L’attaque du 22 avril sur le saillant d’Ypres fut responsable d’une certaine inquiétude au sein de chaque formation sur le front, et chacun souhaitait se doter rapidement d'un moyen de protection. Dans l'attente que le nombre de premiers masques rudimentaires soient fabriqué et distribué à l'ensemble des hommes, ce qui devait prendre quelques mois, de nombreuses formations s'organisèrent pour fabriquer avec les moyens disponibles, des masques protecteurs.
Le rôle du Service de Santé, de ses médecins et de ses pharmaciens, fut alors crucial. En effet, en raison de la difficulté que présentait la réalisation rapide de plusieurs millions d’appareils protecteurs, la Commission avait décidé, à la fin du mois d’avril 1915, d’équiper en masques uniquement les troupes les plus exposées. Pour équiper le reste des hommes et combler le déficit de la dotation, de nombreux ateliers de confection vont s’organiser pour produire rapidement des engins de protection. De nombreux essais, dans la coupe et la forme des appareils, vont avoir lieu, avec plus ou moins de succès.
Très souvent, c’est le Service de santé qui fut chargé de mettre en œuvre la fabrication. Les premiers ateliers se formèrent au sein des Groupes de brancardiers divisionnaires ou de corps d’armée, avec comme couturier, les brancardiers ! Par la suite, pour obtenir des masques de meilleur qualité, les commandes allaient souvent s’organiser au sein d’une même armée, en faisant réaliser les appareils dans un atelier civil. Une autre façon de procéder consistait également a acheter les masques proposés par une entreprise ou un magasin, pour le compte de l’armée.
Par exemple, le général Humbert, commandant l’armée de Lorraine, craignait une attaque sur les positions du Chamois (nord de Badonviller) et vers la forêt de Parroy, en raison de la configuration du terrain. Il demanda au directeur du Service de Santé, le médecin principal Clouart, d’étudier un modèle de protection. Celui-ci partit sur-le-champ à Paris, et fit le tour des différents magasins et fabriques qui proposaient déjà de nombreux masques. Il revint avec la commande d’un important stock de rectangles de feutre, destinés à être imprégnés de la solution d’hyposulfite, et de lunettes de protection.
Au 32e Corps d’armée, l’angoisse était la même et le Service de Santé se chargeat, lui aussi, de trouver rapidement un moyen de protection. On envisageât en premier lieu de transformer les paquets de pansements en tampons, comme cela sera fait ailleurs. Finalement, le 30 avril, fut acheté 6000 masques en feutre et 6000 lunettes à un confectionneur local. Immédiatement, le Service de Santé prépara une solution à base d’hyposulfite puis imbiba les masques de feutre. Ceux-ci furent livrés aux troupes du 2 au 4 mai. Le 5 mai, les hommes subissaient une attaque au gaz et les masques auraient été efficaces1. Les lunettes étaient d’un modèle entièrement en caoutchouc, avec des oculaires en gélatine. La monture n’était pas assez rigide et les verres sortaient de leur logement quand on les mettait en place. Les ambulanciers se chargèrent alors d’introduire dans la monture des petits anneaux en fer pour rigidifier l’ensemble, mais ce sera insuffisant. Quant aux masques de feutre, leur mise en place imposait de les serrer fortement contre le visage, et les attaches des liens se rompaient fréquemment. Le 12 mai, il fut décidé d’acheter à nouveau 6 000 paires de lunettes et 6 000 masques à la maison Houzelle, à Paris.
Durant les deux mois suivant le 22 avril, l’improvisation restait de règle. Devant la difficulté de la S.T.G. de fournir la quantité de bâillons, puis de compresses à l’armée entière, chaque formation s’attachait à produire elle-même une certaine quantité d’engins de protection.
