En permanence, chaque belligérant cherchait à accroître l'efficacité de ses systèmes d'armes chimique. Les conditions d'utilisation, les moyens techniques, les vecteurs de dispersion, la nature des substances chimiques étaient en permanence modifiés et en constante évolution. Progressivement et à partir de 1916, l'artillerie chimique prenait le pas sur les autres techniques. Le vecteur de dissémination, la munition d'artillerie, fut profondément modifié pour être adapté à ces nouveaux chargements, toujours dans l'objectif de rendre les substances agressives plus efficaces et donc plus meurtrières. Parallèlement, les substances chimiques utilisées étaient de plus en plus toxiques, toujours dans l'objet de multiplier la puissance des projectiles non conventionnels.
Depuis l'utilisation des obus français chargés en phosgène et de leur surprenante efficacité, à la fin de l'année 1915 ou au début de 1916 (voir Substances dans Agression), la course à l'innovation technique et à la toxicité des agressifs ne devait pas s'affaiblir. De nouveaux toxiques furent utilisés dans l’année 1916. Le 1er juillet 1916, durant l’offensive de la Somme, les Français utilisèrent un nouvel obus spécial chargé en acide cyanhydrique1. Ce mélange leur parut très efficace, le toxique agissant expérimentalement très rapidement et étant capable d’entraîner la mort avant que le masque ne soit mis. L’usage de la Vincennite se généralisa donc dans les armées françaises.
En réalité, son effet fut probablement surévalué car la grande volatilité du mélange provoquait une dilution trop rapide de l’acide cyanhydrique avec l’air et celui-ci perdait alors sa forte toxicité ; le problème fut cependant en partie résolu par l'application de techniques de tir extrêmement précises (voir : Doctrine d'utilisation de l'artillerie chimique). Déjà dès le début de la bataille de Verdun, et à partir de l’offensive franco-britannique de la Somme, l’usage des gaz de combat commençait à se développer. Les quantités de toxiques dispersées par l’artillerie étaient de plus en plus importante en comparaison aux mois précédant, mais leur utilisation restait encore anecdotique. Si la dispersion par munition semblait devoir prendre une place de plus en plus importante, le nombre d'opérations appuyés par des tirs chimiques restent minime. A la fin de l’année 1916, le phosgène reste le toxique le plus efficace aux mains des Alliés.
Les Allemands utilisaient également le phosgène chargé en projectile depuis la nuit du 28 au 29 novembre 1916. Ils avaient décidé pendant l’été et après le succès de l’utilisation de leurs obus à croix verte, d’augmenter l’utilisation d’obus toxiques. L’utilisation de phosgène, gaz très toxique, ainsi que celle de la surpalite se développe donc au début de 1917, ces gaz étant répandus uniquement à partir d’obus toxiques et de projectiles de Minenwerfer. Cependant, les effets ne sont pas ceux escomptés car la protection s’est beaucoup développée et ces nouveaux gaz ne mettent pas les appareils de protection en défaut. Aucun résultat notable n'est obtenu sur le champ de bataille par l'utilisation de ces composés.
A partir du mois d’avril 1917, les Allemands utilisent un nouveau mélange tiré par des obus de 77 mm marqués d’une croix verte et d’un numéro 1. Le mélange est composé de surpalite et de 35% de chloropicrine. Ce nouveau toxique a déjà été utilisé par la Russie en 1916. La chloropicrine possède un effet lacrymogène rapide et violent et des propriétés suffocantes proches de celles du phosgène. Mais surtout, elle est difficilement retenue par le masque M2. A partir du mois d’avril, l’usage d’obus et de mines toxiques par les Allemands devient très fréquent sur le front. Une fois de plus, l’utilisation de ces nouveaux toxiques ne permit pas aux Allemands d’obtenir un quelconque avantage.
C’est aussi au début du mois d’avril 1917 que les Anglais utilisèrent pour la première fois un moyen d’émission redoutablement efficace. Il s’agissait d’un mortier rudimentaire lançant des bombes chargées en toxique à plusieurs kilomètres de distance. Cet appareil, nommé lanceur Livens, du nom de son inventeur ou encore projector, était constitué par un tube d’acier de 21,5 cm de diamètre interne et de 5 cm d’épaisseur, fermé et arrondi à son extrémité inférieure. Pour la mise en place, on enterrait le tube, lequel reposait sur une plaque d’appui et on inclinait l’ensemble vers 45°. La mise à feu était électrique et permettait d’actionner plusieurs lanceurs simultanément. La bombe vide pesait 15,5 kg et pouvait contenir 11 kg de toxiques. Le projector permettait de créer, en un point précis des lignes ennemies, un nuage toxique très concentré (jusque 13 kg par mètre carré) grâce à l’utilisation de plusieurs centaines de tubes.
