril chimique’’ n’est pas quantifiable, mais il aura eu un effet dévastateur sur la combativité et le moral des troupes. L’arme chimique aura certainement été le vecteur le plus efficace de la guerre d’usure, non pas au sens du nombre de pertes qu’elle pouvait produire chez l’ennemi, mais par l’usure de son facteur psychique, par l’usure de ses nerfs. Les Allemands réussiront à exceller en ce domaine. D’avril 1917 à septembre 1918, ils introduiront pas moins de 10 composés nouveaux, chacun étant censé rendre inefficace la protection alliée. La chloropicrine inaugurera la série ; mal retenue par les masques M2, elle provoquait une sensation d’irritation des yeux et des voies respiratoires même au travers du masque, pouvant faire croire au malheureux combattant qu’il avait la primeur de l’introduction d’un nouvel agressif non retenu par son appareil de protection. L’ypérite réussit également à impressionner fortement les soldats alliés. Puis ce sera le tour des arsines sensées percer les masques. Les arsines vésicantes et enfin le cyanure de diphénylarsine parviendront également à déjouer la vigilance des chimistes alliés. Le docteur Mayer, chef du laboratoire de physiologie du Collège de France alerte vivement les autorités dans un rapport daté du 18 septembre 1918. Il explique que l’ARS ne protège plus contre les arsines et que les combattants ont tellement perdu confiance dans la protection, qu’il arrive qu’ils retirent leur masque pendant les attaques. Mais bien plus grave, d’après une enquête réalisée par ses soins, 10 à 37 % des évacués gazés lors d’un assaut datant du 15 août, seraient décédés alors qu’ils portaient tous leur masque sur le visage…
L’introduction de l’arme chimique et son développement allaient être attribués à l’Allemagne seule. En vertu de l’article 231 du traité de Versailles qui la déclarait moralement responsable de la guerre, elle perdait la propriété de tous ses brevets et devait révéler ses secrets technologiques se rapportant à des armes ou des applications militaires.
Ainsi, les services chimiques français demandèrent la divulgation des recherches et des procédés de synthèse mis au point dans les laboratoires et les usines de l’I.G.Farben. Ils demanderont également la liquidation et le démantèlement pur et simple de l’industrie chimique allemande. Carl Bosch s’y opposera farouchement et négociera avec le gouvernement français. A la fin de 1919, un accord sera signé et permettra à l’Allemagne de conserver l’intégralité de ses usines chimiques contre l’échange de ses procédés de fabrication. Entre temps, en novembre 1919, le comité Nobel avait annoncé qu’il décernait pour l’année 1918 son prix de chimie à Fritz Haber pour son procédé de synthèse d’ammoniac. La nouvelle fit le tour du globe comme une traînée de poudre et personne ne manqua de s’indigner de l’injuste récompense décernée à celui que l’on désignait comme l’instigateur de la guerre des gaz. Car il était alors de bon ton de faire porter à l’Allemagne toutes les responsabilités, particulièrement celle d’avoir inauguré et mené la guerre des gaz à elle seule ; le jugement des faits ne revenant qu’au camp des gagnants…
L'Armistice est signé le 11 novembre 1918, mettant fin aux combats de la Première guerre mondiale et laissant place aux pourparlers de paix. Rapidement, la guerre chimique s'immisce dans les débats, pour savoir si l'Allemagne peut être tenue comme responsable de son déclenchement et plus précisément pour déterminer qui en est le véritable initiateur. Dès le début des négociations, l'Allemagne prend position en rejetant la responsabilité sur la France et en assurant que son armée n'a fait que de répondre aux initiatives de l'ennemi le 22 avril 1915. C'est une opinion largement répandue en Allemagne, en opposition à celle des Alliés et nous avons vu précédemment combien cette question est plus complexe qu'il n'y parait à trancher. Finalement, la signature de l'Armistice reconnaissant de facto la victoire des Alliés, la partie belligérante vaincue doit attendre les conclusions et les propositions des vainqueurs, conclusions qui ne souffrirons pas de discussions comme nous allons le voir.
Signature de l'armistice le 11 novembre 1918, dans la voiture ferroviaire stationnés dans la clairière de Rethondes, dans la forêt de Compiègne. Peinture de Maurice Pillard Verneuil.