De nombreuses propositions, émanant la plupart du temps de formations sanitaires, furent adressées au G.Q.G., mais avant que la Commission des gaz asphyxiants ait trouvé son statut, aucune structure ne saura gérer ces suggestions et la Commission travailla la plupart du temps sans liaison avec le Service de Santé à l’avant, à part quelques unités, comme nous allons le voir par la suite. La production du matériel de protection par les formations de l’avant fut essentielle, même si le pouvoir protecteur de la plupart des appareils restait purement théorique, ils apportaient un réconfort moral aux combattants. La Section technique du Génie fit pourtant ce qu’elle put pour fournir bâillons et lunettes, mais l’organisation de la production était extrêmement compliqué, alors que les matières premières textiles faisaint défaut dans tout le pays. Le 23 juillet 1915, 3 mois après la première attaque au gaz, l’armée française demandait encore et de toute urgence : 530 000 cagoules, 290 000 sachets pour tampons, 135 000 tampons et 726 000 paires de lunettes ! Après l’adoption de la solution polyvalente au mois d’août 1915, le Service de Santé devait à nouveau être mis à contribution dans la fabrication des nouveaux tampons et dans la modification des lunettes. Certaines formations resteront attachées à leur singularité, et continueront à produire des appareils particuliers pour leur compte. Dès le début du mois de septembre, le G.Q.G essayera de freiner ces mesures dans le but d’une uniformisation, puis les interdira à la fin du mois d’octobre. Cette décision ne sera pourtant pas appliquée avant janvier 1916, date à laquelle les masques TN étaient alors massivement livrés.
La 10e armée fut la première à subir une attaque aux gaz puisqu’elle occupait le secteur du saillant d’Ypres le 22 avril. Elle était directement en contact avec les troupes britanniques qui occupaient aussi le secteur. C’est pourquoi elle fut choisie par le Commandement français, pour être une sorte de laboratoire d’essais et de recherches sur la protection contre les gaz. Les premiers appareils de protection récupérés, et les premiers bâillons fabriqués, lui seront envoyés en priorité, compte tenu des nombreuses attaques par vague ayant eut lieu dans ce secteur du front.
Comme nous l’avons déjà vu, le pharmacien Launoy, du laboratoire de la Xe armée, avait récupéré et analysé un tampon de protection allemand. Le 27 avril, on décida d’en produire sur place, en les copiant sur le modèle récupéré. La fabrication commença le lendemain même, à l’usine d’Auchy-les-Hesdin, puis fut transportée le 30 à Hesdin, à la Mégisserie. Le coton employé était constitué de déchets de filature trempés dans un bain à 95°C d’hyposulfite. Puis, on en pèsait 40 grammes que l’on plaçait dans des pochettes imperméables, livrées par l’intendance. En cas d’attaque au gaz, les hommes devaient prendre la boulette de coton, la serrer entre les dents et respirer au travers, tout en se bouchant le nez. Il en fut fabriqué 120 000 en 10 jours !
Le procédé n’était tout de même pas bien pratique ; il fut décidé la fabrication d’enveloppes semblables aux compresses fabriquées à Paris. Ainsi, on fabriqua des sachets, cousus sur les quatre côtés et remplis de 125 g de coton imprégné d'une solution d’hyposulfite. Un cordon était fixé aux deux angles supérieurs, et pouvait se nouer sur la nuque, maintenant ainsi le système en place. Malheureusement, le coton, à l’intérieur des enveloppes, avait parfois tendance à moisir, et les coutures empêchaient son remplacement.
On étudia un nouveau modèle, et un dispositif proposé par le sous-intendant Roux fut retenu. Le modèle, confectionné vraisemblablement au début du mois de juin, était une grande enveloppe en tulle, en forme de portefeuille, que l’on ouvrait sur le petit côté pour y placer 180 g de coton (ceci sera repris dans la confection des tampons P2 de l’intérieur). Un lacet était fixé aux deux angles supérieurs et, aux deux angles inférieurs, était cousue une boucle traversée par le lacet supérieur qui glissait dedans. Le lacet supérieur avait une longueur suffisante pour pouvoir être noué sur la bouche, après entrecroisement des deux chefs sur la nuque. Le 29 août, 764 779 compresses de ce genre avaient été fabriquées et elles resteront en service jusqu'à l’arrivée des tampons P2.
On procèda aussi à l’essai de cagoules, dès le milieu du mois de mai. Le fameux tissu utilisé par les Anglais étant introuvable, on découpa de vieilles capotes ''gris de fer bleuté'' réformées.