Cette concentration de toxique rendait l’utilisation des masques presque inutile car ceux-ci se trouvaient rapidement saturés. L’effet de surprise était maximal : après la détonation de départ, les mines tombaient sur l’adversaire 15 à 20 secondes plus tard. Ernst Junger, dans son ouvrage ‘’Orage d’acier’’ relate l’utilisation des projectors : « Nous avions, par contre, le désagrément de fréquentes attaques par mines à gaz, qui nous causaient de nombreuses pertes. Elles étaient projetées par plusieurs centaines de tubes de fer, enfouis dans la terre, et qui se déchargeaient au moyen d’une commande électrique, en une seule salve flamboyante. Dès que cette bande de feu s’élevait, on annonçait l’alerte aux gaz, et celui qui n’avait pas mis son masque lorsque pleuvaient les mines passait un mauvais quart d’heure. A certains endroits, le gaz arrivait presque à la densité absolue, de sorte que le masque même ne servait plus à rien, faute d’oxygène qu’on pût respirer. C’est ainsi qu’il fit beaucoup de victimes ».
A partir du 4 avril 1917, les Anglais utilisent leurs lanceurs Livens sur de nombreuses parties du front. Les Français l’utilisent à leur tour à partir d’octobre 1917 (voir les détails de ces opération : Compagnie Z 31/1). Les Allemands s’empressèrent de copier ce procédé si efficace et si peu coûteux. Leur version, le gaswerfer 17, fit son apparition sur le front italien le 24 octobre 1917. Il tirait une bombe de 180 mm remplie de toxique. La première apparition sur le front occidental date de la nuit du 5 décembre 1917 à Réchicourt, au nord de l’étang de Paroy (Meurthe-et-Moselle). L’utilisation du projector ne cessera de s’amplifier jusqu'à la fin du conflit. Chez les Allemands, la redoutable efficacité de ce mode de dispersion mit fin au procédé d’émission par vague.
Ainsi, les Allemands semblent perdre l’avantage qu’ils avaient obtenu dans l’escalade de la guerre chimique depuis l’apparition du lanceur Livens. Cependant, ils ne tarderont pas à utiliser un nouvel agressif leur permettant de reprendre le dessus. On sentait le besoin d’une nouvelle munition d’attaque particulièrement efficace et en même temps d’une munition toxique de défense. Pour la contamination durable d’un terrain, le chimiste allemand Victor Meyer avait réussi dès 1886 la synthèse d’une substance, le sulfure d’éthyle dichloré, qui provoquait chez les personnes le manipulant des lésions cutanées inflammatoires gravissimes qui se déclaraient seulement plusieurs heures, voire plusieurs jours plus tard. Le procédé de Meyer utilisait la chlorhydrine du glycol comme matière première ; ce corps était le point de départ de la synthèse de l’indigo, matière colorante, ou de l’alcool phényléthylique, parfum synthétique, et était fabriqué industriellement en Allemagne. En réalité, le sulfure d’éthyle dichloré avait déjà été préparé en 1822 par le physicien français Despretz par réaction de l’éthylène sur le chlorure de soufre. Puis, en 1860, Niemann reprit ces travaux, mais il considéra le produit comme une combinaison mal définie et stoppa ses études. En 1916, Moureu1, du côté français, en prépara une petite quantité selon ce même procédé, mais le Matériel chimique de guerre avait renoncé à son usage militaire, considérant sa grande difficulté de préparation.
Dans l'objectif d'utiliser une substance chimique aux effets remarquablement retardés, les chimistes allemands décidèrent d'utiliser l'Ypérite (pour plus de détails : Ypérite).