Le 27 septembre 1914, en France après le début de la guerre, le gouvernement Delcassé replié à Bordeaux publiait un décret qui interdisait tout commerce avec l’ennemi et qui mettait sous séquestres l'ensemble de ses biens. La mise sous séquestre concernait aussi bien les biens matériels comme les usines ennemies, que les brevets qui protégeaient l'exploitation de procédés industriels. Il existait de nombreuses usines chimiques allemandes sur le territoire français en 1914. En effet, pour contourner la législation douanière française qui taxait fortement les produits intermédiaires, les compagnies allemandes avaint installées des succursales de leurs firmes qui ne réalisaient que les dernières étapes de la synthèse de leurs produits. Les firmes allemandes avaient également achetées de nombreuses usines initialement françaises de colorants. Hors, cette industrie va se révéler être un secteur stratégique capital pendant le conflit. La pénurie rapidement ressentie de ces produits importés d'Allemagne dès le début de la guerre, va amener l'Etat français à s'approprier purement et simplement les brevets chimiques allemands, pour des raisons de défense nationale.
Ces mesures sont prises par pratiquement tous les États alliés ; la logique de la guerre économique prévaut alors sur le droit international. L'ensemble des Etats alliés mettent ainsi sous séquestre des brevets détenus par des Autrichiens et des Allemands, en autorisant l’exploitation à leur profit, voire en les confisquant. En France, l'OPCP organise leur utilisation et donne les droits d'utilisation à certains industriels, ou décide de leur jouissance pour les intérêts du pays. Les États-Unis vont particulièrement loin, saisissant plus de 4 000 brevets ennemis. Du côté allemand et austro-hongrois, des lois similaires sont adoptées, mais ne sont guère appliquées par crainte de représailles. Les industriels allemands sont en effet opposés à ces mesures, car ils détiennent de nombreux brevets à l’étranger, en particulier en France et en Grande-Bretagne, bien davantage que les ressortissants des Alliés n’en possèdent en Allemagne. En 1916, réunis à Paris, les Alliés discuteront les mesures de guerre économique à prendre à l’encontre de l’Allemagne, et entérineront les mesures de guerre contre les brevets ennemis.
Pour comprendre les intérêts stratégiques industriels qui sont en jeux à la fin du conflit, il nous faut remonter au début de la guerre.
Au début du conflit, en 1914, les dépôts de salpêtre du Chili étaient essentiels à la production de guerre de tous les belligérants, puisqu'ils permettaient de produire de l'acide nitrique, composé essentiel à la production d'explosifs. Pour sécuriser les approvisionnements, l'Allemagne dépêcha sur place quelques navires. Victorieux un premier temps, ils furent coulés par la suite et les alliés reprirent le contrôle des dépôts de nitrates du Chili. L'Allemagne devait trouver de toute urgence d'autres sources d'azote pour la production d'explosifs.
Le procédé Haber-Bosch de la BASF du site d'Oppau produisait de l'ammoniaque synthétique depuis 1913 mais ne pouvait produire de l'acide nitrique. En pratique, il est difficile de convertir directement l'ammoniac en acide nitrique, mais Bosch se rendit compte que l'ammoniac pouvait être converti en salpêtre du Chili qui, à son tour, pouvait l'être en acide nitrique. Si la deuxième transformation était industriellement maîtrisée en Allemagne, la première ne l'était pas. En septembre 1914, Bosch s’engagea à ce que le site d'Oppau puisse fabriquer 5 000 tonnes de salpêtre par mois à partir de mars 1915, puis serait en capacité d’augmenter jusqu'à 7 500 tonnes par mois. Ce salpêtre serait converti en acide nitrique, précurseur d'explosifs pour l’armée. En contrepartie, le gouvernement allemand devait financer la construction des installations au coût de six millions de marks. Le projet fut accepté et demanda un travail titanesque. Le 1er mai 1915 le site d'Oppau pouvait enfin fabriquer de l'acide nitrique et Bosch venait de sauver l'Allemagne.
L'armée allemande consommait toute la production du site qui s’avéra insuffisamment productif. Oppau était en effet fréquemment soumis à des bombardements aériens, si bien que le gouvernement allemand demanda à BASF de construire un deuxième site de production. BASF ne voulait pas assumer à elle seule le coût de sa construction. La société craignait notamment que le cours de l'ammoniac ne s'effondre après la guerre. Après des négociations s'étalant sur plusieurs mois, le gouvernement allemand offrit à BASF un contrat avantageux : il lui prêta 30 millions de marks. En contrepartie, le prix de l'ammoniac devait rester inchangé et le prêt serait remboursé une fois que BASF ferait des bénéfices. Dès que l'entente fut conclue, Bosch et ses collaborateurs entamèrent le processus de construction du deuxième site. Ils avaient choisi la ville de Leuna près de Mersebourg, située plus à l'intérieur de l'Allemagne. Comme à Oppau, il fallait tout construire à neuf. Malgré la taille et la complexité des appareils, les travaux furent terminés en 12 mois ; les réacteurs chimiques furent démarrés le 27 avril 1917. Le site produisit 36 000 tonnes d'ammoniac en 1917, 160 000 en 1918. La presque totalité de sa production était destinée à l'armée allemande qui pu alors disposer d'autant d'explosifs qu'elle en avait besoin pour la campagne militaire.