On fabriqua ainsi 4500 cagoules dont le port n’est pas très confortable. En effet, la chaleur s’accumulait sous le sac, et la respiration y était difficile. Puis on essaya de tailler des cagoules dans le nouveau tissu bleu clair de l’intendance (il s’agissait du tissu de la D.E.S.) de marque Rodrigue. Les résultats furent jugés excellents, mais le tissu vraiment trop cher. On chercha donc un tissu similaire, mais plus abordable et finalement, on en trouva un stock à Rouen. La fabrication des nouvelles cagoules fut confiée à un industriel privé. La coupe était plus ample, permettant de porter la cagoule par-dessus le képi. La lame de vision était réalisée en émaillite jaune, cette matière se révélant plus solide et plus résistante que celles employées habituellement. Dans la partie interne, en face des voies respiratoires, était cousue une pochette dans laquelle on enfermait le tampon, et que l’on fermait par un bouton-pression. Un cordon était cousu à l’extérieur, sur la ligne médiane, et permetait ainsi une application hermétique par serrage. La commande fut de 250 000 exemplaires qui seront entièrement livrés fin octobre. La fabrication se déroula à Hesdin où les ateliers fournissent 4 000 cagoules par jour, depuis le début du mois de septembre.
Le laboratoire de l’armée, animé par le pharmacien Launoy et le médecin Vaudremer, participa à l’élaboration de tous ces engins. Comme nous l’avons vu auparavant, ils proposèrent en octobre, un nouveau modèle de cagoule à l’oxyde de zinc qui fut essayé à petite échelle à la 10e armée.
Fin octobre, la Commission et le ministre de la guerre décidèrent d’interdire la fabrication et l’emploi de tout appareil non réglementaire, sans autorisation de la Commission. Les ateliers de fabrication dont s’occupait le Service de Santé furent dissous.
Le commandant du 36e C.A. et de la région fortifiée de Dunkerque, le général Hely d’Oissel, fut favorable à l’étude et à l’élaboration sur place d’appareils de protection. En effet, depuis l’arrivée des premiers bâillons à la fin du mois d’avril, livrés sans sachets de protection, il souhaita que la confection de ceux-ci soit réalisée par le Service de Santé rattaché à son unité.
Le 25 mai 1915, à la suite d’une attaque au gaz les 23 et 24 mai sur les positions anglaises et celles du 36e C.A., il chargea le pharmacien major Didier de procéder à des dégagements de chlore en intérieur, exercices auxquels tous les hommes et tous les officiers devaient participer dans le but de démontrer l’efficacité des bâillons et des lunettes. En effet, il sembla que beaucoup d’hommes n’aient pas appliqué leur masque pendant l’attaque au gaz, le croyant inefficace. Cette mesure fut rendue obligatoire dans toute l’armée, mais seulement plusieurs mois plus tard.
Didier proposa, dès la fin du mois de mai, de remplacer le coton des bâillons par plusieurs couches de gaze qui laissaient plus facilement passer l’air et permettaient de respirer au travers, tandis que l’ouate imbibée ne le laissait passer qu’à la périphérie. Il proposa aussi de remplacer les deux liens des bâillons par deux élastiques se fixant derrière les oreilles. Cela permettait en effet d’appliquer l’appareil très rapidement. Ses propositions furent acceptées, et les bâillons fabriqués furent désormais confectionnés selon ses vœux. Un anneau en tissu élastique était fixé de chaque côté et ajusté pour chaque homme par le service médical de son régiment.
Le 30 mai, le médecin en chef proposa au commandant du 36e C.A., après avoir reçu des instructions de Paris, de porter les dimensions des masques à 20x15 cm. Il expliqua que le pharmacien de son laboratoire (Didier) préconisait un masque uniquement constitué par plusieurs couches de gaze. Quant à lui, il préfèrait maintenir à la partie centrale une lamelle de coton hydrophile, un transfilage sur les bords la retenant étalée.
Didier préconisa un système d’attaches constitué par deux liens élastiques, l’un fixé aux angles inférieurs et l’autre aux angles supérieurs. Enfin, il souhaitait que la confection soit réalisée cette fois-ci par un atelier de l’arrière, plutôt que par les ambulances de la brigade.