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1917, dans le secteur d’Ypres2, les Allemands lancèrent ainsi une attaque surprise et utilisèrent les nouveaux obus toxiques marqués d’une croix jaune et chargés de sulfure d’éthyle dichloré ou Ypérite. A l’explosion, aucune fumée suspecte et aucun nuage n’apparaissaient. Les hommes n’observèrent aucun symptôme, juste une légère odeur piquante comparable à celle de la moutarde ou du raifort. Certains suspectèrent une faible coloration jaune du paysage avoisinant et appliquèrent leur masque. Puis, au bout de quatre heures, voyant leurs camarades non protégés se porter aussi bien qu’eux et supposant que, s’il y avait bien un agressif dans ces obus, son effet avait disparu, ils l’enlevèrent. Ceux qui n’avaient pas mis leurs masques devenaient aveugles au bout de huit heures, les autres quelques heures plus tard. Puis, tous présentèrent des brûlures à différents endroits du corps. Tous les hommes présents sur le lieu de l’attaque furent intoxiqués, puis tous ceux qui traversèrent le terrain infecté. Le nombre d’évacués fut très important, mais contre toute attente, peu d’entre eux moururent. Les intoxiqués recouvrèrent la vue puis guérirent lentement en plusieurs semaines.
Cet effet infernal de l'Ypérite, son pouvoir vésicant, n'avait pas été exactement l'objet de son utilisation, il était plus ou moins fortuit car c'est son effet retardé qui était surtout recherché. Effets retardés et pouvoir vésicant rendant le masque à gaz superflu et devaient changer à jamais les conditions de combat en terrain infecté.
Les Allemands possédaient maintenant un redoutable avantage sur leurs adversaires. L’ypérite ne faisait que peu de mort chez les intoxiqués, mais le temps de l’organisation de la défense contre ce gaz allait permettre aux Allemands de faire fondre les effectifs de leurs adversaires. Ils allaient mettre en place une tactique d’utilisation de leur nouvel agressif qui leur permettait de créer comme une barrière invisible et infranchissable en contaminant certaines zones du champ de bataille. La persistance de l’ypérite, qui pouvait dépasser une semaine, se prêtait particulièrement à cet usage. Si les masques protégeaient de ses effets sur l’appareil respiratoire, ses propriétés vésicantes ne pouvaient alors être mises en défaut par aucun moyen de protection. Elle pouvait établir des flanquements3 le long d’un axe d’attaque, réduire au silence les batteries ennemies, mais aussi les observatoires, les postes de commandement, les nids de mitrailleuses. En défense, elle pouvait ralentir les poursuivants en créant derrière les troupes en retraite des barrages toxiques. Dans les mois suivants, les Allemands employèrent leurs obus à croix jaunes à grande échelle pour repousser les attaques des deux côtés de la Meuse, réduisant toutes les tentatives de percée des Alliés. Le nombre très élevé des gazés faisait fondre les effectifs et des renforts de plus en plus importants étaient nécessaires. D’après Hanslian, les pertes des alliés par l’ypérite furent huit fois plus élevées que toutes les autres pertes provoquées par les autres gaz.
Parallèlement à l’utilisation de l’ypérite, les Allemands introduisent sur le champ de bataille dans le secteur de Nieuport, la nuit du 12 au 13 juillet, les premières arsines chargées dans des obus à croix bleue. Il s’agissait de diphénylchloroarsine, un produit solide qui nécessitait une charge explosive suffisante pour assurer la mise en aérosol du produit. Celui-ci était contenu dans une bouteille en verre noyée au milieu de l’explosif dans le corps de l’obus. Le produit, pulvérisé par l’explosion de la charge, se transformant momentanément en vapeur grâce à la chaleur dégagée, était susceptible de traverser les filtres des masques protecteurs. Ses effets incapacitants et sternuatoires devaient alors rendre intolérable le port du masque. Utilisé avec d’autres toxiques, ses effets devaient être redoutables.
En fait, l’explosion de la charge explosive détruisait une forte partie de l’agressif et la valeur des nouvelles munitions n’était pas à la hauteur de ce que l’on attendait. Les Allemands allaient bientôt les utiliser selon un procédé posé par leurs plus éminents spécialistes en artillerie. Ils étaient alors utilisés simultanément avec des obus suffocants marqués d’une croix verte ou persistants marqués d’une croix jaune, ce qui valut à la zone infectée de porter le nom de ‘’zone bariolée’’. C’est d’ailleurs dans le but de n’utiliser qu’un seul type de munitions qu’apparaît, en août 1917, un nouveau projectile baptisé ‘’croix verte 2’’, renfermant un mélange de 60% de phosgène, 25% de surpalite et 15% de diphénylchloroarsine. Puis en septembre 1917, les obus à croix bleue seront modifiés en augmentant la charge explosive. La pulvérisation de l’arsine devait s’en trouver améliorée et l’obus avait en plus un pouvoir brisant supérieur. A la fin de l’année, au mois de novembre 1917, une nouvelle arsine fait son apparition : la dichlorophénylarsine, vésicante à l’état liquide et chargée dans des obus baptisés ‘’croix bleue 1’’. C’est un liquide qui, sous forme de vapeurs, est incapacitant et provoque des vomissements. A forte concentration et à l’état de vapeurs, son action vésicante provoque des lésions cutanées qui se manifestent sous forme de cloques et de brûlures. Ce nouveau toxique provoqua une vive émotion chez les Alliés, car il devenait momentanément plus redoutable que l’ypérite qui ne provoquait que rarement la mort.