Les deux ententes passées entre le gouvernement allemand et BASF furent à l'origine de la montée en puissance des complexes militaro-industriels chimiques modernes. BASF, en signant la promesse du salpêtre, devint partie du complexe militaro-industriel allemand. Le « programme de synthèse de nitrates» et le développement d'un programme d'armes chimiques amenèrent les industries chimiques allemandes et le gouvernement allemand à dépendre les uns des autres. La Première Guerre mondiale cessa officiellement le 11 novembre 1918. Un fait n'avait pas échappé aux dirigeants des pays alliés : l'Allemagne avait prolongé la guerre d'au moins une à deux année grâce aux sites d'Oppau et de Leuna. Aucun site industriel n'avait une importance aussi capitale que ces deux complexes de la BASF.
Le 11 novembre 1918, L'Armistice fut signé et l'Allemagne commençait ses préparatifs pour négocier le futur traité de paix. Carl Duisberg fut prié d'y participer comme représentant de l'industrie chimique, mais refusa pour laisser sa place à Bosch.
Rapidement, à partir du 6 décembre 1918, le site industriel gigantesque d'Oppau fut occupé par les troupes alliées, qui découvrirent l'énorme avancée technologique et industrielle de l'Allemagne dans le domaine de la chimie. À cette époque, les experts militaires de tous les pays savaient que le procédé Haber-Bosch avait permis à l'Allemagne de prolonger son effort de guerre. Le Service des poudres dépêcha sur place de nombreux chimistes et industriels français qui manifestèrent un grand intérêt pour le procédé de synthèse de l'ammoniaque synthétique et de l'acide nitrique selon le procédé Haber-Bosch. La France, comptant favoriser l'expansion de ses entreprises chimique, réclama la divulgation de l'ensemble des procédés, celui de Haber-Bosch, comme ceux des brevets et des secrets de fabrication des diverses usines de l'IG Farben. Les sociétés s'y refusèrent catégoriquement en invoquant le motif d'un pillage industriel dont elles auraient à souffrir sur le marché mondial et en référèrent à la Commission d'Armistice qui, sous l'influence des militaires anglais et américains, donna comme directive de limiter les investigations aux fabrications de guerre.
L'occupation française ne dépassant pas le Rhin, BASF organisa le transport de différents biens de l'autre côté du fleuve. À Oppau, Bosch fit éteindre les installations de synthèse d'ammoniac, prétextant une pénurie de charbon. Lorsque les Français exigèrent de voir les installations en marche, Bosch et les avocats de BASF s'y opposèrent à nouveau en affirmant que les Français étaient à la recherche de secrets industriels. Bosch affirmait que le site avait une vocation civile puisqu'il produisait des engrais. Les Français et les Britanniques souhaitaient démonter les installations puisque le site avait servi à l'effort de guerre, mais Bosch s'y opposait en affirmant le droit à la propriété en temps de paix. Pour affirmer leur supériorité, les Français installèrent une force d'occupation à Oppau.
Les usines se plièrent aux nouvelles exigences des alliés en limitant leurs communications au minimum. Bosch et ses collaborateurs savaient que la technologie était trop complexe à comprendre en quelques mois, encore moins en quelques semaines. Bosch utilisait tous les moyens légaux à sa disposition pour freiner le travail des « inspecteurs » français.
Parmi les militaires présents sur place, des chimistes et des ingénieurs de renom étaient dépêchés au sein de la Commission de Contrôle des Usines chimiques allemandes. Louis Frossard, un ancien conseiller du cabinet du Ministère de l'Armement et des Fabrications de Guerre, qui avait joué un rôle essentiel dans le développement de l'Ypérite en 1918 en faisait partie. Comme son frère, Joseph Frossard, directeur adjoint du Matériel Chimique de Guerre. Des chercheurs qui avaient participés aux travaux sur les gaz de combat, tel Jacques de Kap-Herr. Ils avaient pour mission de récolter tous les renseignements possibles sur le fonctionnement du site..