Le modèle fut enfin arrêté au début du mois de juin, au laboratoire de bactériologie et de chimie du 36e C.A., avec l’aide du pharmacien Javillier. Il reprit les caractéristiques qui avaient été énoncées, avec une enveloppe formée de 8 pans doubles de gaze, retenus par un ourlet. La garniture intérieure fut formée de 10 g d’étoupe, maintenue étalée dans la partie centrale par un capitonnage. Enfin, la fixation était assurée par deux cordons élastiques. Le 14 juin, un rapport fut envoyé au ministre de la Guerre avec une description de la compresse du 36e C.A., ainsi que celle du respirateur Cadroy-Javillier dont il a déjà été fait mention. Le marché fut passé auprès d’un industriel et les fabrications débutèrent alors. L’idée d’utiliser les compresses plutôt que l’étoupe sera discutée à la Commission à Paris, et sera retenue pour la confection des tampons à la fin du mois de juillet 1915.
C’est au début du mois de juin que les premières cagoules fabriquées par l’intérieur arrivaient au 36e C.A.. Seulement 8 000 exemplaires furent livrés, alors qu’on estimait sur place, qu’il en fallait un minimum de 50 000. Ce nombre étant insuffisant pour doter chaque homme d’une protection, la dotation fut collective et les cagoules restèrent en première ligne où les troupes se les repassaient à la relève. La livraison et l’imprégnation de ces appareils incombèrent au Service de Santé qui mit en place un laboratoire spécialement dédié à cet usage. Les cagoules reçues étaient de mauvaise qualité et bien inférieures aux modèles anglais. Leur protection était faible, le port gênant, la plaque de vision se déplaçait devant les yeux et se couvrait de buée, rendant la vision impossible. Les premiers tampons livrés, du modèle du 36e C.A., se révèlèrent eux aussi décevants. La mise en place sur le visage par les élastiques était certes rapide, mais la fixation était si légère que le tampon se déplaçait alors facilement ; il n’etait alors jamais suffisamment plaqué sur le visage pour empêcher les gaz de passer sur les bords. Une instruction fut diffusée pour l’usage des tampons, précisant qu’il fallait, après les avoir appliqués, se boucher le nez avec une main et maintenir en même temps le tampon contre le visage de façon hermétique, tout en respirant par la bouche. Le fantassin perdait l’usage d’une main, et on imaginait difficilement, dans la panique d’une attaque par les gaz, comment les hommes pourraient alors faire usage de leurs armes ou comment les gradés pourraient passer un commandement…
Une solution fut rapidement recherchée et le 17 juin, les 20 premiers respirateurs Cadroy-Javillier essayés. L’expérience était prometteuse mais la production du respirateur particulièrement lente à démarrer et il fallut trouver une autre solution en attendant. C’est ainsi que le 36e C.A. réussit, par on ne sait quel miracle, à se faire céder par les Anglais 30 000 de leurs cagoules, au début du mois de juillet, alors que le gouvernement français tentait à tout prix de se faire livrer le fameux tissu qui servait à les fabriquer. 13 000 furent distribuées au groupement de Nieuport et 15 700 au groupement sud. Désormais, pour les éléments actifs, la dotation en cagoule fut personnelle. L’imprégnation était réalisée par des ateliers de la D.E.S.1 et des cagoules témoin y étaient gardées pour apprécier leur état de conservation. Si elles venaient à se dessécher trop rapidement ou à pourrir dans leur enveloppe, on le savait rapidement de façon à intervenir.
Début juillet, une importante commande de 10 000 cagoules fut passée à un industriel de Boulogne-sur-Mer, monsieur Wertheimer, qui possèdait une étoffe très proche de celle utilisée par les Anglais. En effet, le 36e C.A. avait décidé de n’utiliser à terme que des cagoules et des respirateurs Cadroy-Javillier, et le déficit était encore de 40 000 unités, alors que 34 000 cagoules étaient déjà en service.