Jusqu'à la fin de l’année 1917, le solvant de l’ypérite utilisé dans les obus à croix jaune ne permettait pas une bonne vaporisation du produit, de telle sorte que l’action du toxique s’exerçait principalement par voie transcutanée. Ce problème était d’autant plus marqué que les munitions toxiques avaient la fâcheuse tendance, pour des problèmes de conception et de déclenchement du détonateur, à n’exploser qu’une fois enfoncées dans le sol. Ainsi, le toxique se répandait plutôt dans le sol qu’il ne se disséminait dans l’air. Pour remédier à cet inconvénient, un solvant plus volatil, le chlorobenzène, sera utilisé simultanément avec une charge explosive plus importante. Cette charge était composée d’un explosif particulièrement puissant, l’amatol, disposé à l’avant de l’obus. Au moment de l’explosion, la charge faisait sauter le culot de l’obus, et dispersait son contenu dans l’atmosphère. Désormais, la fine dispersion dans l’air associée à une concentration plus élevée permettait à l’ypérite d’atteindre le fond des alvéoles pulmonaires. Son action vésicante brûlait alors la paroi des alvéoles et exposait le malheureux intoxiqué à de graves lésions pulmonaires irréversibles, entraînant fréquemment la mort après parfois plusieurs semaines d’une lente agonie. Cette modification de la munition, améliorant son effet, se faisait tout de même au détriment de la persistance du produit sur le terrain. Par contre, le nouveau solvant masquait l’odeur de l’ypérite et l’augmentation de la charge explosive rendait alors indiscernable à l’oreille la différence entre un obus toxique et un obus classique. Les Alliés avaient lancé toutes les recherches nécessaires pour la protection contre ce terrible gaz ainsi que sur sa production industrielle, cela dès l’apparition de l’ypérite en juillet 1917. Seulement, à la fin de la même année, ces recherches n’avaient pas encore abouti. Au début de l’année 1918, l’avantage penche irrésistiblement du côté allemand.
A cette date, l’armée allemande possède encore tout son potentiel de combat et son moral est excellent. Les Alliés, par contre, se sont épuisés durant les quatre années de guerre dans des offensives qui ont toutes échoué devant les solides positions défensives allemandes. L’année 1917 et l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames finit de mettre à mal le moral français. Pétain prend la place de Nivelle et lentement la confiance réapparaît. Mais l’armée française reste hors de combat pour plusieurs mois et ce sera l’armée anglaise qui supportera les offensives en 1917 de manière à empêcher l’Allemagne de porter un coup décisif à la résistance française. Le 3 mars 1918, l’armistice entre l’Allemagne et la Russie vaincue est signé à Brest-Litovsk. L’Allemagne peut récupérer 35 divisions et plus d’un millier de canons alors immobilisés sur le front russe, lui conférant alors l’avantage numérique sur les Alliés. Cette victoire semble être le prélude pour les Allemands à une autre sur le front ouest ; leur moral est au plus haut.
L'arme chimique et surtout l'artillerie chimique allaient prendre un nouvel essor au cours de l'année 1918. Désormais, leur utilisation devint massive, tant dans les actions offensives que défensives. SI les tirs chimiques s'étaient réellement développés durant l'année 1917, ils allaient devenir absolument omniprésent en 1918, avec une quantité de munitions chimiques utilisées augmentée de 1600 % ! 70% des pertes par l'arme chimiques sont ainsi recensées sur les onzes derniers mois du conflit (voir : Pertes).