La demande de divulgation des procédés de synthèse fut reconduite, assujettis d'une menace de démantèlement en cas de refus : « Dans un délai de trois mois à dater de la mise en vigueur du présent traité, le Gouvernement allemand fera connaître aux Gouvernements des principales puissances alliées et associées la nature et le mode de fabrication de tous les explosifs, substances toxiques ou autres préparations chimiques, utilisés par lui au cours de la guerre, ou préparés par lui dans le but de les utiliser ainsi. ».
Site industriel de la BASF à Merseburg, 1918. Entièrement dévolu à la production de composés destinés à la production d'explosifs pour les armés allemandes.
Les firmes divulguèrent ainsi l'ensemble du programme chimique développé durant le conflit, sans aucun détail concernant les techniques et les technologie utilisées et encore moins sur le domaine des produits colorants. Les militaires français ne cachaient pas leur déception mais aussi leur avidité pour connaître le fonctionnement de l'usine d'Oppau pour la fabrication des nitrates sous le procédé Haber-Bosch. Ils mesuraient en effet l'intérêt de la maîtrise de cette synthèse tout comme le pas de géant technologique qui les en séparait ; à l'inverse des autorités britanniques et américaines. Victor Lefébure, une autorité anglaise en matière de guerre chimique, déclarait non sans amertume plus tard : "Seuls les français ont mesuré dans toute son étendue l'importance militaire de ces usines". Les français usèrent de tous les moyens de pression pour obtenir de Bosch la mise en route de l'usine et qu'il révèle la technique utilisée, sans autre résultat que le soutien indéfectible de la commission interalliée aux allemands ; "le procédé de synthèse des nitrates revêt un caractère commercial et non militaire".
Les Américains, les Britanniques et les Français avaient des opinions clairement différentes sur la façon d'imposer des réparations de guerre à l'Allemagne. Les grandes batailles sur le front occidental s’étaient déroulées sur le sol français, et les campagnes françaises avaient été complètement ravagées par les combats dans certains départements. En 1918, pendant la retraite des armées allemandes, les troupes avaient dévasté la région nord-est, la plus industrialisée de toute la France. Des centaines de mines et d’usines avaient été détruites tout comme les voies de communication, de chemins de fer, les ponts et les villages. Clémenceau, était déterminé, pour toutes ces raisons, a imposer à l’Allemagne des réparations pour les dommages causés sur le sol français. Il considérait également ces réparations comme un moyen nécessaire pour affaiblir l'Allemagne afin de s'assurer qu'elle ne pourrait plus, à l'a venir, menacer la France. Les réparations devaient aussi financer les coûts de reconstruction dans d'autres pays, comme la Belgique, aussi fortement impactée par la guerre. Les Anglais s’opposèrent à des réparations conséquentes, en faisant valoir qu’une somme inférieure serait moins fatale pour l'économie allemande afin qu'elle puisse rester une puissance économique viable et redevenir un partenaire commercial pour l’économie britannique. Enfin, Wilson était particulièrement opposé à imposer à l'Allemagne ces réparation de guerre.
Le 18 avril 1919, la délégation de paix allemande quitta Berlin pour rejoindre la France ; les véritables pourparler des conventions d'Armistice à Versailles devaient commencer et l'Allemagne s'y préparait. La délégation allemande fut enfermée derrière un solide réseau de barbelés.
Le 5 mai, Brockdorff-Rantzau, Ministre des affaires étrangères qui dirigeait la délégation allemande, fut informé qu'il n'y aurait pas de négociations. Lorsque la délégation allemande recevrait les conditions de la paix, ils auraient quinze jours pour répondre. Les Français présentèrent immédiatement leurs exigences : la destruction de toutes les usines allemandes de matériel militaire, y compris l'ensemble des usines chimiques de colorants et de nitrates. Le maréchal Foch avait prévenu qu'il n'était pas envisageable de négocier ce point. La délégation américaine, elle, souhaitait simplement conserver les usines allemandes mises sous séquestre sur son territoire pendant la guerre. Le 7 mai, la délégation allemand reçue enfin le texte du traité et Bosch déclarait immédiatement : "Les conditions de paix sont inacceptables à tous égards". Brockdorff-Rantzau déclarait à son tour : «nous savons l'intensité de la haine qui nous réunit, et nous avons entendu la demande passionnée des vainqueurs que les vaincus seraient obligés de payer, et que les coupables devraient être punis ». Cependant, il se mit à nier que l'Allemagne était le seul responsable de la guerre. À la suite de cette réunion, alors que les différents articles du traité de paix étaient traduits, la délégation allemande envoya des commentaires aux Alliés « attaquant une section après l'autre ». Le 18 juin, après avoir ignoré les décisions explicites et répétées du gouvernement, Brockdorff-Rantzau déclara que l'article 231 contraindrait l'Allemagne à accepter de force la pleine responsabilité de la guerre et que cela était impossible et inacceptable.