Puis, début août, les 1000 premiers respirateurs Cadroy-Javillier furent livrés et enfin mis en service. Javillier se mit au travail pour transformer son appareil en appareil polyvalent et cherchait également une solution pour les cagoules polyvalentes. Le 17 août, il proposa d’imprégner la tourbe du respirateur avec du ricinate de soude (protection contre les lacrymogènes et le chlore), du sulfate de fer et de cuivre (censé protéger contre les dérivés cyanés) et un mélange d’hyposulfite, de carbonate et de sulfanilate de soude (protection contre le phosgène). Ce procédé fut adopté pour tous les respirateurs qui entraient en service. Pour les cagoules, il proposa de les tremper en premier lieu dans une solution de sulfanilate, puis après séchage, de les tremper dans une solution de ricinate de soude. Ce système confèrait, d’après lui, une protection contre le chlore, le phosgène et les lacrymogènes.
La Commission de protection essayera la formule, mais la refusera, car la respiration devenait fort difficile au travers de l’étoffe et la valeur protectrice était diminuée1. Enfin, le sulfanilate étant difficile à se procurer, Javillier le remplaça par du phénate de soude qu’il obtint en ajoutant de l’acide phénique à de la soude en solution aqueuse.
Le 31 août, le 36e C.A. reçut 10 000 cagoules ricinées de l’E.C.M.C.G. et 5 000 lunettes. Il reçut également, quelques jours plus tard, 27 000 nouvelles lunettes matelassées et 10 000 anciens modèles à transformer avec le molleton Bertrand. 12 000 respirateurs furent également reçus et une commande de 14 000 supplémentaires immédiatement passée.
Les cagoules de l’E.C.M.C.G. paraissant de mauvaise qualité, on procèda à des essais en atmosphère gazeuse. A la grande surprise des expérimentateurs, elles se révèlèrent complètement inefficaces contre le chlore et le bromure de benzyle ! Le 7 septembre, on décida de les réimprègner et de les essayer à nouveau. Mais finalement, on dut se résoudre à les refuser, car le tissu qui les constitué était beaucoup trop fin pour retenir une quantité suffisante de matières absorbantes, leur volume étant trop faible et la confection n’etant pas particulièrement soignée. Quant aux cagoules de Wertheimer, la commande avait pris un certain retard car l’industriel n’arrivait pas à se procurer des verres avec monture en fer, du modèle que les Anglais utilisaient.
La situation du 36e C.A. restait donc assez délicate, car le nombre d’appareils de protection efficaces était vraiment insuffisant pour en équiper tous ses hommes. Situation nettement agravée le 20 octobre, la Commission de protection décidant de retirer les respirateurs Cadroy-Javillier. Le 14 octobre, arrivaient les compresses C2 et C3 envoyées par Paris et destinées à garnir les tampons pour les rendre polyvalents ; seulement, personne ne s’y attendait et aucune enveloppe de tampon P2 n’avait été préparée !
De toute urgence, la confection fut assurée par le Service de Santé et les premiers tampons furent distribués par la suite. Le médecin major de première classe Pinot, qui n’avait aucune confiance dans les envois de l’E.C.M.C.G., procèda à l’analyse des constituants des compresses, puis enfin, à des tests de protection contre les différents gaz contre lesquels elles étaient censées protéger. Il conclut que la protection chimique semblait satisfaisante, mais que la mise en place du tampon était beaucoup trop difficile. Par conséquent, il décida que les hommes devaient conserver leur cagoule, même s’ils étaient dotés du P2. En outre, 40 000 compresses avaient été reçues, accompagnées de seulement 10 000 paires de lunettes.
La situation n’évolua guère jusqu’au 20 décembre, date à laquelle les Anglais, suite à une attaque allemande au phosgène, livrèrent 25 000 de leurs cagoules au 36e C.A.. Elles furent distribuées aux hommes les plus exposés sur le front. A cette même date, une proposition de modification des anciennes cagoules était envoyée à la Commission de protection à Paris pour y être observée. En effet, les modifications des appareils de protection étaient désormais interdites sans autorisation. Il s’agissait de coudre à l’intérieur des cagoules un tampon P2, coupé en deux dans le sens de la largeur, et de fixer les deux chefs à l’extérieur de la cagoule, au niveau des coutures latérales du tampon, pour permettre de serrer le tampon contre les voies respiratoires. La transformation permettait d’appliquer rapidement le tampon et d’éviter toute fuite, en cas de mauvais ajustage. La Commission donnera son autorisation, mais les ateliers de fabrication étant disloqués, les modifications ne seront pas très nombreuses car les nouveaux masques T, puis TN arrivaient. Le 3 avril 1916, tous les appareils autres que les masques TN furent renvoyés à l’arrière, et les premiers masques M2 s furent expédiés 10 jours plus tard.