Fort de ces nombreux avantages, Ludendorff, général en chef de l’armée allemande, décide de frapper un grand coup en lançant une offensive surprise, avant que les Alliés ne reprennent l’avantage numérique avec l’arrivée des divisions américaines. La tactique est posée : l’artillerie allemande procédera à une préparation massive et rapide du terrain, en utilisant plus que jamais les munitions toxiques. On utilisera l’ypérite plusieurs jours avant l’attaque en inondant les zones sensibles des flancs des arrières de l’ennemi. Les points de résistance importants seront systématiquement noyés durant la préparation d’artillerie sous un déluge de feu et de gaz, puis les premières lignes seront séparées des arrières par un barrage d’artillerie roulant, qui devra avancer à la même vitesse que les troupes d’assaut de la première vague. La quantité de munitions toxiques utilisées dépasse largement tout ce qui avait été entrepris jusqu'à maintenant ; parfois plus du tiers des obus tirés. Ce sera la plus grande offensive jamais menée durant la Première Guerre. Le jour J sera le 21 mars 1918 et l’attaque portera sur un front de 70 km entre Arras et La Fère. Ernst Junger, alors en première ligne allemande, décrit le début de l’offensive : « L’aiguille avançait toujours ; nous comptâmes les minutes. Enfin, elle atteignit cinq heures cinq. L’ouragan éclata. Un rideau flamboyant monta en l’air, suivi d’un rugissement soudain, tel que nous n’en avions jamais entendu. Un tonnerre à rendre fou, qui engloutissait dans son roulement jusqu’aux coups de départ des plus grosses pièces, fit trembler le sol. Ce que nous n’avions osé espérer se produisit : l’artillerie ennemie se tut ; elle avait été annihilée d’un seul coup gigantesque. Nous ne tînmes plus dans nos abris : debout sur les défenses, nous contemplâmes, éberlués, le mur de feu haut comme une tour, dressé sur les tranchées anglaises, et qui se voilait de nuées ondoyantes, rouges comme du sang. Ce spectacle fut gâché par des larmoiements et une sensation de brûlures dans les muqueuses. Les vapeurs de nos obus à gaz, refoulées par le vent contraire, nous enveloppaient d’une violente odeur d’amande amère. Je remarquais, soucieux, que beaucoup de mes hommes commençaient à tousser, à suffoquer, et, s’arrachaient finalement le masque du visage. Je m’efforçai donc de retenir mes premières quintes de toux et de ménager mon souffle.»
Le premier jour, les Allemands enregistrèrent un succès considérable, au prix de pertes effroyables. L’avance continua les jours suivants mais s’acheva sur la Somme par la prise manquée de Villers-Bretonneux et par l’épuisement des troupes d’assaut. Le 5 avril, en dépit des grands succès tactiques obtenus, l’offensive fut stoppée. Des deux côtés, les pertes s’élevèrent à près de 200 000 hommes.
C’est durant ce mois de mars 1918 que deux nouvelles arsines sont utilisées par les Allemands dans le secteur du Moulin de Laffaux (Aisne). Il s’agit du dichlorure d’éthylarsine et du dibromure d’éthylarsine. Ces deux substances sont caractérisées par des propriétés incapacitantes importantes ainsi qu’une action vésicante faible. Leur persistance est modérée et les Allemands les utiliseront comme toxique sur des zones de terrain que leurs troupes pourront occuper rapidement après l’attaque. Puis, en avril 1918, apparaît sur le champ de bataille un nouveau type de gaz de combat ; les éthers méthyliques dichlorés et dibromés, qui seront baptisés par les Français ‘’labyrinthiques’’. Ces toxiques n’étaient pas destinés à être utilisés seuls, mais plutôt à être mélangés à tous les produits vésicants chargés dans les munitions à croix jaune. Les signes d’intoxication des labyrinthiques sont assez hétérogènes mais se caractérisent par des troubles de l’équilibre marqués à type de titubation, chancellement, désorientation. On retrouve aussi des effets lacrymogènes, sternuatoires, suffocants, voire même vésicants. Mais les chimistes allemands ne s’arrêteront pas à ce stade de l’escalade chimique. En mai, ils introduisirent un nouveau sternuatoire, certainement le plus efficace de tous, le cyanure de diphénylarsine.
Entre temps, Lüdendorff lancera une nouvelle offensive le 9 avril, la seconde bataille de la Lys, qui permet la prise du mont Kemmel et qui se terminera le 29 avril. Encore une fois, le succès tactique de l’opération est réussi mais elle n’apporte aucun succès stratégique et se solde par la perte de 350 000 hommes du côté allemand. Au mois de mai, l’ensemble du front redevient relativement calme. Les Allemands préparent une nouvelle offensive éclair et, pour masquer leurs préparatifs, ils pilonnent les lignes alliées en utilisant massivement les gaz. En effet, sur l’ensemble du front se développent des attaques par obus toxiques dans lesquels l’ypérite a une place de choix, mais aussi des attaques par projectors redoutablement efficaces.