Une "Commission sur la responsabilité des auteurs de la guerre et sur l'application des peines" avait été créée par les Alliés pour examiner le contexte de la guerre. La commission estima que la « guerre avait été préméditée par les empires centraux... et avait été le résultat d'actes délibérément commis pour la rendre inévitable », et conclut que l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie avaient « délibérément travaillé pour faire échouer l’intégralité des nombreuses propositions de conciliation faites par l'Entente et ses efforts répétés pour éviter la guerre ». Cette conclusion fut dûment incorporée dans le traité de Versailles à la demande de Clemenceau et de Lloyd George, qui tous deux insistèrent sur l'inclusion d'une déclaration sans équivoque de la responsabilité totale de l'Allemagne. L’article 231, dans lequel l'Allemagne acceptait la responsabilité de l'Allemagne et de ses alliés pour les dommages résultant de la Première Guerre mondiale, servit donc de base juridique pour les articles suivants du chapitre des réparations, obligeant l'Allemagne à verser une indemnité limitée aux dommages civils (« l'Allemagne accepte la responsabilité de l'Allemagne et de ses alliés pour avoir causé toutes les pertes et dommages » pendant la guerre).
Le 16 juin, pressant les événements, les puissances alliées exigèrent que l'Allemagne signe sans condition le traité sous sept jours ou ferait face à la reprise des hostilités. Le gouvernement allemand était divisé sur l'opportunité de signer ou de rejeter le traité de paix. Le 19 juin, le chancelier allemand démissionna plutôt que de signer et fut suivi par Brockdorff-Rantzau et d'autres membres du gouvernement, laissant l'Allemagne sans cabinet et sans délégation de paix. Comme l'Allemagne n’était pas en état de reprendre la guerre, Gustav Bauer, le nouveau chancelier, signa sans réserve le traité de paix le 22 juin 1919.
L'Allemagne fut ainsi contrainte d'accepter que ses ressources économiques (article 236 : matières colorantes et produits chimiques) et ses droits de propriété industrielle (article 306 et suivants) soient directement affectés aux réparations. L’immédiat après-guerre resta ainsi marqué par le jeu de tensions entre les vainqueurs, et plus particulièrement entre la France, et l’Allemagne. Le traité de Versailles, tout en déclarant le rétablissement des titres de propriété industrielle, légalisait a posteriori certaines saisies de brevets ou en rendait possibles d’autres.
Il était également exigé que l'empereur d'Allemagne devait être jugé pour suprême offense à la loi morale commune à tous les peuples et au respect des traités, tout comme différentes personnes accusées d'avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. On trouvait à nouveau dans cette clause la référence à la culpabilité de l'Allemagne, de ses dirigeants et de ceux de l'industrie chimique, de l'initiation et du développement de la guerre et de la guerre chimique (notamment). En somme, l'Allemagne seule était jugée comme responsable du conflit mais également comme responsable d'avoir utilisée l'arme chimique en violation des traités internationaux, comme de l'avoir développée. Ainsi, les autres belligérants étaient disculpés de toute violation aux Conventions internationales, leur intervention étant réduite, selon les termes du texte, à une intervention passive.
La charge financière du traité de Versailles fut appelée « réparations » ; à ce titre, les Alliés exigeaient également, la France en tête, de conserver les usines et les brevets mis sous séquestre, la livraison de produits chimiques au titre des réparations en nature, mais surtout que tous les établissements pour l'étude, la fabrication, le stockage et l'entretien des armes et autres matériels de guerre de toute sorte, seraient fermés définitivement (dans le cadre du désarmement du pays). Les Français et les Anglais avaient assujettis cette clause d'une mention catégorique spécifiant que cela comprenait l'anéantissement des usines de l'IG Farben où les gaz toxiques et les nitrates avaient été produits !
Malgré tous les effort entrepris, les contre-propositions allemandes n'aboutirent à aucun résultat et le texte fut ainsi entériné le 28 juin 1919.