Le 12 mai 1915, la 3e Division d'Infanterie Coloniale (D.I.C.) faisant partie du 1er Corps d'Armée Colonial (C.A.C.) reçut les premiers bâillons de protection envoyés de Paris, au nombre de 1500... Le Service de Santé se mit immédiatement au travail pour en confectionner rapidement de nouveaux et pour fabriquer aussi des cagoules avec de vieux draps et des couvertures hors-service. Le 25 juin, le 1er C.A.C. reçut des ''pochettes à étoupe'' en caoutchouc, remplies d’une simple boulette d’étoupe, sans aucune enveloppe. Les hommes du Service de Santé, s’armèrent à nouveau d’aiguilles et de fil pour transformer ce douteux cadeau en compresses neutralisantes. Ils réussirent également à se procurer 90 mètres de tulle blanc, à mailles assez serrées, 1800 mètres de tresse de 1,5 cm de largeur, une douzaine de pelotes de fil blanc, et la confection commençait.
Devant cette situation, le médecin aide-major Leclercq, médecin-chef du centre médico-légal du Groupe d’Armée du Nord à Châlons-sur-Marne, chercha à mettre au point, au cours du mois de juillet, un masque complet, s’appliquant rapidement sur le visage. Avec l’aide du commandant du Génie du 1er Corps d’Armée Coloniale, le commandant Dehoey, il imagina une demi-cagoule, constituée d'un tissu étanche caoutchouté, qui recouvrait uniquement le visage et l’arrière de la tête. L’étanchéité était assurée par un élastique qui faisait le tour du bord de l’appareil. La vision était assurée par deux plaques transparentes cousues, et la filtration de l’air se faisait au travers d’une serviette de tissu-éponge, pliée en deux épaisseurs et fixée au niveau des voies respiratoires. La respiration pouvait s’effectuer facilement à travers cette étoffe, car sa structure permettait à l’air qui le traversait de passer au contact du plus grand nombre de fibres textiles, et donc de réagir au maximum avec la solution neutralisante. Les premiers masques furent fabriqués pour le début du mois d’août et furent donc imprégnés de la nouvelle solution neutralisante à l’huile de ricin. Puis, une nouvelle commande de 50 000 unités fut à nouveau passée dès le début de septembre. Pour les rendre polyvalentes, les compresses C2 et C3, destinées à équiper les tampons P2, furent simplement disposées sur le tissu éponge et fixées par une simple couture, cela dès l’arrivée de ces compresses dans les corps de troupe.
Masque Dehoey-Leclercq ou masque colonial - Collection du MSA.
Le masque Dehoey-Leclercq plut immédiatement, en premier lieu à la 4e armée, dont le 1er C.A.C. faisait partie. Celle-ci commanda directement auprès d'un confectionneur dans le commerce, 250 000 masques de ce type, que l’on appelait encore demi-cagoules. D’ailleurs, la simplicité de son système et la rapidité de sa mise en place semblaient le destiner à un succès commercial, car, rapidement, il apparut sous forme de nombreuses copies, et notamment dans plusieurs grands magasins parisiens. Pourtant, la Commission des gaz asphyxiants avait rejèté le masque, ce dès le 3 septembre 1915 car, d’après elle, la présence d’élastiques qui en assuraient l’étanchéité, le rendait inapte à s’adapter à tous les types de visages.
A partir du mois d’octobre 1915, les demi-cagoules en tissu étanche avec tampon en tissu-éponge, se trouvaient dans tous les magasins proposant ce genre d’accessoires. La Commission en étudia quelques unes, mais les rejetta toutes : masque Renouard, masque de la Motte Saint Martin, masque Wayler, masque Dupuy, masque Baraton et Goutier, masque F. Riche, masque Brunswick…
Au début du mois de novembre 1915, devant le nombre croissant d’appareils proposés dans le commerce, dont l’efficacité était souvent douteuse, voire même nulle, le G.Q.G. décida d’interdire l’usage d’appareils de protection autres que ceux préconisés par la Commission de protection. En effet, la perspective de commandes juteuses de plusieurs milliers d’exemplaires suscitait chez de nombreux industriels et confectionneurs, un débordement d’imagination qui n’avait d’égal que leur soif de profit.