Le 27 mai, l’offensive allemande se déclenche dans l’Aisne, sur le Chemin des Dames, où l’année précédente les Français avaient échoué dans une attaque meurtrière. La préparation d’artillerie commence par un tir exclusif d’obus à gaz, puis devient mixte, mais avec plus de cinquante pour cent d’obus toxiques. L’assaut enfonce le front qui finit par percer et les troupes allemandes s’engouffrent dans la brèche. L’offensive s’arrête pourtant dix jours plus tard par épuisement des assaillants, mais ceux-ci ont parcouru 45 kilomètres derrière les lignes et se fixent dans le Bois Belleau à 70 km de Paris ! C’est durant cette offensive que les premières divisions américaines participèrent à la bataille. Le 7 juin, elles enlèvent le Bois Belleau aux Allemands. Les troupes de Lüdendorff se trouvent alors dans un saillant dangereusement exposé aux contre-attaques et lancent deux nouvelles poussées en direction de Noyon-Montdidier et de Soissons, mettant en danger Paris même. Une fois de plus, les pertes sont énormes, mais cette fois-ci ils ne percent pas. Lüdendorff pensait, qu’en faisant peser la menace sur la capitale, les Français se seraient retirés des Flandres où les Anglais, restant seuls, auraient été facilement vulnérables.
Les Allemands avaient perdu là leurs meilleures troupes, les plus aguerries et les plus expérimentées, maintenant remplacées par de jeunes soldats dont l’âge ne dépassait parfois pas 15 ans. Pourtant, le 15 juillet, la dernière offensive allemande est lancée sur le flanc du saillant de Reims, toujours dans le but d’y attirer les Français pour attaquer les Anglais dans les Flandres. Mais l’offensive baptisée Friedensturm (offensive pour la paix)fut rapidement enrayée, car Foch avait obtenu des informations sur les plans de Lüdendorff et s’y était préparé. Le 17 juillet, l’offensive allemande s’arrête et les Alliés reprennent l’initiative le lendemain en lançant la contre offensive de la deuxième Bataille de la Marne. Désormais, l’initiative des combats ne cessera de revenir aux Alliés jusqu'à la fin de la guerre. Les Alliés disposaient depuis le mois de juin d’un moyen de riposter aux Allemands qui s’avéra être un précieux atout pour endiguer les offensives sur la Marne. Les Français possédaient maintenant l’ypérite dans leur arsenal chimique. Lorsque celle-ci apparut sur le champ de bataille, elle fut identifiée en trois jours par Kling et Moureu ; on s’aperçut que le produit allemand était impur et contenait des corps à odeur d’ail et de moutarde qui en augmentaient le pouvoir vésicant. En toute hâte, on étudia le procédé de synthèse de Victor Meyer mais, Bertrand puis Job ensuite, reprenant le travail de Niemann datant de 1860, montrèrent que le chlorure de soufre, se fixant sous pression sur l’éthylène, conduisait à l’ypérite. Cette fabrication était trente fois plus rapide que celle du procédé allemand. On installa à Péage-de-Roussillon (dans les Usines du Rhône), à Pont-de-Claix (dans les usine de Chlore liquide) et à la poudrerie d’Angoulême, des chaînes de fabrication d’ypérite. L’utilisation de ce redoutable toxique par les Français fut une surprise totale pour les Allemands, leur causant de redoutables pertes et amenant un affaiblissement de leurs forces combatantes. C’est certainement à l’ypérite qu’un jeune caporal du nom d’Adolf Hitler à été gazé en octobre 1918. Aveuglé, il recouvrera petit à petit la vue, mais rechutera à l’annonce de la défaite allemande. Il décida qu’il se lancerait dans la politique s’il recouvrait à nouveau la vue. Cela se produisit sur son lit d’hôpital tandis qu’il entendait des voies lui ordonnant de « sauver l’Allemagne », ce qu’il se promit solennellement ! Le dernier sternuatoire allemand apparaîtra en septembre, le N-éthylcarbazol. Il était dispersé grâce à une innovation technique qui consistait à placer le toxique dans un cylindre d’acier, dans le corps de la munition, et à doubler le détonateur d’une charge d’acide picrique pour provoquer la déflagration un bref instant plus tôt. Le toxique devait ainsi se répandre en étant expulsé vers l’arrière du corps de l’obus.
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