Mais Bosch avait d'autres atouts à faire valoir pour conserver l'industrie chimique allemande. Il fut en effet aperçu en pleine nuit, franchissant le réseau de barbelés et le mur d'enceinte du parc, se rendant à un entretien secret. Bosch n'ignorait pas que les brevets allemands ne seraient d'aucune utilité aux chimistes français ; ils avaient été conçu ainsi, les rendant absolument inintelligibles et inapplicables aux étrangers de la chimie organique allemande. La destruction de l'IG Farben ne serait d'aucun secours aux plans de développement français pour son industrie chimique nationale, patiemment échafaudé depuis 1915. Bosch menait donc des négociations secrètes avec un ancien conseiller du cabinet du Ministère de l'Armement et des Fabrications de Guerre, qui avait joué un rôle essentiel dans le développement de l'Ypérite en 1918. Louis Frossard faisait maintenant parti de la Commission de Contrôle des Usines Chimiques allemandes et son frère, Joseph, était directeur adjoint du Matériel Chimique de Guerre et bientôt directeur général de la Compagnie Nationale des Matières Colorantes (CNMC), qui regroupait toutes les industrie chimiques soutenues par l'Etat français depuis le conflit.
Louis Frossard introduisit Bosch auprès de l'Inspecteur Général Patart, qui dirigeait la CNMC et le Service des Poudres. L'accord fut ainsi entériné : la sauvegarde de toutes les usines chimiques allemandes contre la révélation des procédés de synthèse des usines allemandes, notamment le secret de la synthèse de l'ammoniac, avec l'aide allemande pour la construction de plusieurs usines sur le territoire français, dont plusieurs servant à la synthèse de l'ammoniac. Les usines sous séquestre en France redevenaient allemandes pour moitié, avec un échange de capitaux entre la SNCM et l'IG Farben. La moitié des profits de la CNMC devaient, en contre-partie, être versée pendant 25 années à l'IG Farben. Les requêtes françaises de destruction des usines de l'IG Farben furent ainsi retirées ; Louis Frossard pris la direction Technique des produits organiques au sein de la SNMC dont son frère Joseph devint directeur général.
L'accord définitif fut signé entre le Service des Poudres et BASF le 11 novembre 1919. Le gouvernement constitua alors un groupe d'industriels intéressés par la mise en application du brevet au sein d'un Société d'Etudes de l'Azote qui devint l'Office National industriel de l'Azote en 1924, un organisme à capitaux d'Etat. Plusieurs usines furent créées sur le site de la Poudrerie de Toulouse, choisie en raison de sa position géographique éloignée des frontières dur Nord et de l'Est. La synthèse débutait en 1927 et l'ONIA devint en quelques décennies le premier producteur et exportateur mondial de nitrate d'ammonium, connu aujourd'hui sous le nom d'AZF. Le procédé permettait de produire tous les dérivés chimiques de l’azote, mais essentiellement de l’acide nitrique destiné à la production d’explosifs par nitration organique, comme la nitrocellulose, la nitroglycérine et le trinitrotoluène. L'ONIA avait donc une vocation liée à servir la Défense National.
L'IG Farben et l'industrie chimique allemande avait perdu la guerre mais venait de gagner la paix ; l'industrie chimique française venait de concrétiser son projet. La pression exercée par la France sur les intérêt chimiques allemand se révéla fructueuse. De leur côté, les américains qui pensaient tirer profit des simples brevets allemands pour développer leur industrie nationale, essuyèrent un cuisant revers en comprenant que les brevets seuls n'étaient d'aucune utilité, sans la connaissance des ingénieurs allemands. Bosch se refusa à engager des négociations avec l'industrie américaine après les négociations avec les français. En 1923, la CNMC fut absorbée par les établissements Kuhlmann qui annulèrent les accords précédant, évinçant de fait la présence de l'industrie chimique allemande en France.
Un nouvel accord fit revivre l'ancien cartel Bosch-Frossard en 1927, après plusieurs tentatives infructueuses de l'IG farben d'acquérir les sociétés chimiques françaises par des actions en bourse. Ce nouvel accord définissait des ententes sur les tarifs, des échanges d'informations techniques et le partage du marché ; Kuhlmann abandonnait le marché européen et l'IG Farben ne touchait plus au marché français.
En France, les brevets allemands qui avaient été mis sous séquestre depuis le début du conflit, furent liquidés par adjudication le 2 mai 1923 (article 4 du décret du 23 octobre 1919). Les firmes allemandes purent ainsi racheter l'essentiel de leurs brevets sur le sol français, très probablement selon des arrangements dont nous ne connaissons pas la teneur.
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