Les formations qui avaient adopté des appareils de leur conception ou du commerce, ne l’entendait pas ainsi. De nombreuses concessions seront faites pour continuer à autoriser ces masques qui se montraient parfois complètement inefficaces. Ainsi, le 25 novembre 1915, sur l’insistance du G.Q.G. et du Général de Langle de Cary, commandant la 4e armée, la Commission procéda à un nouvel essai des masques du 1er C.A.C. et des masques de la 4e armée. Les six premiers expérimentateurs entrèrent dans une chambre remplie de 1 litre de chlore par m3, munis du masque Dehoey-Leclercq. Quatre sortirent après 3 minutes de séjour, fortement incommodés… Puis, six autres candidats entrèrent dans la même chambre, mais avec des masques de la 4e armée. Cette fois, pas un seul ne pu y rester plus de 1 minute ! L’expérience se révèla catastrophique et la Commission transmit ses résultats au G.Q.G. ; en dépit de toute logique, ces masques vont rester en service, et pire encore, 80 000 de ceux-ci vont être distribués au 2e corps de cavalerie de la 4e armée, grâce à l’appui du Général de Castelnau. Il faudra encore quelques mois pour que les conclusions de la Commission de protection de l’I.E.E.C. soient appliquées.
Il fallut attendre la généralisation du tampon P2 pour que l’on s’aperçoive que son mode d’attache était défectueux. Seule une personne bien entraînée pouvait l’ajuster convenablement sur le visage et éviter le passage d’air à sa périphérie. Pour remédier à ce problème, de nombreuses propositions furent adressées à la Commission de protection mais, jugées toutes imparfaites, aucune ne fut adoptée. La séparation de la protection des voies respiratoires et des yeux dans la conception des appareils respiratoires, qui pourtant augmentait le temps de mise en place, ne fut pas remise en question avant la fin l’année 1915.
Le 28 novembre 1915, le pharmacien major Labesse, chef du laboratoire de toxicologie de la 41e Division d’Infanterie (appartenant à la 7e armée), proposa une modification des tampons P2 qui faillit être adoptée par la Commission. Finalement, on lui préféra un système proposé par Lebeau qui consistait à plier le tampon en deux pour obtenir une sorte de masque T dont nous parlerons plus loin.
Le 28 novembre, un rapport fut transmis au Commandant en chef ainsi qu'un exemplaire du masque. Le pharmacien Labesse, qui était chargé de pratiquer les exercices de démonstration du masque auprès des hommes, fut frappé par la difficulté que ceux-ci avaient pour adapter lunettes et compresses en un temps relativement court. Son masque permettait de réduire considérablement le temps d’application, et rendait l’ensemble stable, sans risque de déplacement du tampon. Comble d’ingéniosité, il était confectionné avec des matières de récupération et ne demandait pas beaucoup de temps pour être assemblé. La Commission rejeta le masque, mais autorisa, le 6 décembre, la modification qui consistait à réunir cagoules et tampons. On suppose donc que le masque Labesse fut réalisé et employé dans la 41e division, mais rien ne permet de l’affirmer à ce jour.
Le pharmacien aide-major de 2e classe Piedalu, qui était particulièrement imaginatif, proposa, dès le début du mois de mai 1915, un masque de son invention contre les gaz asphyxiants. Il en fit part au Gouverneur de la place de Verdun, le Général de division Coutanceau qui, séduit par cette idée, ordonna le 10 mai 1915 au Service de l’intendance de se mettre en relation avec le Service de Santé pour organiser la fabrication d’un lot de 10 000 masques de ce genre.
Le masque était confectionné en molleton, imprégné de la solution neutralisante d’hyposulfite, et possèdait la particularité de réunir la protection des yeux et celle des voies respiratoires. Il était garni pour cela d’œillères, en mica ou en Celluloïd, et se fixait sur le visage au moyen d’un double ruban élastique qui passait derrière les oreilles. Cette mesure provisoire devait permettre de fournir une protection aux combattants en première ligne, en attendant la livraison des ''sachets individuels'' annoncée par le GQG.
Le 2 juin 1915, alors que 12 500 masques avaient été fabriqués, 800 cagoules ainsi que 60 000 bâillons furent réceptionnés, en provenance de l’intérieur. Le nombre d’engins de protection alors disponible restait cependant insuffisant. Le 18 juillet 1915, le médecin principal Bilouet, directeur du Service de Santé de la place de Verdun, ordonna la confection de 10 000 masques supplémentaires du modèle Piedalu. Le travail fut réalisé, comme la première fois, par un entrepreneur de blanchissage à Verdun, monsieur Blanchard.
Dans le courant du mois de septembre, le Secteur Nord de la Région fortifiée de Verdun reçut enfin plusieurs lots du nouveau matériel de protection (tampons P2 et lunettes sur molleton riciné). Mais, à la grande consternation des membres du Service de Santé, leur qualité fit craindre, quant à la protection qu’ils devaient apporter. En effet, les lunettes étaient si fragiles qu’elles se détérioraient à la moindre manipulation et perdaient leur étanchéité. C’est ainsi qu’il fut décidé d’organiser un atelier de réparation et d’amélioration de ce matériel.
Le travail fut dirigé et surveillé par le pharmacien aide-major de 1ère classe Rodier. Il s’entoura d’une équipe de 12 hommes, appartenant aux deux groupes de Brancardiers divisionnaires du S.N.R.F.V.[1] , comprenant un ferblantier et trois tailleurs. L’atelier s’installa dans un des pavillons inoccupés de l’hôpital n°13 de Verdun, où fonctionnait déjà un centre d’instruction pour l’emploi des appareils respiratoires, en exécution de la note émanant du Général commandant la région, en date du 31 août 1915. Ce voisinage permit d’expérimenter, dans des atmosphères saturées de gaz, l’efficacité des modifications apportées par l’atelier de réparation.
Grâce aux recherches de Rodier, on modifia les lunettes, en encollant sur le bord de la plaque de mica une rondelle de carton et en l’enduisant d’une substance étanche, mise au point par Rodier. De cette façon, les 22 000 paires de lunettes du S.N.R.F.V. furent modifiées. Mais les recherches de Rodier ne s’arrêtèrent pas là. Les 22 500 masques Piedalu avaient été reconnus défectueux car ils ne s’appliquaient pas de façon correcte au visage. L’achat de ces masques avait représenté une somme importante et Rodier essaya d’en récupérer une partie, en transformant les masques devenus inutilisables en lunettes. Rodier expliquait la façon de procéder : «Une fente verticale, pratiquée en suivant la couture qui part du menton et s’arrête au niveau du nez, divise en deux la partie inférieure du masque. Puis, au moyen d’un pli médian et vertical qu’on pique à la machine à coudre, on rapproche les deux œillères de mica dont l’écartement trop grand était une gêne sérieuse pour la vision. ». Pour renforcer les œilletons, il plaçait un bout de tissu rectangulaire, percé de deux ouvertures circulaires, sur la face interne du masque. Le tissu nécessaire à l’opération était récupéré sur l’enveloppe des sachets des petits baîllons et le bord était enduit d’une substance collante, assurant une parfaite étanchéité. Le molleton était ensuite riciné. Cet excellent modèle de lunettes fut essayé dans des atmosphères saturées de brome, de chlore et de bromure de benzyle. La protection fut jugée parfaite et les lunettes furent distribuées sitôt leur confection effectuée. L’atelier s’occupa aussi de réparer le matériel de protection de toutes sortes, détérioré sur le front. Non seulement il permit de rendre bien plus efficace une partie de ce matériel, mais il contribua à réaliser de substantielles économies.
1 D’après le rédacteur du rapport.
1 Direction des Etapes et Services ; il s’agit de l’intendance.
1 Ce procédé de protection sera adopté par les anglais pour l’imprégnation de leurs cagoules.
[1] Secteur Nord de la Région Fortifiée de Verdun.
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